Léon Dupont
Le “saint homme” de Tours
1797-1876

 « simple laïc », déclaré « vénérable » par l’Église

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La vie de Monsieur Papin-Dupont, le saint homme de Tours (1797-1876)
 

Nicolas-Léon et son épouse eurent trois enfants: Léon né en 1797, Gustave, né en 1799 et décédé en 1803, et Théobald, né en 1801. Nicolas-Léon mourut à Brest en 1803. Sa jeune femme sera aidée par sa famille qui vivait aussi au Lamentin. Mais en 1809 la Martinique fut de nouveau occupée par les anglais qui en repartiront en 1814.

1-1-L'enfance et la jeunesse de Léon Papin-Dupont

Après l'école primaire suivie au Lamentin, Léon, en raison des évènements, ne put partir en France pour continuer ses études. Il partit donc en 1809 aux Etats-Unis. Puis, en 1811, malgré la guerre, il put se rendre en France, au collège de Pontlevoy, collège très fréquenté par les fils des familles royalistes. Léon retrouva vite une atmosphère familiale, car son oncle maternel, le comte Gaigneron de Marolles habitait le château de Chissay tout proche. Léon retourna en Martinique en 1815, âgé de dix-huit ans. Sa mère s'était remariée en 1804 avec Pierre-Grégoire d'Arnaud, originaire des Hautes-Alpes. Léon et son frère Théobald[1] revinrent à Paris en 1818 et s'installèrent rue du Colombier, pourvus d'une rente très confortable.

Léon s'inscrivit à la faculté de droit. Dans le Paris de la Restauration, Léon tenait son rang, et sa vie était relativement frivole. Mais il allait bientôt changer de vie.

1-2-Le jeune adulte

        1-2-1-La première conversion

Ayant besoin d'un jeune valet, Léon embaucha un petit ramoneur savoyard qui préparait sa communion avec Monsieur Bordier, dans la chapelle des Missions Étrangères, rue du Bac. Grâce à M. Bordier, Léon entra en contact avec la Congrégation de la Sainte Vierge[2], en 1820. Il ne pourra pas y rester longtemps puisqu'il dut repartir en Martinique en 1821; mais  ce passage fut à l'origine de la première conversion de Léon qui découvrit que la foi impliquait des exigences plus hautes que la seule pratique hebdomadaire, même régulière, des sacrements.

        1-2-2-Retour en Martinique

En juillet 1821 Léon, licencié en droit regagnait la Martinique au Lamentin, et rejoignait sa famille et son île si chaleureuse. Mais il n'oubliera jamais plus ses devoirs religieux et l'amour du prochain qu'il avait découverts dans la Congrégation de la sainte Vierge. Tous les jours il assistait à la messe et avait de plus en plus le souci de son prochain, tant sur le plan spirituel que matériel: il devint, notamment, le parrain de nombreux enfants de familles en difficultés.

Dès son retour en Martinique, Léon Papin-Dupont, magistrat, fut nommé d'abord conseiller-auditeur à la Cour Royale de Saint-Pierre, puis, le 1er avril 1830, conseiller. En 1827 Léon, âgé de trente ans, avait épousé une de ses cousines, Caroline d'Audiffrédi qui avait fait ses études en France, à Tours, chez les Ursulines. La santé de Caroline était fragile, mais le 4 octobre 1832 naissait une petite fille: Marie-Caroline-Henriette. Hélas! Le 1er août 1833, la jeune maman décédait, probablement d'une tuberculose, et Léon restait seul pour élever l'enfant...

Comme la santé d'Henriette[3] donnait des inquiétudes, il fut conseillé au père de retourner en France, là où le climat serait plus favorable. En 1834 Léon quittait son île natale en emmenant également sa mère et trois serviteurs, Adée et Adèle des mulâtresses et Alfred, un nègre, pour s'installer à Tours. Ses serviteurs créoles se considéraient comme de sa famille. Adèle assista Monsieur Dupont jusque dans son agonie.

1-3-Monsieur Dupont à Tours

        1-3-1-Les débuts de Monsieur Dupont à Tours

La très fragile santé d'Henriette, la fille de M. Dupont, exigeait la présence d'un docteur très compétent, et à Tours exerçait le célèbre docteur Bretonneau. De plus, M. Dupont souhaitait confier l'éducation de sa fille à Madame de Lignac (1791-1861), une des restauratrices des Ursulines, en France.

Dès son arrivée à Tours, M. Dupont fut profondément choqué par l'attitude des français, libres-penseurs, toujours en train d'attaquer l'Église, la religion, les prêtres et même les croyants. Léon Papin-Dupont comprit vite qu'il devait réagir et manifester ouvertement sa foi, dans l'état laïc qui était le sien. Aussi Léon Dupont continua-t-il l'exercice de ses devoirs religieux ainsi que la pratique des bonnes œuvres. À Tours, ce fut un événement de voir un homme de la bonne société se montrer pieux et dévôt dans tous les actes de sa vie, d'aller à la messe tous les jours et d'affirmer ouvertement sa foi. Dans cet ordre d'idée, en 1839, il rédigea et publia un opuscule polémique et apologétique, dans lequel il n'hésitait pas à déclarer, à propos des paroles de la Consécration, de l'Eucharistie:

– ... Comment croire que Saint Paul n'ait rien compris à l'Évangile, que les premiers fidèles qui se nourrissaient tous les jours de l'Eucharistie, que les martyrs qui la recevaient pour se fortifier, que les docteurs éminents de l'Église, que l'Orient et l'Occident se soient trompés sur le sens de paroles aussi importantes? Dieu Lui-même ne serait-il pas complice de cette erreur si fondamentale quelle renferme l'idolâtrie? Quoi, il aurait fallu dix-sept siècles avant de détromper tout le monde!... Non, Dieu n'agit pas de la sorte[4]...

Dans son désir de ramener les âmes à Dieu, Léon Dupont entreprit des pèlerinages dans des lieux bien délaissés à l'époque, et il écrivit un livre dans lequel il présentait de nombreux sanctuaires. Et il accomplissait chaque soir ce qu'il appelait "son chemin de croix", en fait la visite de quatorze emplacements où s'élevaient autrefois des sanctuaires, dont les ruines de la basilique de Saint Martin; ce monument, qui avait contenu le tombeau de Saint Martin, avait été détruit après la Révolution sur l'ordre du préfet Pommereul, et l'administration avait fait passer une rue sur toute la longueur de l'ancienne nef, afin qu'on ne puisse plus reconstruire la basilique...

Plus personne ne connaissait l'emplacement du tombeau de Saint Martin; aussi M. Dupont exprima-t-il le désir de retrouver son emplacement et de reconstruire la basilique. Il désirait aussi rétablir le culte de Saint Martin. En 1836 il devint membre de la Conférence Saint Vincent de Paul de Tours. La Conférence de Tours, sous l'impulsion de M. Dupont multiplia les œuvres: classes d'adultes pour les analphabètes, patronages des apprentis, œuvre des soldats. Il devint un interlocuteur redoutable pour les  anticléricaux et, dans l'ardeur de sa foi, n'hésitait pas à affirmer: "il n'y a pas de chrétien sans amour, il n'y a pas de chrétien sans prosélytisme."

        1-3-2-Monsieur Dupont et les Anglicans

Les anglais étaient nombreux, à cette époque, dans la région de Tours: aussi M. Dupont s'efforçait-il de rassembler de nombreux témoignages des Pères de l'Église à l'attention des Anglicans. Il se lia d'amitié avec Mme Bruce, M. Straker et William Palmer, ami de Newman[5] et expert en controverses théologiques. C'est en pensant surtout aux Anglicans que M. Dupont recherchait des textes de l'Écriture et les témoignages des Pères de l'Église. La présence réelle de Jésus dans l'Eucharistie était l'objet de tous ses soins, et sa préoccupation dominante qu'il exprima dans un petit ouvrage publié en 1839, et intitulé: La foi raffermie et la piété ranimée dans le mystère de l'Eucharistie. Sa connaissance de l'Évangile et de la Bible était exceptionnelle. William Palmer notait soigneusement tout ce qui faisait l'objet de ses entretiens avec Léon Dupont. Il se convertit au catholicisme en 1855. Madame Straker, d'origine irlandaise et femme d'un officier anglais, M. Straker, vint, en 1849 demander des prières à M. Dupont, pour la conversion de son mari. Bientôt l'officier anglais se mit à fréquenter les offices de la cathédrale et à lire des ouvrages catholiques. Il se convertit en 1850.

        1-3-3-Monsieur Dupont et les Petites Sœurs des Pauvres

Monsieur Dupont lors de ses passages à Saint-Servan avec sa mère et sa fille, avait rencontré un jeune vicaire, l'abbé Le Pailleur, qui se présentait comme le fondateur des Servantes des Pauvres, lesquelles deviendront bientôt les Petites Sœurs des Pauvres, fondées en 1841 par Jeanne Jugan. Le 9 septembre 1844[6], deux ans après sa fondation, Monsieur Dupont fit la connaissance de la toute jeune congrégation: quelques jeunes filles d'abord regroupées chez Jeanne Jugan le 29 mai 1842. Il fut conquis par la modestie et le dévouement de la quêteuse, Jeanne Jugan, et des jeunes filles qui s’étaient données au Seigneur, en vue de venir en aide aux  vieillards voués à la pauvreté et à la misère.

En 1846, de nombreuses calamités s'abattirent sur la Touraine entraînant le pourrissement des récoltes, à quoi s'ajoutaient, la même année, de très graves inondations. Au milieu de ces malheurs M. Dupont se dévouait beaucoup, mais les misères étant innombrables, il pensa  à faire venir à Tours les Petites Sœurs des Pauvres qu'il connaissait déjà, ayant visité leurs maisons de Rennes, de Dinan et de Saint-Servan. M. Dupont obtint de la municipalité l’autorisation de l’installation d’une filiale à Tours. Monsieur Alleron, le curé de Notre-Dame-la-Riche, fut très heureux de cette initiative. C'est alors que des émeutes éclatèrent dans la ville et dans les campagnes. M. Dupont trouva une maison, acheta des lits et des vivres: trois petites Sœurs arrivèrent le 30 décembre 1846.

Les Petites Sœurs furent accueillies par Monsieur Dupont, et elles gagnèrent leur première maison. Le 22 janvier 1847, il fallut déménager, puis redéménager encore le 1er juillet. Enfin, en février 1848 la communauté put acquérir une résidence convenable, à l'achat de laquelle M. Dupont contribua substantiellement. En 1849, Jeanne Jugan la véritable fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres, de plus en plus supplantée par Le Pailleur, vint passer quelques jours à Tours. C'est à Tours qu'eut lieu le premier chapître général des Sœurs des Pauvres, mais Jeanne Jugan n'y avait pas été invitée... C'est à Tours que furent rédigées les premières constitutions de la jeune congrégation, et certaines personnes pensent que M. Dupont participa  à cette rédaction. D'ailleurs M. Le Pailleur considérait M. Dupont comme le "second fondateur des Petites Sœurs". M. Dupont connut-il la vérité au sujet de Jeanne? On ne sait pas. Quoiqu'il en soit, jusqu'à la fin de sa vie M. Dupont visitera les Petites Sœurs et leurs pensionnaires, et les aidera de ses dons.

        1-3-4-La dévotion réparatrice

Nous avons vu plus haut que M. Dupont avait été particulièrement choqué par l'étendue du respect humain qui frappait les hommes, en France, et par le nombre des blasphèmes[7]. Tout ce qui offensait Dieu le blessant profondément, il désira tout faire pour réparer les outrages faits à Dieu. Grâce à ses relations avec le carmel de Tours, il put agir d'une manière relativement efficace.

        1-3-5-Le culte de la sainte Face

Sœur Marie de Saint Pierre, la tourière du Carmel de Tours, était de son côté, soucieuse de réparer les blasphèmes et les outrages faits à Dieu. Par ailleurs, une jeune fille, Théodolinde Dubouché, eut une vision en février 1947: le Christ lui apparut, souffrant et le visage défiguré et meurtri. Elle peignit ce visage, et des copies en furent faites. La prieure du carmel de Tours donna une de ces images à M. Dupont qui la fit encadrer. De là naquit, à Tours, la dévotion à la sainte Face dont M. Dupont, sans l'avoir cherché, devint le héraut et l'apôtre.

Dès lors la réputation de M. Dupont grandit et s'étendit bien au-delà de Tours. On venait à lui de très loin pour le rencontrer et vénérer la sainte Face: les malades, pour être guéris, les affligés pour recevoir une parole de consolation, ou d'encouragement, ceux qui doutaient pour recevoir une parole de lumière. Il y avait aussi les inévitables curieux.

1-4-Monsieur Dupont et sa famille

        1-4-1-Monsieur Dupont et ses proches

M. Dupont avait des liens familiaux qui l'obligeaient à rester dans le monde; c'était sa vocation. Il avait fait venir en France, sa mère, Madame d'Arnaud; il s'occupait activement de ses intérêts lointains et veillait à lui assurer une vie calme. Ainsi, tout le monde pouvait remarquer que, malgré ses nombreuses occupations, M. Dupont respectait toujours scrupuleusement les heures des repas...  M. Dupont avait aussi une fille, Henriette, qu'il éduqua avec le plus grand soin. Il était très attentionné envers elle, en raison de ses inquiétudes, tant à propos de sa santé que de sa vie spirituelle. Pour sa santé, il se rendait souvent à Saint Servan, au bord de la mer; pour sa vie spirituelle, il priait pour qu'elle choisisse le chemin du salut. En effet, M. Dupont se sentait profondément responsable du destin de sa fille, et responsable devant Dieu. Il priait intensément pour que le Seigneur la rappelât à Lui plutôt que de la laisser exposée aux périls; pour cela il était prêt à tous les sacrifices[8]. Voici la sublime prière qu'il adressa à Dieu:

– Mon Dieu, si vous prévoyez qu'elle doive un jour s'écarter de la droite voie, je consens à ce que vous me l'enleviez plutôt que de la voir se livrer aux vanités du siècle...

Cette prière héroïque fut exaucée: le sacrifice était proche. En décembre 1847 une épidémie de typhoïde se déclara au pensionnat. Mme de Lignac, la directrice, renvoya chez elles toutes les pensionnaires. Mais Henriette était déjà contaminée; elle mourut quelques jours plus tard, le 14 décembre 1847, dans les bras de son père... qui sut offrir sa douleur à Dieu en récitant le Magnificat.

Ceci n'empêcha pas la douleur de M. Dupont d'être immense mais d'une dignité remarquable: il ferma lui-même les yeux de sa fille, et malgré son immense foi, il pleura tout en disant, comme Job: "Dieu me l'avait donnée, il me l'a ôtée, que son Saint Nom soit béni!" Une étonnante communion spirituelle s'établit alors entre Henriette et lui pour le mener à Dieu. M. Dupont remit aux Petites Sœurs des Pauvres la dot qu'il avait préparée pour Henriette. Membre de la Conférence de Saint Vincent de Paul, il secourut toutes les vraies détresses que l'on portait à sa connaissance.

Dès lors, M. Dupont pensa de nouveau à entrer dans les Ordres; il fut même sollicité pour se consacrer à Dieu dans un monastère. Mais sa vocation, c'était de rester dans le monde. Le Seigneur avait une autre mission à lui confier. En effet, Monsieur Dupont avait encore sa mère, Madame d'Arnaud. Quand cette dernière mourut en 1860, il avait 62 ans, et depuis onze ans déjà, il se dévouait sans compter au culte de la sainte Face.

        1-4-2-Monsieur Dupont et sa famille plus lointaine

M. Dupont n'oublia jamais ses cousins et cousines, fort nombreux. Pendant des années il les visita souvent ou les recevait à Tours. Mais avec eux aussi ses entretiens convergeaient toujours vers Dieu. Il guérit aussi un petit cousin Raoul, très malade. Il y avait aussi sa famille d'adoption, ses nombreux filleuls: quarante, disait M. Dupont... En cas de nécessité, il chargeait M. d'Avrainville de leur remettre les sommes d'argent nécesaires. Il leur écrivait aussi.

        1-4-3-M. Dupont à Néris et à Bourbon-l'Archambault

M. Dupont fut rapidement obligé d'organiser des voyages au bord de la mer, à Saint-Servan notamment, en raison de la santé de sa fille. Par ailleurs, dès 1843, il dut fréquenter les eaux de Néris pour soigner des rhumatismes et des attaques de goutte assez graves. Plus tard, à partir de 1859 jusqu'à 1864, ce sera Bourbon-l'Archambault. Pendant son absence il se faisait remplacer auprès de la sainte Face, par des parents ou des amis, dont son cousin, M. de Marolles. À Bourbon l'Archambault, M. Dupont fut vite considéré comme un saint en raison de sa délicatesse et de sa charité. Et puis, il y avait aussi des guérisons miraculeuses et des grâces de conversion...

1-5-Les activités de Monsieur Dupont

        1-5-1-Un chrétien convaincu et zélé

Les œuvres aidées, développées ou animées par M. Dupont furent très nombreuses. On peut citer, entre autres: les Conférences de saint Vincent de Paul, dont il fit partie dès son arrivée à Tours, les Petites Sœurs des Pauvres, les pèlerinages, l'Adoration nocturne, les recherches liées au tombeau de saint Martin, le Vestiaire saint Martin, ainsi appelé pour rappeler le partage du manteau de saint Martin. À toutes ces œuvres, il faut ajouter les entretiens nombreux qu'il avait chez lui ou à l'extérieur, et sa propre vie spirituelle. M. Dupont s'occupait aussi des familles pauvres et des malades. Il se rendait même à la prison pour apporter une aide morale aux détenus, et il s'ingéniait à leur trouver du travail quand ils étaient libérés. En 1849 une épidémie de choléra éclata dans la ville. M. Dupont, les prêtres et même l'Archevêque de Tours se dépensèrent au service des malades et des mourants. C'est à cette occasion que fut décidée une procession avec les reliques de saint Martin.

        1-5-2-L'emploi du temps de M. Dupont

Comment M. Dupont faisait-il? Il vivait de foi. Il se levait très tôt, à trois ou quatre heures du matin et, à peine réveillé, sa pensée montait vers Dieu et il diiait: "Mon Dieu, quand est-ce que je commencerai à vous aimer?" Puis, sa toilette terminée, il vaquait à sa prière et à sa méditation. À cinq heures du matin, il assistait à la messe chez les Lazaristes, puis à six heures à la messe du Carmel. M. Dupont considérait que la messe, c'est ce qui permet d'entrer en contact avec Dieu, c'est recevoir le Seigneur dans la communion, c'est s'unir à Lui. La communion, c'est le moment où le cœur de l'homme rejoint le Cœur de son Seigneur pour vivre selon la volonté divine. On ne peut pas se passer de l'Eucharistie sous peine de mourir de faim.

Après les messes, M. Dupont, rentré chez lui, lisait la Bible et la vie des saints, puis il répondait aux nombreuses lettres qu'il recevait. Et il accueillait ou en rencontrait beaucoup de visiteurs soucieux de conforter leur foi! On peut citer le Père Hermann, juif converti, fondateur de l'Adoration Nocturne à Paris, le Père Pierre-Julien Eymard[9], le Père de Cuers, dom Guéranger. Et aussi l'abbé Botrel, Madame de Lignac[10], Madame Barrat[11]. M. Dupont rencontra aussi des journalistes: tels M. Guérin rédacteur en chef du Mémorial catholique, ou encore Aubineau de l'Univers et Louis Veuillot.

Afin de ne pas gêner sa mère[12], Léon se rendait aux repas avec une exactitude remarquable. Il mangeait ce qu'on lui présentait sans jamais faire aucune remarque. L'après-midi de M. Dupont était consacrée à ses visiteurs, aux pauvres qu'il visitait, à la récitation de son chapelet qui ne le quittait pas. Et le soir, après le dîner, il faisait son Chemin de Croix, se livrait à des lectures spirituelles, ou à ses mortifications, et adorait silencieusement pendant son heure sainte, Dieu qu'il aimait.

M. Dupont lisait beaucoup. Il lut beaucoup d'ouvrages contemporains ou des œuvres concernant des saints comme, par exemple, les Exercices de sainte Gertrude d'Helfta, les Révélations de sainte Marguerite-Marie Alacoque, la vie de la vénérable Agnès de Jésus, ou les livres de spiritualité du Père Avancin ou du Père Bouhours... Et bien sûr, il lisait la Bible qu'il connaissait presque par cœur.

        1-5-3-Les relations de M. Dupont

De quoi M. Dupont parlait- il avec ses visiteurs? Mais de Dieu, et de Dieu seulement, car disait-il "quel profit peut-on tirer d'un ami qui ne vit pas en la présence de Dieu, et en qui Notre Seigneur ne règne pas souverainement? –Hélas! Aucun! -Les âmes qui ne s'aiment pas en Dieu cessent d'être en contact aussitôt qu'elles ne sont plus ensemble: il n'y a pas de distance pour celles qui ont Dieu pour centre."

Monsieur Dupont écrivait aussi beaucoup: jusqu'à douze à vingt lettres par jour... et même quand ses doigts furent torturés par l'arthrose. Et tout dans sa correspondance,  comme dans ses conversations, était tourné vers Dieu. Sa devise était: "Parler de Dieu ou se taire!" Et il s'efforçait partout d'y rester fidèle.

        1-5-4-La deuxième conversion de M. Dupont

Il est une date importante, exceptionnelle pour M. Dupont qui y fit plusieurs fois allusion sans jamais préciser beaucoup: il s'agit du 22 juillet 1837, fête de sainte Madeleine. Il reçut ce jour-là un mystérieux appel dont il écrivit, vingt six ans plus tard, dans son testament: "Je termine aujourd'hui, 22 juillet 1863, fête de sainte Madeleine, vingt-sixième anniversaire du jour où je compris la nécessité de vivre dans la voie de la pénitence. C'était peu après la sainte communion au château de Chissay, où je me trouvais avec ma mère et ma fille en 1837, et à la vue d'une petite image de sainte Thérèse." Il dit plus tard: "Je déclare que je n'ai commencé à comprendre les choses du salut que le jour où je me déterminai à ne point avoir d'égards pour mon corps... J'avais quarante ans; j'aurais pu mieux vivre; et me voilà honteux de n'avoir à présenter au souverain Juge qu'une vie pauvre et tiède..."

C'est à partir de ce 22 juillet 1837, que M. Dupont décida de ne vivre que pour Dieu et de ne se laisser guider que par l'amour.

1-6-Les dernières années de M. Dupont

        1-6-1-Une vie d'infirme

À partir de 1866 M. Dupont sentit ses forces décliner. Ses rhumatismes s'accentuaient et sa goutte dans les jambes se faisait plus douloureuse. En 1869 il fut atteint d'extinction de voix. À partir de 1872 il ne pouvait pratiquement plus sortir de chez lui: sa vue s'affaiblissait et ses articulations se soudaient, ses douleurs s'amplifiaient; même sa mémoire s'altérait. Une paralysie progressive l'envahissait peu à peu. Mais il acceptait tout sans jamais se plaindre. Pour lui, le principal c'était de connaître et de faire la volonté de Dieu, et de l'aimer.. "Le principal et l'essentiel, disait-il, c'est d'arriver à la connaissance amoureuse de Dieu."

Sa plus dure privation était de ne plus pouvoir aller à la messe et communier chaque matin. Mais il continuait ses pélerinages mentaux. Il n'était que souffrance, et il priait, sans arrêt, ne pouvant plus recevoir personne... "Il était cloué!"

Très conscient de son état, normal à son âge, il disait: "Évidemment, je suis entré dans la voie des infirmités, vraie voie de pénitence, où, bon gré, mal gré, l'on fait la volonté de Dieu.  Demandez pour moi la grâce de recevoir cette pénitence amoureusement."

Par ailleurs le vide se faisait autour de lui: mort de ses voisins, de ses amis, de ses proches. Ces disparitions lui étaient particulièrement sensibles et douloureuses. À partir de 1874, il ne quittera plus sa chambre. C'est Zéphirin, le dévoué domestique, qui recevra les pèlerins et priera les prières d'usage devant la Sainte Face.

Une de ses dernières paroles fut pour demander l'Eucharistie dont il était si souvent privé. Son agonie dura huit jours; il ne pouvait plus parler et ne s'exprimait que par des gestes. Jamais il ne s'est plaint pendant ces jours de douleur, mais aussi de mérites, de patience, de conformité à Jésus qu'il aimait tant...

Sa lucidité dura jusqu'à la fin. Seule Adèle, la vieille servante créole qui l'assistait fidèlement, pouvait comprendre les quelques mots qu'il réussissait à articuler. Son cousin, Léon de Marolles qui ne le quittait pas non plus, reçut son dernier soupir le samedi 18 mars 1876, à quatre heures du matin. Dès que sa mort fut connue, des milliers de personnes vinrent le visiter une dernière fois.

        1-6-2-La Commune de Paris

À toutes ses misères physiques il faut ajouter les douleurs morales que lui occasionnèrent les évènements meurtriers de 1871, à Paris, pendant la Commune, évènements qui lui inspirèrent ce cri de douleur: "Quand se mettra-t-on à s'aimer dans ce Paris devenu ville de la haine!"

Mais, dans une autre lettre, il dévoile l'homme de foi et de prière qu'il était toujours:  "Quand la France rentrera-t-elle dans un état normal? Ce sera l'œuvre de Dieu. La tâche est au-dessus de l'humanité. On a la pensée de conjurer tous les saints honorés à Paris d'une façon quelconque, les patrons des paroisses comme ceux qui ont donné leurs noms aux rues et aux places. On en compte près de quatre-vingts."

        1-6-3-Pontmain

Nous venons de voir combien le triste état où la France se trouvait alors affligeait M. Dupont. Cependant rien n'altérait sa confiance qui fut bientôt grandement récompensée grâce à l'apparition de Pontmain. Instruit des faits grâce à une parente, il informa M. d'Avrainville le 2 février 1871: "Procurez-vous le récit de la très touchante apparition de la sainte Vierge à des petits enfants du département de la Mayenne, quelques jours avant la signature de l'armistice. L'événement a eu lieu à Pontmain. Ce sont de tout petits enfants qui ont vu la sainte Vierge et qui ont épelé, à mesure qu'ils se dessinaient à leurs yeux, les mots: 'Priez! Mon Fils se laisse toucher. La France sera bientôt délivrée."

Et contre toute attente, le flot prussien s'arrêta avant d'atteindre Laval.

1-7-Pendant et après la guerre de 1870

Il n'est certainement pas inutile, ici, de présenter M. Dupont pendant la guerre de 1870. Pendant l'occupation de la ville de Tours, M. Dupont dut loger chez lui une quinzaine de soldats prussiens; cela ne l'empêcha pas de poursuivre sa tâche essentielle: servir le Seigneur. À peine les Prussiens avait-ils quitté Tours qu'éclatèrent les troubles révolutionnaires à Paris et les horreurs de la commune. Monsieur Dupont suppliait le Seigneur de détourner le fléau. Après la guerre civile, il disait aussi: "On va rebâtir le plus tôt possible les murs écroulés; il serait cent fois plus utile de relever les intelligences malades... Et comment? En leur enseignant le catéchisme..."

Les prières de M. Dupont et de bien des français ne furent pas vaines: le 24 janvier 1873 l'Assemblée Nationale déclarait d'utilité publique la construction d'une église à Montmartre. Dédiée au Sacré-Cœur, cette église devint la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. M. Dupont pensait aussi beaucoup à l'érection d'une autre église dédiée au Sacré-Cœur, mais à Rome. C'est le pape Léon XIII qui la fera construire, avec l'aide de Don Bosco. L'église du Sacré-Cœur de Rome fut bénite en 1887 par le cardinal Parocchi.

1-8-Après la mort de M. Dupont

Depuis la mort de M. Dupont en 1876, le culte de la Sainte Face ne fit que grandir. Pourtant M. Dupont n'avait pas voulu prévoir ce qui adviendrait après sa mort. Il avait écrit, à propos de son testament: "Ce n'est pas un oubli de ma part si je ne parle pas dans mon testament de la sainte Face. Je ne veux pas intervenir dans les questions qui peuvent survenir, alors que je ne serai plus là pour soigner les lampes de mon oratoire. Dieu y pourvoira selon sa très sainte volonté."

Que faire, dans ces conditions, de sa maison et du culte de la Sainte Face? Dieu y pourvut...

Le salon de M. Dupont fut d'abord transformé en oratoire. Les Carmélites achetèrent la maison de M. Dupont et Mgr Collet bénit l'oratoire le 29 juin 1876 et y installa un tabernacle. Les pèlerinages reprirent devant la Sainte Face. Et les guérisons et les conversions continuèrent. Puis, Mgr Collet érigea canoniquement dans l'Oratoire la "Confrérie réparatrice des blasphèmes et de la profanation des dimanches" afin de "rendre un culte particulier d'adoration, de prière et d'amour à la Face de Notre-Seigneur outragé et défiguré dans sa Passion."

Pour accueillir les visiteurs un chapelain fut nommé. Mais les pèlerinages ayant pris un essor inattendu, Mgr Collet établit dans la maison de M. Dupont une société de prêtres auxiliaires, chargés, en premier lieu, "de desservir la chapelle et le pèlerinage de la Sainte Face". Le chanoine Janvier[13] fut l'un des deux premiers prêtres chargés de cette mission. Le 1er octobre 1885, le pape Léon XIII érigea l'Association réparatrice en l'honneur de la Sainte Face du Christ en archiconfrérie, pour tous les pays du monde.

Le 21 mars 1883 un décret fut promulgué sur les vertus héroïques de Léon Dupont. Il était  officiellement  déclaré vénérable. En 1891, le pape Léon XIII permit l'ouverture du procès en béatification. Un miracle dûment authentifié ouvrira la voie à sa béatification.


[1] Théobald mourra huit ans plus, en Martinique.
[2] La Congrégation de la Sainte Vierge fut créée par le Père Delpuits le 2 février 1801. Pendant la Révolution il avait subi successivement l'emprisonnement puis l'exil. Il revint en France après la terreur. Il mourut en 1811 avec la réputation d'être un très saint prêtre.
[3] Henriette était le nom usuellement utilisé pour désigner la fille de Léon Dupont.
[4] Extrait de "La foi raffermie et la piété ranimée dans le mystère de l'Eucharistie" (signé: Un ancien magistrat, car M. Dupont, par humilité, voulait rester anonyme).
[5] Newman se convertit au catholicisme en 1845.
[6] La véritable fondatrice, Jeanne Jugan, avait déjà été écartée de la direction de la petite congrégation en décembre 1843.
[7] Le 19ème siècle fut considéré comme le siècle des blasphèmes.
[8] Henriette avait quinze ans et on venait la demander en mariage. Le prêtre chargé de la mission vit Mr Dupont se recueillir et demander au Seigneur d'appeler sa fille à Lui, plutôt que de permettre qu'elle se laissât plus tard tenter par la vie du monde. (Confidence recueillie par plusieurs prêtres.)
[9] Fondateur des Prêtres du Saint-Sacrement.
[10] Supérieure des Ursulines de Tours.
[11] Madeleine-Sophie Barrat (1775-1865) fondatrice des Dames du Sacré-Cœur.
[12] Madame d'Arnaud, la maman de M. Dupont mourut le 6 février 1860, âgée de 80 ans.
[13] Le chanoine Janvier fut le biographe de Mr Dupont.

   

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