Paulette Leblanc

LUCIE-CHRISTINE
1844-1908

SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

8
Épreuves et tentations

Tous les saints, tous les mystiques ont connu au cours de leur vie offerte à Dieu, de nombreuses souffrances, physiques, spirituelles ou morales. Cela se vérifia souvent pour Lucie-Christine, à tel point qu’elle put écrire le 13 septembre 1884 : « Une peine imprévue n’est plus pour moi quelque chose d’inattendu ; sentant le désir de souffrir, je m’attends toujours à la souffrance ; mon âme y trouve un aliment et une paix profonde, quoique la nature sente très vivement ce qui est douloureux… »

Toutefois, Lucie-Christine ne sera pas seule ni abandonnée dans ses souffrances. Elle écrit, le 12 juillet 1885 : « Notre-Seigneur attira mon âme en Lui, et lui fit entendre, par cette sorte d’illumination sans parole, qu’il me donnerait la main dans cette voie de souffrances, quoique ce secours ne doive pas toujours être senti, et qu’il m’invitait à monter ce calvaire spirituel en mettant mes pieds dans les traces de ses pieds sacrés. »

D'ailleurs, les souffrances spirituelles ou physiques ne sont-elles pas normales pour des âmes qui se sont offertes à Dieu. Le 28 août 1903 Lucie-Christine écrira: "Quand l'âme s'est offerte en victime à la volonté de Dieu, unie à Jésus-Christ, évidemment elle a été au-devant de la Croix... car son acte d'offrande volontaire et de complet abandon la porte à un plus haut degré d'union avec Jésus Rédempteur..."

 

8-1-Souffrances morales et spirituelles

 

        8-1-1-Les vexations

 

En août 1880, tandis qu’elle lui offrait une peine très sensible, notre Seigneur lui dit : «Les âmes qui consentent à tout souffrir pour mon amour ne sont pas toujours, par cela même, destinées à souffrir plus que les autres, mais l’amour rend leurs souffrances plus méritoires, plus glorieuses à Dieu et mieux appropriées à leur salut et au salut de leurs frères."

En février 1882, tracassée par la méchanceté de certaines personnes, Lucie-Christine se désolait. Le Seigneur lui dit alors : « Que te font les hommes ? » Et ces paroles du Seigneur étaient dites « avec un accent de grande tendresse ; c’était au cœur de Lucie-Christine que Jésus s’adressait, et son âme sentit que son Bien-Aimé était tout pour elle ; elle le sentit d’une manière qui est inexprimable. » Plus tard, le 21 juin 1883, elle écrit également : « En réponse à certaines boutades et persiflages au sujet de la dévotion, Jésus lui dit : ‘Tu n’es pas pour eux, mais pour moi. ’ »

En août 1883, elle pouvait ajouter, précisant la manière dont elle devait être la victime de Jésus : « Souffrir sans me compter, sans me regarder, ni moi, ni ma souffrance. Ma voie est très simple : mon âme vit de Dieu par un regard d’amour entre lui et elle ; par ce regard Dieu se donne à moi, et je me donne à Lui… Il faut accepter la souffrance comme inséparable de l’amour d’ici-bas. L’amour souffre comme la voix chante… Que rien ne détourne le regard de mon âme de se fondre dans le regard de Dieu sur elle. Souffrir par amour et que toujours la pensée de l’amour domine. Voilà ma voie de victime, d’après ce que j’ai compris… » 

Mais cette voie douloureuse est parfois gratifiante. Ainsi, le 27 octobre 1884, Lucie-Christine pouvait écrire : «Oh ! le doux moment quand cette personne, qui me blâme pourtant tout du long de la vie, vient me dire qu’elle s’approchera des sacrements à tel jour de fête, et que c‘est moi qui l’ai obtenu ! Pourtant, je ne lui en avais pas parlé. »

Nous savons que les vexations auxquelles Lucie-Christine eut à faire face durèrent longtemps, puisque le 11 juin 1885 elle écrit : « Notre-Seigneur regarda mon âme avec compassion et complaisance par rapport aux mauvaises guerres qui me sont faites… » Mais Dieu n’abandonne jamais ses enfants, et un autre jour, le 9 novembre 1887, elle avoue : « La nature était brisée, à bout ; elle est relevée sans savoir comment s’est opéré ce mystère. »

 

8-1-2-Les obsessions

 

Comme tous les grands spirituels, Lucie-Christine fut assaillie par des obsessions qui fatiguent l’âme. En septembre 1880 « elle vit Dieu en tant qu’il est le souverain bien, et elle comprit que le mal n’était que la négation du bien, un pur néant. » Elle écrit : « Cette vue réduisit à rien toutes les suggestions du malin esprit, et depuis ce jour, s’il arrive qu’il les renouvelle, mon âme n’en a plus d’épouvante ; si noires qu’elles soient, elle n’en est plus troublée et ne les regarde pas plus que le néant.»

 

8-1-3-Les tentations

 

Lucie-Christine fut soumise à des tentations dissimulées sous des apparences de vertu. Ainsi, le 15 mars 1882, elle n’hésite pas à avouer : « Mon âme était triste et confuse de ses misères devant Dieu. Quand cette tristesse va jusqu’à nuire à l’oraison, c’est une tentation. »

Mais Lucie-Christine constate : « Quand l’âme est complètement unie à son bien-aimé, tout fait silence autour d’elle et le malin ne peut plus même l’approcher ; »

Il est une épreuve que de nombreux chrétiens connaissent bien : la quasi impossibilité de parler de Dieu aux autres hommes. Lucie-Christine écrit en septembre 1883 » : « Je n’ose jamais dire à personne combien j’aime Dieu, craignant qu’on soit ensuite trop scandalisé en voyant toutes mes imperfections ; et ce m’est une espèce de martyre de me renfermer en moi-même, car il me semble que si je disais tout ce que j’en pense, je pourrais contribuer à le faire aimer… "

 

– Tentations contre la foi

 

Lucie-Christine bénéficia de grâces exceptionnelles. Pourtant elle connut, elle aussi, des tentations contre la foi. Son récit suivant est, pour nous, un véritable enseignement. Elle raconte : « À un certain moment, la tentation contre la foi s’est déchaînée subitement avec une telle violence que j’en ai senti comme un brisement dans tous mes membres. Mais, heureusement, «bientôt après, mon âme, attirée en Notre Seigneur par cet heureux état de division dont j’ai parlé, sentit qu’elle pourrait ainsi, sans aucune crainte, descendre au fond des gouffres des enfers. Tout devient indifférent à l’âme dans cet état d’union, hormis Dieu lui-même. Mais dans les temps d’épreuve, l’union dure peu, et l’âme est dans une souffrance habituelle… elle vit dans le désert. »

Ce qui suit nous étonnera encore davantage. Le samedi saint de 1883 Lucie-Christine écrit : «l’état de malaise et de trouble indéterminé se prolonge ; je suis souvent tentée contre la foi et la confiance ; un découragement absurde et irraisonné m’assaille par instants… » Mais Lucie-Christine découvre : « Il est remarquable que tout ce qui vient de Dieu produit l’humilité. »  

Le 4 septembre 1883, elle écrit encore : « Mon âme ayant été ces jours-ci dans un état encore plus éprouvé et douloureux qu’au mois de février, et se trouvant terriblement tentée de doutes contre la foi, et de désespérance, ne pouvait presque plus reprendre haleine que dans la sainte Communion. »

Et le 2 décembre 1885 : « Souvent, en même temps que ces grandes tentations de tristesse, je suis plongée dans de telles ténèbres que je me crois complètement égarée dans le faux et dans l’illusion, me trompant moi-même et trompant les autres. Cette tentation est la plus terrible de toutes. »

 Le 5 janvier 1886, elle complète : « Hier soir… l’âme violemment bouleversée de tristesse et de troubles spirituels, croyant ne plus recevoir de Dieu que des regards de colère, fut soudain rassérénée, illuminée par cet admirable dévoilement de Dieu qui, par une lumière purement intellectuelle, se rend présent à l’âme avec une certitude, une évidence que rien au monde n’égale. L’âme qui a ainsi rencontré Dieu ne peut douter que ce soit lui ; c’est impossible, et cela parce qu’il se démontre par lui-même. »

 

– Épreuves familiales

 

L’avenir de Lucie-Christine va rapidement s’assombrir. Elle écrit, le 25 mars 1885 : « Une lumière étrange m’est souvent donnée dans l’oraison, depuis quelques semaines. Je sens que quelque chose d’important va changer dans ma vie. » Ce sera, le 30 mars 1885, la mort de sa belle-mère survenue en l’absence de son fils Thomas, mari de Lucie-Christine, embarqué depuis le 13 mars dans un pèlerinage à Jérusalem. Lucie écrit : « La mort est venue nous frapper ... Quel coup soudain ! Mon âme en est toute saisie et affligée pour elle-même et encore plus pour cette autre pauvre âme qui m’est si chère[1]… Quelle douleur il va falloir lui porter ! C’est une épouvante… » Lucie-Christine se rendit à Marseille pour accueillir son mari, de retour de Jérusalem, et lui apprendre elle-même le décès de sa mère. Le 30 avril 1885, ils montèrent ensemble au sanctuaire de la Sainte Baume.

Au sujet de la souffrance, Lucie-Christine avait déclaré le 13 mars  1886: « Ce n’est pas assez de l’accepter, il faut la désirer… Voilà ma douce règle maintenant, appliquée au présent et à tout regard sur l’avenir… » Quel amour pour le Seigneur!

Le 5 décembre 1889, après une très courte maladie : cinq jours, son dernier enfant, Alice, âgée de quatorze ans et demi, mourait. Sa maman put alors écrire : « Mon cœur a adoré en se brisant, parce qu’il reconnaissait la volonté de Dieu. » La vie de Lucie-Christine continua, les épreuves aussi, mais les grâces exceptionnelles se poursuivirent.

 

8-3-La déréliction et les ténèbres

 

        8-3-1-La déréliction

 

Lucie-Christine connut aussi ces états si douloureux durant lesquels l’âme se sent damnée. Elle écrit le 28 septembre 1883 : « Le plus pénible est cet état où l’âme succombe presque, sous la crainte d’être réprouvée, comme je l’ai senti depuis quelques jours… À la fin de cette oraison, mon esprit redevenu libre me représenta encore cette criante de réprobation qui épouvante l’âme. Alors ce fut la voix du Père qui me rassura… Le Père est l’autorité divine pleine de majesté et de bonté qui impose la paix à l’âme ; c’est le créateur considérant l’ouvrage de ses mains, et daignant le redresser ; c’est le regard du Père sur son enfant… Mais en Dieu le Père, cette sollicitude est meilleure et plus tendre que toute la tendresse maternelle…  hélas ! hélas ! mon Dieu, les hommes ont un Père si bon, et ils ne le connaissent pas ! »

Le 2 novembre 1884, Lucie-Christine écrit encore : « Depuis deux mois… l’état habituel de mon âme a été la privation de la présence divine et je ne puis dire combien de ténèbres, de tentations de crainte, trouble, tristesse, défiance des grâces de Dieu ; désolante mobilité de l’esprit qui divaguait ailleurs, même quand Dieu unissait à lui ma volonté… Je perdais jusqu’au souvenir des grâces reçues et je n’avais plus que la vue et le sentiment de mes péchés et de mon indignité. J’ai été très tentée, dans ces traverses, de doutes sur ma voie spirituelle, de découragement et de crainte sur mon salut… » Le 24 novembre, nouvelle épreuve pendant la messe: « Bien malgré moi, je repassais devant Dieu les nouvelles que je venais de recevoir de mes enfants, et mon esprit y revenait toujours. J’en étais tout honteuse. » Et le 8 décembre 1884 : « malgré tout, mon imagination reprit encore sa course dans le champ des rêves sans objet. »

Mais Dieu intervint et « l’invita… à faire un acte d’amour et de réparation pour les loges maçonniques, ces malheureuses succursales d’enfer. »

La souffrance, non précisée, accable de plus en plus Lucie-Christine qui avoue, le 9 juin 1885 : « Mon âme souffre et a extrêmement souffert depuis plusieurs mois, sous le poids des croix dont la nature même lui retranche beaucoup de liberté matérielle pour s’appliquer à Dieu. Il faut vivre dans le trouble passé à l’état d’habitude. L’âme se trouve  comme broyée dans un étau inexorable. Ceci est le cri de cette malheureuse nature mise aux abois, mais la paix domine tout en Dieu… »

Le 13 juin 1885, Lucie-Christine laisse échapper : « Le Seigneur regarda mon âme avec compassion et complaisance par rapport aux mauvaises guerres qui me sont faites… »

 

        8-3-2-Les ténèbres

 

Depuis deux ans, Lucie-Christine presque aveugle, ne peut plus écrire sur son cahier. Les notes qu'elle a peut-être griffonnées, non recopiées, ont été perdues. Nous sommes en octobre 1900, Lucie-Christine écrit, ou dicte plus sûrement, cette page qui devrait être une aide certaine pour les âmes que Dieu plonge dans l'obscurité spirituelle: "Mon âme est comme une solitude aride et désolée, privée de toute ressource apparente et consolante... Quand l'âme ne peut plus dire à Dieu qu'elle l'aime sans qu'il lui semble proférer un blasphème, comme rejetée et bannie par la colère divine; quand rien de ce qu'elle entend et de ce qui lui est lu ne peut la rassurer, et que tout se perd dans la grande nuit de l'orage et dans cette nuit de ténèbres, c'est alors dans la douleur intense de se croire séparée de Dieu, que l'âme lui demeure invariablement attachée et fidèle...

Je ne sais combien de temps l'âme pourrait supporter ce tourment extrême; mais Dieu le sait, et quand il lui plaît, il fait cesser ce martyre, de même que cette peine a fondu sur l'âme inopinément et sans qu'elle en puisse trouver le motif... aussi est-ce par un mode complètement inconnu que Dieu la délivre. L'union divine se fait de nouveau sentir, et les maux se sont enfuis, et la paix règne... J'ai parfois de grosses crises de peine de ne voir qu'à travers un voile les beautés de la campagne. Peut-être qu'autrefois j'ai trop aimé et ressenti trop vivement cette poésie dont parlent la terre, les houx, les astres et tout le monde des vivants, les infiniment petits qui y vivent sous l'aile de Dieu; tout cela me faisait rêver... J'en faisais une prière quand j'étais jeune; maintenant Dieu veut que j'en fasse un sacrifice...

 

8-4-Autres douleurs spirituelles

 

        8-4-1-Comment faire aimer Dieu?

 

Les mystiques ont tous beaucoup souffert de l'état de péché dans lequel leur monde vivait. Tous ont été, ou ont violemment désiré devenir, des apôtres. Lucie-Christine a aussi connu ces angosses terribles. Le 24 novembre 1893, elle écrit: "L'âme, pénétrée de cette entrevue que l'Époux lui donne souvent sur lui-même, voudrait le révéler, le faire sentir, aimer, servir, triompher, régner dans l'âme de tous. Comment faire? Comment le faire connaître? Mon âme souffre un tourment étrange, inexprimable, en le voyant si méconnu, si outragé, si peu connu même par beaucoup de chrétiens."

Et Lucie-Christine répond à la question: qui sont ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ? Ce qu'elle appelle: ne pas connaître Jésus-Christ, c'est: "ne pas l'aimer au-dessus de tout; ne pas faire de lui l'objet principal de ses pensées, le moteur de ses actes; pouvoir vivre sans s'occuper de lui et s'entretenir souvent de lui; ne pas sentir ce qui le blesse comme si et plus que si l'on nous blessait nous-mêmes au plus sensible de notre cœur..."

 

        8-4-2-La souffrance du cœur qui a été blessé par l'amour de Dieu

 

Et voici plus douloureux encore: le 12 juin 1894, Lucie-Christine, alors âgée de 50 ans, écrit: "Lorsque le cœur, par une grâce purement gratuite, a reçu, comme une flèche invisible, le don de l’amour profond et habituellement sensible de Dieu, il souffre d’une continuelle et secrète blessure, il souffre de l’union trop incomplète avec Celui qu’il aime, à part les heures où il lui est donné de se perdre en lui.

Il souffre de l’offense de Dieu sur la terre. Il souffre de ses propres fautes, de son insuffisance au service d’un tel Maître. Il souffre des fautes de ses frères, de leur froideur envers Dieu, de leur ignorance et insouciance à son endroit ; la pensée de ne pouvoir assez donner des âmes à Dieu le torture. Tout ce qui est un tort envers l’Eucharistie le blesse plus qu’on ne pourrait le blesser lui-même.

Il souffre de la persécution qui poursuit Dieu dans les siens, dans son Église, de la haine aveugle de l’impiété contre tout ce qui tient à Dieu.

Il souffre des maux plus intimes de l’Église, des brebis égarées du troupeau, de celles qui se désunissent par suite de vues humaines ou malheur des temps, de celles que la faiblesse ou l’entraînement paralyse, là où Dieu les voudrait vaillantes pour sa cause.

Cette souffrance est permanente, elle l’est pour jusqu’à la mort ; c’est une goutte de myrrhe au fond du cœur qui mêle sa saveur souveraine à tous les sentiments et à tous les instants de la vie… Tout répond à cet endroit blessé du cœur ; tout y a trait, rien ne peut le guérir. L’abandon à la volonté divine d’une part, et de l’autre, l’exercice du cœur dans une prière habituelle, sans cesse renouvelée et dans les actes que Dieu lui suggère au moment le moment, rendent seuls, supportable cette blessure de l’âme que pour rien au monde elle ne voudrait fermer, car ce serait sous peine de n’aimer plus. »

En octobre 1902, Lucie-Christine avoue: "L'excès de la douleur en présence de l'outrage de Dieu tient l'âme éveillée dans l'angoisse et la prière jusqu'à ce que les forces succombent au sommeil." Et en décembre 1903: "Mon âme, accablée du poids de la persécution (faite au clergé), cria vers Dieu et lui dit: 'Seigneur qu'attendez-vous?' Il me fut répondu: 'J'attends que le nombre de mes fidèles qui s'offrent à moi avec un entier abandon dans cette épreuve, soit complet.'"

 

        8-4-3-La mort d'un enfant

 

Le 27 novembre 1889, Lucie-Christine vécut une étonnante expérience d’union à Dieu : « … Dieu saisit mon âme et l’unit très simplement à lui…. Vers la fin de mon oraison, mon âme fit, comme par le souffle et l’amour de Dieu même, un acte d’immense désir que sa volonté soit partout et parfaitement accomplie. » Était-ce la préparation à la plus grande épreuve de sa vie ? En effet, le soir même, sa plus jeune fille, âgée de 14 ans et demi, tombait gravement malade : « Mon enfant a le délire ; la fièvre est bien forte ; le médecin n’inquiète pas davantage ; il ne fait craindre qu’une fièvre muqueuse. J’ai peur !...

Le 7 décembre suivant, l’enfant mourait. Lucie-Christine écrit : « C’est mon enfant que la bonne Mère a emmenée au ciel. Dieu me l’avait donnée ; Dieu me l’a reprise. Que son saint Nom soit béni ! » Mais la douleur de la pauvre maman est grande ; elle écrit : »Voilà six jours que cette chère petite âme est remontée dans les bras de Dieu. Nous n’avons pas eu le temps de craindre sa mort… La chère petite avait communié la veille même de cette maladie de cinq jours… Elle priait, mon cher petit ange, durant ces jours de fièvre… Tout me confirme l’opinion, que j’avais moi-même, du nouveau développement de sérieux et de piété qui, dans ces derniers mois, s’était fait en elle… Quand cette grande douleur a fondu sur nous comme la foudre, et que j’ai vu s’endormir calme et pour toujours ce cher petit être, j’ai rassemblé toutes mes forces pour la donner à Dieu de tout mon cœur, et accompagner sa petite âme auprès de lui. Je l’ai sentie en lui… et dès que Dieu se fait sentir à mon âme, je la sens encore en lui... En lui, mon âme ne s’est pas trouvée séparée de l’âme de mon enfant… Sa grâce me soutient et me donne, avec l’amertume du calice, la joie spirituelle de souffrir…

Toute la confrérie de Marie[2] est venue l’accompagner à sa dernière demeure terrestre, et toutes ces enfants en blanc, venant ensuite remplir ma maison, me rappelaient bien la première communion si pieuse de la petite Alice… Mon âme n’a pas eu un moment de trouble dans cette grande douleur. Je savais que la croix allait revenir. Elle est revenue ; mon cœur a adoré en se brisant parce qu’il reconnaissait la volonté de Dieu. »

Le 18 décembre 1889, Lucie-Christine ajoute : « Dans tous ces temps, je crois n’avoir ni recherché, ni fui les émotions douloureuses. Je veux prendre de la douleur tout ce que Dieu veut que j’en prenne ; et quand je sens venir un transport de douleur naturelle qui voudrait faire explosion, je le tourne doucement en un acte d’amour. »

Le 19 décembre, se mettant à genoux, Lucie-Christine fut saisit d’une grande douceur ; elle revit « Jésus au ciel et son enfant en lui. Tant que dura cette grâce touchante, elle fut réellement comme n’ayant pas perdu son enfant… » Le 10 janvier 1890, Lucie-Christine constate : « Quand Dieu enlève un petit être innocent et le place dans son paradis, il le comble et l’inonde de la rosée divine de son amour, et l’amour débordant retombe du cœur de l’enfant sur la famille qui est restée à la pleurer sur la terre… »

Le 28 janvier 1890 Lucie-Christine reçut « une soudaine irradiation du ciel où elle revit la petite enfant en Dieu. »

Lucie-Christine a accepté avec amour toutes ses épreuves, mais sa douleur est toujours vivante. Le 1er février 1890, elle écrit : « Aujourd’hui, vingt ans de mon mariage, deux ans et demi de la mort de mon mari, et deux mois de la mort de ma fille. On fait ses noces d’argent selon la terre ; on les fait aussi selon le ciel. » Et le 6 mars 1890 : «Dans ces ténèbres de l’âme accompagnées par la souffrance du corps, de ma vue voilée et de l’impossibilité de lire ou d’écrire, je vivais dans un acte très simple, toujours le même, d’entier acquiescement à la volonté de Dieu…  Volonté de Dieu ! ma loi, ma vie, ma règle, mon trésor, mes délices, même quand je souffre par vous, je vous adore ; faites de moi selon tout votre bon plaisir !» (29 mai 1890) 

 

8-5-La maladie et les autres épreuves

 

        8-5-1-La maladie

 

Nous savons vu que Lucie-Christine fut souvent malade. En avril 1882 elle dut demeurer au lit avec tellement de fièvre qu’elle ne pouvait même plus tourner sa pensée vers le tabernacle de l’église. Mais cette épreuve fut pour elle la découverte d’une grâce très particulière, « grande et précieuse, qui porte l’âme très directement à Dieu. »

Le 1er octobre 1882, elle ne peut retenir ce cri : «Je suis encore malade ! » Mais l’amour de la volonté de Dieu est le plus fort qui lui fait écrire : "Je veux toujours mieux aimer le moment présent, parce que c’est celui où vous me mettez. »

Lucie-Christine ne dit jamais rien de ses souffrances physiques ni de sa maladie. Pourtant, parfois elle avoue : « Le 28 janvier 1885 : je sens venir de grandes douleurs… L’avenir se découvre menaçant… le 2 février. Ce repos céleste a rafraîchi et vivifié toutes mes puissances tellement brisées par une extrême souffrance… »

Le 9 juin 1885, elle gémit : « Mon âme souffre et a extrêmement souffert, depuis plusieurs mois, sous le poids des croix dont la nature même lui retranche beaucoup de liberté matérielle pour s’appliquer à Dieu. Il faut vivre dans le trouble passé à l’état d’habitude. L’âme se trouve comme broyée dans un étau inexorable[3]… Ceci est le cri de cette malheureuse nature mise aux abois… Si nous plongeons un corps dans l’eau, immédiatement il perd de son poids, et nous le soutenons du bout du doigt. Ainsi en va-t-il de nos douleurs ; si nous les portons seuls, nous sommes écrasés, mais si nous le jetons dans l’immensité de Dieu, dès lors ce n’est presque plus nous qui portons, c’est le sein de Dieu, de sa miséricorde qui nous porte, nous et nos peines. »

 

        8-5-2-La maladie des yeux

 

La plus grande épreuve de santé va commencer pour Lucie-Christine. Le 6 novembre 1889, elle écrit : « Je n’ai pu lire ni écrire ces derniers jours, ce brouillard étant toujours devant mes yeux. » Cette maladie, considérée par les médecins de l'époque comme une conjonctivite, dura près de 19 ans.

Le 13 juin 1893, Lucie-Christine, affligée reçoit une douce consolation: "Comme j'étais très affligée de cette sorte de mutilation et d'impuissance où me réduit l'obscurcissement de ma vue, Jésus m'apparut soudain dans toute la splendeur et l'intégrité de sa parfaite nature humaine associée à sa divinité."

La vue de Lucie-Christine ne cesse de baisser. Souvent elle se trouvait privée de tout, ne pouvant même plus voir le visage de ses petits enfants. Le 6 février 1895 elle écrit[4] : « Encore une quinzaine sans messe, sans communion, et avec beaucoup de misères… Il me semble que mon âme s’accommode mieux de son étouffoir et que j’aime chaque jour plus cette volonté de Dieu sur moi. »

Mais l’épreuve est sensible. Le 21 décembre 1895, Lucie Christine indique que « ses yeux voilés l’empêchent de rendre compte » des grâces qu’elle reçoit. Et son âme en était souvent accablée. C’est alors que le Seigneur lui dit, le 1er janvier 1896 : « Rien de ce que j’ai voulu ne peut te nuire. »

 

        8-5-3-Autres épreuves

 

Les épreuves financières accablèrent Lucie-Christine. Elle avait dû, prendre depuis longtemps déjà, la responsabilité des finances de la famille pour éviter la faillite, et elle vivait le plus souvent dans un état de grande préoccupation. Elle trouvait un appui chez son directeur de conscience et chez le Supérieur du monastère. Tout deux lui redonnaient confiance lorsqu'elle doutait d'elle-même et de ses grâces spirituelles ou craignait d'être victime d'illusions. À cela il faut ajouter sa quasi cécité, et le 30 août 1907 elle dut avouer: "Quand j'étais jeune, je m'enthousiasmais de la création... Aujourd'hui mes yeux voilés ne voient plus la splendeur des choses. Je les devine... j'offre à Dieu avec ces merveilles l'immolation de ne pouvoir les voir... Tout cela, c'est la volonté de Celui que j'aime ; je la bénis, je l'aime cette volonté sainte. Que d'entraves aussi à écrire ici de mon âme qui se dépense en lettres nécessaires et douloureuses, si multipliées! Tout cela rend plus lourd le pressoir[5] d'une double grande peine; elle écraserait si Dieu ne soutenait l'âme."

Le 8 février 1908, Lucie-Christine "écrit" la dernière page de ses cahiers: Les épreuves qui affligent mon âme absorbent aussi mon temps et le peu de forces que j'ai... Au milieu de cette tourmente, de cette douloureuse crise qui déchire le cœur, de cet accablement d'affaires, je suis touchée de voir que, sitôt que mon âme se souvient de Dieu, elle trouve qu'il est déjà là présent, plus présent à mon cœur que mon cœur même...

Quand l'âme est à terre, brisée, sèche, ne sachant pas, ne voyant plus où elle est, car Dieu veut cela aussi parfois, alors elle va au jour le jour, chaque jour comme s'il devait être le dernier, remettant à Dieu tout soin, toutes préoccupations, et tâchant seulement de faire sa volonté au moment le moment."

Ce sont les dernières pensées que nous connaissons de Lucie-Christine. Elle mourra le 17 avril suivant, un Vendredi-Saint.

 

        8-5-4-Comment distinguer ce qui vient de Dieu de ce qui vient de Satan ?

 

Lucie-Christine écrit le 6 octobre 1883 : « L’inspiration de la grâce, quelque pénible que soit le sacrifice qu’elle puisse demander, est toujours accompagnée de force et de paix, tandis que les suggestions que Satan multiplie sous un faux semblant de bien, pour embarrasser l’âme par sa bonne volonté même, portent toujours le trouble avec elles, et ne secondent pas le zèle de l’âme : outre qu’elles sont inopportunes… »

 

        8-5-5-Les mains de la Providence

 

Le 20 octobre 1890 Lucie-Christine nous dit : « Il faut aimer toutes les mains de la Providence. Ces mains, ce sont les créatures par lesquelles Dieu nous atteint et complète son action sur nos âmes. Si nous savons le voir en elles, nous les aimons toutes.

Il y a des mains qui nous crucifient… Il y en a qui, sans y prendre garde, nous ont broyé le cœur… Il y a des mains qui nous flagellent… ce sont les propos venimeux… et toutes ces mains ont travaillé à notre sanctification. Il y a aussi des mains qui nous consolent… qui nous expriment la bonté et l’amabilité de la providence…

Il y a des mains qui nous bénissent et qui font réussir tout ce que ne pourraient nos seuls efforts : ce sont les prières des petits et des malheureux. Il y a des mains bien petites parfois, … qui un jour, en un instant, laissent ce pauvre cœur brisé, parce qu’elles en ont emporté la moitié avec elles au ciel… Mais par elles, Dieu donne le baume avec la blessure ; ces petites mains qui adorent déjà le Père dans leur éternité, font descendre dans l’âme affligée l ‘écho céleste de la béatitude… Il y a des mains qui nous conduisent, qui nous portent vers Dieu, et nous soutiennent dans la voie du ciel… Que Dieu les bénisse mille fois ces mains sacrées !


[1] Son mari.
[2] à laquelle appartenait la toute jeune fille.
[3] Nous ne savons pas de quelle épreuve il s’agit ; peut-être du début de sa cécité ?
[4] Elle griffonnait plutôt sur des papiers qui étaient ensuite recopiés par une amie très sûre.
[5] Le Père Auguste Poulain précise dans une note; "Depuis plusieurs mos Lucie était en proie à l'épreuve la plus cruelle de sa vie." Il n'en dit pas plus.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations