« Un
ecclésiastique, qui avait quelque connaissance de l’œuvre, vint
un jour me demander des prières dans le but d’obtenir deux
grâces, l’une pour un de ses confrères et l’autre pour lui-même:
il s’agissait pour tous deux de sauver l’âme et la réputation de
deux personnes auxquelles ils s’intéressaient.
— Je crois
déjà à l’œuvre dont Notre-Seigneur vous a chargée; mais, afin
d’être plus sûr, demandez-lui ces deux grâces comme signe de sa
volonté. S’il vous les accorde, je vous promets que mon confrère
et moi nous nous consacrerons à la propager — promit
l’ecclésiastique.
Pensant que Jésus
en tirerait sa gloire, j’acceptai la proposition, disant à ce
prêtre que j’allais m’occuper, en esprit d’obéissance, de la
mission dont il me chargeait, parce que, quand je demandais
quelque grâce à Notre-Seigneur par cet esprit, je l’obtenais
plus facilement; il approuva cela et il me quitta. J’allai bien
vite devant le Saint-Sacrement prier le bon Sauveur de défendre
sa cause pour la gloire de son Nom et de vouloir bien, en sa
miséricorde, accorder à ces deux ecclésiastiques les grâces
qu’ils désiraient, lui promettant qu’ils seraient ensuite deux
défenseurs de son Nom blasphémé par les pécheurs, ainsi qu’ils
s’y étaient engagés; enfin je dis tout ce que ma petite
éloquence pouvait me fournir pour toucher le divin Cœur, et je
commençai une neuvaine à cette intention. Notre-Seigneur donna
la preuve qu’on voulait avoir afin de connaître la vérité de son
œuvre; le soir même de ce jour, l’ecclésiastique qui m’avait
parlé reçut la grâce qu’il souhaitait, et son confrère reçut la
sienne un peu plus tard; il nous dit même que le Seigneur avait
exaucé ses vœux au delà de toute espérance, et que la désolante
affaire en question avait tourné à la gloire de Dieu et au
bonheur de ceux qui avaient été d’abord si affligés. »
« Un dimanche
matin, je faisais mon oraison ordinaire; je n’avais aucune
pensée au sujet du duc d’Orléans, dont j’avais vaguement appris
l’accident; je n’avais pas même songé à prier pour ce pauvre
prince depuis son décès; son souvenir s’est présenté à moi.
Pendant l’office des heures, j’ai senti tout à coup, par une
vive impression, que son âme souffrait en purgatoire et qu’il
fallait la secourir. Il me semblait que plus je m’approchais du
divin Cœur de Jésus, plus aussi mon émotion augmentait, les
larmes me gagnaient, et j’avais peine à psalmodier; alors je me
sentis toute portée vers cette âme souffrante que le Seigneur
désirait sauver de ces flammes. Ayant fait pour elle la sainte
communion, Jésus m’inspira d’offrir aussi pour elle, à son divin
Père, tous ses mérites infinis; et, pendant mon action de
grâces, il me sembla que mon âme se rencontrait avec elle en
Notre-Seigneur. Je lui dis alors :
— Pauvre prince,
que vous reste-t-il des grandeurs et des richesses de ce monde?
Vous voilà bien aise, aujourd’hui, d’avoir la communion d’une
pauvre carmélite; souvenez-vous de moi lorsque vous serez dans
le ciel.
Notre-Seigneur me
portait à prier pour lui avec une charité extraordinaire,
beaucoup plus vive que celle que j’ai jamais éprouvée pour mes
parents, même les plus proches. Il me suggéra d’offrir, à cette
intention, tout ce qu’il a souffert lorsqu’on l’a couronné
d’épines et travesti en roi de théâtre en sa divine Passion, et
j’ai passé le reste de la matinée à prier pour le prince devant
le tableau qui représente Jésus en cet état.
J’ai dit trois fois
dans la journée, aux pieds du Saint-Sacrement, les six Pater,
Ave et Gloria Patri, afin de gagner les nombreuses
indulgences attachées à ces prières, et qui sont applicables aux
morts. Le lendemain, lundi, j’ai encore été pressée de recevoir
la sainte communion à la même intention. Cette âme souffrante
est comme liée à mon âme; je la porte partout, et toutes les
mortifications que je fais sont pour elle. »
« Voilà que je
touche à la fin de la quinzaine de jours que vous m’avez permis
d’offrir à Dieu en faveur de l’âme qui m’occupe, m’abandonnant
au bon plaisir divin pour souffrir tout ce qu’il jugerait à
propos afin d’obtenir cette délivrance. Permettez-moi de vous
rendre compte de tout ce qui s’est passé en moi à ce sujet,
depuis le 26 février jusqu’au 19 mars.
Je vous dirai tout
simplement que mon âme était, envers celle du pauvre prince,
comme une mère qui a un enfant malade, dont la tendresse
l’excite incessamment à chercher quelque bon remède pour le
guérir; la nuit comme le jour je pensais à la soulager; enfin
j’ai prié mon saint ange gardien de ne point me laisser de repos
qu’elle ne soit au ciel. Je crois qu’il m’a exaucé
charitablement, car je me sentais sans cesse engagée par un
sentiment surnaturel à offrir pour cette fin tout ce que je
faisais. Toutes mes communions, hors une seule que mon devoir me
prescrivait d’offrir pour une de nos sœurs défuntes, toutes,
dis-je, je les ai faites en faveur de cette âme. Le saint
sacrifice de la Messe, beaucoup de chemins de Croix et les
mortifications que vous m’aviez permises, voilà ce que j’ai eu
la consolation de présenter à Dieu pour elle. J’ai peu souffert
corporellement; vous m’avez vu le visage enflé, mais ma plus
grande peine était de n’en pas avoir davantage; c’est mon âme
que Notre-Seigneur a fait souffrir. A cette douce union et à
cette paix intérieure dont il m’avait gratifiée a succédé
l’orage: il s’est caché; il m’a fait vivement sentir ma misère
et ma grande indignité; la nuit a succédé à la lumière. Si le
divin Maître me frappait d’une main, il me soutenait de l’autre
et me donnait le courage de lui dire :
— Mon Dieu, afin
que cette pauvre âme vous possède plus vite et vous glorifie
pour moi, j’accepte ces peines; pourvu que je ne vous offense
point, Seigneur, voilà tout ce que je désire.
La fête de notre
père saint Joseph approchait; je m’y suis disposée par une
neuvaine, suppliant ce grand saint, à cette occasion, d’obtenir
de Dieu la délivrance désirée, et promettant de continuer les
pénitences qui m’étaient permises. La veille de la solennité,
mon émotion a redoublé; j’étais dans un tourment inexprimable
par la vivacité de mon désir. Au réfectoire j’avais plutôt envie
de pleurer que de manger; mon âme était blessée, mais c’était
vraiment d’un sentiment tout à fait surnaturelle, car je n’ai
jamais connu ce prince. Si j’ai senti la privation que peut
m’imposer mon vœu de pauvreté, ah! c’est bien en ce jour! Si
j’avais encore possédé quelques fonds, assurément je m’en serais
servie pour faire acquitter des messes; mais une pensée est
venue me consoler; je me suis dit :
— J’ai tout
donné à mon céleste Époux ; par conséquent, il s’est donné
réciproquement à moi ; ainsi ses biens m’appartiennent.
Alors, pleine de
confiance, j’ai offert au Père éternel tous les trésors de son
divin Fils pour suppléer à ma pauvreté, et je me suis unie aux
prêtres qui célébraient le saint sacrifice.
Ensuite
Notre-Seigneur me fit sentir que je devais encore pratiquer un
acte de charité pour cette âme souffrante, lui offrir, à son
intention, la sainte communion que j’allais faire, et gagner
ainsi pour elle une indulgence applicable aux morts. J’y
accédai, non sans un peu de peine, car en cette grande fête de
notre saint Ordre, je comptais bien penser un peu à notre
intérêt particulier et m’appliquer à moi-même le fruit ce cette
indulgence; mais puisque Notre-Seigneur en disposait autrement,
je me suis soumise à sa sainte volonté, me conformant à ce qu’il
m’avait inspiré, et j’ai encore intercédé pour le prince de
toutes les forces de mon âme et de toute l’affection de mon
cœur.
Depuis ce jour, ma
Révérende Mère, je ne suis plus inquiétée; je me sens tout à
fait déchargée; je ne puis plus dire pour lui que le Laudate.
Je crois que mes petits services, unis aux ferventes prières de
nos sœurs, ont pu le soulager. La très sainte Vierge aura sans
doute obtenu son salut, et notre père saint Joseph son entrée
dans le ciel; car j’espère, et j’ai l’intime confiance, qu’à la
fête de ce grand saint il aura été délivré du purgatoire. Dieu,
toutefois, ne m’en a pas donné une certitude surnaturelle,
j’adore ses desseins, sans désirer les pénétrer, car j’en suis
indigne. Ce prince, comme on le sait, est mort d’un accident
bien terrible et sans le secours de notre sainte religion; mais
un acte d’une sincère contrition a pu obtenir son salut: la
miséricorde de Dieu surpasse toutes ses œuvres. »
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