SAINT PAUL DE LA CROIX
 1694-1775

 SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

2
La doctrine spirituelle de Paul de la Croix

 

2-1-Le  désir de Dieu

Paul de la Croix, avant tout, désirait Dieu. Il désirait Dieu d'une manière passionnée, intense, presque douloureuse. Comment fut-il conduit vers un tel désir? Pour le comprendre, il suffit de le suivre tout au long de son développement spirituel. Pour saint Paul de la croix, c'est l'oraison qui conduit au désir de Dieu. Désirer Dieu, c'est le secret des saints, c'est la clé qui ouvre la porte du Cœur de Dieu.

Incontestablement Paul de la Croix est un homme de désir, du désir de l'esprit, du désir de Dieu. L'âme de Paul dès sa jeunesse, fut orientée vers Dieu, par le désir sensible qu'il en avait, et "un attrait toujours plus puissant le portait à se retirer en solitude... pour suivre les invitations amoureuses de Dieu dont l'infinie bonté l'appelait à quitter le monde." Très jeune ce désir de vie contemplative s'installa dans son cœur, en dépit de ses obligations familiales qui le maintenaient dans le monde. Pourtant le désir grandissait en lui de réunir des compagnons pour vivre en communauté, dans une extrême pauvreté.

     2-1-1-Désir de partager les souffrances du Christ

Les désirs de Paul étaient intenses, et il offrait à son Seigneur les retards qui étaient placés sur son chemin pour réaliser ses vœux; mais, et cela nous semble étrange, comme presque tous les grands saints, Paul désirait l'union à Dieu "dans les souffrances du Christ et dans le désir d'annoncer Dieu aux hommes." Il écrit dans son journal, le 21 décembre 1720: "Dans l'intimité du cœur il y a un certain désir secret, presque insensible, d'être toujours dans les souffrances." Paul désire la souffrance, et les épreuves, car, dit-il: "Je reçus beaucoup de lumière à propos des tourments de mon Jésus, et je fus favorisé d'un désir ardent d'être uni à Lui à la perfection, au point de vouloir sentir totalement ses tourments et être mis en croix avec Lui.[1]"

     2-1-2-Désir d'union à Dieu

Incontestablement c'est Dieu Lui-même qui parlait à Paul en lui infusant ces désirs. En fait, tous ces désirs de Paul n'étaient que les expressions d'un unique désir: faire la volonté de Dieu: "Je n'ai d'autre désir que de faire avec perfection la très sainte Volonté de Dieu dans la vie, dans la mort, dans le temps et dans l'éternité." Oui, c'est par le désir que Dieu attire notre attention et qu'Il nous manifeste sa Volonté. Parfois ce désir devient si brûlant qu'il nous entraîne et nous enflamme "toujours davantage du désir de s'envoler vers le Souverain Bien... et de se laisser embraser par le feu de l'amour divin."

     2-1-3-Désir de convertir les pécheurs

Le désir d'être intimement uni à Dieu, le désir de souffrir les souffrances de Jésus, et la grande ferveur qui accompagnaient ces désirs, ont conduit Paul à pleurer souvent. Ces larmes lui venaient soudainement surtout quand il considérait les âmes des pécheurs. Le désir de les convertir devenait irrésistible. Il écrit encore: "Le continuel désir de la conversion de tous les pécheurs ne m'a pas quitté, et je me suis senti particulièrement poussé à prier mon Dieu pour cela, parce que je voulais qu'Il ne fût plus offensé." Quelques jours plus tard, le 26 décembre 1720, Paul précise: "... j'avais aussi le désir de la conversion des hérétiques, surtout de l'Angleterre, avec les royaumes voisins..."

Le désir, tel que le comprend Paul de la Croix suscite en lui un autre désir intense de dépassement de lui-même, de sanctification et de travail pour la conversion du prochain. Cela commence par une vie de prière et d'oraison. Paul donnera des avis dans la Règle de sa congrégation: "Une des principales fins de cette humble congrégation est, non seulement qu'ils s'adonnent eux-mêmes avec un zèle inlassable à la sainte oraison afin de s'unir à Dieu, mais de conduire aussi notre prochain à cette même union en l'instruisant, par une méthode aussi accessible que possible de cet exercice si évangélique."

Il est bon de rappeler ici qu'à l'époque de Paul de la Croix, l'Église avait été profondément blessée d'une part par le jansénisme d'un rigorisme extrême qui étouffait l'amour, et d'autre part, par le quiétisme qui voulait conduire les âmes à une contemplation plus ou moins oisive conduisant uniquement vers l'amour de soi. Paul voulait au contraire conduire les âmes, conformément aux conseils émis par Ruysbrœck, vers une intimité de plus en plus grande avec Dieu conduisant au service de son prochain. Pour cela l'âme devait apprendre à se tenir constamment en présence de Dieu, "vivant dans l'humilité et le moment présent." D'où la recommandation: "Je veux aimer Dieu autant que je le peux, maintenant, comme si c'était le dernier instant de ma vie. Je veux souffrir avec joie, maintenant, sans penser au futur."

Ainsi naît la paix intérieure, fruit éminent des dons du Saint-Esprit. "Nous sommes à nous-mêmes la véritable cause de toutes nos inquiétudes. C'est parce que nous ne rendons pas notre cœur assez humble pour Dieu, que nous n'acceptons pas avec une tranquille obéissance ce qui nous arrive, et cela dans une parfaite union à la Volonté de Dieu à travers tous les événements..." Paul affirmera à plusieurs reprises que l'égalité d'humeur, vertu humble et cachée, est le véritable signe de la paix intérieure.

2-2-Rappel sur la dévotion à la Croix de Jésus

     2-2-1-Pourquoi la dévotion à la Passion de Jésus?

S'approprier les souffrances de Jésus pendant sa Passion, cela était l'un des plus grands désirs de Paul. Déjà, le 23 novembre 1720, il avait écrit dans son Journal: "Je désire seulement être crucifié avec Jésus."

Au paragraphe 1-3-1, nous avons rappelé comment Paul de la Croix expliquait la nécessité d'avoir une grande dévotion envers la Croix de Jésus: il s'agit de remercier le Seigneur pour tout ce qu'Il a fait pour nous.  De plus, la Passion de Jésus-Christ est la porte qui donne entrée dans les pâturages délicieux de l’âme. Le divin Sauveur a dit[2]: "Je suis la porte" (Jean X, 9) Une âme qui entre par cette porte, marche sûrement.

     2-2-2-Comment compatir aux souffrances de Jésus?

Paul de la Croix indique aussi comment nous devons compatir aux souffrances du Christ: "Figurez-vous que vous êtes gravement indisposé; moi, qui vous aime tendrement, je viens vous faire visite. Il est sûr qu’après vous avoir exprimé mes sentiments et dit quelques paroles de consolation, je me mettrais à vous regarder d’un œil de compassion et à m’approprier vos souffrances par amour. Ainsi, quand nous méditons la Passion de Jésus-Christ, en le voyant plongé dans la douleur, nous devons compatir à ses peines, puis le contempler avec amour dans cet état, et nous approprier par amour et par compassion les souffrances qu’il endure."

2-3-Saint Paul de la Croix et l'Eucharistie

     2-3-1-L'Incarnation

L'homme ne peut voir Dieu qu'à travers l'humanité du Christ, et on ne peut contempler Dieu qu'à travers le visage du Christ. L'Incarnation est une incroyable merveille d'amour, "l'Immense se faisant tout petit, l'infinie Grandeur s'humiliant par amour de l'homme[3]." Paul de la Croix reçut certainement des lumières très profondes concernant le mystère de l'Incarnation. Il explique en effet "que l'âme peut être à la fois très unie amoureusement à la très sainte humanité du Christ, et en même temps liquéfiée et élevée à la connaissance haute et sensible de sa divinité."

La confiance de Paul envers son "Époux présent au Saint Sacrement" ne le quittait jamais. En effet,  "Jésus étant venu non pour les justes, mais pour les pécheurs", était venu aussi spécialement pour Lui, Paul de la Croix, qui se croyait le plus grand des pécheurs que la terre ait porté.

     2-3-2-L'amour de Paul de la Croix pour l'Eucharistie

On oublie souvent que Paul de la Croix, ardent apôtre de la Croix, fut aussi un ardent amant de l'Eucharistie. Il invitait tous ceux qu'il rencontrait à rester longuement en adoration devant le Saint-Sacrement. "Devenez amoureuse de ce Bien Infini, adorez-le, embrassez-le souvent en esprit et en vérité, faites-lui beaucoup de caresses." Paul de la Croix fut vraiment un grand amoureux de l'Eucharistie envers laquelle il avait de grands élans de tendresse qu'il ne renia jamais. Il écrit dans Journal des quarante jours que, "recueilli et goûtant des mouvements de tendresse, il offrait des affections amoureuses à Jésus dans le Saint-Sacrement." Paul disait que l'Eucharistie c'était la manne de Jésus; et c'était Jésus Lui-même. Il allait jusqu'à affirmer quel "les mouvements de tendresse (envers notre prochain) naissaient des affections amoureuses envers l'Eucharistie."

Un jour, alors qu’il avait été particulièrement aride dans l’oraison et distrait dans la sainte communion, "il eut beaucoup de larmes, et il pria Jésus de le rendre humble au plus haut degré. Il désirait être le dernier des hommes, la lie de la terre, et priait avec quantité de larmes la Bienheureuse Vierge de lui en obtenir la grâce."

     2-3-3-L'adoration

Pour Paul, prier devant le Saint Sacrement, c'est ressentir la présence du Christ; en effet l'Eucharistie, quoique mystérieusement, nous met en relation directe avec son Cœur brûlant d'amour, son Cœur Eucharistique. Pour Paul, vivre l'Eucharistie, c'est aussi vivre intérieurement Gethsémani, la nuit obscure que Jésus voulut expérimenter. À Gethsémani, comme cela sera aussi sur la Croix, le Père se cache et semble abandonner son Fils Bien-Aimé. Tous les mystiques ont vécu cet apparent abandon de Dieu. Paul ne fit pas exception, mais il sut toujours dire, comme Jésus: "Père, que ta volonté se fasse."

Prière de Paul devant le Saint-Sacrement:

"Ô Seigneur, que votre esprit est doux! Je sais à qui je crois et je suis certain; je suis certain que vous êtes au tabernacle d’amour!... Quel bonheur de me tenir, pendant les heures les plus silencieuses, au pied du saint autel! Oh! qui me donnera des ailes de colombe pour prendre mon vol d’amour vers votre Cœur divin?"

"Ô Jésus-Eucharistie, vous avez dit: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et je lui donnerai à boire. C’est à vous, maintenant, de me désaltérer…"

"Mon Dieu, le tabernacle est le lieu de votre amour, préparé par vous à qui vous aime!... Quand pourrai-je, pendant les heures de profonde solitude, m’entretenir avec mon Amour-Eucharistie aux pieds du saint autel? Qui me donnera les ailes de la colombe pour faire des vols d’amour au Cœur sacré de mon Jésus?"

Parfois Paul confiait, en confidence: "En vérité, en vérité, Jésus me désaltérait. Une fois surtout, il étancha parfaitement ma soif."

     2-3-4-La sainte Messe

Paul de la Croix parle de la messe à l'un de ses correspondants: "Puisque la messe est le renouvellement du sacrifice de la Croix, figurez-vous que vous célébrez les obsèques du Sauveur; entrez dans les sentiments de componction et d’amour dont étaient pénétrés la Sainte Vierge, saint Jean, Joseph d’Arimatie et Nicodème. Le cœur du prêtre doit être le sépulcre de Jésus-Christ. Or, de même que celui dans lequel on le mit après sa mort, était nouveau, de même votre cœur doit être pur, animé d’une foi vive, d’une ferme confiance, d’une charité ardente, d’un vif désir de la gloire de Dieu et du salut des âmes. La messe est le moment favorable pour négocier avec le Père éternel, parce qu’alors on lui offre son Fils unique, incarné et mort pour notre salut."

Et à des prêtres: "Avant de célébrer, revêtez-vous des souffrances de Jésus-Christ; conversez paisiblement avec lui au milieu même des sécheresses; portez à l’autel les besoins du monde entier.

Chaque fois que vous célébrez la sainte messe, ou que vous vous approchez du banquet sacré, communiez en forme de Viatique.

Ne négligez aucun soin pour célébrer avec grande piété; faites toujours votre action de grâces; gardez jour et nuit le tabernacle intérieur: c’est le cœur du prêtre. Qui agit de la sorte ne tardera pas à concevoir le feu du saint amour. Gardez avec beaucoup de précautions ce tabernacle vivant, et tenez-y les lampes allumées: ce sont la foi et la charité. Qu’il soit toujours orné de vertus. Jésus a célébré les divins mystères dans un cénacle bien préparé."

Paul de la Croix aimait particulièrement les fêtes consacrées à l'Eucharistie. Il écrit, entre autres: "La fête du Très Saint Sacrement est la fête de l’amour. Oh! quel grand amour! Ô charité! ô amour!... Le papillon voltige autour de la flamme et s’y brûle. Que votre âme tourne de même autour de cette lumière divine! Qu’elle y soit toute réduite en cendres, surtout dans cette grande et douce octave du Saint-Sacrement! Ah! mangez, buvez, enivrez-vous, volez, chantez, soyez dans la jubilation et dans la joie, faites fête à votre divin Époux."

     2-3-5-L'importance de l'Eucharistie

Voici quelques conseils que Paul de la Croix donnait aux âmes qui se confiaient à lui:

"Ne passez pas un seul jour sans faire une visite au Dieu du Tabernacle. Envolez-vous en esprit dans le Cœur de Jésus au Saint-Sacrement. Là, pâmez-vous de douleur à cause des irrévérences qu’il reçoit des mauvais chrétiens, qui ne répondent à tant d’amour que par des ingratitudes et des sacrilèges. En réparation de tant d’outrages, l’âme aimante doit s’offrir en victime, se consumer dans le feu du saint amour, l’aimer, le louer, le visiter surtout aux heures où personne ne lui fait la cour."

"Qu’ils sont immenses, les trésors que renferme la divine Eucharistie! Je vous engage vivement, vous-mêmes qui vivez dans le monde, à communier souvent, mais avec de grands sentiments de piété. La sainte communion est le moyen le plus efficace pour s’unir à Dieu. Préparez-vous toujours bien à ce saint banquet. Ayez un cœur bien pur, et veillez beaucoup sur votre langue, car c’est elle qui touche la première le Saint-Sacrement. Portez-le chez vous après votre action de grâces, et faites que votre cœur soit un tabernacle vivant pour Jésus-Christ. Visitez-le souvent au dedans de vous-même, et offrez-lui les hommages, les sentiments et les remerciements que vous inspirera le saint amour."

La communion fréquente

En 1679, le pape Innocent XI avait donné aux confesseurs la possibilité d'autoriser la communion fréquente, voire quotidienne, aux fidèles qu'ils en jugeraient dignes. Cela avait du mal à passer dans les mœurs. Cependant Paul de la Croix, amoureux de l'Eucharistie essayait de satisfaire la soif d'amour de Jésus de certaines personnes qu'il dirigeait. Il écrivait à Colomba Gandolfi, le 15 septembre 1744: "Prenez garde de ne pas abandonner la sainte Communion... L'effort principal du diable est de nous éloigner de la Table des anges, où l'on reçoit cette nourriture de vie éternelle, et où l'âme devient terrible pour les démons."

Et encore le 16 juillet 1754: "Je vous prie fortement de ne pas abandonner la sainte communion. Oh! Ma petite fille, n'abandonnez jamais cette nourriture de vie éternelle..."

2-4-Le Saint Esprit

Paul de la Croix, tellement attaché à la Croix de Jésus, ne négligeait cependant pas le Saint-Esprit. Il conseillait même à ses amis, à ses dirigés et à ses religieux, d'être toujours attentifs et obéissants aux attractions amoureuses de l'Esprit Saint, d'accepter ses dons avec reconnaissance, mais aussi avec détachement, "en pauvreté et nudité d'esprit... et de les faire disparaître dans le feu du Saint Amour, sans autre réflexion que de se perdre toujours plus en Dieu..." Paul insistait: "Vous ne devez, en aucun cas, forcer l'esprit pour retenir les envols que vous fait faire l'Esprit d'Amour... Et qui peut résister à cette divine opération qui est toute de Dieu?... Je vous redis d'obéir promptement à cet envol d'amour pur... Il est vrai que ce sont là des choses très hautes, parce que ce sont des choses de Dieu... mais qui pourra jamais s'attribuer à lui-même des choses aussi sublimes?..."[4]

Quelques mois plus tard, il recommanda à la même personne de laisser l'Esprit Saint être son directeur spirituel. "Le véritable directeur spirituel, c'est le Saint-Esprit, l'Esprit de la vraie liberté, le mystère de l'Amour qui unit le Père et le Fils. Lui seul inspire les âmes, Lui seul les élève jusqu'à Dieu, Lui seul conduit les âmes à 'l'abandon d'amour'. L'Esprit-Saint est le souffle de la vie qui nous conduit à nous perdre dans l'infini de l'Être divin." Et, parlant de Jésus-Eucharistie, Paul écrit à Agnès Grazi le 17 janvier 1738: "... Plongez-vous toute en ce feu qui brûle en son très saint Cœur, et laissez-vous réduire en cendre. Puis laissez au souffle d'amour de l'Esprit-Saint la liberté de répandre le rien de cette cendre dans le Tout infini de la Divinité..."

À une religieuse[5], Paul écrit: "Par-dessus tout laissez-vous guider par l'Esprit-Saint. Tenez-vous dans votre anéantissement, et quand vous sentez les attractions et les impressions divines, suivez cette invitation que Dieu vous fait. Restez alors tout abîmée en Lui dans un silence sacré, ou en vous tenant tout absorbée dans la contemplation des perfections divines par une profonde stupeur amoureuse, ou bien en exultant dans les divines louanges, ou bien pénétrée par l'amour et les douleurs de peines de Jésus, etc. Mais tâchez de le faire avec dépouillement de votre imagination, vous tenant en pure foi, sans image..."

Pour cela il faut savoir se laisser faire par Dieu. Peu de temps avant une fête de la Pentecôte, pour que sa correspondante puisse recevoir pleinement les dons du Saint-Esprit, il conseille[6]: "Pour cela préparez-vous par un profond dépouillement de toute chose créée, un total abandon au bon plaisir divin, sans attache aucune à la dévotion sensible... Tenez-vous dans la solitude intérieure, adorant Dieu en esprit et en vérité... sans vouloir autre chose que son Saint amour, très pur et très purifiant, et sa plus grande gloire en toutes ses œuvres..."

Ce qui compte, c'est "de se laisser perdre et disparaître dans l'Immense Dieu..." Car l'Esprit-Saint, c'est le Bien infini: "Les assauts d’amour que la bonté divine vous livre, conservez-les soigneusement dans votre intérieur, puisque, après la sainte communion, Jésus possède votre cœur. Vous ne pourriez l’aimer, si vous n’aviez avec vous la source vive du saint et pur amour, c’est-à-dire le Saint-Esprit. C’est le divin Rédempteur qui nous l’apprend. Celui qui croit en moi, dit-il, verra sortir de son sein des fleuves d’eau vive, selon l’expression de l’Écriture. (Jean VII. 38) Or, ajoute l’Évangéliste, il faisait allusion à l’Esprit-Saint que les fidèles devaient recevoir. C’est pourquoi, quand Dieu vous livre ses assauts qui sont des faveurs particulières de l’amour divin, amour qui est saint, pur et sans tache, laissez-vous disparaître dans le Bien infini par la grâce, et là, agissez en enfant, et endormez-vous d’un sommeil de foi et d’amour dans le sein du céleste Époux."

2-5-L'union à Dieu

C'est par l'oraison que l'âme s'unit à Dieu et marche vers la sainteté et l'amour envers Dieu. Mais cela doit être partagé: d'où le double aspect de la vocation passioniste: la vie contemplative dans les Retraites, et l'action apostolique lors des missions.

     2-5-1-Quelques faveurs divines

Paul de la Croix connut de grandes faveurs divines, que l'on appelle mystiques. Il savait qu'on ne pouvait pas les expliquer; aussi, tout en les contrôlant, était-il apte à comprendre ceux qui bénéficiaient de ces faveurs. Ainsi, à Colomba Gandolfi, il pouvait écrire, le 21 août 1756: "J'aimerais encore savoir si votre âme fait son envol vers Dieu avec les ailes de la foi et le feu de l'amour, et si ce haut vol se réalise en passant par la porte qui est le Christ Notre Seigneur, vous anéantissant dans la mer de sa très sainte Passion qui est l'œuvre la plus grande et la plus étonnante de l'Amour Divin..."

     2-5-2-Des mises en garde 

Nous venons de voir que Paul de la Croix ne rejetait pas les expériences mystiques des personnes qui le consultaient. Toutefois il mettait parfois en garde les personnes qui se confiaient à lui. Ainsi, au sujet des locutions, paroles intérieures entendues au cours de la prière, il conseillait une grande prudence et beaucoup d'humilité: il faut d'abord les repousser, quelles qu'elles soient; si elles sont bonnes et vraies, elles produiront leurs effets. Il écrivit: "Apprenez donc bien cette règle qui consiste à vous tenir en garde. Oh! Si vous saviez les effets merveilleux que produisent les véritables locutions, et quelle impression d'infaillible certitude elles font dans l'âme. On peut les chasser autant qu'on veut, mais l'impression et l'effet sont infaillibles, avec d'autres effets étonnants..."[7]

     2-5-3-Et quelques conseils

Le 2 juillet 1748, Paul écrit à Sœur Gandolfi: "Désormais il est temps d'avoir davantage confiance en Dieu et de vous approcher davantage de Lui dans l'oraison et dans les sacrements... Sachez que pour arriver à une grande union avec Dieu, par le moyen de la sainte charité, il faut passer par de grandes épreuves. Les âmes les plus chères à Dieu sont les plus éprouvées, affligées et tentées..."

Et en 1753, afin que l'âme puisse rester dans la solitude intérieure de la contemplation de la Passion, il complète: "... Devenez une véritable adoratrice du Très-Haut, en esprit et en vérité, puisqu'en cette divine école, où le Souverain Maître est l'Esprit-Saint, avec les lumières de la foi l'âme comprend en Dieu, sans comprendre par les sens, des choses très hautes, étonnantes, qui nous échappent et que l'on ne peut traduire... S'anéantissant toute avec une haute stupeur amoureuse dans cette grande Mer (Dieu, la Mer immense de perfection), l'âme adore, se tait, aime, est stupéfiée... se trouve hors du temps dans l'éternité de Dieu... On se réjouit et on aime, en bas on aime et on peine... Continuez de prier... avec les sentiments d'un amour douloureux et d'une douleur amoureuse. La Sainte Passion est une œuvre d'amour..."

Sœur Gandolfi a progressé dans l'union à Dieu. Paul de la Croix reconnaît, dans sa lettre du 21 décembre 1754, "l'envol que la Divine Bonté faisait faire à son âme..." Aussi lui affirme-t-il qu'elle est maintenant une véritable adoratrice du Très haut, en esprit et en vérité.. Mais il faut qu'elle "continue à se tenir en haute pauvreté et nudité d'esprit... peinant sans comprendre la peine, parce que c'est une peine purement spirituelle produite par le pur amour en Dieu... Oh! Tout ce que je voudrais dire! Mais je ne sais si je peux m'expliquer... Ô Sœur Colomba... demeurez toujours en ce profond désert sacré où l'âme perdue toute en Dieu... élevée par amour hors du temps dans l'éternel Bien, se repaît, sans le comprendre, de charité, d'amour très pur en Dieu, liée et unie par saint amour au Divin Verbe Christ Jésus... Là, en cet abîme d'amour, on ne peut plus rien de temporel, mais tout est de l'Amour Souverain et Incréé... Si vous ne vous souvenez plus de vous-même, peu importe. Obéissez aux divines inspirations; moins vous comprendrez, plus vous serez ignorante, et plus, à cette école, vous deviendrez docte... Soyez donc une vraie victime sacrifiée pour toujours dans le feu de la divine charité pour le Souverain Bien; mais soyez une victime enfant, ainsi le sacrifice sera plus rapidement réduit en cendres par le feu sacré..."

     2-5-4-Les nuits spirituelles

Toutes les âmes qui aiment Dieu connaîtront de douloureuses épreuves, les nuits des sens ou de l'esprit. Paul de la Croix rassure[8]: "Ne doutez pas, sœur, ne doutez pas; Dieu se trouve au milieu de votre cœur, et vous aime; et en permettant de telles tempêtes, il le fait pour votre plus grand bien, jusqu'à ce que vous arriviez à la véritable humilité de cœur et à l'anéantissement de vous-même... La route sûre que l'on doit maintenir en de telles batailles... c'est de demeurer soumise à la volonté de Dieu et se laisser flageller par cette main amoureuse qui permet de telles tribulations... Ne dîtes jamais: pour moi, c'est fini, Dieu m'a abandonnée... Non ma fille, ne parlez pas ainsi... c'est une vérité de foi, que qui est plus aimé de Dieu est aussi plus corrigé. Donc pour horribles que soient les tempêtes, ne détachez pas les bras de l'ancre de l'espérance en Dieu, que jamais vous ne ferez naufrage... Jésus-Christ tient dans ses bras très puissants, au milieu de son divin cœur, la petite barque qu'est la pauvre âme."

2-6-La Vierge MARIE

Paul de la Croix eut des relations privilégiées avec la Vierge Marie. Déjà, étant enfant il était, avec son frère Jean-Baptiste, en grand danger d’être noyé quand une "Dame, belle et gracieuse leur donnant la main avec bonté, les délivra des eaux et de la mort." Plusieurs autres apparitions de Marie lui indiquèrent qu’il était destiné à fonder une nouvelle congrégation. Marie lui montra aussi ce que serait le costume des futurs passionistes.

Un des premiers compagnons de Paul raconte une de ses confidences, alors qu'il était encore à Castellazzo. Il se promenait dans la campagne quand il se sentit appelé par Marie qui lui dit: "Paul, Paul, je suis seule. Viens sur le mont Argentario." Paul était encore indécis sur l'orientation à donner à sa vocation; il "prit" donc son frère Jean-Baptiste, avec lui, dans l'ermitage saint Antoine sur l'Argentario. Un peu plus tard, tandis qu'il cherchait un endroit convenable sur l'Argentario pour en faire le noviciat, il s'arrêta avec Jean-Baptiste sur une colline au pied d'un olivier; là il fut ravi en extase et Marie lui révéla que c'était l'endroit qu'elle désirait pour y construire le chœur de la chapelle de la deuxième Retraite.

En 1737 Paul dédia à  Marie la première chapelle de l’Institut sous le titre: "Présentation de Marie au temple"

L’humilité est l’unique chemin qui permet de vivre conformément à la foi, car elle est directement rattachée à la pauvreté intérieure et extérieure. L’humilité était une des caractéristiques de Marie dans son Immaculée Conception; aussi Paul de la Croix, si humble, vivra-t-il constamment en suivant l’exemple de Marie.

2-7-Le zèle

Nous savons que Paul de la Croix fut non seulement un grand spirituel, mais également un grand apôtre. Comme Ruysbrœck le conseillait à tous ses amis, Paul entrait en Dieu dans sa contemplation, mais il devait ensuite sortir pour évangéliser. Ces dons spirituels: l'oraison et le zèle, Paul sut les transmettre à tous ses amis et à ses fils passionistes, surtout par la contemplation de la Passion et de la Croix.

D'une manière générale, les missions que Paul, Jean-Baptiste et les religieux passionistes prêchaient, bousculaient les gens et amenaient beaucoup de conversions. Il convient d'ajouter que l'aspect de ces religieux ascètes, pauvrement vêtus, pieds nus en toutes saisons, amaigris en raison de leurs jeûnes fréquents, et au regard plein de bonté, comme tourné vers l'invisible et les vérités divines, impressionnait favorablement les foules en leur faveur. Les missions que Paul prêchait étaient de grands succès apostoliques; elles duraient quinze jours, et généralement plusieurs de ses religieux l'assistaient.

Durant ces missions Paul, et ses compagnons, puis plus tard ses religieux, abordaient le thèmes suivants:

– l'appel de la miséricorde de Dieu,

– la noblesse des âmes et la gravité des péchés mortels,

– la confession, le jugement particulier et l'enfer,

– l'amour des ennemis, et le pardon,

– la persévérance et la vie éternelle,

– l'Eucharistie.

Paul et ses religieux rappelaient sans cesse l'immense dignité de l'homme et la nécessité de rendre grâce au Seigneur. Paul disait: "Dieu a créé l'homme pour que celui-ci Le serve, Le loue, et L'aime en cette vie; et qu'il Le goûte éternellement dans l'autre." La louange envers Dieu est un devoir pour l"homme et la manifestation de sa liberté. Paul pouvait alors expliquer le but de ses missions apostoliques et la grandeur de notre liberté: "Je désire, ô fidèle que tu te concentres sur ce qui fut mis dans ta main par Dieu: le choix entre le bien et le mal, envers le vice et la vertu... Dieu laisse à notre volonté le soin de choisir entre le salut ou la damnation éternelle." Nous pourrions ajouter: entre le bonheur ou le malheur.

Paul ira plus loin encore, et parfois il se faisait virulent quand il abordait le thème du péché mortel: car pécher, c'est vendre son âme au Démon: "Cette âme... qui coûta la vie d'un Homme-Dieu... cette âme, tu la donnes, tu la livres entre les mains de ton pire ennemi, le Diable!... Oh! Stupidité! Oh! Déraison sans pareille!" Mais pour quel prix? "Pour des riens, pour des miettes de jouissances brutales et de plaisirs mondains, et combien de fois pour rien du tout?[9]" Pour Paul, le péché mortel coupe l'homme de Dieu, conduit à la mort spirituelle, c'est-à-dire au non-amour.

Et il s'exclamait:

"Ah! Pécheurs aveugles!... Savez-vous ce que veut dire un péché mortel? Cela signifie être l'ennemi impitoyable de soi-même. Pire, être l'ennemi de Dieu. Existe-t-il un mal plus grand? Avoir Dieu pour ennemi?"

D'où la nécessité de la confession qui n'est autre que le pardon de Dieu. Paul peut alors faire comprendre à son auditoire combien le péché a blessé Dieu, non seulement dans son Corps sur la Croix, mais surtout dans son Cœur. Il convient donc de se rapprocher de Dieu avant la mort qui nous montrera soudain ce que nous valons vraiment. Paul peut alors aborder le thème de l'enfer, la peine du damné, "car Dieu abandonne finalement le pécheur obstiné". Quel mystère que la liberté de l'homme! Mais Dieu ne nous laisse pas seuls dans nos épreuves, et Jésus, le Fils bien-Aimé du Père, nous a donné le plus grand des cadeaux: son Eucharistie. 

La mission se terminait par une invitation pressante à la conversion et à la persévérance dans cette conversion.

La mission d'apôtre de Paul de la Croix était parfois aidée par quelques charismes extraordinaires. Ainsi, tout en haïssant le péché, Paul qui avait pitié des pécheurs, pouvait leur révéler leurs fautes ou des événements connus d'eux seuls. Ces personnes, touchées au plus profond d'elles-mêmes se convertissaient généralement sur le champ. Par exemple on raconte qu'un jeune homme, Valentino, passant à Latera où Paul prêchait sur la Passion de Jésus, s'approcha pour se moquer du prédicateur. De loin, Paul lui dit les seules paroles qu'il réussit à comprendre compte tenu des clameurs de la foule: "Oh! Pécheur indigne! Avec ton péché, comme le ferait une épée, tu as percé le Cœur de Jésus et celui de Marie." Bouleversé Valentino acheva son voyage mais revint deux jours plus tard écouter le Père. Paul, qui apparemment ne pouvait voir Valentino, semblait s'adresser à lui, sans ménagement. Soudain, se tournant vers lui, il déclara "C'est à toi que j'en ai, à toi scandaleux!" Valentino se convertit et devint Père passioniste...

Lorsqu'il parlait de l'enfer, Paul tremblait, d'un tremblement irrésistible. À un témoin qui s'étonnait, Paul répondit: "Je suis épouvanté d'horreur! Ah! S'ils voyaient! Je ne sais rien dire, je ne puis montrer qu'une ombre de la réalité." Paul de la Croix voyait-il l'enfer?

Il arrivait aussi que, emporté par son discours, la main de Paul pouvait toucher un mur. Souvent l'empreinte de sa main sur la pierre restait visible durant plusieurs années. 

Paul de la Croix, dont la prédication était exceptionnellement vivante, réaliste et animée par le Saint-Esprit, ainsi que ses compagnons, se donnaient beaucoup de mal pendant les missions; les résultats étaient remarquables et les conversions nombreuses. Mais il faut préciser que Paul "voyaient" les offenses faites à Dieu et les immenses besoins du monde. Il écrivit en 1750 à l'archiprêtre d'Agnani: "Oh! Comme sont extrêmes les besoins du monde! Oh! Combien Dieu est offensé! Oh! Combien d'irrespect envers les sacrements! Oh! Dieu! Je n'en peux plus et je crois que dans ces campagnes je me suis trouvé au point culminant. Grand fut le fruit de la mission et immense le nombre des conversions... Et j'ai pu toucher du doigt que la Passion fait céder les pécheurs les plus obstinés et les plus durs..."


[1] Journal du 6 décembre 1720.
[2] Jean X, 9.
[3] Lettre du 30 novembre 1739, à  Agnès Grazi.
[4] Lettres à Sœur Gandolfi, des 13 et 20 juillet 1756.
[5] Lettre du 1er août 1741, à Marie Crucifiée.
[6] Lettre du 13 mai 1766, à Marie Crucifiée.
[7] Lettre du 4 septembre 1756 à Sœur Gandolfi.
[8] Lettre à Colomba Gandolfi, du 24 juin 1760.
[9] Bollettino de 1925

   

  

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