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CHAPITRE 5.LE SEIGNEUR INSPIRE A PAUL L'IDÉE DE LA CONGRÉGATION DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.Le Seigneur se plaît à employer aux œuvres de sa gloire les instruments qui semblent les moins propres aux yeux des hommes. Par une grâce spéciale, Il avait choisi nôtre bienheureux pour fonder une humble congrégation, dont le but serait de travailler par l'exemple et la parole à réveiller parmi les fidèles le souvenir de Jésus souffrant, et d'imprimer dans les âmes une grande dévotion envers sa passion et sa mort. Le jeune Paul, comme nous l'avons vu, mettait tous ses soins à vivre étranger au monde, dans le recueillement et la prière. Telles étaient ses dispositions, lorsque la divine Majesté commença à lui manifester l'idée de l'œuvre dont elle voulait qu'il fût le premier instituteur, ainsi que le genre de vie qu'il devait mener jusqu'à sa mort. Dieu se servit d'une excellente religieuse d'Alexandrie pour lui déclarer en quelque manière sa sainte Volonté: «Dieu, lui dit à diverses reprises cette personne, Dieu me fait entendre qu'il attend de vous de mandes choses». Ensuite, lui-même étant en oraison, le Seigneur lui fit voir plusieurs fois une tunique noire, mais sans lui donner pour le moment l'explication du mystère. Ces premières lumières étaient pour ainsi dire l'ébauche de l'œuvre sainte. Enfin, il plut à Dieu de lui en découvrir tout le secret d'une manière merveilleuse. Nous croyons utile de la rapporter ici avec les propres paroles du saint. Elles servaient d'introduction aux premières règles, écrites entièrement de sa main. Le serviteur de Dieu y rend compte en quelque sorte de son entreprise et de ses saintes vues, afin qu'on reconnût quel avait été, le dessein de la divine Sagesse. II écrivit cette introduction par ordre de son confesseur. Récit des inspirations de Paul.« Que le nom de Jésus soit béni ! Moi, Paul-François, pauvre et indigne pécheur, et le dernier des serviteurs des pauvres de Jésus-Christ, environ deux ans après que l'infinie bonté de Dieu m'eut appelé à la pénitence, passant vers le soir par la rivière de Gênes, je vis une petite église située sur une montagne au-dessus de Sestri, et appelée la sainte Madone du Gazzo, et en la voyant, j'éprouvai un désir sensible de me fixer dans cette solitude ; mais obligé par devoir de charité d'assister mes parents, je ne pus jamais en venir à l'exécution, et je dus me contenter de le garder dans mon cœur. Quelque temps après, (je ne me souviens plus au juste ni du mois ni du jour), j'eus une nouvelle inspiration, mais beaucoup plus forte de me retirer dans la solitude; et ces inspirations, le bon Dieu me les donnait avec une grande consolation intérieure. Dans ce même temps, la pensée me vint de prendre pour vêtement une tunique noire de gros drap fait de la laine la plus commune du pays, de marcher nu-pieds, de vivre dans la plus grande pauvreté, en un mot, de mener avec la grâce de Dieu une vie pénitente. Cette pensée ne me quitta plus; un attrait toujours plus puissant me portait à me retirer, non plus auprès de la petite église dont j'ai parlé, mais n'importe en quelle solitude, et cela pour suivre les invitations amoureuses de mon Dieu dont l'infinie bonté m'appelait à quitter le monde. Mais comme je ne pouvais donner suite à cette pieuse inspiration, parce que j'étais nécessaire à ma famille, c'est-à-dire à mon père, à ma mère et à mes frères, je tenais toujours ma vocation secrète, excepté que j'en conférais avec mon père spirituel. Je ne savais pas ce que Dieu voulait de moi; c'est pourquoi je ne songeais à autre chose qu'à me dégager des embarras domestiques pour pouvoir me retirer ensuite. Mais le Souverain Bien qui, dans sa bonté infinie, avait d'autres vues sur ce misérable ver de terre, ne permit jamais que j'eusse ma liberté en ce temps-là. Quand j'étais sur le point de me dégager entièrement, il s'élevait de nouvelles difficultés ; elles ne faisaient qu'augmenter mes désirs. Quelquefois, il me vint aussi la pensée de réunir des compagnons pour vivre en communauté et promouvoir la crainte de Dieu dans les âmes : c'était là mon plus ardent désir; mais pour ce projet de réunir des compagnons, je n'en tenais pas compte, et cependant il restait fixé au fond de mon cœur. En somme, pour ne pas m'étendre davantage, je dirai combien de temps durèrent ces désirs et ces inspirations, jusqu'à ce que je reçusse la nouvelle lumière dont je vais parler. Je ne saurais le dire précisément, parce que je n'en ai pas tenu note; je dirai du plus au moins: deux ans et demi environ. L'été dernier, je ne sais à quelle époque, car je ne me souviens ni du mois ni du jour, ne l'ayant pas écrit, je sais seulement que c'était le moment de la moisson, un jour de la semaine, je fis la sainte communion dans l'église des capucins de Castellazzo, et je me rappelle que j'entrai alors dans un profond recueillement. Après cela, je partis pour retourner à la maison et je marchais par les rues, aussi recueilli que dans l'oraison. Quand je fus au coin de la rue voisine de la maison, je fus élevé en Dieu avec un recueillement très profond, un oubli de toutes choses et une très grande suavité intérieure, et dans ce moment, je me vis en esprit revêtu, de noir jusqu'à terre avec une croix blanche sur la poitrine; sous la croix, je portais écrit le saint nom de Jésus eu lettres blanches. Dans ce même instant je m'entendis adresser ces propres paroles : « Ceci est un signe pour marquer combien doit être pur et sans tache le cœur qui doit porter écrit le Très Saint Nom de Jésus ». Cette vue et ces paroles me firent répandre des larmes, et puis je m'arrêtai. A peu de temps de là, je vis en esprit qu'on me présentait la sainte tunique avec le nom sacré de Jésus et la croix toute blanche; la tunique toutefois était noire, et je l'embrassai dans l'allégresse de mon cœur. Le lecteur saura que loue je me vis présenter la sainte tunique, je ne vis point de forme corporelle, comme par exemple, la figure d'un homme; pour cela, non; mais je le vis en Dieu; l'âme en effet connaît que c'est Dieu, parce que lui-même le lui fait comprendre par les mouvements intérieurs du cœur et par les lumières qu'il répand dans l'esprit, mais d'une manière si sublime qu'il est très difficile de l'expliquer. Ce que l'âme entend alors est quelque chose de si grand qu'on ne saurait le dire ni l'écrire. Pour être mieux compris, je dirai que c'est là une sorte de vision spirituelle, comme Dieu a daigné m'accorder plusieurs fois dans sa bonté, lorsqu'il a voulu m'envoyer quelque épreuve particulière. Pendant que j'étais en oraison, je vis un fouet entre les mains de Dieu, et ce fouet avait des cordes comme les disciplines. Au-dessus était écrit ce mot: « Amour »; dans le même instant, le Seigneur m'éleva à une très haute contemplation : mon âme comprit que Dieu voulait la flageller, mais par amour. Elle s'élançait avec vitesse vers ce fouet pour l'embrasser et le baiser en esprit. Dans le fait, chaque fois que Dieu a daigné m'accorder cette vision, il ne tardait pas à m'arriver quelque tribulation très sensible, et je savais d'une manière certaine qu'il en serait ainsi, parce que Dieu m'en donnait l'intelligence infuse. Or, j'écris ces choses pour m'expliquer et pour dire d'après l'intelligence que Dieu me donne, que je tiens ce que je vois en esprit par la lumière sublime de la foi pour plus assuré que si je le voyais des yeux du corps : ceux-ci pourraient me séduire par quelque fantôme ; il n'y a au contraire aucun danger d'erreur d'autre part à raison de l'intelligence que Dieu me donne, d'autant plus que je m'en réfère au jugement de mes supérieurs, me soumettant aux décisions que le Saint-Esprit leur inspirera. Ainsi, quand j'ai dit que j'avais vu dans les mains de Dieu, je ne veux pas dire que j'ai vu, je veux dire seulement que l'âme sent d'une manière très relevée qu'elle se trouve dans Celui qui est immense, et c'est ce qui m'est arrivé à propos de la sainte tunique. Qu'on sache en outre que depuis qu'il a plu à Dieu de me retirer des exercices de la méditation, qui consiste à discourir sur les mystères, en passant d'un point à un autre, je n'ai plus de formes imaginaires. Or, pour poursuivre mon récit des merveilles de Dieu, après la vision de la sainte tunique et du signe sacré, Dieu me donna un désir et un attrait plus grands de réunir des compagnons et de fonder avec l'approbation de la sainte Église une congrégation qui aurait pour titre: «les pauvres de Jésus». Après cela, Dieu a imprimé dans mon esprit la forme de la sainte règle qui devait être observée par les pauvres de Jésus et par moi, son très humble et très indigne serviteur. On m'a ordonné de l'écrire; et je vais le faire par obéissance avec le secours du Saint-Esprit. Qu'on sache que le but qui m'a été assigné de Dieu dans cette congrégation ne consiste en autre chose, sinon, en premier lieu, d'observer parfaitement la loi du bon Dieu par la pratique parfaite des conseils évangéliques, et particulièrement du détachement total de toutes les créatures, en nous exerçant parfaitement à la sainte pauvreté; si nécessaire pour garder les autres conseils, nous maintenir dans la ferveur de l'oraison, avoir du zèle pour l'honneur de Dieu, exciter sa crainte dans les âmes, travailler à la destruction du péché, en mot, pour être infatigables au milieu des saintes fatigues du zèle afin que notre bon Dieu soit ainsi aimé, craint, servi et loué par tous, dans les siècles des siècles, amen. Que le nom de Jésus soit béni » ! Récit à propos de la rédaction des Règles.A la suite de ce préambule, venaient les règles écrites de sa propre main. On y voit l'expression des sentiments et des pensées les plus nobles, le respect le plus profond envers la mère de Dieu, un grand amour pour la perfection, et une dévotion très spéciale envers la passion de Jésus-Christ. En voici quelques traits: « Ah ! Mes très chers frères, disait le bienheureux, quand au jour du vendredi, il y a des choses capables de faire mourir celui qui aime véritablement! N'est-ce pas en effet nommer le jour où mon Dieu incarné a souffert pour moi, jusqu'à immoler sa sainte vie en mourant sur le gibet infâme de la croix? Et puis, sachez-le bien, mes chers frères, le motif principal pour lequel nous sommes vêtus de noir, selon l'inspiration particulière que Dieu m'en a donnée, c'est afin de porter le deuil en mémoire de la passion et de la mort de Jésus. Nous ne devons donc jamais oublier d'en conserver un continuel et douloureux souvenir. Que chacun des pauvres de Jésus s'applique à insinuer à tous ceux qu'il pourra, la pieuse méditation des souffrances de notre très doux Jésus. Moi, Paul-François, pauvre et misérable pécheur, le plus indigne serviteur des pauvres de Jésus, j'ai écrit cette sainte règle à l'église paroissiale de Saint-Charles de Castellazzo. Cette Retraite m'avait été assignée par monseigneur l'illustrissime et révérendissime Gattinara, évêque d'Alexandrie, dans les premiers jours qui ont suivi ma vêture. J'ai commencé à écrire cette sainte règle le 2 décembre de l'année 1720, et je l'ai terminée le 7 du même mois. Avant de me mettre à écrire, je disais matines, puis je faisais l'oraison mentale, après quoi je me levais plein de courage et j'allais écrire. L'ennemi infernal ne manqua pas de m'assaillir en m'inspirant de la répugnance et en me suscitant des difficultés; mais comme il y avait longtemps que j'étais inspiré de Dieu, et puis, comme cela m'était ordonné, je me mis néanmoins à l'œuvre avec la grâce de Dieu. Qu'on sache encore que lorsque j'écrivais, j'écrivais aussi vite que si quelqu'un avait été en chaire pour me dicter; je sentais les paroles venir de mon cœur. Or, j'ai écrit ces choses, afin qu'on sache que tout ceci est une inspiration particulière de Dieu, car, pour ce qui me concerne moi-même, je ne suis qu'iniquité et ignorance. Du reste, je soumets toutes choses au jugement de mes supérieurs. Que le Très Saint Sacrement soit loué et honoré de tous, sur tous les autels du monde ! Paul-François, indigne serviteur des pauvres de Jésus ».
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