Paulette Leblanc

LUCIE-CHRISTINE
1844-1908

SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

5
Les enseignements donnés par Jésus
à Lucie-Chrsitine

Concernant les « vues intellectuelles », Lucie-Christine écrit le 6 août 1883 : « Les vues intellectuelles sont encore plus difficiles à rendre que les vues imaginaires… L’âme se trouve cependant dans des régions tout à fait inconnues à la nature. » Pourtant, le 28 décembre 1884, elle constate : « J’aperçus tout à coup la Sainte Hostie très distinctement, ce qui n’est pas ordinaire à cette distance, et beaucoup plus grande que de nature. C’est la première fois que j’ai vu quelque chose d’extraordinaire des yeux du corps, et j’avoue que j’ai un peu de prévention contre cette sorte de vue, sachant qu’elle est moins sûre que les autres. En effet, dans les vues intellectuelles et imaginaires, l’âme a à se défier d’elle-même et c’est déjà beaucoup ; mais ici, en outre, il fait encore se défier de l’intermédiaire du corps qui n’existe pas dans les autres cas. »

Les expériences mystiques de Lucie-Christine furent multiples, et parfois, elle essaie de résumer les enseignements spirituels qu’elle a reçus de Dieu. Le 12 mai 1888, elle écrit : « Il me paraît que Dieu veut se faire connaître à l’âme dans la vie intérieure, de trois manières :

 

        1°D’abord par le simple sentiment,

        2°puis, par des vues et des images intérieures ou des paroles ;

        3°enfin, il se donne à connaître par lui-même, et parfois il se montre sans aucun terme de comparaison.

 

Le 19 mai 1888, le Seigneur lui dit : «Sois mon canal pour porter mes grâces aux autres… Le canal se laisse diriger où l’ouvrier le conduit… Le canal contient et renferme ce qu’on lui confie, comme un secret, comme un trésor… et ne l’épanche que là où il doit l’épancher… » 

 

5-1-Comprendre les enseignements de Dieu

 

Il faut savoir, dire et redire, que c’est Jésus, et Jésus seul qui sanctifie les âmes ; le 27 mai 1882, il confia à Lucie-Christine: « Aucune force créée ne peut donner l’idée du désir par lequel j’attire les âmes à Moi dans le sacrement de mon amour… Les âmes qui veulent se sanctifier doivent entrer en Moi et n’en pas sortir. »

Mais comment savoir qu’une instruction intérieure vient de Dieu ou de notre imagination ?  En mars 1883, Lucie-Christine livre cette remarque : « Au sujet des vues intérieures dites imaginatives, il me vient cette réflexion. Quand nous demandons à l’imagination de nous représenter quelque chose, l’idée existe nécessairement avant l’image. Au contraire, dans les vues que Dieu donne au cours de l’oraison, il arrive que l’âme voit d’abord intérieurement une image, puis, ensuite, la lumière lui est donnée pour comprendre ce qu’elle voit. »

En bon pédagogue, Dieu revient très souvent sur ses enseignements car il connaît notre peu d’intelligence pour tout de qui est spirituel. Le 10 novembre 1886, Lucie-Christine écrit : « Notre-Seigneur me renouvela un enseignement qu’il m’avait esquissé hier. C’est que, tout en usant, pour adorer Dieu, les connaissances qu’il me donne de lui-même dans l’oraison, je dois adorer en lui encore plus l’inconnu que le connu et ne considérer les lumières qu’il m’accorde sur lui-même que comme des aperçus, des entrevues de la Divinité: ‘Après ce que tu connais, me dit intérieurement Jésus, il y a encore l’Inconnu qui est infini.’ »… Quelques jours plus tard, Lucie-Christine ajoutait : « Et mon esprit né avec cette dévorante soif d’apprendre, reconnut le néant des connaissances créées en présence de la lumière éternelle. »

Le 30 janvier 1887 Lucie-Christine fit une étonnante expérience. Le Seigneur lui rendit soudain sa présence sensible, « et en même temps il lui montra intérieurement un édifice splendide qui s’élevait devant les yeux de son âme. » Suivit la description de ce magnifique édifice et Jésus lui montra que cet édifice était son œuvre qu’il fallait achever. Pourtant Lucie-Christine ne faisait pas grand’chose : elle n’apportait que quelques petites pierres qui déchiraient et ensanglantaient ses mains, et que Jésus regardait cependant avec beaucoup d’amour. « Alors, dit-elle, mon âme fut remplie d’une lumière et d’un sentiment de confiance incomparable, en voyant le peu que je faisais, et que Dieu faisait tout… » Bientôt Jésus lui montra aussi « son concours providentiel, son action dans toute sa vie. 

Il est à remarquer que dans ce genre de grâce, dans ces vues imaginaires, l’image qui est montrée à l’âme est bien la forme actuelle de la grâce, son enseignement visible et tangible, pour ainsi dire, aux sens intérieurs… Mais l’image n‘est que l’accessoire de la grâce. Le fond intime de l’âme est captivé par Dieu même ; Dieu pénètre en même temps l’âme et l’image qu’il évoque devant elle ; elle voit d’abord, puis il lui enseigne à mesure le sens mystique de ce qu’elle voit, et c’est lui qu’elle aime dans ce qu’elle voit, lui-même qu’elle écoute, lui qui voit et aime en elle... »

 

5-2-Les relations avec Dieu

 

        5-2-1-Sentir Dieu

 

Nous remarquons, en lisant les textes de Lucie-Christine, qu’elle emploie souvent le terme de « sentir » Dieu. Peut-on vraiment « sentir » Dieu, et qu’est-ce que cela signifie ?

En février 1882, Lucie-Christine écrit : « Il m’arriva de ressentir dans la sainte communion et dans l’oraison comme une déperdition passagère des forces physiques et une sorte de défaillance, mais sans perdre le sentiment, ou bien, si j’essayais de réciter une prière vocale en certains moments, ma langue se trouvait tout engourdie. Une fois dans la sainte communion, mon âme fut envahie d’une grande lumière intérieure et pénétrée d’un profond sentiment de l’être intime de Dieu… Ce fut une vue très simple et très frappante de lui-même que Dieu donna à mon âme , le jour dont je parle ; aucune parole ne me fut dite, ni aucun attribut particulier ne me fut montré, mais Dieu, attirant en lui ma pauvre âme, lui fit voir et sentir ce qu’il estCette vue intime de Dieu laisse le cœur embrasé d’amour et le désir de se dévouer pour lui .

Le 1er mars 1882 elle s’écrit : « Ô nature de Dieu ! Il est impossible de dire ce que vous êtes, et l’âme n’a pas assez d’admiration et d’amour quand elle vous contemple... Et l’âme éperdue… à la vue de ces grandeurs… se sent pénétrée de cette divine nature, elle sent qu’elle en vit… Il lui semble que, autant elle vit, autant elle aime. » Lucie-Christine  aurait voulu crier sa joie, son secret lui brûlait les lèvres, mais elle comprit qu’elle devait se taire, qu’elle devait seulement rayonner pour les autres âmes.  Mais, quelques jours plus tard, elle était de nouveau souffrante et alitée, et le cœur alangui ; mais son âme, « resta aux pieds de Jésus, le Bien-aimé, qui lui fit sentir sa présence. »

Un autre jour, le 20 août 1882, Notre-Seigneur « lui donna, dans la communion, cette vue claire et intime par laquelle l’âme comprend que, dans l’autre vie, nous verrons toutes choses en Dieu, parce qu’il est la vérité, et fait être vrai, tout ce qui est vrai. Cette vue dure très peu et laisse une impression très profonde et le besoin de ne chercher la vérité qu’en Dieu seul. »

Le même jour, Lucie-Christine écrit aussi : « Par moments, dans l’action de grâces surtout, mon âme éprouve cet état dans lequel elle ne sent plus l’existence que par le sentiment que Notre Seigneur lui donne de sa présence. C‘est quelque chose d’une simplicité et d’une grandeur dont rien ne peut donner l’idée. »

Plus tard, après une retraite, elle ajoutera : « Mon âme demeure unie à Jésus… L’âme sent qu’il n’y a rien entre Jésus et elle… Il la pénètre… elle l’embrasse, l’étreint, le serre avec amour. »

Lucie-Christine, parlant de l’amabilité de Jésus, écrira même, le 27 janvier 1883 : «Qu’est-ce que ce langage sans paroles, par lequel vous faites sentir à l’âme votre tendresse infinie ? Cette voix mystérieuse, l’âme la comprend, et pourtant elle ne peut traduire par aucune parole ce qu’elle a entendu. Est-ce la langue du ciel, mon Bien-Aimé ? » 

C'est presque toujours au moment de la communion que Jésus enseignait Lucie-Christine. Le 21 mai 1892, dans la sainte communion, Jésus lui montra sa royauté sur les âmes du ciel : « Il est leur roi à bien des titres… Il est leur roi comme rédempteur, comme pasteur, comme juge, comme maître souverain ; il est leur roi par l’amour… »

 

        5-2-2-Les larmes

 

« Sentir Dieu » peut se manifester d’une manière étonnante par les larmes. Le 15 juillet 1892, Lucie-Christine avoue : « Mon cœur saigne des larmes intérieures quand j’entends parler de l’indifférence et de la corruption des hommes. Je voudrais être digne de m’offrir comme une hostie pour ceux qui ne croient pas et qui outragent leur créateur par l’asservissement funeste de leur âme à leur corps… Mon Dieu, comment se peut-il qu’on vous méconnaisse, qu’on doute un instant de vous ? 

 

        5-2-3-Les sécheresses

 

Tous les mystiques ont parlé des sécheresses ressenties par l’âme. Lucie-Christine n’échappa pas à cette épreuve, et elle donne les indications suivantes :

– Dieu, aperçu parfois, transporte l’âme, mais cette joie ne dure pas. » Il y a comme un nuage entre Dieu et l’âme ; Dieu se tait et se cache. C’est comme un douloureux purgatoire.

– Une autre souffrance : c’est le fait que l’âme est, par son devoir d’état, souvent occupée et retenue par les soins extérieurs. Elle est alors comme privée de son élément vital.

Parlant des sécheresses, Lucie-Christine explique : « Quand Jésus ne se rend plus présent à l’âme, elle lui parle, l’adore, l’appelle autant qu’auparavant,, et rien ne répond que le silence. La foi demeure, mais au lieu de la sainte présence, l’âme sent l’isolement et le vide… Et le tentateur vient qui essaie d’abuser de la peine de cette âme, et, à chaque pas, à tout prétexte, lui fournit les pensées les plus hideuses ou les plus décourageantes. Alors l’âme fait des actes de foi, de générosité ou de confiance… Mais elle ne trouve de soulagement en rien parce qu’en tout le mauvais esprit lui fait voir le mal. Quoi qu’elle fasse, elle est mécontente, sa confiance en Dieu lui semble présomption, sa volonté arrêtée de le servir, illusion. Si elle prie, elle est fatiguée d’entendre les blasphèmes de son misérable ennemi ; si elle veut faire un acte d’amour, il lui semble qu’un poids lourd comme le monde empêche son cœur de s ‘élever vers Dieu ; si elle appelle Jésus, elle croit qu’il se détourne d’elle…»

Le 31 juillet 1890, après une longue période de sécheresse, Lucie-Christine écrit : « Dieu permet que cette pauvre âme soit navrée du sentiment d’être séparée de lui, de lui être désagréable… Elle est enfoncée dans ce sentiment de séparation de Dieu comme dans une caverne obscure d’où elle ne pourrait sortir. Tout ce que la raison lui dit, et même les saintes paroles de la direction, ne peuvent la sortir de cet état qui est une telle souffrance qu’elle ne pourrait la supporter, je crois, sans la grâce de Dieu. Dieu seul peut lui dire la parole de paix et lui rendre la joie. Pour cela il se montre ; c’est tout ! »

 

5-3-L’Esprit-Saint

 

Lucie-Christine reçut des enseignements à la fois très théologiques tout en étant mystiques. Ainsi, le 18 juillet 1883, elle pouvait écrire : « Je vis dans une divine lumière que, de même que le Saint-Esprit est le terme des processions divines, de même il doit être le terme des manifestations divines, c’est-à-dire que, dans l’Ancien Testament, les hommes ont surtout connu et adoré le Père, le Créateur, dans le Nouveau Testament, ils se sont attachés à leur Sauveur adorable, Jésus-Christ.

Mais, dans les derniers temps, l’Esprit-Saint fera sentir davantage sa chaleur et sa lumière au cœur des fidèles : ils y trouveront un renouvellement de foi, et ils connaîtront et aimeront d’autant mieux le Père et le Fils, et particulièrement Notre-Seigneur dans l’Eucharistie, qu’ils connaîtront et aimeront davantage l’Amour éternel ; de même qu’ils ont déjà appris par le Verbe à connaître le Père et à être des adorateurs en esprit et en vérité.

J’ai cru comprendre, poursuit Lucie-Christine, que le culte du Sacré-Cœur de Jésus, qui nous propose l’amour divin dans le Cœur de l’Homme-Dieu, prépare les âmes à ce rayonnement de l’Amour éternel et personnel de Dieu qui doit, comme un suprême effort, embrasser le monde de sa toute-puissante étreinte et joindre les âmes pour le combat de ces jours qui seront marqués de toutes les rages de l’enfer… »

L’Esprit-Saint donne aussi des lumières très personnelles à Lucie-Christine ; ainsi, le 9 août 1883 il lui fait comprendre qu’elle doit « aimer particulièrement ceux qui l’affligent, parce qu’ils la font ressembler de loin à notre Seigneur Jésus-Christ. » 

 

5-4-La sainteté

 

En 1888 on disait souvent que la foi était perdue en France. On plaignait les pauvres prêtres considérant leur église abandonnée, les derniers sacrements négligés : vraiment il n’y avait plus rien à faire... C’est alors que, le 18 janvier 1888, Lucie-Christine bénéficia d’un riche enseignement : « Ce qui me fut montré, sans parole et d’une manière très saisissante dans cette oraison, c’est que, quand il n’y a plus rien à faire pour le prêtre, il lui reste une chose à faire, c’est d’être un saint… La vie des saints est pleine de conversions qu’ils ont opérées par le seul rayonnement de leur sainteté, qu’ils cherchaient cependant à cacher. »

Malgré toute sa bonne volonté, aucun homme n’est capable de devenir saint par lui-même. Lucie-Christine l’a bien compris, qui écrit le 1er janvier 1889, au sujet de la sainteté qu’elle désire : « De moi-même je ne puis pas et ne sais pas me faire sainte, mais je suis prête à tout ce que vous voulez et voudrez de moi, au fur et à mesure que vous me le montrerez ; je ne veux que votre volonté sainte et votre amour, mon Dieu, vous le savez ! »

La sainteté ne peut se vivre que dans la liberté. Dieu a voulu libre la volonté de l’homme : « Si cette volonté n’était point libre, le don que l’homme en fait à Dieu ne satisferait pas à l’amour… Dieu a fait sa créature libre, non qu’il lui dût la liberté, mais parce qu’il l’aime et qu’il veut qu’elle puisse se donner à lui par un libre retour d’amour. »

Le 1er février 1897, Jésus, voyant le désir de sainteté de Lucie-Christine, lui donna un enseignement précieux : « La charité ne se perd pas… Tu pleures le bien que tu ne vois pas fait ; mais, par mes soins tu fais un autre bien que tu ne vois pas. »

 

5-5-Dieu utilise des images pour se faire comprendre

 

Les enseignements du Seigneur, nous ne pouvons pas toujours les comprendre ; aussi utilise-t-il parfois des images simples mais parlantes. Ainsi, trois jours avant de subir une opération aux yeux, Lucie-Christine priait, quand soudain elle entendit : « Tout est là. » C’est alors qu’elle vit « se dérouler des merveilles, des trésors, des beautés, autres que tout ce que nous voyons et comprenons de beau ! Toutes ces richesses que je voyais en mon Sauveur étaient distinctes l’une de l’autre et toutes étaient lui-même. C’était mon Dieu lui-même qui se dévoilait, se laissait pressentir, entrevoir… Mon âme demeura ravie pendant un temps qui me parut avoir duré dix minutes, … mais qui effectivement avait duré plus d’une demi-heure. »

Le 18 septembre 1883, tandis qu’elle était en oraison, Lucie-Christine « vit le Sauveur environné d’une grande lumière qui rayonnait de sa personne adorable, et dans cette lumière elle vit beaucoup d’anges … Elle les voyait seulement baignés dans la lumière divine… Elle était inondée de bonheur en voyant son Jésus ainsi aimé et adoré par ces anges… Il se faisait parmi les chœurs angéliques comme une mélodie purement intellectuelle… »

Après ces descriptions, Lucie-Christine fait comme une mise en garde ; elle note : « J’ai observé, dans cette oraison et dans quelques autres, que lorsqu’il s’y trouve comme un petit intervalle où les puissances reviennent un peu à elles, la volonté continuant à demeurer unie, l’imagination essaie de se mêler aux vues divines et de se représenter aussi quelque chose aux yeux de l’âme, et souvent aussi, alors, l’entendement fait ses commentaires ; l’âme en est immédiatement avertie par un malaise, qui est premièrement le sentiment du faux, de l’illusion, et, secondement, le tiraillement qu’elle éprouve par ce mouvement de son propre esprit qui tendrait à l’arracher à l’état passif où Dieu l’a mise… Ces ridicules essais de l’imagination ne durent pas; d’eux-mêmes ils s’en vont comme en fumée et l’image divine ressaisit l’âme avec une force plus grande qu’auparavant. »

Lucie-Christine rappelle d’autres images. Ainsi, le 22 août 1885, « la divine blancheur de l’Époux paraissait s’étendre comme un nuage entre le ciel et la terre, enlevant son âme au-dessus des choses créées, en Dieu, au milieu des anges. »  Le 1er septembre 1885, « son âme fut ravie dans la vue du Bien-Aimé Crucifié. » Et elle ajoute : « Cette vue intérieure, cette grâce d’onction et de force me prépara à souffrir, pendant la journée du 3 septembre, des angoisses[1] pires que celles de la mort. »

Puis, le 13 novembre 1886, dans la sainte communion, « mon Seigneur m’apparut couvert d’un manteau de pourpre, semé de fleurs de lys. Les bords de ce manteau s’étendaient un peu sur la terre et étaient couverts de fleurs et de pierreries qui semblaient y voir été répandues ; et je ne savais pas ce que c’était. Jésus me dit : ‘Ce sont tes œuvres ; et c’est toi qui m’as revêtu de ce manteau’. »

 

5-6-Autres méthodes de révélations et d’enseignement

 

Le soir du 7 mars 1887, après une vision concernant l’enfer et les ennemis de Dieu, jésus lui fit comprendre que si l’amour n’était plus libre, ce ne serait plus de l’amour. Et Lucie-Christine explique : « Je vis aussi clairement, comment une seule âme glorifie plus Dieu par sa volonté libre que tout l’univers insensible et inintelligent ne peut le glorifier en suivant aveuglément et exactement les lois que lui a imposées le Créateur. »

Lucie-Christine « rencontra » souvent Dieu d’une manière ineffable. Elle sentit un jour, le 17 juin 1887, « que si Dieu est le principe de tout, il est autre que tout ; seul entre tout ce qui existe, unique, seul Celui qui est…

Quatre jours plus tard, le 21 juin 1887, elle crut comprendre « que dès la mort, il se fait dans l’âme juste une irradiation de la vérité… » La mort, c’est un réveil : « non vraiment, la mort n’est pas la mort ; mourir, c’est naître. »

 

5-7-Retours sur le passé

 

En mai 1883, après avoir longuement médité sur la beauté en général et la beauté de Dieu en particulier, Lucie-Christine fait un retour sur son passé. Elle écrit, entre autres : « Cette tendance de mon âme vers le beau et l’idéal la préparait sans que je pusse m’en douter, à la voie dans laquelle Dieu voulait me faire entrer.

Je vécus ainsi jusqu’au jour où le premier appel surnaturel de Dieu me jeta tout entière entre ses bras… Alors je découvris dans l’Évangile, dans les psaumes, dans les rites de l’Église, un sens, un charme divin qui, jusqu’alors m’avaient été relativement cachés. Puis, élevant vers vous seul ce regard que vous avez donné à mon âme pour contempler et admirer, je vous cherchai, mon Dieu, partout où je voyais le beau, et partout je vous ai trouvé.

Je vous ai demandé à toutes les créatures, et toutes m’ont répondu : 'Il est là…' Mon œil ravi vous a découvert présidant aux aménagements industrieux de l’insecte, et ma vue s’est arrêtée, étonnée, devant les mystères que votre sagesse a condensés dans la vie d’une fleur… J’ai vu aussi, Seigneur, votre regard de miséricorde luire sur nous dans la lumière des astres, et leur nombre et leurs distances incommensurables ne m’ont plus effrayée, parce qu’ils ont invité mon âme à s’élancer dans votre infini…

Je vous ai contemplé enfin dans vos œuvres plus parfaites, je vous ai admiré dans vos saints… Je vous ai vu, mon Sauveur Jésus-Christ, dans la personne du pauvre et du vieillard, de l’affligé, revêtus du titre de noblesse que vous avez donné à tout ce qui souffre et qui pleure… Je vous ai trouvé, mon Dieu, au fond du regard de l’enfant…

Voilà le premier changement que Dieu opéra dans mon âme, mais ce n’était pas assez : bientôt j’éprouvai quelque chose d’étrange, du moins pour moi. Tout ce que j’avais admiré jusqu’alors me paraissait également beau, et néanmoins je ne pouvais plus en jouir de même… Tout s’effaçait dans le regard de Dieu sur mon âme ; je regardais la mer et la terre et je ne voyais plus que Dieu. Plus je vais, plus devient fort cet attrait, et le dégoût de ce qui n’est pas Dieu… mais ceci est le travail de Dieu et non le mien, je ne fais que suivre son attrait de toute ma bonne volonté…  

Le 11 mai 1883 suivant, Lucie-Christine donne un exemple : « Après cette oraison devant le Saint-Sacrement, mon âme demeura unie à Jésus… au milieu de la compagnie et des occupations de la maison comme si j’eusse été dans l’église, devant le tabernacle. J’étais cependant libre de parler et d’agir, mais j’avais l’âme absorbée, et sentant la meilleure partie d’elle-même prise en Dieu. »

Le 23 août 1894, nouveau retour sur le passé : « Hier, à l’oraison, les vingt précédentes années de ma vie furent soudain représentées à mon âme par une vue d’ensemble de toutes les grâces dont Dieu m’avait comblée pendant ce temps, grâces d’union, grâces de joie, grâces de douleur, je les voyais toutes sans en regarder aucune en particulier. C’érait comme un concert spirituel sur une note unique, et cette note est si mélodieuse et si ravissante que l’âme voudrait toujours l’entendre, les grâces formant comme un réseau d’amour, et mon âme entendant de Jésus ce seul mot : amour. »

Le 1er janvier 1897, Lucie-Christine revit encore sa vie, dans le silence de son âme, dans un  profond sentiment des grâces qu’elle avait reçues et de ses insuffisances, ajoutant, le 16 janvier 1897, « Mon âme oubliait sa peine, ravie dans la bonté de Dieu, et éblouie, charmée, consolée par la vue même de son Dieu impassible. »

Le 21 août 1905, Jésus ouvrit son Cœur sacré à l'âme "très affligée" de Lucie-Christine. Le Cœur de Jésus était "comme une caverne tutélaire et un refuge inviolable." Il lui réprésenta en même temps "la première oraison de sa vie, à l'âge de six ans, où, étant réveillée de bonne heure, elle fixait ses yeux d'enfant sur le Cœur percé de Jésus crucifié; et elle méditait comme quoi la scélératesse de Longin n'était pas comparable à la sienne, elle qui avait mieux connu le Bon Dieu que lui, et qui, cependant, l'avait blessé par toutes ses fautes. " Lucie se souvenait de cette méditation comme si c'était la veille. Mais elle ne savait plus si elle avait été se confesser, mais elle avait une grande douleur de ses péchés.


[1] Le Père Auguste Poulain indique qu’il s’agit d’une grave crise dans la santé de son mari, sans préciser davantage.

   

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