

CHAPITRE 23.
LE PÈRE PAUL OBTIENT DE BENOÎT XIV UN BREF
APOSTOLIQUE APPROUVANT SA RÈGLE.
NOUVEAUX COMPAGNONS QUI SE JOIGNENT A LUI.
La règle ayant été approuvée par
un rescrit apostolique, le Seigneur daigna envoyer au père Paul d'autres
compagnons qui lui furent d'un grand secours. Il faut distinguer entre eux le
père Marc-Aurèle Pastorelli, d'abord prêtre de la doctrine chrétienne, puis
religieux passionniste sous le nom de Marc Aurèle du Saint-Sacrement. Il
joignait une grande piété à beaucoup de savoir, et quoique d'une complexion
délicate, on voyait en lui un grand esprit de pénitence. Le père Paul écrivait à
son sujet les paroles que voici : « Vous pouvez m'en croire, c'est un grand
ouvrier qui est propre aux missions et à tout. Oh ! Quelle grande providence » !
Animés par les discours et plus encore par les exemples du vénérable fondateur,
ces nouveaux religieux vivaient avec tant de ferveur et de mortification, dans
une retraite et un silence si parfaits, qu'on voyait refleurir, ce semble, sur
le mont Argentario, la sainteté des anciens anachorètes. C'était parmi eux une
sainte émulation à qui s'humilierait, s'abaisserait, se mortifierait davantage.
Lis étaient surtout très amis de l'oraison à laquelle ils consacraient plusieurs
heures de la journée et une grande partie de la nuit. Le Seigneur ne consolait
pas seulement le vénérable fondateur par toute sorte de grâces, mais encore par
l'affection bienveillante dont l'honorait le pontife suprême, son vicaire sur la
terre. Ainsi encouragé, le père Paul acceptait les nouvelles fondations que lui
offrait la providence. Mais afin de donner plus de stabilité à son institut, il
avait en même temps un vif désir de le voir confirmer par un bref apostolique.
Il alla donc de nouveau à Rome, et profitant des relations qu'il avait déjà eues
avec le cardinal Albani, si distingué par son zèle pour les bonnes œuvres, il
recourut à lui avec autant d'humilité que de confiance. Le digne prélat se
chargea volontiers de présenter la supplique au Saint-Père, qui accueillit la
demande avec bienveillance, et nomma pour examiner de nouveau les règles et les
constitutions, une congrégation de cardinaux. Elle était composée des cardinaux
Annibal Albani en qualité de préfet, Antoine-Xavier Gentili et Joachim Besozzi.
Ce choix dut donner de grandes espérances au père Paul, les membres de cette
congrégation étant tous des prélats d'une vertu et d'une sagesse éminente. C'est
ce que lui écrivit de Ferrare le cardinal Crescenzi, qui conservait toujours une
vive affection pour la pauvre congrégation et un ardent désir de la voir bientôt
établie. « Le renvoi, lui disait-il, que Sa Sainteté a fait de la révision et de
l'examen des Constitutions à leurs éminences Albani, Centili, et Besozzi, est
digne de tout éloge. Ce sont des prélats remplis de vertu et de piété. Dieu les
assistera d'une manière spéciale dans cette affaire. J'ai écrit pour cet objet
au cardinal Centili, et j'ai prié Son Éminence de vouloir bien communiquer ma
lettre à ses deux collègues ».
Mais l'examen traîna en longueur.
Paul obligé de rester à Rome, loin de sa solitude chérie, souffrit beaucoup de
ce retard. Il dut faire une infinité de courses, avoir grand nombre de
conférences, afin d'aplanir toutes les difficultés. Aussi quelle ne fut pas sa
peine, à lui, qui était tout de feu, pour la gloire de Dieu? Mais, sacrifiant
l'ardeur même qu'il avait pour le bien, lorsqu'il vit que l'affaire tirait en
longueur, il résolut de retourner dans sa retraite et d'en abandonner le soin
aux volontés amoureuses de la Providence. Cependant le Seigneur qui a coutume de
verser quelques gouttes de consolation dans le calice d'amertume de ses
serviteurs, envoya au père Paul, pendant qu'il était à Rome, un compagnon qui, à
lui seul, en valait beaucoup. C'était Dom Thomas Struzzeri, ecclésiastique
rempli de doctrine, de prudence, de piété, déjà expérimenté dans l'œuvre des
missions où il avait fait beaucoup de fruits. Il reçut l'habit de la passion et
prit le nom de Thomas du Côté de Jésus, après quoi il vécut dans la congrégation
avec tant de ferveur et d'édification, que le père Paul disait de lui : « Le
père Thomas est vraiment un instrument de la gloire de Dieu. Le père Thomas est
une colonne, il souffre et il travaille en homme magnanime, prêt à donner sa vie
pour la congrégation ».
Leur connaissance se fit dans
l'église de la Conception des religieuses capucines aux monts, et dès lors il
s'établit entre eux une sainte amitié qui alla toujours depuis en croissant.
Admis dans la congrégation, le père Thomas montra toujours dans le cours de sa
vie religieuse une humilité et une douceur admirable, un grand amour pour la
pénitence, un attrait très spécial pour l'oraison dont il avait reçu le don.
Dans les missions, il fit briller le talent que Dieu lui avait donné pour
s'insinuer dans les cœurs, les gagner et les porter à la componction; dans le
maniement des affaires, une prudence rare et toute chrétienne, une modération
inaltérable toujours unie à une piété solide et à une parfaite intégrité de
cœur. Envoyé dans l'île de Corse en qualité de théologien de monseigneur De
Angelis qui en était visiteur, il fut ensuite nommé évêque de Thienne, par
Clément XIII, qui le connaissait très bien, puis, déclaré vicaire général et
suffragant du visiteur. Après la mort du visiteur, le Saint-Père sachant, comme
il dit dans le bref qu'il lui adresse : « In munere laudabiliter exercito
egregiam operam navasse », c'est-à-dire, qu'il avait rempli ses fonctions de
la manière la plus distinguée, il l'établit à son tour vicaire apostolique dans
la Corse. Sa tendre charité le fit chérir de toute la nation comme un père. Sa
grande prudence ne le fit pas moins estimer des armées françaises qui occupèrent
ensuite cette île. Informé de son mérite, le roi très chrétien voulut témoigner
par un don digne de sa libéralité les égards qu'il avait pour un si grand
prélat. Dans la suite, Clément XIV le nomma évêque d'Amélie. Il gouverna cette
église avec beaucoup de profit pour les âmes. Transféré par le pape au siège de
Todi, dont il était administrateur en même temps qu'évêque d'Amélie, après avoir
conduit saintement ce diocèse pendant quelques années, il finit par une mort
précieuse, plein de vertus et de mérites et pleuré de tous les bons.
Après avoir fait une si belle
acquisition, Paul s'en retourna au mont Argentario. C'était encore une fois le
plus rude de l'hiver, et la bise soufflait avec violence. Plutôt couvert que
vêtu de ses habits. il souffrit excessivement du froid, et son, pauvre corps
s'en ressentit tellement, qu'à peine arrivé à Orbétello, il tomba malade et fut
assailli de douleurs atroces qui le tinrent cloué sur un lit pendant six mois et
le laissèrent infirme et à demi estropié le reste de sa vie. Ses souffrances
étaient si poignantes et si aiguës, qu'il semblait qu'on lui coupât les côtés et
les reins. II ne prenait de nourriture qu'avec une peine extrême, et pendant
l'espace de quarante jours et de quarante nuits, il ne put fermer l'œil.
Quelquefois il se tournait vers l'image de la sainte Vierge; la suppliant en
grâce qu'elle lui obtint de pouvoir dormir du moins une heure; d'une heure, il
en vint à demander une demi-heure ; d'une demi, il descendit à un quart. Mais
sainte Vierge sachant que la volonté de son Fils était que son serviteur n'eût
pas de relâche dans ses souffrances, n'exauça pas ses prières à cet égard. Il
faisait prier instamment ses religieux, et ses douleurs ne faisaient que
croître. Aux douleurs du corps se joignaient un effroyable abandon d'esprit et
des attaques très fâcheuses de la part des démons qui d'ordinaire étaient les
compagnons inséparables de ses maladies. Son âme cependant était pleine de
vigueur et de force. Animé de l'esprit de Jésus-Christ, il semblait oublier ses
maux, et de son lit de douleur, il sollicitait par tous moyens le bref de
confirmation qu'il avait tant à cœur d'obtenir. Il écrivait à cette fin les
lettres les plus pressantes, aplanissait les difficultés qui lui étaient
proposées, et veillait attentivement pour qu'il n'y eût rien dans cette affaire
qui ne tournât à la plus grande gloire de Dieu. Ayant appris qu'il était
question, en approuvant les nouvelles règles, de donner la faculté de posséder
et d'avoir des rentes aux retraites où se feraient les études, le vénérable
fondateur ne croyant pas ce projet conforme à l'esprit de pauvreté que le
Seigneur voulait dans la nouvelle congrégation, fit appeler le père Thomas du
Coté de Jésus, et après avoir examiné l'affaire avec ces lumières qui sont la
règle des vrais serviteurs de Dieu, il écrivit au cardinal Annibal Albani, Sa
lettre était animée d'un tel zèle, si forte de raisonnement et écrite d'un ton
si chaleureux et si insinuant, que l'éminent prélat fut pleinement persuadé
qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à ce projet.
A peine le vénérable infirme
put-il se lever et marcher un peu, qu'il se retira, quoique bien souffrant, au
milieu de ses chers fils du mont Argentario ; et bientôt, malgré son état
maladif et tout estropié comme il était, il repartit pour Rome. Y étant arrivé,
le cardinal Albani le fit recevoir par charité au couvent de Saint-André delle
fratte, occupé par les Minimes, dont il était protecteur. Les bons pères
l'accueillirent avec beaucoup de bienveillance et furent édifiés de sa vertu et
de l'innocence de sa vie. Pendant son séjour à Rome, le bienheureux eut à
souffrir plus que jamais. Faible et gêné dans sa marche, il allait ou plutôt il
se traînait malgré la douleur. Le froid de la saison était fort sensible pour un
homme convalescent et si mal vêtu; il lui fallait cependant se rendre dans
divers palais. Quand il avait gravi avec beaucoup de peine les longs escaliers
qui mènent aux antichambres, il était contraint d'attendre fort longtemps, chose
bien pénible pour un homme qui aimait tant la solitude et le silence. Quelles
que fussent ses démarches, il lui fallut encore deux mois avant d'obtenir
l'expédition du bref. Alors que tout semblait terminé, de nouvelles difficultés
s'élevaient, pour donner de l'exercice à sa patience. Cependant, ni les
souffrances du pauvre père, ni ses embarras ne diminuaient; il en vint enfin au
point de ne pouvoir plus marcher qu'avec grande difficulté. Mais embrassant
étroitement la croix de Jésus, et plein d'abandon à la sainte volonté de Dieu,
il attendit qu'il plût au Seigneur de le consoler, en lui accordant la grâce
qu'il désirait, et il s'appliqua avec douceur et humilité à surmonter tous les
obstacles.
Finalement, après quelques
nouveaux adoucissements, les cardinaux furent unanimement d'avis qu'on approuvât
les règles par un bref. Le cardinal Albani chargea un homme habité de les
traduire en latin. Le père Paul étant un jour allé visiter le traducteur,
celui-ci, quelque peu fâché sans doute à cause de ses grandes occupations, le
reçut d'un air mécontent et lui parla avec dureté. Le serviteur de Dieu qui
n'avait pas seulement l'extérieur de l'humilité, mais qui portait cette vertu
dans son cœur, se mit aussitôt à genoux devant lui, l'apaisa et le remit dans un
calme parfait. C'est ce qu'il fit encore à l'égard d'une autre personne, dans
une rencontre tout à fait semblable, et avec le même succès.
Les règles traduites furent
présentées à Sa Sainteté avec le vote favorable des commissaires. Le pape alors
voulut bien ordonner l'expédition du bref qu'il signa ensuite le 28 mars 1746,
jour fort mémorable, comme dit le père Paul; en donnant cette nouvelle à l'un
des siens.
Lettre au P. Fulgence.
« Cher et bien-aimé père
Fulgence ! Dans cette circonstance, je suis privé de vos bonnes lettres... J'ai
fait quelque douce plainte de votre Révérence... mais la charité vous inspirera
de la compassion pour une âme si pauvre et si imparfaite que la mienne; je vous
en demande pardon de tout cœur. Grâces à Dieu, le lundi de la passion, 28 de ce
mois, jour où on lit à l'évangile de la messe : Si quis sitit, veniat ad me et
bibat, etc., le vicaire de Jésus-Christ a apposé sa signature à la minute du
bref pour la confirmation de nos saintes règles. Maintenant on travaille à sa
rédaction. Hier je fus de nouveau aux pieds de Sa Sainteté pour la remercier, et
je l'ai priée de nous exempter des frais; elle m'a dit qu'elle en aurait parlé
au cardinal Passionei, secrétaire des brefs. Je ne vous dis rien de cette
providence admirable de Dieu qui n'a pas voulu, malgré les démarches les plus
actives, que cette grâce nous fût accordée avant la semaine de la passion. Cela
est bien mystérieux. Que votre Révérence se rappelle qu'il en fut de même, lors
de l'ouverture de notre retraite au mont Argentario. Nous n'avons pu, malgré
tous nos efforts, y faire notre entrée solennelle et y célébrer le divin
sacrifice que le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix. Nos autem gloriari
oportet in cruce Domini nostri Jesu Christi : «pour nous, nous devons mettre
notre gloire dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ». Voilà ce qui fut
chanté la première fois dans notre église. Ce sont là des choses merveilleuses
et dont il faut conserver la mémoire comme de plusieurs autres. Quand Dieu le
voudra, je vous dirai de vive voix, etc. ... Le bref ne pourra être expédié
qu'après le dimanche de Quasimodo. Son Éminence me l'enverra. Pour l'exécution,
tout ira bien, nous aurons les indulgences, etc. ... Je m'occupe, grâces à Dieu,
à négocier toutes choses pour le bien de la congrégation. Je me convaincs de
plus en plus qu'elle est l'œuvre de Dieu. Rome tout entière, pour ainsi dire,
religieux et prélats sont de cet avis... Dieu m'a aidé, et je puis dire que
c'est un miracle de sa miséricorde que cette affaire ait eu un tel dénouement et
si vite. Je penserai au moment convenable pour faire des actions de grâces
solennelles, etc. ... Cependant que tous aient soin d'en louer et d'en remercier
le Très-Haut.
31 mars 1746. »
Les règles ayant été approuvées
par un bref, on approuva aussi, après un examen spécial, le cérémonial de la
vestition et de la profession. Ensuite le père Paul choisit pour le sceau de la
congrégation des armoiries semblables au signe que nous portons sur la poitrine.
Elles sont entourées d'un côté d'une branche de palmier et de l'autre d'une
branche d'olivier, qui signifient la victoire de Jésus-Christ sur la croix et la
paix qu'il a procurée au monde par sa passion et sa mort. Quand le père Paul eut
reçu le bref en bonne forme, pénétré des plus vifs sentiments de reconnaissance
et d'humilité, il écrivit en ces termes au même père Fulgence : « Le jour de
la Commémoration de saint Paul, 30 de ce mois, veuillez faire commencer le
Tridutcm solennel en actions de grâces, avec exposition du très saint Sacrement,
pour terminer le jour de la Visitation de la sainte Vierge. Il y aura communion
générale tous les trois jours. Vous voudrez bien chanter la messe le jour de la
Visitation à mon intention. Que tous prient avec beaucoup de piété et de ferveur
pour nous obtenir prospérité, esprit apostolique, esprit de grande sainteté; en
un mot, que tous prient Jésus de nous accorder à tous son Saint-Esprit. J'ai
tout dit en peu de mots.
Mais pour moi, misérable, qui
tue l'œuvre de Dieu par ma mauvaise vie, que dirai-je ? Je me prosterne aux
pieds de tous, je demande pardon à tous de ma vie mauvaise, relâchée, tiède et
scandaleuse, car je ne suis pas régulier, mais fort irrégulier; je les prie de
conjurer la divine Majesté de me pardonner tous mes péchés qui sont très graves
et plus que très graves ; et si par ma faute je ne dois pas donner le bon
exemple à l'avenir par une vie très sainte, qu'ils prient notre bon Dieu de
m'enlever de ce monde, en m'accordant une sainte mort. Pour l'amour de Dieu, ne
me refusez pas cette charité. Je vous assure et je crois très fermement que si
vous voulez correspondre aux vues de Dieu, il fera de vous tous des saints. Je
sais ce que je dis ».
23 juin 1746. »



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