Tous les saints, tous les mystiques
ont connu au cours de leur vie offerte à Dieu, de nombreuses souffrances,
physiques, spirituelles ou morales. Cela se vérifia souvent pour
Lucie-Christine, à tel point qu’elle put écrire le 13 septembre 1884 : « Une
peine imprévue n’est plus pour moi quelque chose d’inattendu ; sentant le désir
de souffrir, je m’attends toujours à la souffrance ; mon âme y trouve un aliment
et une paix profonde, quoique la nature sente très vivement ce qui est
douloureux… »
Toutefois, Lucie-Christine ne sera
pas seule ni abandonnée dans ses souffrances. Elle écrit, le 12 juillet 1885 :
« Notre-Seigneur attira mon âme en Lui, et lui fit entendre, par cette sorte
d’illumination sans parole, qu’il me donnerait la main dans cette voie de
souffrances, quoique ce secours ne doive pas toujours être senti, et qu’il
m’invitait à monter ce calvaire spirituel en mettant mes pieds dans les traces
de ses pieds sacrés. »
D'ailleurs, les souffrances
spirituelles ou physiques ne sont-elles pas normales pour des âmes qui se sont
offertes à Dieu. Le 28 août 1903 Lucie-Christine écrira: "Quand l'âme s'est
offerte en victime à la volonté de Dieu, unie à Jésus-Christ, évidemment elle a
été au-devant de la Croix... car son acte d'offrande volontaire et de complet
abandon la porte à un plus haut degré d'union avec Jésus Rédempteur..."
8-1-Souffrances morales et spirituelles
8-1-1-Les vexations
En août 1880, tandis qu’elle lui
offrait une peine très sensible, notre Seigneur lui dit : «Les âmes qui
consentent à tout souffrir pour mon amour ne sont pas toujours, par cela même,
destinées à souffrir plus que les autres, mais l’amour rend leurs souffrances
plus méritoires, plus glorieuses à Dieu et mieux appropriées à leur salut et au
salut de leurs frères."
En février 1882, tracassée par la
méchanceté de certaines personnes, Lucie-Christine se désolait. Le Seigneur lui
dit alors : « Que te font les hommes ? » Et ces paroles du Seigneur
étaient dites « avec un accent de grande tendresse ; c’était au cœur de
Lucie-Christine que Jésus s’adressait, et son âme sentit que son Bien-Aimé était
tout pour elle ; elle le sentit d’une manière qui est inexprimable. » Plus
tard, le 21 juin 1883, elle écrit également : « En réponse à certaines
boutades et persiflages au sujet de la dévotion, Jésus lui dit : ‘Tu n’es pas
pour eux, mais pour moi. ’ »
En août 1883, elle pouvait ajouter,
précisant la manière dont elle devait être la victime de Jésus : « Souffrir
sans me compter, sans me regarder, ni moi, ni ma souffrance. Ma voie est très
simple : mon âme vit de Dieu par un regard d’amour entre lui et elle ; par ce
regard Dieu se donne à moi, et je me donne à Lui… Il faut accepter la souffrance
comme inséparable de l’amour d’ici-bas. L’amour souffre comme la voix chante…
Que rien ne détourne le regard de mon âme de se fondre dans le regard de Dieu
sur elle. Souffrir par amour et que toujours la pensée de l’amour domine. Voilà
ma voie de victime, d’après ce que j’ai compris… »
Mais cette voie douloureuse est
parfois gratifiante. Ainsi, le 27 octobre 1884, Lucie-Christine pouvait écrire :
«Oh ! le doux moment quand cette personne, qui me blâme pourtant tout du long
de la vie, vient me dire qu’elle s’approchera des sacrements à tel jour de fête,
et que c‘est moi qui l’ai obtenu ! Pourtant, je ne lui en avais pas parlé. »
Nous savons que les vexations
auxquelles Lucie-Christine eut à faire face durèrent longtemps, puisque le 11
juin 1885 elle écrit : « Notre-Seigneur regarda mon âme avec compassion et
complaisance par rapport aux mauvaises guerres qui me sont faites… » Mais
Dieu n’abandonne jamais ses enfants, et un autre jour, le 9 novembre 1887, elle
avoue : « La nature était brisée, à bout ; elle est relevée sans savoir
comment s’est opéré ce mystère. »
8-1-2-Les obsessions
Comme tous les grands spirituels,
Lucie-Christine fut assaillie par des obsessions qui fatiguent l’âme. En
septembre 1880 « elle vit Dieu en tant qu’il est le souverain bien, et elle
comprit que le mal n’était que la négation du bien, un pur néant. » Elle
écrit : « Cette vue réduisit à rien toutes les suggestions du malin esprit,
et depuis ce jour, s’il arrive qu’il les renouvelle, mon âme n’en a plus
d’épouvante ; si noires qu’elles soient, elle n’en est plus troublée et ne les
regarde pas plus que le néant.»
8-1-3-Les tentations
Lucie-Christine fut soumise à des
tentations dissimulées sous des apparences de vertu. Ainsi, le 15 mars 1882,
elle n’hésite pas à avouer : « Mon âme était triste et confuse de ses misères
devant Dieu. Quand cette tristesse va jusqu’à nuire à l’oraison, c’est une
tentation. »
Mais Lucie-Christine constate :
« Quand l’âme est complètement unie à son bien-aimé, tout fait silence autour
d’elle et le malin ne peut plus même l’approcher ; »
Il est une épreuve que de nombreux
chrétiens connaissent bien : la quasi impossibilité de parler de Dieu aux autres
hommes. Lucie-Christine écrit en septembre 1883 » : « Je n’ose jamais dire à
personne combien j’aime Dieu, craignant qu’on soit ensuite trop scandalisé en
voyant toutes mes imperfections ; et ce m’est une espèce de martyre de me
renfermer en moi-même, car il me semble que si je disais tout ce que j’en pense,
je pourrais contribuer à le faire aimer… "
– Tentations
contre la foi
Lucie-Christine bénéficia de grâces
exceptionnelles. Pourtant elle connut, elle aussi, des tentations contre la foi.
Son récit suivant est, pour nous, un véritable enseignement. Elle raconte :
« À un certain moment, la tentation contre la foi s’est déchaînée subitement
avec une telle violence que j’en ai senti comme un brisement dans tous mes
membres. Mais, heureusement, «bientôt après, mon âme, attirée en Notre
Seigneur par cet heureux état de division dont j’ai parlé, sentit qu’elle
pourrait ainsi, sans aucune crainte, descendre au fond des gouffres des enfers.
Tout devient indifférent à l’âme dans cet état d’union, hormis Dieu lui-même.
Mais dans les temps d’épreuve, l’union dure peu, et l’âme est dans une
souffrance habituelle… elle vit dans le désert. »
Ce qui suit nous étonnera encore
davantage. Le samedi saint de 1883 Lucie-Christine écrit : «l’état de malaise
et de trouble indéterminé se prolonge ; je suis souvent tentée contre la foi et
la confiance ; un découragement absurde et irraisonné m’assaille par instants… »
Mais Lucie-Christine découvre : « Il est remarquable que tout ce qui
vient de Dieu produit l’humilité. »
Le 4 septembre 1883, elle écrit
encore : « Mon âme ayant été ces jours-ci dans un état encore plus éprouvé et
douloureux qu’au mois de février, et se trouvant terriblement tentée de doutes
contre la foi, et de désespérance, ne pouvait presque plus reprendre haleine que
dans la sainte Communion. »
Et le 2 décembre 1885 :
« Souvent, en même temps que ces grandes tentations de tristesse, je suis
plongée dans de telles ténèbres que je me crois complètement égarée dans le faux
et dans l’illusion, me trompant moi-même et trompant les autres. Cette tentation
est la plus terrible de toutes. »
Le 5 janvier 1886, elle
complète : « Hier soir… l’âme violemment bouleversée de tristesse et de
troubles spirituels, croyant ne plus recevoir de Dieu que des regards de colère,
fut soudain rassérénée, illuminée par cet admirable dévoilement de Dieu qui, par
une lumière purement intellectuelle, se rend présent à l’âme avec une certitude,
une évidence que rien au monde n’égale. L’âme qui a ainsi rencontré Dieu ne peut
douter que ce soit lui ; c’est impossible, et cela parce qu’il se démontre par
lui-même. »
– Épreuves familiales
L’avenir de Lucie-Christine va rapidement
s’assombrir. Elle écrit, le 25 mars 1885 : « Une lumière étrange m’est
souvent donnée dans l’oraison, depuis quelques semaines. Je sens que quelque
chose d’important va changer dans ma vie. » Ce sera, le 30 mars 1885, la
mort de sa belle-mère survenue en l’absence de son fils Thomas, mari de
Lucie-Christine, embarqué depuis le 13 mars dans un pèlerinage à Jérusalem.
Lucie écrit :
« La mort est venue nous frapper ... Quel coup
soudain ! Mon âme en est toute saisie et affligée pour elle-même et encore plus
pour cette autre pauvre âme qui m’est si chère…
Quelle douleur il va falloir lui porter ! C’est une épouvante… »
Lucie-Christine se rendit
à Marseille pour accueillir son mari, de retour de Jérusalem, et lui apprendre
elle-même le décès de sa mère. Le 30 avril 1885, ils montèrent ensemble au
sanctuaire de la Sainte Baume.
Au sujet de la souffrance,
Lucie-Christine avait déclaré le 13 mars 1886: « Ce n’est pas assez de
l’accepter, il faut la désirer… Voilà ma douce règle maintenant, appliquée au
présent et à tout regard sur l’avenir… » Quel amour pour le Seigneur!
Le 5 décembre 1889, après une très
courte maladie : cinq jours, son dernier enfant, Alice, âgée de quatorze ans et
demi, mourait. Sa maman put alors écrire : « Mon cœur a adoré en se brisant,
parce qu’il reconnaissait la volonté de Dieu. » La vie de Lucie-Christine
continua, les épreuves aussi, mais les grâces exceptionnelles se poursuivirent.
8-3-La déréliction et les ténèbres
8-3-1-La déréliction
Lucie-Christine connut aussi ces
états si douloureux durant lesquels l’âme se sent damnée. Elle écrit le 28
septembre 1883 : « Le plus pénible est cet état où l’âme succombe presque,
sous la crainte d’être réprouvée, comme je l’ai senti depuis quelques jours… À
la fin de cette oraison, mon esprit redevenu libre me représenta encore cette
criante de réprobation qui épouvante l’âme. Alors ce fut la voix du Père qui me
rassura… Le Père est l’autorité divine pleine de majesté et de bonté qui impose
la paix à l’âme ; c’est le créateur considérant l’ouvrage de ses mains, et
daignant le redresser ; c’est le regard du Père sur son enfant… Mais en Dieu le
Père, cette sollicitude est meilleure et plus tendre que toute la tendresse
maternelle… hélas ! hélas ! mon Dieu, les hommes ont un Père si bon, et ils ne
le connaissent pas ! »
Le 2 novembre 1884, Lucie-Christine
écrit encore : « Depuis deux mois… l’état habituel de mon âme a été la
privation de la présence divine et je ne puis dire combien de ténèbres, de
tentations de crainte, trouble, tristesse, défiance des grâces de Dieu ;
désolante mobilité de l’esprit qui divaguait ailleurs, même quand Dieu unissait
à lui ma volonté… Je perdais jusqu’au souvenir des grâces reçues et je n’avais
plus que la vue et le sentiment de mes péchés et de mon indignité. J’ai été très
tentée, dans ces traverses, de doutes sur ma voie spirituelle, de découragement
et de crainte sur mon salut… » Le 24 novembre, nouvelle épreuve pendant la
messe: « Bien malgré moi, je repassais devant Dieu les nouvelles que je
venais de recevoir de mes enfants, et mon esprit y revenait toujours. J’en étais
tout honteuse. » Et le 8 décembre 1884 : « malgré tout, mon imagination
reprit encore sa course dans le champ des rêves sans objet. »
Mais Dieu intervint et
« l’invita… à faire un acte d’amour et de réparation pour les loges maçonniques,
ces malheureuses succursales d’enfer. »
La souffrance, non précisée,
accable de plus en plus Lucie-Christine qui avoue, le 9 juin 1885 : « Mon âme
souffre et a extrêmement souffert depuis plusieurs mois, sous le poids des croix
dont la nature même lui retranche beaucoup de liberté matérielle pour
s’appliquer à Dieu. Il faut vivre dans le trouble passé à l’état d’habitude.
L’âme se trouve comme broyée dans un étau inexorable. Ceci est le cri de cette
malheureuse nature mise aux abois, mais la paix domine tout en Dieu… »
Le 13 juin 1885, Lucie-Christine
laisse échapper : « Le Seigneur regarda mon âme avec compassion et
complaisance par rapport aux mauvaises guerres qui me sont faites… »
8-3-2-Les ténèbres
Depuis deux ans, Lucie-Christine
presque aveugle, ne peut plus écrire sur son cahier. Les notes qu'elle a
peut-être griffonnées, non recopiées, ont été perdues. Nous sommes en octobre
1900, Lucie-Christine écrit, ou dicte plus sûrement, cette page qui devrait être
une aide certaine pour les âmes que Dieu plonge dans l'obscurité spirituelle:
"Mon âme est comme une solitude aride et désolée, privée de toute ressource
apparente et consolante... Quand l'âme ne peut plus dire à Dieu qu'elle l'aime
sans qu'il lui semble proférer un blasphème, comme rejetée et bannie par la
colère divine; quand rien de ce qu'elle entend et de ce qui lui est lu ne peut
la rassurer, et que tout se perd dans la grande nuit de l'orage et dans cette
nuit de ténèbres, c'est alors dans la douleur intense de se croire séparée de
Dieu, que l'âme lui demeure invariablement attachée et fidèle...
Je ne sais combien de temps
l'âme pourrait supporter ce tourment extrême; mais Dieu le sait, et quand il lui
plaît, il fait cesser ce martyre, de même que cette peine a fondu sur l'âme
inopinément et sans qu'elle en puisse trouver le motif... aussi est-ce par un
mode complètement inconnu que Dieu la délivre. L'union divine se fait de nouveau
sentir, et les maux se sont enfuis, et la paix règne... J'ai parfois de grosses
crises de peine de ne voir qu'à travers un voile les beautés de la campagne.
Peut-être qu'autrefois j'ai trop aimé et ressenti trop vivement cette poésie
dont parlent la terre, les houx, les astres et tout le monde des vivants, les
infiniment petits qui y vivent sous l'aile de Dieu; tout cela me faisait
rêver... J'en faisais une prière quand j'étais jeune; maintenant Dieu veut que
j'en fasse un sacrifice...
8-4-Autres douleurs spirituelles
8-4-1-Comment faire aimer Dieu?
Les mystiques ont tous beaucoup
souffert de l'état de péché dans lequel leur monde vivait. Tous ont été, ou ont
violemment désiré devenir, des apôtres. Lucie-Christine a aussi connu ces
angosses terribles. Le 24 novembre 1893, elle écrit: "L'âme, pénétrée de
cette entrevue que l'Époux lui donne souvent sur lui-même, voudrait le révéler,
le faire sentir, aimer, servir, triompher, régner dans l'âme de tous. Comment
faire? Comment le faire connaître? Mon âme souffre un tourment étrange,
inexprimable, en le voyant si méconnu, si outragé, si peu connu même par
beaucoup de chrétiens."
Et Lucie-Christine répond à la
question: qui sont ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ? Ce qu'elle appelle:
ne pas connaître Jésus-Christ, c'est: "ne pas l'aimer au-dessus de tout; ne
pas faire de lui l'objet principal de ses pensées, le moteur de ses actes;
pouvoir vivre sans s'occuper de lui et s'entretenir souvent de lui; ne pas
sentir ce qui le blesse comme si et plus que si l'on nous blessait nous-mêmes au
plus sensible de notre cœur..."
8-4-2-La souffrance du cœur qui a été blessé par l'amour de Dieu
Et voici plus douloureux encore: le
12 juin 1894, Lucie-Christine, alors âgée de 50 ans, écrit: "Lorsque le cœur,
par une grâce purement gratuite, a reçu, comme une flèche invisible, le don de
l’amour profond et habituellement sensible de Dieu, il souffre d’une continuelle
et secrète blessure, il souffre de l’union trop incomplète avec Celui qu’il
aime, à part les heures où il lui est donné de se perdre en lui.
Il souffre de l’offense de Dieu
sur la terre. Il souffre de ses propres fautes, de son insuffisance au service
d’un tel Maître. Il souffre des fautes de ses frères, de leur froideur envers
Dieu, de leur ignorance et insouciance à son endroit ; la pensée de ne pouvoir
assez donner des âmes à Dieu le torture. Tout ce qui est un tort envers
l’Eucharistie le blesse plus qu’on ne pourrait le blesser lui-même.
Il souffre de la persécution qui
poursuit Dieu dans les siens, dans son Église, de la haine aveugle de l’impiété
contre tout ce qui tient à Dieu.
Il souffre des maux plus intimes
de l’Église, des brebis égarées du troupeau, de celles qui se désunissent par
suite de vues humaines ou malheur des temps, de celles que la faiblesse ou
l’entraînement paralyse, là où Dieu les voudrait vaillantes pour sa cause.
Cette souffrance est permanente,
elle l’est pour jusqu’à la mort ; c’est une goutte de myrrhe au fond du cœur qui
mêle sa saveur souveraine à tous les sentiments et à tous les instants de la
vie… Tout répond à cet endroit blessé du cœur ; tout y a trait, rien ne peut le
guérir. L’abandon à la volonté divine d’une part, et de l’autre, l’exercice du
cœur dans une prière habituelle, sans cesse renouvelée et dans les actes que
Dieu lui suggère au moment le moment, rendent seuls, supportable cette blessure
de l’âme que pour rien au monde elle ne voudrait fermer, car ce serait sous
peine de n’aimer plus. »
En octobre 1902, Lucie-Christine
avoue: "L'excès de la douleur en présence de l'outrage de Dieu tient l'âme
éveillée dans l'angoisse et la prière jusqu'à ce que les forces succombent au
sommeil." Et en décembre 1903: "Mon âme, accablée du poids de la
persécution (faite au clergé), cria vers Dieu et lui dit: 'Seigneur
qu'attendez-vous?' Il me fut répondu: 'J'attends que le nombre de mes fidèles
qui s'offrent à moi avec un entier abandon dans cette épreuve, soit complet.'"
8-4-3-La mort d'un enfant
Le 27 novembre 1889,
Lucie-Christine vécut une étonnante expérience d’union à Dieu : « … Dieu
saisit mon âme et l’unit très simplement à lui…. Vers la fin de mon oraison, mon
âme fit, comme par le souffle et l’amour de Dieu même, un acte d’immense désir
que sa volonté soit partout et parfaitement accomplie. » Était-ce la
préparation à la plus grande épreuve de sa vie ? En effet, le soir même, sa plus
jeune fille, âgée de 14 ans et demi, tombait gravement malade : « Mon enfant
a le délire ; la fièvre est bien forte ; le médecin n’inquiète pas davantage ;
il ne fait craindre qu’une fièvre muqueuse. J’ai peur !...
Le 7 décembre suivant, l’enfant
mourait. Lucie-Christine écrit : « C’est mon enfant que la bonne Mère a
emmenée au ciel. Dieu me l’avait donnée ; Dieu me l’a reprise. Que son saint Nom
soit béni ! » Mais la douleur de la pauvre maman est grande ; elle écrit : »Voilà
six jours que cette chère petite âme est remontée dans les bras de Dieu. Nous
n’avons pas eu le temps de craindre sa mort… La chère petite avait communié la
veille même de cette maladie de cinq jours… Elle priait, mon cher petit ange,
durant ces jours de fièvre… Tout me confirme l’opinion, que j’avais moi-même, du
nouveau développement de sérieux et de piété qui, dans ces derniers mois,
s’était fait en elle… Quand cette grande douleur a fondu sur nous comme la
foudre, et que j’ai vu s’endormir calme et pour toujours ce cher petit être,
j’ai rassemblé toutes mes forces pour la donner à Dieu de tout mon cœur, et
accompagner sa petite âme auprès de lui. Je l’ai sentie en lui… et dès que Dieu
se fait sentir à mon âme, je la sens encore en lui... En lui, mon âme ne s’est
pas trouvée séparée de l’âme de mon enfant… Sa grâce me soutient et me donne,
avec l’amertume du calice, la joie spirituelle de souffrir…
Toute la confrérie de Marie
est venue l’accompagner à sa dernière demeure terrestre, et toutes ces enfants
en blanc, venant ensuite remplir ma maison, me rappelaient bien la première
communion si pieuse de la petite Alice… Mon âme n’a pas eu un moment de trouble
dans cette grande douleur. Je savais que la croix allait revenir. Elle est
revenue ; mon cœur a adoré en se brisant parce qu’il reconnaissait la volonté de
Dieu. »
Le 18 décembre 1889,
Lucie-Christine ajoute : « Dans tous ces temps, je crois n’avoir ni
recherché, ni fui les émotions douloureuses. Je veux prendre de la douleur tout
ce que Dieu veut que j’en prenne ; et quand je sens venir un transport de
douleur naturelle qui voudrait faire explosion, je le tourne doucement en un
acte d’amour. »
Le 19 décembre, se mettant à
genoux, Lucie-Christine fut saisit d’une grande douceur ; elle revit « Jésus
au ciel et son enfant en lui. Tant que dura cette grâce touchante, elle fut
réellement comme n’ayant pas perdu son enfant… » Le 10 janvier 1890,
Lucie-Christine constate : « Quand Dieu enlève un petit être innocent et le
place dans son paradis, il le comble et l’inonde de la rosée divine de son
amour, et l’amour débordant retombe du cœur de l’enfant sur la famille qui est
restée à la pleurer sur la terre… »
Le 28 janvier 1890 Lucie-Christine
reçut « une soudaine irradiation du ciel où elle revit la petite enfant en
Dieu. »
Lucie-Christine a accepté avec
amour toutes ses épreuves, mais sa douleur est toujours vivante. Le 1er
février 1890, elle écrit : « Aujourd’hui, vingt ans de mon mariage, deux ans
et demi de la mort de mon mari, et deux mois de la mort de ma fille. On fait ses
noces d’argent selon la terre ; on les fait aussi selon le ciel. » Et le 6
mars 1890 : «Dans ces ténèbres de l’âme accompagnées par la souffrance du
corps, de ma vue voilée et de l’impossibilité de lire ou d’écrire, je vivais
dans un acte très simple, toujours le même, d’entier acquiescement à la volonté
de Dieu… Volonté de Dieu ! ma loi, ma vie, ma règle, mon trésor, mes délices,
même quand je souffre par vous, je vous adore ; faites de moi selon tout votre
bon plaisir !» (29 mai 1890)
8-5-La maladie et les autres épreuves
8-5-1-La maladie
Nous savons vu que Lucie-Christine
fut souvent malade. En avril 1882 elle dut demeurer au lit avec tellement de
fièvre qu’elle ne pouvait même plus tourner sa pensée vers le tabernacle de
l’église. Mais cette épreuve fut pour elle la découverte d’une grâce très
particulière, « grande et précieuse, qui porte l’âme très directement à
Dieu. »
Le 1er octobre 1882,
elle ne peut retenir ce cri : «Je suis encore malade ! » Mais l’amour de
la volonté de Dieu est le plus fort qui lui fait écrire : "Je veux toujours
mieux aimer le moment présent, parce que c’est celui où vous me mettez. »
Lucie-Christine ne dit jamais rien
de ses souffrances physiques ni de sa maladie. Pourtant, parfois elle avoue :
« Le 28 janvier 1885 : je sens venir de grandes douleurs… L’avenir se découvre
menaçant… le 2 février. Ce repos céleste a rafraîchi et vivifié toutes mes
puissances tellement brisées par une extrême souffrance… »
Le 9 juin 1885, elle gémit :
« Mon âme souffre et a extrêmement souffert, depuis plusieurs mois, sous le
poids des croix dont la nature même lui retranche beaucoup de liberté matérielle
pour s’appliquer à Dieu. Il faut vivre dans le trouble passé à l’état
d’habitude. L’âme se trouve comme broyée dans un étau inexorable…
Ceci est le cri de cette malheureuse nature mise aux abois… Si nous plongeons un
corps dans l’eau, immédiatement il perd de son poids, et nous le soutenons du
bout du doigt. Ainsi en va-t-il de nos douleurs ; si nous les portons seuls,
nous sommes écrasés, mais si nous le jetons dans l’immensité de Dieu, dès lors
ce n’est presque plus nous qui portons, c’est le sein de Dieu, de sa miséricorde
qui nous porte, nous et nos peines. »
8-5-2-La maladie des yeux
La plus grande épreuve de santé va
commencer pour Lucie-Christine. Le 6 novembre 1889, elle écrit : « Je n’ai pu
lire ni écrire ces derniers jours, ce brouillard étant toujours devant mes
yeux. » Cette maladie, considérée par les médecins de l'époque comme une
conjonctivite, dura près de 19 ans.
Le 13 juin 1893, Lucie-Christine,
affligée reçoit une douce consolation: "Comme j'étais très affligée de cette
sorte de mutilation et d'impuissance où me réduit l'obscurcissement de ma vue,
Jésus m'apparut soudain dans toute la splendeur et l'intégrité de sa parfaite
nature humaine associée à sa divinité."
La vue de Lucie-Christine ne cesse
de baisser. Souvent elle se trouvait privée de tout, ne pouvant même plus voir
le visage de ses petits enfants. Le 6 février 1895 elle écrit :
« Encore une quinzaine sans messe, sans communion, et avec beaucoup de
misères… Il me semble que mon âme s’accommode mieux de son étouffoir et que
j’aime chaque jour plus cette volonté de Dieu sur moi. »
Mais l’épreuve est sensible. Le 21
décembre 1895, Lucie Christine indique que « ses yeux voilés l’empêchent de
rendre compte » des grâces qu’elle reçoit. Et son âme en était souvent
accablée. C’est alors que le Seigneur lui dit, le 1er janvier 1896 :
« Rien de ce que j’ai voulu ne peut te nuire. »
8-5-3-Autres épreuves
Les épreuves financières accablèrent
Lucie-Christine. Elle avait dû, prendre depuis longtemps déjà, la responsabilité
des finances de la famille pour éviter la faillite, et elle vivait le plus
souvent dans un état de grande préoccupation. Elle trouvait un appui chez son
directeur de conscience et chez le Supérieur du monastère. Tout deux lui
redonnaient confiance lorsqu'elle doutait d'elle-même et de ses grâces
spirituelles ou craignait d'être victime d'illusions. À cela il faut ajouter sa
quasi cécité, et le 30 août 1907 elle dut avouer:
"Quand j'étais jeune, je
m'enthousiasmais de la création... Aujourd'hui mes yeux voilés ne voient plus la
splendeur des choses. Je les devine... j'offre à Dieu avec ces merveilles
l'immolation de ne pouvoir les voir... Tout cela, c'est la volonté de Celui que
j'aime ; je la bénis, je l'aime cette volonté sainte. Que d'entraves aussi à
écrire ici de mon âme qui se dépense en lettres nécessaires et douloureuses, si
multipliées! Tout cela rend plus lourd le pressoir
d'une double grande peine; elle écraserait si Dieu ne soutenait l'âme."
Le 8 février 1908, Lucie-Christine
"écrit" la dernière page de ses cahiers: Les épreuves qui affligent mon âme
absorbent aussi mon temps et le peu de forces que j'ai... Au milieu de cette
tourmente, de cette douloureuse crise qui déchire le cœur, de cet accablement
d'affaires, je suis touchée de voir que, sitôt que mon âme se souvient de Dieu,
elle trouve qu'il est déjà là présent, plus présent à mon cœur que mon cœur
même...
Quand l'âme est à terre, brisée,
sèche, ne sachant pas, ne voyant plus où elle est, car Dieu veut cela aussi
parfois, alors elle va au jour le jour, chaque jour comme s'il devait être le
dernier, remettant à Dieu tout soin, toutes préoccupations, et tâchant seulement
de faire sa volonté au moment le moment."
Ce sont les dernières pensées que
nous connaissons de Lucie-Christine. Elle mourra le 17 avril suivant, un
Vendredi-Saint.
8-5-4-Comment distinguer ce qui vient de Dieu de ce qui vient de Satan ?
Lucie-Christine écrit le 6 octobre
1883 : « L’inspiration de la grâce, quelque pénible que soit le sacrifice
qu’elle puisse demander, est toujours accompagnée de force et de paix, tandis
que les suggestions que Satan multiplie sous un faux semblant de bien, pour
embarrasser l’âme par sa bonne volonté même, portent toujours le trouble avec
elles, et ne secondent pas le zèle de l’âme : outre qu’elles sont
inopportunes… »
8-5-5-Les mains de la Providence
Le 20 octobre 1890 Lucie-Christine
nous dit : « Il faut aimer toutes les mains de la Providence. Ces mains, ce
sont les créatures par lesquelles Dieu nous atteint et complète son action sur
nos âmes. Si nous savons le voir en elles, nous les aimons toutes.
Il y a des mains qui nous
crucifient… Il y en a qui, sans y prendre garde, nous ont broyé le cœur… Il y a
des mains qui nous flagellent… ce sont les propos venimeux… et toutes ces mains
ont travaillé à notre sanctification. Il y a aussi des mains qui nous consolent…
qui nous expriment la bonté et l’amabilité de la providence…
Il y a des mains qui nous
bénissent et qui font réussir tout ce que ne pourraient nos seuls efforts : ce
sont les prières des petits et des malheureux. Il y a des mains bien petites
parfois, … qui un jour, en un instant, laissent ce pauvre cœur brisé, parce
qu’elles en ont emporté la moitié avec elles au ciel… Mais par elles, Dieu donne
le baume avec la blessure ; ces petites mains qui adorent déjà le Père dans leur
éternité, font descendre dans l’âme affligée l ‘écho céleste de la béatitude… Il
y a des mains qui nous conduisent, qui nous portent vers Dieu, et nous
soutiennent dans la voie du ciel… Que Dieu les bénisse mille fois ces mains
sacrées !
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