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La Passion de Jésus et de Marie
Marie et
Jean sont vite arrivés sur les lieux du drame. Marie ne
reconnaît plus Jérusalem; qui a ainsi transformé cette ville si
calme en un lieu où l'émeute gronde? Comment les habitants qui
acclamaient son Fils, il n'y a pas huit jours, sont-ils devenus
une foule hargneuse qui hurle à la mort, la mort de son Jésus?
Comment tous les infirmes, les malades que son Fils a guéris
sont-ils devenus ces bêtes féroces? Marie s'accroche au bras de
Jean de toutes ses forces pour ne pas tomber... La foule est si
dense maintenant qu'ils ne peuvent plus avancer: aussi
s'arrêtent-ils tous les deux auprès d'une fontaine.

Les cris de
la foule se font de plus rauques et violents. Que font tous ces
soldats armés jusqu'aux dents? Marie aperçoit deux hommes qui
portent une croix, deux bandits dont les crimes viennent d'être
condamnés. Marie avait rencontré, il y a longtemps, l'un de ces
deux hommes: il n'était pas méchant, juste un peu faible et
incapable de résister aux mauvais exemples: mais pourquoi une
telle peine? La croix se justifie-t-elle vraiment pour lui?
Marie regarde celui que nous appelons le "Bon Larron"; elle prie
pour qu'il revienne à Dieu...
Le cortège
des crucifiés ralentit, la foule n'est plus la même, les cris
deviennent des pleurs. Voici que des soldats amènent un homme
qui se débat: c'est qu'il est impératif d'aider 'le Roi des
juifs' à porter sa croix, sinon il n'arrivera pas vivant au
lieu de la crucifixion. En effet, "comme ils l'emmenaient,
ils saisirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait de la
campagne, et ils le chargèrent de la croix, pour qu'il la portât
derrière Jésus. Or, il était suivi d'une grande masse du peuple
et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur
lui. Se tournant vers elles, Jésus dit:
— Filles
de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur
vous-mêmes et sur vos enfants, car voici venir des jours où l'on
dira: heureuses les stériles, et les entrailles qui n'ont point
enfanté et les mamelles qui n'ont point allaité! Alors on se
mettra à dire aux montagnes: tombez sur nous! et aux collines:
recouvrez-nous! Car, si l'on traite ainsi le bois vert, qu'en
sera-t-il du sec? "
(Matthieu 26, 26 à 31)
Soudain
Marie pousse un cri: elle vient d'apercevoir Jésus. Elle se
précipite vers lui, bousculant un peu les soldats qui, se
doutant qu'il s'agit de la mère du condamné, la laissent passer
sans rien dire. Elle n'en croit pas ses yeux: son fils n'est
qu'un pauvre moribond, portant des plaies profondes partout sur
le corps; même sa tête, que de longues épines traversent, n'a
pas été épargnée. Tout n'est que plaies et que sang en Jésus.
Marie entend aussi la voix de Jésus parlant aux femmes de
Jérusalem: ainsi, pense Marie, même dans cet état, il a encore
la force de consoler ceux qui pleurent...
Toujours
suivie de Jean qui, voyant Jésus dans un tel état, se met à
trembler violemment, Marie s'approche encore. Jésus la voit,
leurs regards se croisent. Marie pleure en suivant le regard de
Jésus que Simon de Cyrène vient de soulager un peu. Marie ne
comprend pas que celui qui n'est que bonté, charité, soit traité
ainsi. Marie ne comprend pas que l'Amour subisse tant de haine.
Pourquoi? Est-ce ainsi que le monde doit être sauvé, par toute
cette souffrance? Le cœur de Marie n'est plus qu'une douleur
inqualifiable, un cœur que le glaive de douleur annoncé commence
à transpercer. Marie semble défaillir; pourtant elle reste
debout, elle sait qu'elle doit partager la souffrance du
Rédempteur, jusqu'au bout, jusqu'à la mort de Jésus.
Dès lors,
ayant compris cela et le vivant présentement comme elle le vivra
jusqu'au bout, Marie ne quittera plus Jésus, souffrant avec Lui
la Passion rédemptrice.
Et nous?
Comprenons-nous la douleur de Marie, douleur d'une mère, douleur
de celle qui répare avec Jésus, douleur de celle qui vivra avec
nous et pendant tous les siècles, la douleur de Jésus
contemplant la haine des hommes qui détruisent sa création et
tant de ses enfants? Comprenons-nous la douleur de Marie?
Marie,
toujours soutenue par Jean avance au pas de son Fils. Les
soldats tolèrent ce "couple" si douloureux... Parfois Jésus
tombe, épuisé, mourant. Et Marie sanglote plus fort. Un homme
ordinaire se laisserait aller, mais Jésus n'est pas un homme
ordinaire: il est le Fils de Dieu, et Il doit continuer. Jésus a
été brutalement relevé par les soldats impatients d'arriver au
Calvaire.
Enfin, les
deux bandits et Jésus sont arrivés sur le lieu de leur
crucifixion. Toute la foule est écartée car les soldats ont
besoin de la place. Marie et Jean eux aussi sont écartés, mais
d'où ils sont ils peuvent voir ce qui se passe. Marie doit vivre
la Passion dans sa totalité. "On menait aussi deux autres,
des malfaiteurs, pour être exécutés avec lui. Lorsqu'ils furent
arrivés au lieu appelé Calvaire, ils l'y crucifièrent, ainsi que
les malfaiteurs, l'un à droite, l'autre à gauche. Et Jésus
disait:
— Père,
pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font."
Marie entend
la voix de Jésus. Marie entend Jésus supplier le Père de
pardonner à ses bourreaux. Doit-elle pardonner elle aussi? Pour
l'instant elle ne peut pas car elle a trop mal. Tout son être
est comme pris comme dans un étau qui l'écrase et l'empêche de
penser. Tout l'être de Marie est tendu vers son Fils crucifié et
mourant, mais qui pardonne à ses tortionnaires. Marie s'efforce
de rejoindre l'amour de son Fils quand soudain elle aperçoit la
tunique de Jésus, celle qu'elle a tissée il y a si peu de temps.
Elle voudrait la récupérer pour la garder auprès d'elle, mais
les soldats, "se partageant les vêtements de Jésus, les
tirèrent au sort." Marie se tourne légèrement et voit, non
loin d'elle, "le peuple qui se tenait là et regardait. Même
les chefs raillaient, disant:
— Il
en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ
de Dieu, l'Élu, le Messie!"
Ici, nous
nous étonnons. Marie et Jean ont forcément entendu ces étranges
paroles: "Il en a sauvé d'autres, qu'il se sauve lui-même,
s'il est le Christ de Dieu, l'Élu!" Ainsi, même ceux qui ont
tellement désiré la mort de Jésus, sont obligés de reconnaître,
peut-être malgré eux, que Jésus a fait beaucoup de guérisons
miraculeuses. Pourquoi ne l'ont-ils pas suivi???
Il y a tant
de mystères dans la vie de Jésus, et tant d'orgueil dans le cœur
des hommes. Mais ce n'est pas tout: "Les soldats aussi se
moquèrent de lui, s'avançant pour lui présenter du vinaigre, et
disant:
— Si tu
es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même!"
Comment les
soldats ont-ils été informés que Jésus était le Roi des juifs?
Au moment de la flagellation et du couronnement d'épines, ceux
qui avaient participé à cette horreur l'avaient appris, mais les
autres? Les moqueries s'étaient donc transmises avec tant de
rapidité? Mais il faut surtout remarquer que c'est Pilate
lui-même, un païen, qui avait reconnu que Jésus était le Roi des
Juifs, car il avait fait inscrire, "au-dessus de Jésus, une
inscription en caractères grecs, latins et hébraïques: 'Celui-ci
est le roi des Juifs'."
Enfin, et
bien plus surprenant, "l'un des malfaiteurs, mis en croix,
l'injuriait, disant:
— N'es-tu
pas le Christ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous aussi! "
Comment, au
moment de la mort, un homme peut-il être si inconscient? Comment
peut-on être tellement endurci dans le péché qu'il ne reste
plus, dans le cœur et dans l'âme, la moindre étincelle
permettant le retour à Dieu? Heureusement, "l'autre le
reprenait, disant:
— Tu n'as
pas même la crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation!
Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce que méritent les
choses que nous avons faites; mais lui n'a rien fait de mal.
Et il
dit:
— Jésus,
souvenez-vous de moi, quand vous serez dans votre royaume.
Et Jésus
lui répondit:
— Je te
le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le
paradis."
(Luc 26, 32
à 44)
Ici, nous
devons nous arrêter un peu et contempler Marie. Elle est, avec
Jean, au pied de la croix. Le supplice de Marie est
inimaginable. Nous ne pouvons pas savoir ce qu'elle pouvait
penser à cet instant, pendant lequel le "glaive" lui
infligeait le maximum de souffrances. On peut simplement
imaginer que Marie, entendant Jésus dire que ce larron serait
avec Lui, ce soir, au paradis, reçut une immense grâce de
consolation. En effet, malgré les apparences, Jésus ne serait
pas mort au sens où les hommes comprennent la mort. Certes son
corps mort serait toujours sur la Croix, mais son âme aurait
retrouvé le Père... Et puis, le troisième jour, Jésus
ressuscitera comme il l'a dit: de cela, Marie est absolument
sûre car Jésus ne se trompe jamais. Aussi se redresse-t-elle
pour regarder Jean: comme elle l'aime déjà cet ami de Jésus!
Alors, comme
s'il avait "entendu" la pensée de Marie, Jésus va prononcer une
parole de bénédiction. Jean raconte: "Près de la croix de
Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de
Clopas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa mère, et auprès
d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère:
— Femme,
voilà votre fils.
Ensuite
il dit au disciple:
— Voilà
votre mère.
Et depuis
cette heure-là, le disciple la prit chez lui."
(Jean 18, 25
à 27) |