Les événements qui
suscitèrent la persécution en Angleterre sous Henri VIII sont assez
connus pour qu'il suffise de les rappeler en quelques mots. Après
avoir combattu l'hérésie de Luther et obtenu du pape lé titre de
Defensor fidei, le roi d'Angleterre, séduit par Anne Boleyn,
voulut lui faire partager sa couronne. Mais la reine Catherine
d'Aragon revendiqua les droits que lui conférait son mariage
légitime et le pape, consulté, sollicité, circonvenu, menacé, refusa
obstinément de rompre le lien que le Christ avait formé. Henri VIII
se sépara du pape afin de posséder la femme qui refusait d'être sa
maîtresse et que le pape lui interdisait d'épouser. Henri VIII
dressait tribunal contre tribunal et prétendait que c'était affaire
au pape de céder, d'annuler les décisions prises par les théologiens
romains et de ratifier les mesures adoptées en Angleterre. Le pape
n'ignorait pas où cette querelle tendait. Le 6 février 1534,
l'évêque Jean du Bellay développait en présence du consistoire les
périls que ferait courir à la chrétienté une rupture entre Rome et
le roi d'Angleterre. « L'hérésie, dit-il, se répandrait
universellement ; après l'Angleterre, beaucoup de royaumes en
seraient gâtés ; et Rome, Rome elle-même, ne demeurerait sans doute
pas indemne de la contagion. » Malgré ces perspectives inquiétantes,
le pape ne pouvait céder et ne céda pas.
En Angleterre l'opinion
populaire et le Parlement se montraient favorables à la reine
répudiée et réprouvaient l'idée d'une rupture avec Rome. « S'il
était resté un doute sur ce point à Henri, un incident significatif
le lui eût enlevé. Le prêtre chargé de prêcher devant lui le
mercredi des Cendres, 18 février 1534, proclama la souveraineté sur
terre du pape qui, s'il abusait de son autorité, ne relevait que du
jugement d'un concile général ; le sermon rappelait encore
l'obligation d'honorer les saints et présentait les pèlerinages
comme agréables à Dieu et profitables à l'âme. Les courtisans
s'écrièrent que le prédicateur était devenu papiste ; mais Henri,
quoique contrarié, interpréta mieux les paroles franches et hardies
de Hugh Latimer : elles ne faisaient que traduire la secrète
croyance de la majorité de ses sujets.
» Mais l'attitude du Parlement ne se soutint pas. Le 16 mars, il
adoptait en troisième lecture un bill venu de la Chambre des
Communes et interdisant l'envoi à Rome du denier de Saint-Pierre.
C'était, pour le roi, une victoire, et il releva le front. A
quelques jours de là, le 23 mars, lundi de la semaine sainte, à
Rome, le consistoire se réunit à dix heures du matin ; l’huis-clos
était prononcé. « Peu de gens s'attendaient à ce qu'un résultat
important sortît ce jour-là du consistoire. On s'étonna cependant
que, d'ordinaire si ponctuels à leur dîner, les cardinaux en eussent
laissé passer l'heure sans quitter la salle. La curiosité devint de
l'émotion ; les deux partis s'impatientaient ; car l'après-midi
s'écoulait ; les cardinaux ne se restauraient point ; ils siégeaient
depuis sept heures consécutives et pas de nouvelles. Enfin à cinq
heures du soir, l'huis céda, et les révérends pères sortirent. On
apprit aussitôt qu'ils avaient rendu leur sentence.
» A l'unanimité, l'union d'Henri et de Catherine d'Aragon avait été
proclamée valide.
Longtemps avant que la
nouvelle de cette sentence arrivât au roi, celui-ci avait rompu
définitivement avec le Saint-Siège. Dès le 20 mars, trois jours
avant la tenue du consistoire, le gouvernement avait saisi la
Chambre des Lords d'un bill entraînant ratification du mariage
d'Henri avec Anne Boleyn et proclamation d'Elizabeth en qualité
d'héritière présomptive du trône. La seconde lecture eut lieu le
lendemain samedi 21 mars, et la troisième, le surlendemain lundi.
Comment, après cela, prétendre que le roi se réservait de
reconnaître la juridiction suprême du pape? Précisément le lundi 21,
à l'heure même du consistoire, le roi prorogeait le Parlement et le
30 il en approuvait tous les votes. Le schisme était accompli.
A partir de ce moment,
la politique du roi d'Angleterre sembla se concentrer sur l'adoption
ou le rejet de l'Acte de Suprématie royale qui attribuait au
roi Henri VIII et à sa descendance adultérine le gouvernement de
l'Eglise anglicane. Le bill fut adopté sans difficulté et voté le 18
novembre 1634. Presque aussitôt après, le gouvernement demanda
l'adoption d'un nouveau bill inculpant de haute trahison quiconque,
au mépris de l'Acte de Suprématie, refuserait de donner au roi, à la
reine et à leurs héritiers « la dignité, le style et le nom de leur
royal état, ou les appellerait hérétiques, schismatiques ou
infidèles ». Ce projet de loi ne fut voté qu'après de longs et
violents débats et avec deux amendements qui en restreignaient la
portée. Le premier amendement retardait la mise en vigueur de l'Acte
jusqu'au 1er février 1535, le deuxième réservait que seul
le refus intentionnel d'admettre la suprématie du roi serait tenu
pour haute trahison. On espérait sauver par ce moyen ceux qui, comme
More et Fisher, refusaient de se prononcer en l'espèce.
Les premières victimes
de la persécution sanglante furent des religieux chartreux. Le récit
de leurs souffrances et de leur martyre nous a été conservé par un
chartreux de Londres, Maurice Chauncy, témoin oculaire. C'est son
récit qu'on va lire.
Le plus sûr moyen, à
notre avis, de perpétuer, de rendre immortel le souvenir des faits
dignes de passer à la postérité, de les mettre à l'abri des
altérations et de les faire arriver à ceux qui viendront après nous,
c'est d'en écrire une histoire exacte et d'en confier le souvenir
aux monuments littéraires.
Outre cela, j'ai été
requis et prié instamment par des amis d'écrire un récit succinct
des supplices qu'eurent à souffrir en Angleterre les Pères Chartreux
et de ceux qui partagèrent leur sort à la même époque. J'écris donc
ceci d'abord pour la vérité des faits qui se sont passés dont j'ai
été le témoin oculaire et des tribulations auxquelles j'ai eu ma
part, bien que j'aie été indigne d'en boire complètement le
calice. — Je l'écris aussi pour rectifier les assertions de ceux qui
ont écrit cette histoire avec trop peu de souci de la vérité.
J'avais déjà fait ce
travail dans une lettre à notre Rifle P. Prieur de la
Grande-Chartreuse ; mais comme plusieurs le trouvaient prolixe et
d'une lecture fatigante, j'ai cru bien faire d'écrire un résumé
absolument véridique des causes, du genre et du dénouement des faits
auxquels j'ai assisté et j'ai même pris quelque part.
De leurs causes
d'abord, pour rendre témoignage à la vérité ; puis de leur nature,
afin de laisser à ceux qui viendront après nous et nous liront un
exemple de patience et de constance ; car, bien qu'ils ne soient
destinés ni à un combat, ni à une mort, ni à un triomphe semblables,
ils peuvent du moins marcher sur les traces de ces grands athlètes
du Seigneur dans ces petits assauts de chaque jour qui troublent et
agitent la vie chrétienne ; ils montreront ainsi leur courage,
garderont leur patience, feront preuve d'intrépidité, de diligence,
de constance et laisseront au monde une éclatante preuve de vertu ;
si bien que, ne se dérobant pas à la lutte, tentés et éprouvés comme
leurs modèles, comme eux ils seront trouvés fidèles.
La passion des partis
pourra faire douter de mon témoignage quand j'exposerai le genre de
souffrances qu'endurèrent ces pères ; mais cette considération ne
doit pas m'empêcher de dire la vérité, je ne dois même pas me mettre
l'esprit à la torture pour ne pas donner prise à ce soupçon, car le
genre de ces supplices se trouve consigné dans les registres de
l'État, dans les dépositions faites et enregistrées au tribunal de
celui qui fit exécuter les sentences.
Elles y sont
recueillies et conservées ; ainsi le souvenir ne s'en perdra jamais.
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HISTOIRE
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