

CHAPITRE 40.
DE QUOI IL S'OCCUPE A ROME.
MALADIE TRÈS DANGEREUSE QU'IL Y FAIT. SA GUÉRISON.
Un peu remis de la maladie qui
était la suite de son voyage au mont Argentario, le père Paul se rendit, le 1er
juillet, auprès du Saint-Père, qui désirait beaucoup de le voir, et lui présenta
les règles du nouveau monastère de la Passion qu'on devait établir à Corneto. Le
Saint-Père les reçut avec une extrême bouté et chargea une personne de grande
prudence et de grand savoir de les réviser, comme nous dirons ailleurs. Le
serviteur de Dieu, étant ensuite retourné à l'audience, le jour de sainte Anne,
bien que le pape ne reçut personne, à cause d'une indisposition, il n'eut pas
plutôt appris l'arrivée du père Paul, qu'il le fit introduire. Après l'avoir
fait asseoir prés de lui, il lui donna mille marques d'affection et de bonté,
puis il lui remit les règles de son monastère; ensuite, ouvrant son coeur en
toute liberté, il dit en confidence au compagnon du père Paul : «Oh! Combien
j'estime cet entretien! Oh ! Que cela me fait de bien! Ce matin, je n'ai voulu
donner audience à personne, pas même au secrétaire d'état. Je n'ai fait
exception que pour mon papa». Le père Paul, encouragé par la bonté et
l'affection toute particulière du Pontife, se hasarda à lui exposer en toute
humilité, un sentiment qu'il avait depuis longtemps dans le cœur, et sur lequel
il avait consulté diverses personnes d'une rare prudence et d'un zèle éclairé :
il dit humblement au Saint-Père, qu'il lui semblait expédient et nécessaire
d'introduire quelque réforme dans le clergé surtout régulier. Il lui exposa en
peu de mots son plan à cet égard, plan entièrement conforme aux règles de la
prudence chrétienne. Le Saint-Père vit avec plaisir la sincérité et le zèle du
serviteur de Dieu, en même temps que sa prudence et sa sagesse. II trouva le
projet très propre à atteindre le but, et il lui répondit : «Vous le voyez, père
Paul, nos sentiments sont les mêmes». Le saint pontife lui dit ensuite qu'il
approuvait beaucoup et agréait son intention d'engager efficacement les prêtres,
les prélats et surtout les évêques nouvellement ordonnés qui recourraient à ses
conseils, à être fidèles à la pratique de l'oraison et de la vigilance, ainsi
qu'au ministère de la prédication qui est un des grands devoirs des évêques.
Enfin, il voulut l'accompagner à la sortie en le comblant de civilités, le
conduisit parle bras jusqu'à la porte, et le congédia ainsi de la manière la
plus gracieuse.
Cette même année, le pape avant
de partir pour Castel Gandolfo, admit encore une fois le serviteur de Dieu à une
audience secrète. Il le retint près de lui pendant cinq quarts d'heure, ajoutant
que sa société lui était chère et agréable. Il lui promit de nouvelles faveurs
et lui demanda avec instance, que pendant tout le temps de sa villégiature,
outre les prières accoutumées, on récitât chaque jour un Ave Maria à son
intention. Sorti de l'audience du pape, le père Paul rencontra le cardinal
Pallavicini, secrétaire d'État, qui daigna lui témoigner une affection
extraordinaire. Le serviteur de Dieu y répondit comme de coutume avec toute
l'humilité et la cordialité possible. Il dit entre autres choses à son Éminence,
qu'il avait les plus grandes obligations au marquis dom Jérôme Pallavicini, son
digne père, et à la marquise, sa pieuse mère, parce que, passant à Gênes dans sa
jeunesse, ils avaient eu la charité de le recevoir dans leur palais. Le cardinal
fut très charmé d'apprendre ce trait de la bouche du père Paul, et il lui dit
avec bonté : «Vous voyez, père Paul, combien notre amitié est ancienne». Le
serviteur de Dieu s'humilia intérieurement à son ordinaire, et quitta le palais
pour rentrer à son hospice.
Vers la fin d'octobre de cette
année, il eut une fièvre tierce qui ne dura pas longtemps. S'étant remis assez
vite, il voulut se préparer d'une manière spéciale à la fête de la Présentation
de la sainte Vierge, fête très solennelle pour lui et pour toute la
congrégation. Il passa tout le temps de la neuvaine, aussi bien le jour que la
nuit, sauf le peu d'heures de repos qu'il prenait, dans un recueillement profond
et une intime union avec Dieu. En présence de cette lumière immense, il se
voyait pauvre et dénué de tout bien; se tournant alors vers le Sauveur crucifié,
il s'appropriait ses souffrances par l'amour, et s'en revêtant en esprit, il se
présentait au Père céleste, orné des mérites infinis de son Fils unique et se
reposait dans son sein paternel.
En ce temps-là, le père
Saint-Georges; confesseur du pape, eut une atteinte d'apoplexie, qui lui laissa
tout un côté paralysé. Le serviteur de Dieu qui aimait et respectait beaucoup
cet excellent religieux, son ami, s'empressa d'aller le voir et l'encouragea, en
lui disant : «Père maître, vous avez été aux portes de la mort, mais ayez
confiance : vous guérirez; cela est aussi sûr que je tiens ce mouchoir en main».
Après avoir béni le malade à sa prière, il s'en retourna à l'hospice.
L'événement justifia la prédiction; le père Saint-Georges se rétablit de sa
maladie, et recouvra l'usage de ses membres.
Cependant le saint temps de
l'Avent approchait. Le père Paul, tout faible et caduc qu'il était, voulait
observer à l'ordinaire le jeûne et l'abstinence; mais l'infirmier, le médecin et
le confesseur, l'obligèrent par obéissance, à user de dispense. Il prit donc sa
nourriture ordinaire, mais avec peine et dégoût; de jour en jour il sentait
diminuer ses forces. Le pape qui désirait le revoir, lui fit offrir un carrosse;
il l'attendait le jour de la Conception de la très sainte Vierge. Mais la veille
au soir, le serviteur de Dieu eut à subir une attaque extraordinaire et très
violente des démons. Il ne savait comment, se défendre. Il eût voulu se retirer
dans son intérieur, comme dans une place de sûreté, et embrasser son Dieu; mais
pour comble de peine, il éprouvait un grand abandon intérieur et des désolations
d'esprit très douloureuses. Après avoir passé toute la nuit dans la peine et
l'angoisse, le matin de la fête, il se trouva tellement abattu et épuisé, qu'il
ne put se rendre auprès du pape, ni même célébrer la sainte messe. Le Pontife en
fût fort affecté; il craignait beaucoup de le perdre et envoyait souvent
s'informer de son état. Le serviteur de Dieu resta près de huit jours dans cet
abattement auquel se joignaient une grande faiblesse d'estomac et le dégoût de
tout aliment. On ne put savoir de suite si c'était la fièvre; l'accès le prenait
la nuit; il était moins accablé le jour. Lorsqu'on eut vu que c'était la fièvre,
on lui fit une saignée et on lui prescrivit le quinquina. Cette potion lui
répugnait extrêmement; il s'efforça toutefois de la prendre pour obéir aux
ordres des médecins. Du reste, il connaissait bien la cause du mal et la
découvrit en souriant à son confesseur : «Ceci, lui dit-il, n'est pas une
maladie de médecin, mais un mal de lutin ; il vient des démons». Il les appelait
du nom de lutins en plaisantant. Mais quoiqu'il sût à quoi s'en tenir, il ne
laissait pas de se défier de ses propres lumières et d'obéir promptement aux
médecins. Sentant que le mal s'aggravait et paraissait le conduire à
l'extrémité, il se prépara avec soin à la mort, pleinement résigné à la sainte
volonté de Dieu. Son état s'empirant toujours davantage, il disait souvent à son
confesseur, en lui ouvrant son cœur : «Je meurs content, et,je ne tiens pas à la
vie. J'accepte volontiers la mort en expiation de mes péchés; elle cause
d'ordinaire de l'épouvante; pour moi, je n'en ai point peur». Le jour de
l'Attente de l'enfantement, où il avait coutume chaque année de prier avec
grande ferveur pendant la messe, et de souhaiter ainsi de bonnes fêtes de Noël
an souverain Pontife, au sacré Collège, et à toute la société des fidèles, il
demanda de communier en viatique. Le médecin qui ne conservait que peu d'espoir,
fut d'avis avec le confesseur d'accéder à ses désirs. Le soir et pendant la
nuit, ce sont les paroles du confesseur tirées de sa déposition, il se prépara
avec beaucoup de ferveur à recevoir Jésus-Christ. Le matin, il désira recevoir
l'absolution, et me dit : «à la vérité, je n'ai rien qui m'inquiète et qui me
pèse, mais pour faire acte d'obéissance à Dieu, je désire recevoir
l'absolution». Il se confessa avec les plus vifs sentiments de contrition et de
piété, et après avoir reçu la sainte absolution, il me dit : «j'espère beaucoup
dans la passion sacrée de mon Jésus. Le Seigneur sait que toujours j'ai désiré
le bien et que j'ai travaillé à le faire aimer de tous. J'espère qu'il usera de
miséricorde envers moi ; et puis, ce sont les pauvres brigands que j'ai aidés
dans les missions, qui, j'espère, prieront pour moi». Il répétait souvent avec
beaucoup de contrition et d'humilité : «Mon Jésus, miséricorde! Mon Jésus,
miséricorde»! Enfin il reçut le saint viatique avec de si grands sentiments de
piété, que tous les religieux présents en furent attendris et touchés. Le soir,
le mal s'aggrava outre mesure. Les médecins le voyant incapable de rien prendre,
commencèrent à dire que le cas était presque désespéré. Quand tout le monde fut
parti, il demanda à son confesseur : «Mais vraiment, suis je mal? Oui, lui
répondit-il. II y a quelque temps, ajouta le malade, le Seigneur me fit
connaître que je devais passer par une grande épreuve qui ne serait cependant
pas mortelle; et mon cœur envisageant cette épreuve, courut aussitôt l'embrasser
avec grand plaisir». Sans se fier pourtant à ses pressentiments, il prit toutes
ses mesures comme s'il allait mourir. «Si je meurs, dit-il, qu'on ait la charité
de faire mes obsèques sans aucune pompe, ici, dans la chapelle, et puis, quand
la soirée sera avancée, qu'on me fasse porter secrètement dans l'église des
saints Pierre et Marcellin, et là, qu'on m'enterre sans aucun honneur. Lorsque
mon corps sera consumé, qu'on mette les ossements dans un sac, qu'on en charge
un âne et qu'on les porte à la retraite de Saint-Ange à Vetralla, pour les
déposer auprès de ceux de mon frère Jean-Baptiste». L'humble père ne savait pas
ce qu'avait déjà résolu le souverain Pontife, en apprenant que sa maladie était
mortelle. Quand on eut dit au pape que que père Paul désirait être inhumé dans
l'église des saints Pierre et Marcellin, il ordonna que s'il venait à mourir, on
mît son corps en dépôt dans la basilique des saints Apôtres, ajoutant que si ses
religieux le voulaient, on aurait pu le transférer ensuite dans leur église: Le
confesseur du serviteur de Dieu qui connaissait tout cela, lui dit qu'en ce qui
regardait sa sépulture, le pape y avait pourvu. Le père Paul gardant un profond
silence, poussa un profond soupir; il dit ensuite : «Ah! je désirais mourir dans
un lieu où on n'aurait pu me rendre aucun honneur». Comme il témoignait une
peine fort vive, son confesseur ajouta pour le consoler : «Obéissance pendant la
vie, à la mort, et après la mort. Après sa mort, Jésus-Christ a permis à ses
amis de l'ensevelir où ils voulaient». A ces mots, le serviteur de Dieu, en
homme qui soumet ses sentiments à ceux d'autrui, cessa d'insister, et,
continuant à parler de son état, il dit à son confesseur, que, malgré la gravité
du mal, il lui semblait n'être pas encore à la fin de sa vie : «Je pense, ce
sont ses paroles, que je ne mourrai pas à présent».
En effet, pendant la nuit, il
commença à transpirer, reposa paisiblement, et le matin, le mieux fut si marqué,
qu'il put prendre quelque aliment, selon sa prédiction de la veille. Comme il
avait sans cesse les regards fixés sur la source de tout bien, après avoir
mangé, il dit en versant des larmes de reconnaissance : «Les princes signent les
requêtes le jour de leur anniversaire; et de même, le bon Jésus a signé, le jour
de sa naissance, celle de nos religieux qui désirent que je vive encore un peu
de temps. Je veux donc, avec la grâce de Dieu, changer de vie».
Dans le cours de la matinée, il
reçut la visite du cardinal Pirelli et de monseigneur de Zelada, depuis aussi
cardinal. S'entretenant avec eux, le serviteur de Dieu leur dit : «Je n'ai
jamais eu si peu peur de la mort que cette fois. Dans le fond, mourir n'est pas
une chose horrible, mais aimable. Si la mort est la privation de la vie, elle
nous est ôtée par le même Dieu qui nous l'a donnée». L'amélioration se
soutenant, le père Paul continua de recouvrer chaque jour un peu de force, et se
rétablit avec l'aide du Seigneur, au point qu'il pensa à célébrer la messe le
jour de Noël. Mais le Pape qui le sut, craignit qu'il ne lui survînt une
faiblesse à l'autel, et il lui fit dire de ne pas se hasarder de célébrer. Il
obéit sans la moindre difficulté, et la nuit de Noël, il resta au lit par
obéissance, contemplant en esprit ce grand mystère et se plongeant dans cet
abîme de bonté. Comme il ne lui était pas permis d'assister à l'office, de temps
en temps, il appelait son compagnon, dans la crainte que celui-ci, surpris par
le sommeil, n'y manquât.
Le mieux cependant ne dura pas
longtemps. Au bout de quelques jours, il fut pris d'une diarrhée très fâcheuse
qui le réduisit bientôt au plus triste état. Les forces diminuant toujours, le
12 janvier, il eut une sorte de faiblesse qui lui ôta l'usage des sens et de la
parole. On pratiqua aussitôt une saignée qui le fit revenir à lui, mais qui ne
le guérit pas. A la diarrhée se joignit la fièvre avec de grands évanouissements
et une prostration complète. Divers remèdes furent essayés, mais sans succès; le
malade resta plusieurs jours dans cet état, toujours résigné à la sainte volonté
de Dieu et attendant avec soumission qu'il disposât de sa personne. Voyant
toutefois le mal faire des progrès, il demanda, le 22 du même mois, de communier
en viatique, et le lendemain, fête des épousailles de la très sainte Vierge, il
se confessa de nouveau avec de vifs sentiments de contrition, puis reçut le
saint viatique, le visage baigné de douces larmes. Après qu'il eut fait une
fervente action de grâces : «Je le retrouvai, dit son confesseur qui entra alors
dans sa chambre, dans une tranquillité parfaite, ayant un visage serein, et il
me dit : «A présent, je ne crains plus de mourir; le Seigneur m'a presque assuré
du paradis». Après quoi il ajouta : «quand un prince envoie un de ses ministres
dans un pays lointain, il le fournit de tout ce qui est nécessaire pour arriver
heureusement à sa destination; le Seigneur mon Dieu et mon Père m'a donné, comme
viatique, pour le grand voyage de l'éternité, son Fils unique». Il répétait
souvent les larmes aux yeux : «Je ne crains plus, je n'ai plus peur; l'heure du
départ n'est pas encore venue». Il y eut bien ensuite un peu de mieux, mais il
n'avait rien de stable et ne donnait pas l'espoir d'une guérison ; c'était une
alternative continuelle, et le pauvre malade déjà si fatigué par la maladie,
était encore en proie à l'abandon et à la désolation intérieure, le Seigneur le
purifiant ainsi de plus en plus. Cependant il adorait les dispositions de la
divine Bonté et vivait dans la soumission au bon plaisir de Dieu : «Je suis fort
content dans ce lit, disait-il; il me semble que j'y suis venu au monde». C'est
dans cette paix et cette tranquillité d'âme, fondées sur une vraie résignation à
la volonté divine qu'il passait les jours et les nuits, tout occupé à adorer et
à remercier la divine Majesté, répétant souvent avec beaucoup de sentiment: «Gratias
agimus tibi propter magnam gloriam tuam; nous vous rendons grâces à cause de
votre grande gloire». Cette oraison jaculatoire lui avait toujours été
familière; comme elle est glorieuse à Dieu et qu'il avait appris par expérience
le secours qu'on en tire, il exhortait beaucoup ses religieux à la répéter
souvent. Avait-il à leur proposer quelque chose de difficile? Pour enflammer
leur courage, il leur disait d'un ton pénétré: «Propter magnam gloriam Dei; pour
la grande gloire de Dieu». Quelquefois et bien souvent, il se prosternait en
esprit devant le trône de l'auguste Trinité et disait très dévotement :
«Sanctus, sanctus, sanctus», ou bien : «Benedictio, et claritas, et sapientia,
et gratiarum actio, honor, virtus et fortitudo Deo nostro in saecula saeculorum.
Amen (Ap 7,12). Bénédiction et louanges, sagesse, action de grâces, honneur,
puissance et force à notre Dieu dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il». Il
appelait cette prière le cantique du paradis.
Le mal augmentant toujours, le
père Paul semblait, selon toute apparence, approcher de sa fin. II voulut donc,
par amour pour la sainte pauvreté, se dépouiller entre les main du premier
consulteur, de tous les petits objets qu'il avait à son usage; après cela, il le
pria, dans les termes les plus touchants, de lui faire l'aumône de quelque
mauvais vêtement pour lui servir de linceul et lui recommanda instamment la
congrégation. Alors faisant un humble retour sur lui-même pour considérer ses
légers manquements : «J'accepte la mort de bon cœur, dit-il. Celui qui est
coupable de lèse-majesté doit mourir; je suis coupable; il est donc juste que,
je meure». L'un des assistants reprit : « Mais à présent par la grâce de Dieu,
vous ne l'êtes plus». «Eh! répondit-il, l'homme ne sais s'il est digne d'amour
ou de haine. J'espère pourtant beaucoup : les mérites de Jésus-Christ sont mes
capitaux».
L'homme de Dieu n'avait garde de
rien omettre pour assurer son salut. Aussi recommanda-t-il à son confesseur de
l'absoudre encore au moment où il rendrait le dernier soupir. Celui-ci l'ayant
prié de son côté avec instance de lui donner sa bénédiction, le bon père se
rendit à son désir et il le bénit avec son crucifix, en lui disant : «Que Dieu
vous accorde son saint-Esprit; Concedat tibi Deus Spiritum sanctum tuum».
Le père Paul n'eût certainement
pas voulu mourir sans la bénédiction du Souverain Pontife. Il envoya donc son
confesseur dire de sa part au Saint-Père, avec l'humilité la plus profonde,
qu'il était et qu'il voulait mourir en véritable enfant de la sainte Église. Le
pape lui envoya de nouveau la bénédiction apostolique pour l'article de la mort,
avec les témoignages de la plus tendre affection. Le malade désirant se
fortifier de plus en plus, en se nourrissant du pain de vie, demanda de nouveau
et reçut le saint viatique dans les sentiments les plus vifs de dévotion. Le
danger continuait, et la situation était toujours grave, au point que les
médecins n'y voyaient plus de remède ; lui cependant, comme s'il avait été en
santé, ne perdait pas de vue le gouvernement de la congrégation et s'occupait
des moyens de fonder le nouveau monastère des religieuses de la Passion qu'il
avait depuis longtemps à cœur. Ce monastère ayant été établi dans la suite, il
eut toujours grand soin de donner aux nouvelles épouses de Jésus-Christ les avis
les plus utiles et les plus efficaces pour les exciter à marcher dans le chemin
de la perfection chrétienne et religieuse. De son lit de douleur, il ne cessait
donc pas de donner les ordres convenables, soit pour ce monastère, soit pour la
congrégation en général; il recevait les lettres et faisait répondre exactement.
Toute sa nourriture et son soutien dans la maladie et les désolations
intérieures, étaient d'accomplir la volonté de Dieu, en s'acquittant, comme s'il
eût été en santé, de tous les devoirs de supérieur et de père. Tout en lui était
un exemple de vertu : son zèle, sa vigilance, sa douceur, son abandon à Dieu, sa
patience; mais ce qui touchait surtout, c'était de voir son oubli de lui-même et
la persuasion où il était qu'il ne méritait pas les soulagements qu'on cherchait
à lui procurer.
Cependant ses enfants craignaient
à chaque instant d'apprendre la funeste nouvelle de la mort d'un père si chéri.
Il plut toutefois au Seigneur de prolonger ses jours et de le rétablir assez
bien pour qu'il pût se lever et célébrer de nouveau la sainte Messe. Nous
laisserons ici parler le frère infirmier. II va nous raconter comment cette
guérison eut lieu. La vérité de son récit a été confirmée par d'autres
témoignages, et d'ailleurs, il a, dans sa simplicité même, le mérite de
détailler fort bien toutes les circonstances du fait. «Je me trouvais, dit le
frère, à l'hospice près de Saint-Jean-de-Latran, lorsque le père Paul fit ici à
Rome une maladie mortelle qui le réduisit à toute extrémité. Le docteur Julien,
médecin de l'hôpital de Saint-Jean-de-Latran, donnait ses soins au serviteur de
Dieu, et le visitait tous les jours. Remarquant que la maladie faisait de jour
en jour des progrès, il dit qu'il serait certainement mort et qu'il ne passerait
même pas la semaine. Le père procureur général et moi, nous sommes donc allés
annoncer au pape Clément XIV, que le père Paul touchait à ses derniers jours.
Nous lui avons répété ce que le médecin avait dit, et de la gravité de la
maladie et de l'imminence de la mort. Le pape qui affectionnait le serviteur de
Dieu et qui était fâché de le perdre en ce moment, dit ces paroles : «Je ne veux
pas qu'il meure à présent; dites-lui que je lui donne un sursis, et qu'il
obéisse». Nous sommes retournés à l'hospice tout joyeux, tant pour les
témoignages de bienveillance que le souverain Pontife donnait au père Paul, qu'à
cause de l'espoir que nous avions de sa guérison, vu que le pape la voulait. A
notre arrivée, nous nous sommes empressés de représenter au père Paul l'ordre du
pape. Chose vraiment admirable! Le père Paul se mit à pleurer, puis il se tourna
les mains jointes vers le crucifix qui était à côté de son lit et lui parla en
ces termes: «Mon Jésus crucifié, je veux obéir à votre vicaire», et à l'instant
même, il se trouva mieux; puis il fut délivré de son mal et recouvra la santé,
bien qu'il restât infirme à l'ordinaire».
Le Seigneur fit voir de nouveau
dans cette occasion, comment une confiance vive et une généreuse obéissance font
violence à son cœur plein de bonté, et en emportent des faveurs extraordinaires.



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