CHAPITRE 37.

IL OBTIENT DE CLÉMENT XIV L'APPROBATION DE L'INSTITUT.

Le Siège apostolique devint vacant à cette époque, par la mort de Clément XIII, arrivée le 3 Février 1769. Afin d'obtenir de la Bonté divine un digne et saint pasteur pour l'Église, le serviteur de Dieu fit prier beaucoup et pria lui-même de toute la ferveur de son âme. Il aurait cru manquer aux devoirs d'un bon fils, s'il avait négligé de le faire; aussi, quand on lui eut écrit cette nouvelle, il répondit : «J'apprends avec peine la fâcheuse nouvelle. Ce matin j'ai célébré solennellement la messe pour le repos de son âme, et je l'ai aussi appliquée à l'intention d'obtenir de la Bonté divine un saint pasteur pour l'Église. J'ai mis le cœur des cardinaux dans les plaies de Jésus-Christ, spécialement celui de Ganganelli». Après la messe, il dit à son compagnon : «J'ai placé le cœur des cardinaux dans le sang de Jésus, mais celui de Ganganelli, oh! De quel éclat il brillait»! Ces paroles ne faisaient que confirmer la prédiction qu'il avait déjà faite à plusieurs reprises, de l'élection du cardinal Ganganelli. Il s'en était exprimé de la sorte à ce digne prélat lui-même, comme nous le rapporterons en traitant de ses prédictions.

Éclairé de cette lumière intérieure, le père Paul attendait de jour en jour l'heureuse nouvelle. Cependant il se mit à examiner la règle, pour voir s'il ne fallait pas mettre en meilleure forme ou dans un ordre différent, les additions et les explications qui avaient eu lieu par l'autorité de Benoît XIV. Enfin il reçut la nouvelle qu'il attendait, de l'exaltation du cardinal Laurent Ganganelli au souverain pontificat, et aussitôt, le 25 mai, il se mit en route de très bon matin pour Ronciglione. Y étant arrivé de bonne fleure, il employa le reste de la journée à recevoir tous ceux qui avaient à lui demander des lumières, des conseils ou des encouragements; écoutant tout le monde et donnant à chacun des avis salutaires. Le jour suivant, il se remit en route pour Rome, et le soir, il se trouva entre les bras de ses enfants, au petit hospice, près de Saint Jean-de-Latran, à leur grande satisfaction réciproque.

Cependant le nouveau Pontife n'avait pas perdu de vue le père Paul et ses prédictions si exactement vérifiées. Un jour qu'il s'entretenait avec monseigneur Charles Angeletti, son camérier secret, grand ami et bienfaiteur de la congrégation: «Vous verrez, sans nul doute, lui dit-il, que le père Paul viendra à Rome». Cela n'est pas possible, répondit monseigneur Angeletti, il est malade et peut à peine se mouvoir. N'importe, répliqua le pape qui connaissait bien le cœur du père Paul, n'importe, vous verrez qu'il viendra». Apprenant ensuite son arrivée, il voulut aussitôt avoir la satisfaction de le voir et de l'entretenir, et dans la matinée, il envoya une voiture du palais le prendre à l'hospice. Dans le trajet, le bon vieillard se souvenant du passé et considérant de quelle manière Dieu l'avait tiré de ses peines, disait à son confesseur qui l'accompagnait : «Oh! Que de fois j'ai fait ce voyage à pieds nus! que de souffrances j'ai eu à endurer dans cette ville, pour faire marcher cette sainte œuvre de la congrégation»! Son compagnon lui répondit par cet à propos : «Et voilà que vous en recueillez les fruits».

Arrivé au Vatican, le saint Pontife l'accueillit avec une bonté inexprimable, charmé de revoir l'homme qu'il chérissait et vénérait tant; il lui ouvrit tout son coeur, et pour faire entendre combien il estimait le serviteur de Dieu, il dit tout bas à son compagnon : «J'ai une de ses lettres; avant le conclave, je la portais toujours sur moi, et je l'ai même portée au conclave».

Après une longue audience, le père Paul, de plus en plus assuré de la disposition où était le vicaire de Jésus-Christ de confirmer de nouveau et plus solidement l'œuvre de Dieu, lui présenta un mémoire dans lequel il suppliait Sa Sainteté d'approuver l'institut, en qualité de congrégation, avec vœux simples, et de lui accorder les grâces et les privilèges des autres congrégations. Le Saint-Père se montra très favorable à sa prière, et lui ayant donné sa bénédiction apostolique, le renvoya à l'hospice, plein d'espoir de voir bientôt son œuvre définitivement établie.

Le Souverain Pontife ne tarda pas à députer monseigneur Zélada, secrétaire de la congrégation du concile et monseigneur Garampi, secrétaire des brefs, depuis cardinaux de la sainte Église, pour examiner avec soin ce qu'il convenait de faire, et formuler leur avis. Les deux prélats étaient parfaitement au courant des affaires de la congrégation. Ils employèrent quarante jours à cet examen; après quoi ils représentèrent à Sa Sainteté, qu'il leur semblait à propos de mitiger la règle en deux points; le premier, concernant le repos de la nuit, et le second, concernant le jeûne. Ils lui proposèrent d'ordonner qu'il y eût, toute l'année, cinq heures pleines de repos avant matines, et que le jeûne quotidien fût restreint à trois jours la semaine. Le Souverain Pontife approuva la sage discrétion des prélats, par ce motif que le genre de vie de la congrégation serait ainsi mieux approprié aux tempéraments faibles et qu'il en résulterait plus de stabilité et de durée pour l'institut. Il ne voulut cependant prendre aucune détermination avant d'entendre le père Paul. En conséquence, il daigna charger les deux prélats de communiquer eux- mêmes au serviteur de Dieu leurs sages et justes observations. Le père Paul qui reconnaissait la volonté de Dieu dans les sentiments du Souverain Pontife, jugea aussi que cette modération était fondée, et ainsi fut conclue l'affaire qu'il avait si fort à cœur. Ce fut précisément la veille de la glorieuse Assomption de Marie. Le jour même de cette fête pour laquelle le père Paul avait une dévotion très grande, le pape lui fit dire par son confesseur, le père maître de Saint-George, qu'enfin ses saints désirs étaient exaucés et qu'il serait satisfait. Pour entendre parfaitement le sens des paroles du Souverain Pontife, il faut savoir que le père Paul avait témoigné au Saint-Père un vif désir d'aller, le jour de l'Assomption, visiter l'image de la sainte Vierge, qu'on vénère dans la chapelle Borghèse à Sainte-Marie-Majeure, pour remercier la Mère de Dieu de lui avoir obtenu la confirmation de la congrégation, avec de nouvelles faveurs. Il y avait juste cinquante ans que le père Paul avait fait vœu pour la première fois, dans cette même basilique et devant cette même image, de propager parmi les fidèles la dévotion à la passion de Jésus-Christ, et d'employer tous ses soins à former une société dans le même but. Le Saint-Père, faisant allusion à ce qui précède, l'informait qu'il pouvait maintenant réaliser son pieux dessein, puisque la Mère de Dieu lui avait obtenu la grâce après laquelle il soupirait tant. Le matin de la grande fête, le vénérable père se rendit donc à la basilique de Sainte-Marie Majeure, et malgré son grand âge, il voulut assister, presque toujours debout, à la chapelle pontificale, où il rendit au Seigneur et à sa très sainte Mère, les plus vives actions de grâces pour la faveur signalée qui lui était enfin accordée, après tant d'années de soupirs, de travaux et d'angoisses. Il ordonna ensuite que, dans toutes les retraites, on chantât solennellement, outre le Te Deum, une messe d'actions de grâces, en reconnaissance de ce grand bienfait.

Quelque temps après, on lui expédia le bref qui confirmait de nouveau les règles, et la bulle qui approuvait l'institut. Le bref porte la date du 15 novembre 1769, et la bulle celle du 16. Le 23 du même mois, jour dédié à la mémoire du glorieux martyr saint Clément, le sage Clément XIV chargea un des prélats de sa maison de la porter au père Paul. Cette bulle était riche de grâces et de privilèges. Paul l'ayant reçue, la baisa dévotement avec de grands sentiments de respect et d'humilité; puis, l'ayant placée sur l'autel de l'oratoire de l'hospice, il réunit la petite communauté religieuse et remercia de nouveau avec ferveur le Dieu de bonté, toujours si libéral dans ses faveurs, et qu'on ne saurait jamais remercier assez.

   

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