Troisième partie
LES Œuvres
DE Marie Lataste
(1822-1847)

 

Chapitre VI
 

Spécificités de la morale chrétienne

 

5
Les dons du Saint-Esprit
(Livre 9, chapitre 6) 

    

 5-1-Que sont les dons du Saint-Esprit?

Comme cela lui arrive souvent Marie Lataste craint de ne pas rapporter parfaitement les paroles de Jésus, et elle s'en excuse... Pourtant elle exprime bien que la grâce sanctifiante communique à l'âme les sept dons du Saint-Esprit: les dons de sagesse, d’intelligence, de conseil et de force, le don de science et de piété, et le don de la crainte du Seigneur. Elle dira parfaitement que les dons du Saint-Esprit sont des inclinations inhérentes à l'âme, nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut. Les dons du Saint-Esprit sont inférieurs en dignité aux vertus théologales, mais ils sont supérieurs aux vertus morales. Jésus développe toutes ces notions:

"Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes infuses... car, par la grâce, l'Esprit-Saint habite dans l'âme et y demeure avec ses dons. Cette permanence du don est une réalité fixe qui demeure dans l'âme, une inclination, qui la porte à agir selon la tendance du don du Saint-Esprit."

Jésus estime que les dons du Saint-Esprit devraient être appelés des inspirations du Saint-Esprit, parce que ce mot indiquerait la nature même de ces dons, une inspiration venue de l’extérieur. "Dans l'homme il y a deux principes de mouvement: un principe intérieur, qui est la raison; un principe extérieur, qui est Dieu... Plus le principe du mouvement est considérable, et plus aussi l’objet doit avoir une disposition mobile plus considérable. Ainsi, un maître distingué, savant, érudit, élevé dans la doctrine, demande nécessairement à son élève une intelligence qui soit à la hauteur de son enseignement... Il faut donc qu'il y ait en l'homme des perfections ou des vertus plus élevées par lesquelles il soit disposé à recevoir en lui l’action de Dieu.

5-2-Les vertus et les dons du Saint-Esprit

Les dons du Saint-Esprit sont ces perfections et ces vertus qui soufflent sur l'âme, afin qu'elle reçoive le mouvement que Dieu veut lui donner. Les dons du Saint-Esprit élèvent l'homme à Dieu et le disposent à recevoir le mouvement qu’il veut lui donner. Voilà pourquoi les dons du Saint-Esprit sont inférieurs aux vertus théologales. Les vertus théologales, en effet, attachent l'âme à Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit ne font que la diriger et la mouvoir vers lui. Voilà pourquoi aussi ils sont supérieurs aux vertus morales, parce que les vertus morales ne font qu’enlever les obstacles qui éloignent de Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit dirigent véritablement et meuvent vers Dieu."

Ces notions sont difficiles; aussi Jésus, connaissant l'ignorance de Marie Lataste dans ces domaines théologiques, prolonge-t-il ses explications: "Les dons du Saint-Esprit sont nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut. Les œuvres de l'homme sont perfectionnées par la lumière naturelle qui est la raison, et par la lumière surnaturelle donnée par les vertus théologales. Mais cette perfection est encore imparfaite, puisque même avec ces vertus vous ne connaissez et n’aimez Dieu qu’imparfaitement. Par conséquent il faut à ces vertus une force différente d’elles-mêmes pour les pousser à agir.

La raison, insuffisamment éclairée par les vertus théologales, a besoin de l’inspiration et du mouvement qui lui sont données par l'Esprit-Saint... De même, l’éloignement des obstacles qui l’empêchent d’aller à Dieu ne suffit pas à la volonté de l'homme, il faut encore que cette volonté soit poussée vers Dieu, c'est là l’œuvre des dons du Saint-Esprit... Il faut à l'homme les dons du Saint-Esprit pour lui faire atteindre sa fin dernière...

Les vertus théologales et morales donnent à l'homme de nombreuses connaissances... mais elles ne lui font point tout connaître... Alors Dieu, qui est tout-puissant et qui connaît tout, perfectionne en l'homme l'œuvre de sa grâce par les dons du Saint-Esprit. Les vertus morales (théologales et cardinales) sont au nombre de sept, de même on compte sept dons du Saint-Esprit qui perfectionnent les œuvres de ces vertus.

Les vertus théologales et morales reposent toutes dans la raison ou dans la volonté, parce que la raison et la volonté sont, dans l'homme, les seuls principes d’action." En résumé:

– La raison est spéculative ou pratique, c'est-à-dire agissante. Dans la vue de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don d’intelligence, et la raison pratique par le don de conseil.

– Dans le jugement de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don de sagesse, et la raison pratique par le don de science.

– Les vertus exercent la puissance de la volonté par rapport à Dieu, à soi et aux passions. Cette puissance que développent les vertus est perfectionnée par rapport à Dieu par le don de piété, par rapport à soi par le don de force, et contre les passions par le don de la crainte du Seigneur.

"Les dons du Saint-Esprit sont tous donnés par la grâce sanctifiante, et ils reposent sur la charité qui unit l'âme à Dieu. Celui qui a la charité a en lui tous les dons du Saint-Esprit; mais celui qui perd la charité, perd aussi les dons du Saint-Esprit, c'est-à-dire qu'il n’éprouve point l’effet du souffle de l'Esprit-Saint qui le pousse vers Dieu." (Livre 9, chapitre 6)

5-3-Mieux connaître les dons du Saint-Esprit (Livre 9, chapitre 7)

          5-3-1-Le don de sagesse

Le Sauveur Jésus voulut faire connaître chacun de ces dons à Marie Lataste. Au sujet de la sagesse, il dit: "Il y a trois sortes de sagesse: la sagesse incréée qui est Dieu, la sagesse incarnée qui est le Fils de Dieu fait homme, et la sagesse humaine ou la sagesse de l'homme.

– La sagesse incréée, Dieu, ce sont les trois personnes divines, inséparables les unes des autres, et qui par leur sagesse ont tout créé, gouvernent et dirigent tout. L’esprit de l'homme ne peut comprendre cette sagesse infinie, et l’apôtre[1], ravi jusqu’au troisième ciel, en ayant aperçu l’éclat quelques instants, n’en put presque rien dire...

– La sagesse incarnée, seconde personne de la sainte Trinité, est le Fils de Dieu fait homme, venu manifester la sagesse incréée par la réparation du désordre causé par le péché.

– La sagesse humaine, habitude de l'âme qui lui permet de goûter les choses et de les juger se divise en deux: la sagesse selon le monde, la chair et le péché, et la sagesse selon Dieu et venue de Dieu. La première est la sagesse des méchants qui produit un goût et un jugement dépravés; la seconde, celle des bons, est une habitude qui produit un goût et un jugement parfaits de toutes choses.

C'est cette sagesse des bons qui est le premier don du Saint-Esprit. Elle se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante... La sagesse, don du Saint-Esprit, consiste à goûter et à juger sainement ce qui est à Dieu et en Dieu, comme ce qui est à la vie, de la vie et dans la vie, pour opérer le salut en faisant tout ce que Dieu a prescrit pour cela..."

Jésus va aller encore plus loin dans ses explications. Il indique d'abord qu'il y a une sagesse plus élevée, que certaines âmes reçoivent pour monter plus haut dans la contemplation des mystères divins... Mais cette sagesse est une grâce purement gratuite... Puis Il décrit "les immenses avantages du don de sagesse. Celui qui a le don de sagesse est chaste, pacifique, modeste, confiant à la parole d’autrui, favorise le bien, pratique la miséricorde et juge sans dissimulation. Car la sagesse ne fait pas seulement contempler Dieu, elle éloigne du péché: par conséquent l'homme sage est aussi un homme chaste. C'est aussi un pacifique, car... tout en lui obéit à Dieu et à la raison... Il est modeste... il est confiant, il aime à recevoir des conseils... Il favorise le bien... et le fait lui-même avec empressement. Il est miséricordieux, il a pitié de la faiblesse de son prochain et lui porte secours selon ses facultés. Il juge sans dissimulation... et donne des avertissements en termes convenables et en circonstances opportunes pour ne point augmenter le mal, mais le guérir complètement."

Jésus approfondit les liens entre le don de Sagesse et d'autres dons. Marie Lataste rapporte les paroles de Jésus: "La sagesse, premier don du Saint-Esprit, affecte directement la puissance intelligente de l'homme ainsi que les trois dons suivants: les dons d’intelligence, de science et de conseil. Ces quatre dons appartiennent à la connaissance surnaturelle de l'homme qui est fondée sur la foi. Or, la foi se porte immédiatement sur la vérité première qui est Dieu, puis sur... l’incarnation et l’humanité du Sauveur, la rédemption de l'homme, sa justification par la grâce, la création et le gouvernement du monde, ainsi que sur la direction, fondée sur les règles données par Dieu, des actes de l'homme... "

          5-3-2-Le don d'intelligence

L'homme découvre d’abord l'objet de sa croyance pour avoir la foi, par le don d’intelligence. Il doit ensuite porter sur l’objet de sa foi un jugement droit, pour en comprendre la nécessité. Ce jugement droit est formé, pour ce qui concerne Dieu, par le don de sagesse, et pour ce qui concerne la créature, par le don de science. Il faut encore que le don de conseil dirige l’application particulière de chacun de ses actes.

Marie Lataste a du mal à comprendre, mais Jésus s'explique davantage: "La lumière naturelle qui permet à l'homme de diriger ses actes et de les régler ne lui suffit point, parce qu'il est destiné à une fin surnaturelle... Il lui faut une lumière surnaturelle... communiquée par le don d’intelligence. Le mot intelligence signifie la nature de l'âme; il indique aussi la faculté de l'âme qui peut s'opposer à la volonté; enfin, c'est une disposition à percevoir les principes premiers en tant qu'il faut les affirmer ou les nier; par exemple: il faut aimer Dieu et ne pas aimer le mal...  C'est aussi le nom d'un don du Saint-Esprit: l'intelligence.

Le don d’intelligence surnaturelle est le don de la connaissance intime de ce qui est en Dieu, et des actions à accomplir en vue de Dieu et pour Dieu. Le don d’intelligence n'est pas un don d’intelligence purement spéculative, il est aussi un don d’intelligence pratique, car ce don ayant un  rapport à la foi, doit être comme la foi, spéculatif et pratique... Le don d’intelligence... concerne aussi tout ce qui est lié à la foi, comme, par exemple les bonnes œuvres, nécessairement réglées et ordonnées par le don d’intelligence. Le don d’intelligence se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, car la grâce sanctifiante dirige la volonté vers le bien... Quelquefois pourtant il est enlevé en partie à ceux qui se trouvent en état de grâce: ils peuvent opérer le bien, mais ils ne peuvent pas pénétrer trop avant dans les secrets de Dieu et les vérités sublimes de la foi. Cette élévation de leur esprit pourrait les enorgueillir et causer leur ruine et leur perte. C'est ainsi, ma fille, que tout est disposé pour le bien de vos âmes dans la grâce de Dieu et les dons de son Esprit."

          5-3-3-Les dons de science et de conseil

Le don de science fait connaître tout ce qui est de l’ordre de la création et des devoirs que nous avons à remplir pour obtenir notre fin surnaturelle. Ce don montre le chemin à suivre, les dangers à éviter et l’usage que l'on doit faire des créatures. Le don de science tend nécessairement à l’action.

Le don de conseil est un don surnaturel qui dirige les actes de l'âme connaissant ses devoirs, non par le raisonnement, mais par l’inspiration du Saint-Esprit. Ce don de conseil fait donc éviter le mal dans les actes et toujours opérer le bien. Ce don de conseil mène l'âme dans toutes les actions qui tendent à la vie éternelle. Jésus insiste: "Il vous est facile de comprendre, ma fille, quelle perfection l’âme acquiert par ce don, car elle a par lui la rectitude même de l'Esprit-Saint qui dirige toutes choses sur la terre et dans le ciel."

          5-3-4-Le don de force

"Le don de force, dit Jésus, est mis dans l'âme par le Saint-Esprit pour qu'elle résiste vigoureusement à toutes les adversités de la vie, de quelque nature qu'elles soient, pour les lui faire traverser avec fermeté et l’empêcher de succomber sous leur poids..."

Le don de force aide l'âme à attaquer et à prévenir les difficultés de la vie; il la porte à tout supporter sans attaquer jamais, et à tout supporter aussi, pas seulement un jour, mais plusieurs années et même jusqu'à la mort.

Jésus dit: "Vous devez remarquer encore, ma fille, que le don de force ne doit point faire dire à l'âme qui l’a reçu, que ce que le corps éprouve n'est pas un mal, n'est pas une douleur, une souffrance; il suffit pour que le don de force opère, que l'âme ne se laisse pas aller à la tristesse, au point de quitter la voie du bien et de la vérité.

Enfin, vous devez remarquer que la grâce de Dieu se fait parfois tellement sentir à l’âme, qu'elle oublie toutes les peines de son corps pour n’éprouver qu'une entière et complète satisfaction, ce qui lui permet de s’écrier qu'elle surabonde de joie au milieu de toutes ses tribulations."

          5-3-5-Le don de piété

La pitié, don du Saint-Esprit, porte, avec amour, à rendre à Dieu le culte qui lui est dû, et à nous soumettre en tout à sa volonté. C'est donc, non seulement un don pour aujourd'hui, mais aussi un don de la vie future. Dieu est notre créateur, notre souverain Maître et notre  rédempteur. Il mérite donc tout notre amour. Le don de piété nous porte à nous soumettre à toutes ses lois qui sont des lois d'amour, à l’aimer et à nous donner entièrement à lui. Jésus précise encore: "Ce don de piété vous portera à rendre hommage aux saints parce qu'ils sont les temples glorifiés de Dieu, à honorer surtout votre famille et à lui demeurer toujours humblement soumise. Il vous portera à secourir les pauvres dans les nécessités du corps comme dans celles de l'âme, parce qu'il vous montrera en eux mon image... La piété demeurera avec vous dans le ciel pour que vous demeuriez toujours attachée et unie à Dieu."

          5-3-6-La crainte de Dieu

Jésus commence par rappeler les diverses sortes de crainte: la crainte du pécheur qui peut tomber dans le désespoir à la vue de la justice de Dieu, la crainte des personnes qui redoutent les vengeances de Dieu et qui, pour cela, accomplissent sa loi devenue pour elles un pesant fardeau, la crainte des serviteurs qui craignent et aiment Dieu comme un maître, craignant de lui déplaire à cause des châtiments qu'ils pourraient encourir. Ces craintes sont toujours imparfaites, voire mauvaises.

La vraie crainte de Dieu est en réalité un amour. C'est la crainte des enfants de Dieu qui aiment Dieu comme leur père, veulent toujours accomplir sa volonté, cherchent à Lui être agréables à Dieu, et redoutent par-dessus tout de Lui déplaire. Ils lui offrent toutes leurs actions et tout ce qu'ils possèdent.

Jésus dit: "Désirant l’aimer le plus parfaitement possible... ils soupirent après le ciel, non pour être plus heureux... mais pour ne plus offenser Dieu et l’aimer parfaitement. Ils sont vertueux non à cause de la récompense qui les attend, mais pour plaire à Dieu... S’ils tombent dans le péché, dans un moment de faiblesse, loin de se décourager et de refroidir leur amour pour Dieu, ils se relèvent avec courage... et vont se jeter entre les bras paternels du Seigneur, ils lui demandent pardon et s’engagent à l’aimer désormais davantage, à faire plus fidèlement en tout sa volonté...

Ah! Ma fille, combien ceux qui agissent ainsi sont peu nombreux. Cette crainte filiale, c'est le Saint-Esprit qui la donne à l'âme. Ceux qui ont cette crainte sont conduits par l'Esprit-Saint. Aussi toutes leurs actions sont-elles les actions des véritables enfants de Dieu...

Laissez-vous conduire par l'Esprit-Saint; il est Esprit de vérité. Il vous maintiendra dans la vérité, il vous attachera à la vérité, et par lui vous serez unie à Dieu et vous trouverez en Dieu la félicité." (Livre 9, chapitre 7)


[1] l'apôtre saint Paul.

   

 

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