La spiritualité de sainte
Mechtilde
d’après le Livre de la Grâce spéciale
Mechtilde désirait en savoir, sur
Saint Jean, un peu plus que ce que l’on en connaît ordinairement. Elle obtint
cette réponse :
― Tous
ses sens ont reçu une certaine supériorité: ses yeux voient plus clairement la
lumière inaccessible de la Divinité; ses oreilles saisissent mieux le doux
murmure de la voix divine; sa bouche et sa langue goûtent sans cesse une saveur
délicieuse, et le parfum qui s’échappe de ses lèvres embaume le ciel, à tel
point que tous les saints respirent le doux parfum de Jean le bien-aimé. Mais
son cœur surtout, enivré de délices, brûle d’amour pour Dieu et s’élance d’un
essor plus libre et plus sublime dans les inaccesssibles secrets des hauteurs
divines.
Mechtilde vit encore saint Jean
reposer sur la poitrine du Seigneur Jésus... Elle demanda comment elle pourrait
Le louer de nous avoir donné Jean. Le Seigneur répondit:
― Tu me
loueras:
à cause de la haute
noblesse de sa famille...
parce que, des
noces, je l’ai appelé à l’apostolat total,
.parce qu’il a été
préféré aux autres pour contempler, sur la montagne la lumière de mon visage,
parce qu’à la
dernière cène, il s’est reposé sur mon sein.
Tu le loueras de ce
que son intelligence a possédé plus de science que les autres,
de ce que, sur la
croix, je lui ai confié ma Mère par un amour spécial,
de ce qu’après ma
résurrection, je l’ai si bien éclairé qu’il m’a reconnu avant les autres,
pendant la pêche faite par les disciples...
de ce qu’en vertu
d’une amitié plus intime, je lui ai révélé mes mystères lorsqu’il a écrit
l’apocalypse et que, divinement inspiré il a dit: “Au commencement était le
Verbe”, parole ignorée des prophètes et de tous les hommes avant lui.
Tu le loueras de ce
que pour me confesser devant les hommes, il a bu le poison, puis,
de tant de miracles
et de résurrections faites en mon nom.
Tu le loueras encore
de la douce visite qu’il reçut quand je l’invitai à mon festin avec ses frères,
― de ce
que je l’ai emmené glorieux de la terre d’exil, libre de toute douleur, pour lui
donner les joies de l’éternité. (Le Livre de la Grâce spéciale, première
partie, chapitre VI)
Nous introduisons ici le texte
fondamental, bien connu, concernant une révélation du Cœur de Jésus par saint
Jean l’Évangéliste. Il est difficile de savoir qui a vraiment bénéficié de la
grâce insigne de cette rencontre exceptionnelle avec saint Jean révélant le Cœur
de Jésus? Mechtilde de Hackeborn ou Gertrude d’Helfta? Nous ne savons pas. Par
contre, nous savons que sainte Mechtilde eut des liens étroits avec saint Jean
l’Évangéliste comme le prouve le texte rapporté ci-dessus.
Nous savons aussi que Mechtilde et
Gertrude étaient très liées, et que c’est Gertrude, confidente intime de
Mechtilde, qui écrivit en grande partie le Livre de la Grâce spéciale. La
personne qui, dans Le Livre du Héraut de l’amour divin consacré à
Gertrude, raconte cette rencontre extraordinaire avec saint Jean, ne précise
pas; elle dit seulement: “elle”. Il est possible que Gertrude ait raconté
l’épisode de saint Jean vécu par Mechtilde, et que la référence à Mechtilde ait
été oublié. Peu importe. Ce qui compte, c’est que le Cœur de Jésus soit toujours
mieux connu.
Comme elle (Mechtilde ou
Gertrude?) était, selon sa coutume, toute entière à sa prière, le disciple
que Jésus aimait si bien, et qui pour cela doit être aimé de tous, lui
apparut... Celle-ci lui dit :
― Et
quelle grâce pourrai-je obtenir, moi chétive, en ce jour de votre fête?
Il répondit :
― Viens
avec moi; tu es l'élue de mon Seigneur; reposons ensemble sur sa poitrine dans
laquelle sont cachés tous les trésors de toute béatitude!
Et, la prenant avec lui, il (Jean)
la conduisit auprès de notre tendre Sauveur, la plaça à droite et se retira pour
se placer à gauche. Et comme ils reposaient ainsi tous deux avec suavité sur la
poitrine du Seigneur Jésus, le bienheureux Jean, touchant du doigt avec une
respectueuse tendresse la poitrine du Seigneur, dit :
― Voici
le Saint des saints qui attire à soi tout le bien du ciel et de la terre...
Et il ajouta :
― Je t'ai
placée à l'ouverture du Cœur divin, afin que tu puisses en tirer aisément la
douceur et la consolation que, dans son bouillonnement perpétuel, l'amour divin
répand avec impétuosité sur tous ceux qui le désirent.
Comme elle éprouvait une
jouissance ineffable aux pulsations très saintes qui faisaient battre le Cœur
divin sans interruption, elle dit à saint Jean:
― Est-ce
que vous n'avez pas, bien-aimé de Dieu, senti le charme de ces suaves
pulsations, qui ont pour moi, en ce moment, tant de douceur, lorsque vous
reposiez, à la Cène, sur cette poitrine bénie?
Il répondit :
― J'avoue
que je l'ai senti et ressenti et la suavité en a pénétré mon âme, ainsi que le
doux hydromel imprègne de sa douceur une bouchée de pain frais; de plus, mon âme
en a été aussi échauffée que le devient une chaudière bouillante au-dessus d'un
feu ardent.
― Pourquoi
donc, reprit-elle, avez-vous gardé là-dessus un silence si absolu que vous
n'avez jamais rien écrit, si peu que ce fut, qui le donnât à entendre, au moins
pour le profit de nos âmes?
Il répondit :
― Ma
mission était de présenter à l'Eglise, dans son premier âge, sur le Verbe incréé
de Dieu le Père, une simple parole qui suffirait jusqu'à la fin du monde à
satisfaire l'intelligence de la race humaine toute entière, sans toutefois que
personne parvint jamais à la pleinement comprendre. Mais, de dire la suavité de
ces pulsations, cela a été réservé pour les temps actuels afin que, en entendant
ces choses, se réchauffe le monde vieillissant dont l'amour s'alanguit.
(Sainte Gertrude, Le Héraut de l'Amour divin ; Livre IV, chapitre 4, 3)
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