« Avant de
commencer cette relation, je déclare dans la vérité et la
simplicité de mon âme qu’il n’y a que la gloire de Dieu seul et
l’accomplissement de sa très sainte Volonté qui me pressent de
faire connaître ce que je crois que Notre-Seigneur m’a
communiqué dans sa miséricorde par rapport à l’Œuvre de la
Réparation des Blasphèmes. Je prendrai copie des lettres que
j’ai adressées à notre très Révérende Mère prieure, en y
ajoutant ce qui sera nécessaire pour me faire mieux comprendre,
avec les remarques que j’ai faites de vive voix ou dont je me
suis souvenue depuis.
Je déclare que le
motif qui me porte à ces corrections est que j’écris
ordinairement à la hâte, à cause des occupations de mon office
de portière, me bornant à exposer le plus brièvement possible ce
que Notre-Seigneur a opéré en moi.
La Révérende Mère
elle-même, vu ses nombreuses occupations, n’a pas toujours le
temps suffisant pour que je lui rende un compte détaillé au
moment même où je reçois ces lumières. Mais, comme il m’arrive
de souffrir beaucoup jusqu’à ce que j’aie exposé à ma supérieure
ce qui s’est passé, j’ai pris la résolution d’en prendre note,
et je me sens soulagée aussitôt que je l’ai remise.
Après ce petit
préambule, je vais écrire tout simplement sous l’étoile de
l’obéissance; je vais donc parler dans la simplicité de mon âme,
ayant peu de capacité, et des difficultés à exprimer certaines
choses que j’ai vues, ou entendues, ou comprises...
Je déclare encore
que, s’il ne fallait qu’un léger mensonge pour obtenir
l’établissement de cette œuvre, assurément, je ne consentirais
jamais à le faire, car Dieu est vérité: j’ai la ferme confiance
qu’il défendra Lui-même sa cause, car Il me l’a promis... »
« Je vous obéi, ma
Mère, et je priai Notre-Seigneur de votre part de me pardonner.
J’avais alors l’âme extrêmement agitée; l’oraison m’était
difficile, mon imagination était comme un coursier fougueux que
je ne pouvais retenir; mais Notre-Seigneur, dans sa bonté,
entendit ma prière dictée par l’obéissance. Je ne sais si c’est
le lendemain, à mon réveil, j’entendis une voix intérieure qui
me dit :
— Reviens à la
maison de ton Père, qui n’est autre que mon Cœur.
Ces paroles ont de
suite mis mon âme dans un grand calme. M’étant rendue à
l’oraison, je me suis unie à Notre-Seigneur au très
Saint-Sacrement et je crus entendre qu’Il me disait ces
paroles :
— Appliquez-vous à
honorer mon Cœur et celui de ma Mère, ne les séparez point;
priez-les pour vous et pour les pécheurs; alors j’oublierai vos
ingratitudes passées et je vous ferai plus de grâces
qu’autrefois parce que vous m’êtes plus unie par vos vœux.
— C’est moi,
Jésus, présent au Saint-Sacrement, qui vous parle. J’ai
plusieurs manières de me communiquer aux âmes: ne voyez-vous pas
comme la votre est calme et attachée à moi, tandis que ces jours
derniers elle était comme une vagabonde ? Commencez à faire ce
que je vous dis, et vous en verrez bientôt les effets. »
Ensuite, il me fit
comprendre qu’il ne fallait point m’attacher à une dévotion
sensible, me donnant lumière pour voir comme on s’attachait aux
douceurs intérieures, croyant s’attacher à lui. Alors, selon sa
recommandation, je me suis appliquée à honorer ces aimables
Cœurs intérieurement et même extérieurement, en brodant des
scapulaires où ils étaient représentés, et je le priai de sauver
ceux qui les auraient portés. Puis j’ajoutai :
— Je ne souhaite
point ces grâces sensibles. Pourvu que vous soyez bien glorifié
et que beaucoup d’âmes soient sauvées, voilà tout ce que je
désire.
A cette intention,
j’ai offert ma volonté au Père, ma mémoire au Fils, et mon
entendement au Saint-Esprit. Je me suis aussi toute livrée aux
mains de Dieu, et j’ai senti qu’il s’appliquait à mon âme pour
la purifier par la souffrance intérieure. Alors j’ai été plongée
dans l’amertume, perdue dans les ténèbres, et attaquée par les
tentations. Mais ce qui me faisait le plus souffrir, c’était le
désir d’aimer et de glorifier le Seigneur; mon âme endurait une
faim de Dieu, et il me semblait que tout ce que je faisais
n’était rien, ne sentant en moi qu’incapacité, péché et misère.
J’eus envie d’avoir
un livre qui m’aurait soulagée, et je le demandai à notre
Révérende Mère; elle me le refusa, malgré sa bonté ordinaire, me
disant :
— Ma fille, il
ne faut pas sacrifier à Dieu seulement une chose; c’est le
tout que vous devez immoler. »
« Une autre fois,
étant plus souffrante encore, je voulus lui ouvrir mon âme; mais
le bon Dieu lui inspira d’agir de concert avec lui pour me faire
marcher dans ce chemin de mort; elle, toujours si compatissante,
ne me permit pas cette fois d’épancher mon cœur dans le sien, et
me défendit de parler de mes peines à mon confesseur avant
quinze jours. Par la grâce de Dieu, je me soumis de bon cœur à
cette épreuve.
Le démon du
blasphème ne me faisait pas le moins souffrir, mais je me tenais
fortement attachée à la Croix pendant la tempête, n’osant pas
dire à Dieu :
— Rendez-moi la
joie de votre assistance salutaire.
J’offrais mes
souffrances à Notre-Seigneur pour le salut des âmes et
l’accomplissement de ses desseins. Je lui dis un jour:
— Mon Dieu, vous
voyez que je connais bien à présent mon néant et ma misère !
Voulant dire :
— C’est assez,
mon Dieu ! Je saurai maintenant discerner vos dons, et je ne
pourrai me les attribuer ; je le vois clairement, je ne suis que
pauvreté et impuissance. »
|