— « Mon âme est
dans un grand effroi de ce que Notre-Seigneur vient de me faire
entendre à l’oraison et Il m’a chargé de le transmettre à
mes Supérieures sans crainte de me tromper. Je vais le faire en
toute simplicité.
Notre-Seigneur
ayant recueilli les puissances de mon âme dans son divin Cœur,
m’a fait voir combien Il était irrité contre la France,
et qu’Il avait juré de s’en venger dans sa colère si on ne
faisait pas réparation d’honneur à son divin Père pour tous les
blasphèmes dont elle était coupable, me faisant entendre
qu’Il ne pouvait plus demeurer dans cette France qui, comme une
vipère, déchirait les entrailles de sa miséricorde, et qu’Il
souffrait encore patiemment les mépris qu’on Lui faisait à
Lui-même, mais que les outrages faits à son divin Père
provoquaient son courroux; que la France avait sucé les mamelles
de sa miséricorde jusqu’au sang; c’est pourquoi sa miséricorde
fera place à sa justice qui débordera avec autant de fureur
qu’elle aura plus attendu. Alors toute saisie, j’ai dit :
— Mon Seigneur,
permettez-moi de vous demander: si on vous fait cette réparation
que vous désirez, pardonnerez-vous encore à la France ?
Il m’a répondu :
— Je lui
pardonnerai encore une fois; mais remarquez bien: une fois. Et
encore ce péché de blasphème s’étend par toute la France et est
public, il faut aussi que cette réparation s’étende par toutes
les villes de France et soit publique. Malheur à celles qui ne
feront pas cette réparation !
J’abandonne toutes
ces choses à votre sagesse, ma Révérende Mère. Je ne suis qu’une
enfant qui ne peut rien et n’a d’autre consolation que de s’en
remettre à ses supérieurs. »
« A cette époque,
Notre-Seigneur voulut soulager mon âme par une grande
consolation: j’appris qu’il y avait à Rome une association pour
l’extirpation du blasphème. Et quelles furent mon admiration et
ma reconnaissance lorsque je lus sur la feuille imprimée à cet
effet que le souverain Pontife avait donné, en date du 8 août
1843, une bref par lequel il permettait d’instituer de pieuses
confréries! Oh! alors je ne doutai plus que l’œuvre dont j’étais
chargée ne fût l’œuvre de Dieu. Ce qui me touchait davantage, ce
que j’admirais dans cette divine Providence, était ce rapport
frappant: le 8 du mois d’août 1843, le souverain Pontife donnait
son bref à Rome, et le 26 du même mois et de la même année,
Notre-Seigneur, en France, le lendemain de la fête de saint
Louis, découvrait à une pauvre petite novice carmélite, bien
pauvre et bien misérable, cette grande œuvre de la réparation
des blasphèmes dont il voulait enrichir la France comme d’un
moyen de salut pour la dérober à sa justice irritée.
Plusieurs âmes
pieuses commencèrent alors à réciter les prières réparatrices;
on répandit des feuilles d’association et on tenta même de
l’établir en France. »
« J’avais ressenti
un redoublement de dévotion envers le saint Enfant-Jésus, et
m’étant unie avec une de mes sœurs qui avait aussi le même
attrait, nous avions, pour l’honorer, formé le dessein de nous
consacrer spécialement à ce divin Enfant en ce jour de son
Incarnation. Je fus chargée de composer l’acte projeté, et je le
fis aussi conforme que possible à l’acte de parfaite donation
que Notre-Seigneur semblait exiger. Je n’aurais pas voulu le
faire sans permission, mais, dans la crainte d’essuyer un refus,
je ne la demandai point moi-même; je priai cette sœur de
demander à notre Révérende Mère, pour nous deux, la permission
de faire à Jésus la consécration désirée; notre bonne Mère nous
le permit. Alors je fus enchantée, croyant être parvenue à ma
fin. Mais le saint Enfant-Jésus n’aime point la fraude, et il ne
reçut cet acte que selon l’intention de ma supérieure, comme
simple consécration. C’est pourquoi il me dit qu’il me fallait
de nouveau solliciter l’autorisation afin d’avoir un très
parfait consentement. J’allai donc faire la confession de ma
faute à notre Révérende Mère, et je lui dis ce que
Notre-Seigneur m’avait fait entendre; elle en parla à notre
digne supérieur, et j’eus la grâce d’avoir leur assentiment.
Il y a quelque
chose de remarquable dans cette volonté expresse de
Notre-Seigneur que je lui fisse un parfait abandon de moi-même
pour l’accomplissement de ses desseins; car n’est-il pas le
maître souverain de ses créatures ? N’est-il pas libre de faire
en elles et de leur personne tout ce qu’il veut ? Ensuite il a
exigé un parfait consentement de mes supérieurs avant de prendre
cette parfaite possession de mon âme. Ah! c’est qu’ils devaient
eux-mêmes avoir une grande part dans l’œuvre que ce divin
Sauveur voulait édifier sur un si pauvre terrain; je ne devais
leur servir que d’un chétif instrument pour travailler à l’œuvre
de Dieu ; et, comme ils devaient éprouver bien des
contradictions, Notre-Seigneur respectait en quelque façon leur
libre arbitre.
Je fis cet acte le
25 décembre 1843, jour de la naissance du saint Enfant; je le
remis entre les mains de la très sainte Vierge, avant de
commencer les matines de Noël, la priant de l’offrir à Jésus
naissant à minuit dans l’étable de Béthléem.
Acte d’une
parfaite donation au très Saint Enfant-Jésus, selon l’étendue de
sa volonté sur moi, pour l’accomplissement de ses desseins à la
gloire du Saint Nom de Dieu
« O très Saint
et très aimable Enfant-Jésus, le voilà donc arrivé ce jour que
j’ai tant désiré, où, sans crainte de manquer à l’obéissance, je
peux en toute liberté m’offrir toute à vous, selon l’étendue de
votre puissance et de votre volonté sur mon âme, pour
l’accomplissement de vos desseins. Je suis bien indigne, il est
vrai, de vous faire cette offrande; mais, ô divin Enfant,
puisqu’il me semble que vous le désirez, veuillez purifier votre
victime par les larmes de votre sainte enfance et par votre
précieux sang. Prosternée à vos pieds devant la chèche, en cette
nuit à jamais mémorable de votre auguste naissance, oui, mon
divin Époux, avec une pleine liberté je m’offre toute à vous,
par les mains bénies de Marie et de Joseph, sur l’autel enflammé
de votre Cœur plein d’amour, sous la protection des anges et des
saints. Là je vous fais l’entier abandon de moi-même pour
l’accomplissement de vos desseins à la gloire du Saint Nom de
Dieu.
O divin Enfant,
qui avez dit à votre sainte Mère, lorsqu’elle vous retrouva dans
le temple de Jérusalem: “Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne
savez-vous pas qu’il faut que je sois occupé à ce qui regarde le
service de mon Père ?” Ah ! veuillez en ce jour me recevoir pour
votre disciple; faites que désormais je sois occupée en union
avec vous aux choses qui regardent le service de votre divin
Père, pour la gloire de son Nom.
O très saint
Enfant-Jésus, Dieu et homme, je renonce à tout ce que je suis,
et je me donne à tout ce que vous êtes. Faites de moi et en moi
tout ce qu’il vous plaira, pour l’accomplissement de vos
desseins, possédez-moi souverainement. Oui, divin Enfant, de bon
cœur, pour l’amour de vous, je me dépouille de tout pour
toujours. Daignez donc, dans votre grande miséricorde, me
revêtir de la robe de vos sacrés mérites, qui est parfumée de la
bonne odeur des vos vertus, afin qu’au jour de mon jugement je
puisse recevoir la bénédiction de votre Père céleste. —
Amen.
Sœur Marie de
Saint-Pierre de la Sainte Famille,
Carmélite indigne. »
« Cet acte étant
passé avec Notre-Seigneur, malgré mon indignité, il me regarda
comme toute à lui et continua de construire dans mon âme son
édifice à la gloire du saint Nom de Dieu. En même temps il me
pressait de demander à mes supérieurs qu’ils fissent imprimer
les prières de la réparation, afin qu’elles fussent propagées.
Mais quand j’adressais cté supplique à notre très Révérende
Mère, elle me grondait fort de ma présomption, disant qu’il
valait bien mieux réciter les belles formules que les saints
Pères avaient écrites, et que j’étais une entêtée de penser
toujours à cette œuvre de réparation. J’eus alors l’idée
d’offrir à la sainte Vierge toutes mes déceptions comme un
argent spirituel, afin qu’elle payât l’impression des prières
que son divin Fils voulait répandre dans le monde. Cependant
Notre-Seigneur accordait de grandes grâces aux sœurs de notre
communauté qui faisaient ces prières pour elles ou pour leurs
parents. Comme elles ignoraient complètement qui en était
l’auteur, elles en parlaient librement devant moi et disaient :
— Vraiment, on
obtient tout ce qu’on veut de Notre-Seigneur quand on fait la
neuvaine de réparation.
Il y avait alors
une sœur qui était malade ; elle se sentit pressée de promettre
à Notre-Seigneur qu’elle ferait cette neuvaine. Le troisième
jour elle se trouva tout à coup guérie. Elle vint m’en faire la
confidence: ce qui me fit grand plaisir ; car, voyant que le
Sauveur accordait ainsi plusieurs faveurs très remarquables, je
me confirmai dans la pensée que je ne me trompais pas, et que,
par la grâce de Dieu, les lumières qui me venaient de sa
miséricorde, par rapport à cette œuvre, n’étaient pas
illusoires. Un jour, après la sainte Communion, le bon Maître
voulut lui-même, malgré mon indignité, me consoler par ces
paroles qui se sont vérifiées :
Ma fille, ces
prières de réparation seront imprimées, et elles seront
répandues.
Nos dignes et
charitables supérieurs, qui examinaient sérieusement la conduite
de Dieu en mon âme afin de se bien assurer si véritablement
c’était son esprit qui me conduisait, m’ordonnèrent de leur
rendre compte par écrit de mon intérieur. Voici ce que je leur
écrivis alors :
Ma Révérende et
très honorée Mère, avec le secours du saint Enfant-Jésus et de
mon bon ange, je vais tâcher d’accomplir l’ordre que vous m’avez
donné de vous écrire de quelle manière je fais mon oraison. Cela
m’est un peu difficile, mais l’obéissance me donnera grâce.
D’ailleurs, ma très Révérende Mère, vous êtes habituée à mon
pauvre langage ; vous verrez bien, par ce que je vais vous dire,
les dispositions de mon âme ; c’est là l’essentiel.
Premièrement, je
n’ai aucun mérite dans l’oraison, car elle m’est toute
naturelle: j’ai reçu ce don de Dieu dès mon enfance, malgré mon
indignité. D’abord je tâche, pour ma préparation éloignée, de ne
point perdre de vue Notre-Seigneur. Ainsi, le long du jour, je
lui tiens compagnie dans l’intérieur de mon âme. Ayant laissé à
ce divin Sauveur le soin de mes parents et de tout ce qui me
concerne, je ne suis appliquée qu’à lui, me regardant toujours
comme la petite servante de la sainte Famille. Par suite, tout
ce que je fais dans mon office de portière, je le regarde fait
en la maison de Nazareth. Je pense qu’une domestique a trois
devoirs à remplir: accompagner son maître, faire ses commissions
et garder ses brebis sur ses propriétés, et enfin accomplir
toutes les actions pour le service de son maître et selon sa
volonté. Eh bien ! voilà ce que je tâche d’exécuter avec la
grâce de Dieu. Mon exercice intérieur est d’accompagner
Notre-Seigneur en ses mystères pour m’unir à lui et lui rendre
mes hommages; ensuite je fais ses commissions en pensant à ces
paroles du saint Évangile : “Et il leur était soumis”. A
chaque fois que la cloche du tour m’appelle, je m’offre en
sacrifice au Père éternel sur l’autel du Sacré-Cœur de Jésus, le
priant de m’unir à son divin Fils, afin que ce soit Jésus qui
agisse en moi. Quand je n’ai pas d’occupations distrayantes, je
m’entretiens avec lui ; je fais paître ses brebis sur ses
propriétés, je veux dire dans ses mystères dont la considération
et les mérites servent d’aliment à nos âmes ; je prie pour les
pasteurs de l’Église et pour la conversion des pécheurs, et je
tâche de ne point laisser mon esprit se distraire; j’unis toutes
mes actions à celles du divin Sauveur. De cette manière, les
occupations extérieures dissipent rarement mon âme, et lui font
désirer avec plus d’ardeur le repos de l’oraison ; mais, quand
l’heure destinée à cet exercice est arrivée, alors
Notre-Seigneur me dédommage de tous mes petits sacrifices de la
journée.
Je commence mon
oraison par faire mon examen de conscience, après lequel,
m’humiliant aux pieds de Jésus de toutes mes infidélités, je le
prie de vouloir bien purifier mon âme par sa miséricorde.
Ensuite je m’entretiens tout simplement avec cet aimable
Sauveur, comme le ferait un enfant avec son père.
Voici une méthode
d’oraison que Notre-Seigneur me donna un jour; je ne sais si ce
fut par la parole intérieur ou par une lumière :
— Videz votre âme
par le recueillement;
Purifiez-la par un
acte de contrition;
Ensuite
remplissez-la de Dieu.
Mais comme il est
tout à fait inutile de continuer à verser dans un vase une fois
qu’il est plein, de même aussi il est inutile de vouloir charger
l’âme par de nouveaux actes et de nouvelles pensées, quand une
seule la remplit et l’occupe.
Quelquefois je me
sens intérieurement portée à faire l’oraison en union avec
Notre-Seigneur s’offrant à son Père pour sa gloire et le salut
des âmes; alors je me trouve recueillie dans le Sacré-Cœur de
Jésus; je trouve dans ce grand sacrifice ample matière
d’oraison, et, me trouvant alors revêtue de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, je m’approche plus facilement de son divin Père,
et, me voyant riche de ses mérites, je ne crains pas de demander
à Dieu de grandes grâces pour la sainte Église et le salut de
beaucoup d’âmes. Je suis souvent appliquée à ce genre d’oraison,
qui n’est pas tout à fait surnaturel; seulement je sens que les
puissances de mon âme sont recueillies dans le Cœur de Jésus:
alors le Sauveur agit en moi et moi en lui: les distractions
sont rares, parce que l’imagination est là, captive. Mais, quand
je suis ainsi près de Notre-Seigneur et qu’il veut me
communiquer quelque chose au sujet de son œuvre de la
Réparation, il se fait en mon âme une seconde opération: je sens
que je ne peux plus agir; il me semble que mon propre esprit
s’anéantit pour faire place à celui de Jésus. Alors mon âme
entend sa parole intérieure. Plus cet anéantissement est grand,
plus l’âme est heureuse: elle se trouve comme fondue en Dieu.
L’âme dans cet état se trouve en Lui sans savoir comment elle y
est entrée: un attrait dominant de grâce la saisit, l’élève
au-dessus d’elle-même et l’abîme toute en Dieu. Oh! quels
délicieux moments !
C’est là une faveur
toute gratuite; mais j’éprouve rarement cette parfaite
contemplation; je suis bien indigne d’une si grande grâce. Mon
oraison habituelle se fait dans le Sacré-Cœur de Jésus: là il
m’apprend sa volonté, me communique ses désirs de travailler à
la gloire de son Père et au salut des âmes: c’est mon occupation
la plus délicieuse. Il m’est impossible de méditer longtemps:
d’abord, parce que je n’en ai plus l’esprit, et qu’ensuite cet
attrait qui sort du Cœur de Jésus porte mon âme vers lui; et je
me trouve dans ce divin sanctuaire renfermée, comme un petit
enfant l’est dans le sein de sa mère: alors la volonté et les
affections de mon cœur font tout, et mon esprit se trouve
déchargé de son travail. C’est Notre-Seigneur qui m’a appelée à
ce genre d’oraison. Au commencement je n’osais suivre cet
attrait, dans la crainte de mal faire en ne suivant pas ma
méthode; mais lui, qui voulait que je suivisse la sienne, me mit
un jour dans l’esprit cette comparaison: que, si le roi
m’invitait à sa table, il serait bien ridicule que je voulusse
porter avec moi mon dîner, au lieu de me nourrir des mets de la
table du prince à laquelle je serais invitée. Ayant consulté sur
ce que j’éprouvais, on me dit de ne point craindre et de marcher
dans la voie que le Saint-Esprit m’ouvrait, que c’était la
meilleure méthode ; et j’en ai fait l’heureuse expérience: je
trouve les mets du Sacré-Cœur de Jésus bien meilleurs que ceux
que je pourrais apporter avec tout mon petit esprit, et la fin
de ce délicieux repas sonne quelquefois avant que j’aie eu le
temps de rendre grâces à mon bienfaiteur. Alors je le fais
brièvement, et je prends la résolution de ne point perdre de vue
celui qui a eu la charité de si bien me traiter malgré mon
indignité, et de le servir fidèlement.
Je ne suis pas sans
éprouver de temps en temps la disette; car les sécheresses et
les peines intérieures sont quelquefois très nécessaires à
l’âme; alors je prends ma nourriture comme Notre-Seigneur juge à
propos de ma la donner. »
« Notre-Seigneur me
donna une peine intérieure si grande, par le désir que j’avais
de voir son œuvre s’établir, que je n’étais pas en état de
prendre aucune nourriture; je ne pouvais plus porter un si
pesant fardeau sans succomber sous le poids; c’est pourquoi je
me sentis pressée fortement de le déposer aux pieds de
Monseigneur l’Archevêque. »
« Nous eûmes
l’honneur d’écrire à Monseigneur. Déjà nos dignes supérieurs
l’avaient instruit de tout ce que divin Maître m’avait fait
connaître sur l’œuvre de la réparation. Alors ce pieux prélat
fit imprimer des feuilles qui, précédemment, l’avaient été à
Nantes. Il y joignit son approbation personnelle, le 15 mars
1844, en recommandant l’association à Messieurs les curés et
autres ecclésiastiques de son diocèse, “dans l’espérance
qu’elle intéresserait vivement les fidèles, et qu’elle
contribuerait à mettre un terme aux outrages contre la
souveraine Majesté”. On répandit un grand nombre de ces
feuilles; mais on n’établit point d’association comme
Notre-Seigneur le demandait: il paraît que l’heure n’était pas
encore venue. Adorons en silence les desseins de Dieu. »
« Vers la fin de
l’année 1843, on conclut la vente de notre ancien monastère, les
acquéreurs ayant accepté des conditions raisonnables, avec la
clause expresse que pendant vingt ans l’église, dont nous ne
laissions que les murs, ne servirait à aucun usage contraire à
sa destination primitive.
Après toutes ces
négociations, le moment arriva de mettre la main à l’œuvre; dans
le nouvel emplacement, il fallait tout créer; le plan d’un
monastère fut tracé; on se conforma, autant que le permettaient
le terrain et les moyens, au cérémonial et aux usages de
l’ordre; on ménagea surtout la distribution des lieux réguliers,
et tout ce qui peut faciliter la pratique de nos saintes
observances. Notre Révérende Mère Marie de l’Incarnation, alors
en charge, déploya, ainsi que notre vénéré supérieur, Monsieur
Alleron, un zèle et un dévouement dignes de toute notre
reconnaissance, et Dieu fit bien voir qu’il les avait choisis
pour cette œuvre, en donnant d’abondantes bénédictions à leurs
travaux. »
« Le temps était
arrivé où Notre-Seigneur me ménageait une grande épreuve. Ayant
été obligée de quitter le cher couvent où il avait reçu mes
vœux, et où j’avais été comblée de grâces par sa divine et
miséricordieuse libéralité, je me trouvais dans une maison
séculière,
qui, par conséquent, n’avait point de grilles, et j’avais
toujours l’office de portière, qui me mettait en grand rapport
avec le dehors. Condamnée à demeurer près de deux ans dans ce
parloir, et voyant qu’il venait un grand nombre de personnes,
les unes pour recommander des malades, les autres afin de
solliciter des prières pour la conversion des pécheurs qui les
intéressaient, ceux-ci pour se consoler dans leurs peines,
d’autres enfin par pure curiosité, cette nouvelle position me
jeta dans une affliction extrême. Craignant de perdre l’esprit
de retraite et de recueillement pour lequel j’avais beaucoup
d’attrait, je disais: Hélas! pourrai-je entendre ici la voix de
mon Sauveur ? J’allai trouver notre Révérende Mère et lui
découvris les répugnances que j’éprouvais dans mon emploi.
J’aurais été bien aise qu’elle m’en déchargeât, ou au moins
qu’elle eût la bonté de me donner une compagne pour en partager
avec moi les occupations; mais, malgré sa très grande charité,
elle jugea à propos de me laisser toute seule.
Pour éviter ces
fréquentes visites, j’avais beau dire à ceux qui se présentaient
qu’une carmélite a pour mission de parler à Dieu dans le silence
et peu aux hommes; qu’ils devaient aller exposer leurs peines et
se consoler chez d’autres religieuses non obligées comme nous à
la retraite, et que nous prierions pour leurs intentions: toutes
mes raisons étaient inutiles. Je ne peux pas m’empêcher de rire
encore, quand je me rappelle une bonne femme qui voulait
absolument m’amener sa fille, afin, disait-elle, que je lui
donnasse des conseils pour se marier; sur ma réponse négative,
elle fut obligée sans doute d’aller consulter quelqu’un de plus
instruit que moi pour cette affaire.
Notre bon Sauveur
me laissa quelque temps sentir ma faiblesse et les extrêmes
répugnances que j’éprouvais pour ma nouvelle position, mais un
jour il eut la bonté de venir me consoler dans l’intime de mon
âme. Il me fit entendre qu’il ne fallait point me faire de la
peine d’avoir un office qui me mettait en rapport avec mon
prochain, et que je devais recevoir ces personnes dans le même
esprit de charité avec lequel il recevais ceux qui
s’approchaient de lui lorsqu’il parcourait les villes de la
Judée, me promettant que cet office et ces occupations ne
nuiraient point à mon âme, et qu’il en tirait gloire. »
|