A Monsieur DUPONT
(pour lui
demander un livre)
« Notre Révérende
Mère vous prie de vouloir bien me procurer un livre dont elle
croit que l’intitulé est: “Triomphe de Jésus au très
Saint-Sacrement”. Elle ne sait en quel endroit, durant notre
délogement, a été mis celui qu’elle avait.
Comme je n’ai pas
assez de ferveur, je désire en obtenir à quelque prix que ce
soit; j’espère trouver, dans la lecture de ce livre, de quoi
m’enflammer d’amour pour Jésus au très Saint-Sacrement ».
« Depuis la
dernière lettre de la première relation, datée du 19 novembre
1844, jusqu’au 17 juin 1845, époque où j’eus l’honneur et la
grâce de parler à notre prélat, je reçus peu de communications
par rapport à l’Œuvre de la Réparation...
Oh ! que mon âme
était souffrante à cette époque (de l’entrevue avec Mgr
Morlot). Alors je souffris un martyre intérieur que Dieu
seul connaît; je ne pouvais plus manger, je ne pouvais plus
vivre. Le céleste Époux me dit de ne point craindre de parler à
Monseigneur, qu’il m’accompagnerait et me suggérerait ce que
j’aurais à lui dire. Ce divin Sauveur tint sa promesse, car je
parlai à ce digne prélat avec le respect dû à Sa Grandeur et
avec la simplicité d’un enfant envers son père, sans être trop
intimidée.
Ces paroles furent
comme un baume répandu sur mon âme; elles me donnèrent une
grande consolation, car jusqu’alors mon confesseur n’avait pas
voulu se prononcer sur ce qui se passait en moi au sujet de la
réparation, me disant que mon premier supérieur avait reçu de
l’Esprit-Saint le pouvoir d’exercer un jugement équitable, et
qu’il fallait se soumettre à sa décision; alors je fus plus
convaincue que jamais de la volonté divine, et quoique
Monseigneur ne m’ait pas donné grand espoir qu’il puisse
procéder à l’établissement de l’œuvre à cause des graves
difficultés qu’il prévoit, cela ne m’empêche pas d’espérer que
Dieu lèvera les obstacles quand le temps marqué dans ses décrets
sera arrivé. Voici le raisonnement que je fais et la conclusion
que j’en tire: si les communications que, malgré mon indignité,
je reçois de Dieu par rapport à la réparation, ne sont pas
illusoires, ainsi que me le dit celui qui a reçu d’en haut grâce
pour en juger, cette œuvre assurément s’établira, car la parole
de Dieu est créatrice et efficace; si, au contraire, Monseigneur
m’eût dit que c’étaient des illusions, j’aurais abandonné tout
cela, car, par la grâce de Dieu, j’ai toujours eu plus de
confiance en la parole de mes supérieurs, qu’aux paroles
intérieures que j’ai cru entendre de Notre-Seigneur: dans
celles-ci on peut se tromper, mais la foi ne trompera jamais; le
divin Maître a dit des supérieurs : Qui vous écoute,
m’écoute; on ne peut donc se tromper en les écoutant. Ce
mot du saint Évangile m’a toujours frappée; je l’ai gravé dans
mon cœur, et en le mettant en pratique j’ai reçu de grandes
grâces par le moyen de ceux qui ont eu la direction de mon
âme ».
« Mais l’impression
n’en fut pas exécutée tout de suite; alors Notre-Seigneur me fit
entendre que si l’on se contentait d’imprimer ces prières sans y
joindre une instruction sur le but de l’Œuvre à établir, cela ne
suffirait pas, et que, pour intéresser les fidèles à réciter ces
prières, il fallait leur apprendre le dessein de sa volonté, et
qu’alors on verrait les âmes pieuses se jeter sur les prières de
la réparation avec le même empressement que les abeilles se
jettent sur les fleurs; et il me fit connaître que ces prières
obtiendraient de grandes grâces pour la conversion des pécheurs.
Monseigneur
approuva ce petit ouvrage, qui eut aussitôt un grand succès; en
peu de temps il se répandit, ainsi que plus de vingt-cinq mille
prières de la réparation. De différentes villes de France on
adressait à Tours des demandes, afin de propager cette dévotion
à la gloire du saint Nom de Dieu, et ces prières se récitaient
partout avec une grande ferveur. Notre-Seigneur me dit à ce
sujet que cette nouvelle harmonie apaisait sa colère, mais qu’il
voulait l’association comme il l’avait demandée ».
« Ce divin Époux
s’est caché à mon âme et Il m’a remise dans l’oraison de
considération ou très simple méditation sur mes fins dernières.
Je suis rentrée dans le fond de mon âme pécheresse et
criminelle, et là, Notre-Seigneur m’a fait connaître par de
vives lumières l’abîme de mon néant. J’ai vu aussi mes nombreux
péchés, tant d’infidélité à ses grâces et toutes mes
ingratitudes. J’ai vu avec une grande certitude que je n’étais
qu’un fantôme de carmélite et que j’étais bien éloignée de
l’être en réalité. D’après ces vives lumières, je me suis jetée
aux pieds de notre bon Sauveur, me reconnaissant coupable et le
Lui ai confessé mes péchés. J’ai fait aussi une petite revue de
conscience à mon confesseur, et j’ai pris la ferme résolution de
commencer une vie toute nouvelle, à la faveur des lumières que
Notre-Seigneur me donnait sur mes misères et sur mon néant. Il
me semblait que c’étaient mes péchés qui étaient la cause que
l’œuvre de la réparation restait inachevée. C’est pourquoi, le
cœur pressé de douleur, j’ai prié Notre-Seigneur de vouloir bien
se choisir un autre instrument pour l’accomplissement de ses
desseins, qui fût digne de Lui.
Après ces lumières,
Notre-Seigneur a permis que je sois éprouvée par des tentations.
Je ne sentais plus en moi que des dispositions au mal. Si
Notre-Seigneur ne m’avait pas retenue par sa sainte grâce,
j’aurais fait bien des fautes. Ensuite, mes peines intérieures
se sont augmentées par la privation de la grâce sensible. Oh!
que cet état est pénible. Je ne parle pas ici de la soustraction
des consolations intérieures, mais d’une grâce ou d’un mouvement
intérieur qui porte l’âme au bien et à Dieu. Il semble qu’en cet
état, l’âme a perdu la grâce; elle est comme agonisante.
— Seigneur —
m’écriai-je — soutenez-moi, car je tombe en défaillance, je
meurs.
Je n’osais presque
plus faire la sainte communion, n’ayant à offrir à mon divin
Époux qu’un cœur glacé. Je ne pouvais plus aussi glorifier le
saint Nom de Dieu; cet exercice de réparation n’excitait plus en
moi que dégoût et amertume. Et cependant dans le fond de mon
âme, il me semblait que le bon Dieu voulait que je sois fidèle à
cet exercice. Enfin, aujourd’hui, ma Révérende Mère, j’avais
pris la résolution d’aller vous ouvrir mon âme avant de faire la
sainte communion, car je ne pouvais me décider à la faire en cet
état. Cependant, j’ai remis cette démarche et pensant à la
sainte communion, j’ai dit: “Ce pain des forts soutiendra mon
courage”, et en attendant la sainte Messe, j’ai pris avec
foi le crucifix, pensant que Lui seul pouvait me guérir; m’étant
souvenue que ce divin Sauveur m’avait dit que la louange qu’il
m’avait donnée sous le titre de la “Flèche d’Or” blessait
délicieusement son divin Cœur, j’ai fait dix fois cet acte de
louange au saint Nom de Dieu et j’ai pris la résolution faire la
communion, en réparation pour tous les blasphèmes proférés
contre la divine Majesté.
— Oh ! que Dieu
est bon ! Oh ! que sa miséricorde est grande !
Après avoir reçu
par la sainte Communion ce Dieu d’amour, je Lui ai dit avec
foi :
— Oh ! céleste
et divin Médecin, je remets mon âme entre vos mains.
Ce divin Sauveur a
de suite fait sentir à mon âme l’effet de sa prière en la
recueillant en Lui pour Lui faire oublier ses douleurs, et ce
bon Maître m’a fait entendre que sa divine volonté était
toujours que je m’employasse à l’exercice de la réparation des
blasphèmes, malgré les efforts du démon, qui voulait m’en
empêcher en remplissant mon âme de peines et de répugnances
lorsque je voulais m’y appliquer, parce qu’il voudrait anéantir
cette œuvre si c’était en son pouvoir. Alors Notre-Seigneur a
transporté mon esprit sur la route du Calvaire, et m’a vivement
représenté le pieux office que Lui rendit Véronique qui, de son
voile, essuya la très Sainte-Face qui était alors couverte de
crachats, de poussière, de sueur et de sang. Ensuite, ce divin
Sauveur m’a fait entendre que les impies renouvelaient
actuellement, par leurs blasphèmes, les outrages faits à sa
Sainte-Face; j’ai compris que tous ces blasphèmes que ces impies
lançaient contre la Divinité, contre Dieu qu’ils ne peuvent
atteindre, retombent comme les crachats des Juifs sur la
Sainte-Face de Notre-Seigneur qui s’est fait la victime des
pécheurs. Alors, notre divin Sauveur m’a fait entendre qu’il
fallait que j’imite le courage de sainte Véronique qu’Il me
donnait comme protectrice et pour modèle: elle qui traversa
courageusement la foule de ses ennemis. Ensuite, j’ai compris
que Notre-Seigneur me disait qu’en s’appliquant à l’exercice de
la réparation des blasphèmes, on Lui rendait le même service que
Lui rendit la pieuse Véronique, et qu’Il regardait celles qui le
Lui rendaient, avec les yeux d’une même complaisance dont Il
regarda cette sainte femme lors de sa Passion: et je voyais que
Notre-Seigneur avait beaucoup d’amour pour elle. C’est pourquoi
Il me dit qu’Il désirait qu’elle soit honorée particulièrement
dans la Communauté, me disant de Lui demander telle grâce que
nous voudrions, par le service que Lui rendit la pieuse
Véronique, et qu’Il promettait de l’accorder. Il me semblait
aussi que Notre-Seigneur me disait de prier notre Révérende Mère
de faire part de cela aux Sœurs qui, dans ces jours, faisaient
une dévotion de réparation en disant en l’honneur de la vie de
Notre-Seigneur un certain nombre de fois la louange au saint Nom
de Dieu dite “Flèche d’Or”. Notre-Seigneur me fit
comprendre qu’Il avait pour agréable cette dévotion, faisant
voir qu’Il s’était servi de moi comme d’un vil instrument pour
introduire cette dévotion dans la Communauté, qui étant
pratiquée par de bonnes âmes, Lui rendait service... »
« Les effets de
cette communication furent si grands dans mon âme, que je ne
pouvais me lasser d’admirer la puissance et la bonté de
Notre-Seigneur. Avant la communion j’étais plongée dans un abîme
de douleur, et, après avoir reçu le pain de vie, j’étais comme
ressuscitée de la mort, et la joie dilatait mon âme. J’allai
trouver notre Révérende Mère, et je lui appris ce que le divin
Maître venait de me faire connaître sur sa Sainte-Face par
rapport à l’œuvre de la réparation, en lui disant :
— Ma Mère,,
Notre-Seigneur m’a promis de m’accorder une grâce par
l’intercession de la pieuse Véronique; que voulez-vous que je
demande de votre part ?
Je me sentais
pressée intérieurement de faire cette demande à notre Révérende
Mère; Notre-Seigneur me donnait la conviction que j’allais être
exaucée, et je pensais que, s’il m’accordait cette grâce, elle
serait une preuve de vérité pour la nouvelle lumière que je
croyais avoir reçue. Notre Mère me dit alors:
— Si
Notre-Seigneur désire que nous essuyons sa Face, et s’il est
disposé à nous accorder une grâce par le service que lui a rendu
la pieuse Véronique, la grâce que je vous ordonne de lui
demander, c’est qu’il ait la bonté de vouloir bien voiler notre
face, à nous qui serons exposés aux yeux des séculiers, si la
portion de terre qui avoisine notre jardin est vendue à des
étrangers; ainsi priez-le de vouloir bien la donner à ses
épouses; s’il vous accorde cette grâce, vos supérieurs auront
une preuve sensible de l’esprit qui vous conduit ».
« Vous savez
bien, mon Dieu, que je ne désire ce terrain qu’à cause de vous,
et pour la gloire de votre saint Nom !
Je crois éprouver
une protection spéciale de la pieuse Véronique, et je suis
continuellement occupée à l’adoration de la Face auguste et très
sainte de notre divin Sauveur. Je sens que mon âme est entre les
mains de Dieu comme un instrument qu’il manie à son gré. J’ai
été pressée, ces jours-ci, d’exposer à Jésus ce que notre digne
prélat m’avait dit touchant l’œuvre de la réparation des
blasphèmes, lorsque j’eus la grâce de lui parler. Hier surtout,
après la communion, j’ai conjuré Notre-Seigneur de vouloir bien
me donner de nouvelles lumières, en lui disant:
— Vous savez
bien, mon Dieu, que c’est de la part de Monseigneur que je vous
fait cette demande ; c’est en vertu de la sainte obéissance.
Ce divin
Sauveur n’a pas jugé à propos de me répondre; il m’a seulement
recueillie en lui très profondément dans la contemplation de sa
Face adorable. ».
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