

CHAPITRE 16.
ILS VONT A ROME POUR LE JUBILÉ DE L'ANNÉE SAINTE ;
ILS RETOURNENT ENSUITE A GAèTE ET DE LÀ REPARTENT POUR ROME :
ILS SONT ORDONNÉS PRÊTRES ET SE FIXENT DANS L'HOSPICE DE SAINT-GALLICAN
POUR SERVIR LES MALADES.
L'année sainte était commencée,
quand Paul partit de Troie avec son frère Jean-Baptiste pour aller à Rome.
Aussi, lors même qu'il n'eût pas eu d'autre motif, sa ferveur et la vivacité de
sa foi l'auraient, seules, déterminé à faire ce pèlerinage, afin de vénérer, en
ce temps, les sanctuaires de Rome, et de gagner le précieux trésor des
indulgences. Arrivés à Rome, les deux frères visitant un jour la basilique des
Saints Apôtres Pierre et Paul, y furent remarqués de monseigneur Crescenzi,
alors chanoine de Saint-Pierre et depuis cardinal de la Sainte Église. Ce prélat
voyant deux jeunes gens si modestes, si recueillis et d'un extérieur si
pénitent, en fut surpris. Une pieuse curiosité l'engagea à leur faire diverses
questions. C'est ce que lui-même rappelait, plusieurs années après, dans une
lettre qu'il écrivait au père Paul. « J'aime à vous rappeler, lui dit-il,
que notre connaissance se fit dans l'église de Saint-Pierre, l'année du jubilé,
1725. J'étais alors chanoine de cette basilique. Vous voyant, vous et votre
frère, vêtus en pauvres pénitents et pieds nus, prier devant la confession des
saints Apôtres, il me vint une telle envie de vous parler et de m'informer de
votre état et de votre vocation, que je vous adressai plusieurs demandes dans
l'église même. C'est ainsi que nous fîmes connaissance. Vous fûtes ensuite
présentés au cardinal Corradini, puis à Benoît XIII, de sainte mémoire, qui vous
ordonna prêtres. L'origine d'un si grand bien fut donc votre visite aux
sanctuaires de Rome dans votre costume de pénitents ».
Dès le premier entretien que ce
prélat, homme d'une piété sincère et d'un grand discernement, eut avec les deux
frères, il commença à concevoir pour eux cette estime et cette affection qu'il
leur témoigna toujours depuis, en favorisant et en protégeant le père Paul en
toute rencontre, ainsi que l'oeuvre de la congrégation. Monseigneur Crescenzi,
comme nous venons de l'entendre de sa bouche, les présenta au cardinal Corradini,
homme d'une droiture inviolable, d'une justice incorruptible et d'une tendre
charité, qu'on aurait pu nommer avec raison le protecteur et le père des
pauvres. Le cardinal reconnut que les deux frères étaient guidés par un
véritable esprit de piété et un sincère désir de servir Dieu. Il est probable
qu'il en parla avec avantage au souverain pontife Benoît XIII. En effet, le pape
étant allé un jour visiter l'église de Sainte Marie in Domnica, vulgairement
appelée la Navicella, Paul et son frère allèrent lui offrir leurs hommages, et
Paul lui ayant demandé l'autorisation de réunir des compagnons et de commencer
le nouvel institut dont il lui exposa brièvement le but, le pape ne fit aucune
difficulté, et lui accorda immédiatement avec bonté, vivae vocis oraculo, tout
ce qu'il désirait. Il posa donc par son autorité le fondement de la pauvre et
humble congrégation.
Après avoir obtenu une grâce si
précieuse et satisfait leur dévotion, les deux frères quittèrent Rome et
retournèrent à Gaète à l'ermitage de la Sainte-Madone-de-la-Chaîne. Monseigneur
Cavalieri l'ayant appris, leur écrivit ces paroles affectueuses : «Oh! Combien
je suis consolé que vous puissiez, avec la bénédiction de Notre Seigneur, vous
réunir en communauté avec ceux qui voudront vous imiter. Je ne suis pas envieux,
mais aernulor Dei aemulatione, « je suis jaloux d'une jalousie divine » de
monseigneur de Gaète, qui vous a dans son diocèse. Toutefois in spem contra spem,
spero, et confido, « j'espère contre toute espérance, et j'ai confiance ».
L'ermitage de la Sainte Madone de
la Chaîne n'offrit pas à Paul et à son frère Jean-Baptiste le repos et la
solitude dont ils étaient avides. Il s'y faisait un concours extraordinaire de
monde, attiré par la réputation de sainteté de nos deux pénitents. Afin donc
d'éviter les applaudissements et les visites et de jouir plus librement des
douceurs de la solitude, ils se retirèrent quelque temps dans un sanctuaire
nommé la Madone de la Cité, au territoire d'Itri, éloigné de cinq ou six milles
de Gaète. Cette retraite accrut encore la ferveur de Paul. Qu'on en juge par une
lettre qu'il écrivit alors à son confesseur, et dont voici quelques passages.
« Que la très sainte croix de
Jésus, notre amour, reste toujours plantée dans notre cœur ! Que notre esprit
soit enté sur cet arbre de vie, et qu'il produise ensuite de dignes fruits de
pénitence par les mérites de la mort du véritable Auteur de la vie !... Ah !
Quand est-ce que nous miterons parfaitement ce divin Rédempteur qui s'est
anéanti lui-même ! Quand serons-nous assez humbles pour nous faire une gloire
d'être l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple !... Quand serons-nous si
simples et si petits que nous regarderons comme une bonne fortune de devenir les
derniers de tous et d'être rejetés dans le néant! Quand notre plus grande peine
sera-t-elle d'être estimés et honorés ! Ah ! Quand ? Ayez la charité de prier
Dieu pour moi, afin qu'il m'en fasse la grâce ».
Mais là aussi, il se fit bientôt
un tel concours, que nos deux pénitents ne pouvaient vaquer en liberté à leurs
saints exercices. Troublés dans leur solitude, ils songèrent à la quitter. Un
autre motif les obligea du reste à en sortir. Après s'être si bien préparés par
la retraite, la prière et 1a pénitence, il était temps qu'ils se missent en
devoir de recevoir les saints ordres. Ils se rendirent donc à Rome, au mois de
septembre 1726. Ils eurent aussitôt l'occasion d'y exercer leur charité et
d'entreprendre des œuvres dignes de leur zèle. Paul raconte ainsi la chose dans
une lettre datée du 21 septembre, qu'il adressa à cet ecclésiastique de Gaète,
son confesseur et son ami, dont nous avons déjà fait mention. « Nous voici,
ce sont ses paroles, arrivés à Rome en bonne santé, grâces à Dieu... Naos
demeurons à l'hospice de Saint Gallican. Chaque jour, nous nous félicitons
davantage du choix de ce lieu; il y a là moyen de sacrifier au divin Amour.
L'entrée n'a pas encore eu lieu. Dans huit ou dix jours, le pape consacrera
l'église, puis nous irons tous ensemble, pleins d'une sainte allégresse,
embrasser notre bon Jésus dans la personne des pauvres. Nous aurons là beaucoup
de fatigues et bien des occasions de nous mortifier et de nous appliquer au
mépris de nous-mêmes ».
L'hospice dont parle le
Bienheureux étant achevé et l'église consacrée, on en prit possession d'une
manière solennelle, et dans cette cérémonie, le père Jean-Baptiste eut l'honneur
de porter la croix. Lorsqu'il fut ouvert, son éminence le cardinal Corradini,
qui en était protecteur, chargea les deux frères de veiller à ce qu'aucun des
pauvres infirmes ne manquât des secours spirituels. En conséquence, le père Paul
s'employa spécialement à faire des instructions et des catéchismes tant aux gens
de service qu'aux malades. Entre autres saints règlements, il établit la
communion générale à certaines époques de l'année. Il s'attacha ensuite à
prévenir les abus qui se glissent insensiblement dans les œuvres les plus
saintes et qui en sont la ruine. Ce zèle lui attira quelques désagréments de la
part de certaines personnes qui auraient dû être les premières à l'approuver, et
qui ne le récompensèrent que par des humiliations et de mauvais traitements,
peut-être sans mauvaise intention. Quoi qu'il en soit, Paul et son frère
souffrirent tout en paix et en silence. C'était le moment, comme Paul le disait
tout à l'heure, de s'appliquer au mépris d'eux-mêmes.
Cependant le cardinal Corradini
qui savait bien que leur conduite était irréprochable, et qui était fort
satisfait de leur zèle, leur témoignait toujours plus d'estime et d'affection.
Prévoyant les difficultés qu'ils pourraient faire, humbles comme ils étaient, de
recevoir les saints ordres, il le leur commanda en vertu de l'obéissance; il
prit lui-même la peine de faire venir d'Alexandrie leurs dimissoires, et obtint,
par une faveur très spéciale, qu'ils fussent ordonnés sous le titre
d'Hospitalité.
Nos humbles et fervents jeunes
hommes obéirent. Ils reçurent donc la tonsure des mains de monseigneur Baccari,
alors vice-gérant, le 6 février 1727, et furent promus aux ordres mineurs les 23
et 24 du même mois par le même prélat dans sa chapelle domestique. Le 12 avril
suivant, jour du Samedi Saint, après avoir suivi les exercices spirituels dans
la maison de Saint-André à Montecavallo, qui était alors le noviciat des pères
jésuites, ils furent ordonnés sous-diacres dans la basilique de Latran par le
même vice-gérant. Le 1er mai de cette même année, après avoir obtenu dispense
pour recevoir les ordres extra tempora, ils firent les exercices dans la maison
de la Mission à Montecitorio, et reçurent le diaconat dans la chapelle
domestique du même prélat. Enfin le 7 juin suivant, samedi des quatre temps de
la Pentecôte, ils furent ordonnés prêtres dans la basilique du Vatican par
Benoît XIII de sainte mémoire. On remarqua qu'au moment sacré de l'ordination,
lorsque le pape imposa les mains sur la tête de Paul, en disant : Accipe
Spiritum Sanctum, il les appuya avec un mouvement extraordinaire de ferveur; et
lorsqu'il eut ordonné les deux frères qu'on distinguait aisément entre tous à
leur modestie, à leur piété, à leur recueillement, il joignit les mains et
rendit grâces à Dieu d'un ton pénétré, en disant: Deo gratias. La cérémonie
terminée, le pape, oubliant pour ainsi dire, ce jour-là, les autres ordinands,
ne s'entretint qu'avec les deux frères et daigna leur demander où ils avaient
reçu les autres ordres, si c'était dans leur pays ou à Rome. Paul répondit
humblement que c'était à Rome.
Après qu'il eut reçu, dans la
sainte ordination, une communication plus abondante du divin Esprit, son cœur
brûlait des ardeurs de la charité. Qui dira avec quels sentiments de foi et
d'amour, avec quelle tendresse et quelle profusion de larmes il célébra le
sacrifice non sanglant, pour la première fois, le jour de la sainte Trinité ?
Qu'on en juge d'après son éminente piété et par cette seule remarque : pendant
un grand nombre d'années, il ne célébra jamais sans verser des larmes.
Il mit alors tous ses soins à
servir ses chers infirmes ; et, comme il savait que sa dignité de prêtre, et le
zèle des âmes demandaient de lui de grandes choses, et en particulier toute
l'application possible à l'étude, il s'y adonna avec un soin et une attention
particulière, afin de devenir dans la maison du Seigneur comme une lampe qui
éclaire et qui échauffe, et de donner au prochain, non seulement l'édification
de l'exemple, mais encore l'aliment de la sainte doctrine. Pour mieux réussir,
il prit les conseils d'hommes vraiment éclairés. Le Seigneur bénit ses bons
désirs et ses pieux efforts. Son serviteur acquit la science nécessaire pour
donner avec fruit des missions et pour s'exprimer avec la précision, la dignité
et l'exactitude convenables. Son frère Jean-Baptiste en fit autant de son côté
et devint très habile dans les divines Écritures. On peut dire de tous les deux
qu'ils ont été de dignes ouvriers recte tractantes Verbum veritatis, « annonçant
avec talent la parole de vérité ».



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