En 1611, Bérulle a trente-six ans. Il est en pleine maturité et multiplie les
conférences destinées à ses fils. Il insiste beaucoup sur l’année liturgique, le
sacerdoce des prêtres et la vie spirituelle. Dans son enseignement, une place
spéciale est toujours réservée aux mystères du Christ, à la Vierge Marie et aux
saints, surtout à Marie-Madeleine. Enfin il faut noter que Bérulle revient
constamment sur la nécessité de l’oraison quotidienne et recommande d’y
consacrer une heure le matin et une demi-heure dans la soirée.
La bulle qui était sollicitée depuis deux ans fut publiée le 10 mai 1613. Paul V
approuvait la nouvelle société sous le nom de “Congrégation de l’Oratoire de
Jésus-Christ en France” et ajoutait que cette congrégation purement
ecclésiastique se composerait de prêtres qui ne seraient liés par aucun vœu
solennel.
Les oratoriens vivaient comme dans un monastère: office chanté et oraison en
commun, puis Eucharistie. On prêchait souvent à la chapelle et Bérulle demandait
que l’Écriture sainte soit la source vers laquelle ses prêtres devaient revenir
sans cesse. Bérulle voulait que les sermons soient courts, simples et à la
portée de tous. Et, recommandation suprême, ses disciples ne devaient jamais
monter en chaire sans s’être préparé pendant un long temps d’oraison.
La direction spirituelle et la confession devaient être les tâches importantes
des oratoriens. Bérulle pensait que c’était les ministères les plus élevés des
prêtres. Lui-même passait des heures à confesser et demandait à ses disciples de
faire de même. Il disait: “Notre vie doit être vie et mort tout ensemble,
mort à nous-mêmes, au monde et au péché, vie à Dieu et à Jésus-Christ.” Il
recommandait aux oratoriens d’être très attentifs au dessein de Dieu sur chaque
âme et de chercher à découvrir les appels de l’Esprit de Jésus. Car, disait
Bérulle, le prêtre doit s’effacer devant le Christ et prier beaucoup.
Charles de Condren était venu à Paris pour étudier la théologie sous la
direction du Père André Duval. Il fut ordonné prêtre le 17 septembre 1614. En
juin 1617, Condren demanda à Bérulle, à la grande joie de ce dernier, de
l’admettre à l’Oratoire. Voici ce que Bérulle écrivit de Charles de Condren,
très peu de temps après son arrivée à l’Oratoire: “Il a plu à Dieu de nous
donner Monsieur de Condren qui est d’une très grande considération et un des
rares esprits que j’aie connus. Il est doué d’une grande humilité, douceur et
modération d’esprit...”
Charles de Condren entra profondément dans la spiritualité de Bérulle et
particulièrement dans sa spiritualité de l’Incarnation. Il vénérait Jésus,
victime dont l’immolation était sans cesse renouvelée pour répondre au dessein
d’amour du Père. Condren voulait, lui aussi, à l’imitation de Jésus, s’anéantir
(au sens qu’on donnait à ce mot, au XVIIe siècle, c’est-à-dire
participation à la kénose de Jésus) pour rendre hommage à l’infinie majesté de
Dieu.
L’entrée de Charles de Condren mécontenta le Père Duval, son professeur, et
suscita une querelle et des joutes épistolaires entre les deux hommes. À la même
époque, Madame Acarie, devenue Sœur Marie de l’Incarnation, passée sous l’orbite
du Père Duval, se trouva en opposition avec Bérulle à cause de la signification
véritable du vœu de servitude.
Écrasé de travail, Bérulle se déchargea du supériorat de la maison de Paris et
nomma supérieurs les Pères Gibieuf et Nicolas de Soulfour, en février 1617. Il
faut dire que Richelieu, évêque de Luçon, lui avait confié, le 14 décembre 1614,
la direction de son séminaire.
On le sait peu, Bérulle fut un grand mystique. Tous ceux qui ont étudié sa vie
ont constaté sa conviction profonde d’avoir été chargé par Dieu d’initier à la
vie mystique ceux qui lui avaient été confiés. Le soir du 10 novembre 1611, au
cours de la première causerie qu’il fit à ses compagnons, il déclara: “Le
caractère particulier de notre Congrégation est qu’elle l’a choisi
(Jésus-Christ) avec, en même temps, la très bienheureuse Marie toujours Vierge,
sa Mère...
La nature de notre Institut semble réclamer que tous les jours et à plusieurs
reprises, nous repassions dans notre esprit tel ou tel mystère, telle ou telle
parole, ou bien une action intérieure ou extérieure de Notre-Seigneur
Jésus-Christ...
En l’honneur de la très bienheureuse Vierge Marie, protectrice principale de
notre Congrégation après Jésus-Christ, que chaque jour, d’une façon ou d’une
autre, lui soit manifestée notre servitude.”
Cette dévotion d’esclavage, très bérullienne, s’exprime dans le texte suivant,
extrait du Petit Mémorial, rédigé probablement en 1612 : “Je me donne
à vous, ô Jésus, selon tous mes besoins... selon tous mes rapports avec vous...
pour tous les usages que vous voudrez avoir en moi... Usez de moi selon votre
puissance et votre bon plaisir... Je suis à vous car vous m’avez acquis par
votre sang... car je vous veux et choisis pour mon souverain...”
Et voici un texte comparable, probablement de la même époque, pour se consacrer
à Marie : “Je vous offre mon âme et ma vie et veux vous appartenir pour
jamais et vous rendre quelque particulier hommage et dépendance en temps et en
éternité... Je vous choisis pour mère de mon âme en l’honneur de ce qu’il a plu
à Dieu même vous choisir pour sa Mère... Je vous accepte et reconnais pour ma
souveraine, en l’honneur de la dépendance que le Fils de Dieu, mon Sauveur et
mon Dieu, a voulu avoir de vous comme de sa Mère; et en cette qualité je vous
donne sur mon âme et sur ma vie tout le pouvoir que je puis vous donner selon
Dieu... Je me donne donc à vous et à votre Fils unique Jésus-Christ Notre
Seigneur et veux ne passer aucun jour sans lui rendre, et à vous, quelque
hommage particulier et quelque témoignage de ma dépendance et servitude en
laquelle je désire mourir et vivre pour jamais.”
En juin 1615, Bérulle, visiteur des carmélites, pensa qu’il pouvait continuer et
approfondir l’éducation mystique des carmélites déjà entreprise. Il imposa à
toutes les carmélites de Chalon, le vœu de servitude à la Vierge : “Nous
ordonnons que toutes les sœurs feront désormais, après leurs trois vœux
solennels, un vœu particulier de servitude perpétuelle envers la très sainte
Vierge... Cette dévotion et liaison par vœu à la très sainte Vierge sera tenue
pour essentielle et primitive en l’Ordre et sera entretenue soigneusement par la
Supérieure et les Religieuses comme étant correspondant au titre que l’on donne
à cet Ordre, le surnommant l’Ordre le la Vierge...”
Bérulle avait proposé aux Oratoriens ce même vœu, le 8 septembre 1614, et le vœu
de servitude à Jésus, le 28 février 1615. Cela n’avait posé aucun problème. Il
n’en fut pas de même avec les carmélites, plusieurs des responsables des
carmels, dont le Père André Duval, ayant cru qu’il s’agissait d’un vœu solennel,
ce qui n’était pas le cas.
Malgré ses répugnances, mais en raison de ses liens avec les grands personnages
de l’état: il avait été chef du Conseil de la reine Mère, Pierre de Bérulle fut
contraint, par le roi Louis XIII et par Richelieu, de se mêler des événements du
siècle.
Toute sa vie politique fut brillante, animée par la nécessité de travailler de
toutes ses forces à la victoire du catholicisme sur le protestantisme. Il dut,
notamment, œuvrer pour unir les puissances catholiques autour de la France,
affaiblir les protestants et être même un des conseillers des responsables
français lors du siège de la Rochelle. Par ailleurs :
– C’est lui qui, à force de patience et de démarches conciliantes, parvint à
opérer un rapprochement entre Louis XIII et sa mère, Marie de Médicis. (1619) On
a dit que cela avait indisposé contre lui l'irascible Richelieu.
– Pierre de Bérulle négocia aussi la paix de Mouçon entre la France et
l'Espagne: quoique cette paix fût avantageuse pour la France, Richelieu blâma
cependant quelques-unes des conditions consenties par Bérulle.
– Lorsqu'il fut question, en 1625, du mariage d'Henriette de France avec le
prince de Galles, qui était protestant, il fallut demander au pape une dispense.
Bérulle, chargé de cette mission, réussit à obtenir cette dispense, en deux
mois, ce qui était une véritable performance.
– Après avoir accompagné la princesse en Angleterre, Bérulle fut nommé ministre
d’État, pendant que Louis XIII et Richelieu étaient allés sur le théâtre de la
guerre, laissant la régence à Marie de Médicis. Mais la politique du nouveau
ministre différait, sur plusieurs points, de celle de Richelieu; elle était plus
droite, plus humaine: ainsi, il chercha à réconcilier Gaston d'Orléans
[1] avec sa mère.
Richelieu, contrarié, trouva bientôt le moyen de forcer à la retraite celui
qu'il regardait comme un rival dangereux.
Malgré ses nombreuses activités, Pierre de Bérulle, durant toute sa vie, écrivit
beaucoup. On lui doit, entre autres, divers ouvrages de controverse et de
dévotion. Son traité intitulé : “Discours de l'état et des grandeurs de
Jésus, par l'union ineffable de la divinité avec l'humanité et de la dépendance
et servitude qui lui est due, et à sa très sainte Mère, en suite de son état
admirable,” produisit une grande sensation, et fit dire au Pape que l'auteur
méritait d'être appelé l'Apôtre des mystères du Verbe incarné. C’était, en
effet, une œuvre colossale quoique œuvre de circonstance, rédigée à la hâte, en
réponse à une campagne d’accusations où étaient mises en cause ses vues
mystiques sur le Carmel et sur l’Oratoire, à propos du vœu de servitude.
Pourtant le vœu de servitude, ce n’était, dans l’esprit de Bérulle, que la
volonté de se “vouer” tout entier au service de Jésus. Il reposait sur le désir
d’anéantir sa volonté propre pour honorer (au sens de rendre hommage)
l’anéantissement de la personne humaine de Jésus dans le mystère de
l’Incarnation.
L’ouvrage se présente sous forme de douze discours:
– Dans le premier discours Bérulle exprime son désir de ”parler de Jésus, de
son état suprême, et de ses grandeurs admirables.”
– Le second discours est une prière au Père, au Verbe, à l’humanité déifiée de
Jésus, et enfin à Jésus “Fils et serviteur tout ensemble.”
– Les deux discours suivants sont des méditations sur l’unité de Dieu laquelle
“s’exprime dans le mystère de l’Incarnation et dans celui de l’Eucharistie,
où Dieu se multiplie sans se diviser.”
– Les quatre discours suivants, intitulés: “De la communication de Dieu en ce
mystère” traitent de la Trinité, de la génération éternelle du Verbe, de la
manière dont Dieu, par l’Incarnation, s’est communiqué aux hommes.
– Le neuvième discours est le commentaire de la phrase : “Dieu a tant aimé le
monde qu’il lui a donné son Fils unique...”
– Les trois derniers discours traitent des trois naissances de Jésus : sa
naissance, au sein du Père, à la vie éternelle,
– sa naissance dans le sein de la Vierge, à la vie temporelle,
– sa naissance dans le sépulcre à la vie immortelle.
On notera que Bérulle était un vrai mystique, passionné de Dieu, âme de prière,
mais c‘était un mystique savant, instruit des Pères de l’Église et de nombreux
théologiens.
Richelieu, promu cardinal le 2 septembre 1622, jugera Bérulle en ces termes:
“Les mystères les plus cachés sont mis à la portée de l’intelligence; la pureté
de l’œuvre démontre la pureté de l’auteur. On peut prédire à ce texte
l’immortalité.”
Le Cardinal Bentivoglio, ancien nonce à Paris écrivit à Pierre de Bérulle, le 25
avril 1623: ”Je vous confesse n’avoir jamais vu un ouvrage d’une plus
profonde doctrine et d’une plus noble éloquence, et je bénis Dieu d’avoir permis
les contrariétés et les calomnies dont on a voulu vous noircir sur l’article de
la doctrine, puisqu’elles ont donné lieu à une si belle et si riche production.”
Les sermons du Cardinal de Bérulle méritent également une mention particulière.
Bien que Bérulle utilise parfois des abstractions subtiles, on découvre, là
aussi, que ce grand homme d’action fut également un grand mystique très épris de
Jésus.
Enfin, on ne peut pas ne pas citer, outre une volumineuse correspondance, Le
Mémorial de direction, L'élévation sur Sainte Madeleine en 1625 et
La vie de Jésus, son dernier ouvrage, en 1629, année de sa mort.
Bérulle devait accompagner la jeune sœur du roi, Henriette de France, en
Angleterre, pour y épouser Charles, prince de Galles qui venait de succéder à
son père, Jacques 1er. Nous sommes en mai 1625. Henriette avait quinze ans et
demi et elle devait épouser un prince protestant. Une dispense était nécessaire
et c’est Bérulle qui avait été chargé de l’obtenir. Bérulle avait confié au Père
Gibieuf la direction de la Congrégation de l’Oratoire, avant de s’embarquer à
Boulogne, avec la jeune reine et sa suite, le 22 juin 1625.
Avant son départ, Bérulle rédigea à la hâte, le Mémorial de quelques points
servant à la direction des supérieurs en la Congrégation de l’Oratoire de Jésus.
La formation des supérieurs est un devoir très important compte tenu de leur
tâche car, estimait Bérulle “Régir une âme, c’est régir le monde...” Une
âme doit être regardée en référence à l’Incarnation. Devant celui qui commet une
faute, le supérieur doit prendre sa part de responsabilité et ne jamais oublier
que, quelle que soit la faute, celui qui l’a commise demeure aimé de Dieu.
Le principe qui guide Bérulle est simplement énoncé : “Mettez-vous en
présence de Dieu, empruntez son regard, contemplez son projet, entrez dans son
projet, et agissez en conformité.”
Le supérieur doit se rendre disponible et se laisser conduire par Dieu, d’où
l’importance de l’oraison... L’anéantissement de soi-même n’est pas une démarche
négative, mais la volonté de faire le vide pour que Dieu puisse le combler.
Ce texte, couramment appelé Élévation sur sainte Madeleine, fut
rédigé pour aider la jeune reine très éprouvée. L’intérêt de ce texte, publié en
1627, c’est que Bérulle fait comprendre que celle que le Christ a choisie, ce
n’est pas la pécheresse pardonnée, mais la passionnée d‘amour, “la choisie
entre les plus choisies”. Le portrait de Madeleine n’est pas l’essentiel.
Bérulle, en cherchant à aider une jeune reine malheureuse, se laisse aller et
exprime sa conception de la vie mystique, don de Dieu.
Enfin, il ne faut pas oublier que le Cardinal de Bérulle, homme de lettres,
aimait les gens de lettres: il le prouva en faisant lever les difficultés qui
s'opposaient à l'impression de la Bible polyglotte de Lejay, et surtout en
encourageant Descartes à poursuivre ses travaux. D’ailleurs, la philosophie de
Descartes est restée longtemps en honneur parmi les oratoriens, parce que leur
fondateur en avait compris toute la valeur, tandis que des théologiens plus
exclusifs ne l’accueillaient que par des persécutions.
Bérulle fut un grand conducteur d’âmes. Cette tâche, Bérulle savait combien elle
est difficile, aussi donna-t-il beaucoup de conseils à ses religieux destinés à
être des directeurs spirituels. Il écrivait: “ Régir une âme, c’est régir un
monde, et un monde qui a plus de secrets et de diversités, plus de perfections
et raretés que le monde que nous voyons, et un plus excellent rapport à celui
qui est le créateur et l’idée de tout ce qui subsiste hors la divine essence...
Chaque âme doit être référée à Dieu, et humblement considérée comme un effet
de la puissance divine qui la crée... comme un sujet de sa sainteté qui doit
reluire et opérer en elle par la grâce. Et nous devons regarder chaque âme comme
un sujet enclos dans la divine providence, pour sa gloire...
La science des âmes s’apprend, non pas tant dans les livres et les académies
que dans le livre de vie (l’Écriture) et au pied de la croix, adhérant à
Jésus, adhérant à ses voies, adhérant à son amour. Cette science est propre à
l’esprit de Dieu... Cette science est donnée par Jésus... aspire à Jésus... ne
connaît que Jésus, et Jésus crucifié... Soyons tous amateurs de cette science
qui a Jésus pour sa fin, pour son objet et pour son origine, et que l’on apprend
de Jésus... et qui a pour principes l’humilité d’esprit, la pureté du cœur,
l’abnégation de soi-même, l’adhérence à Jésus... Aspirons à cette science
sainte. Elle est fille de l’oraison, disciple de l’humilité...” Ses
disciples s’instruisent en instruisant les autres, se font saints en faisant
saints les autres, et Jésus est l’unique maître de cette science.
En 1627, à la demande de Louis XIII, le pape Urbain VIII, envoya à Pierre de
Bérulle un chapeau de cardinal auquel il avait joint l’ordre formel d'accepter
à titre de soumission et d'obéissance.
Après s'être vu contraint de jouer un rôle dans les affaires du royaume, le
pieux cardinal se retira au milieu de ses disciples, et y vécut quelques années
dans la pratique des vertus les plus humbles, remplissant à son tour les mêmes
fonctions que les simples prêtres de l'Oratoire, et lavant même quelquefois la
vaisselle après les modestes repas que tous faisaient en commun. À l’un de ses
confrères de l’Oratoire, Bérulle déclara : “Les grandes charges, quoique non
recherchées, sont toujours dangereuses. Quiconque est élevé, de quelque façon
qu’il le soit, est en danger de tomber, si Dieu ne le soutient par une grâce
particulière, et je dois appréhender de ne le mériter pas. Toutes les dignités,
même ecclésiastiques, ont quelque chose non seulement de vain, mais de
malfaisant, et il faut s’en garder comme l’on se garde des ennemis.”
Et au saint Père, Urbain VIII, il écrivit le 24 septembre 1627 : “... Par
l’ordonnance de Votre Sainteté, je me vois en une condition qui m’accable et
m’abîme, au lieu de m’élever, et me met dans les flots plus grands et plus
périlleux que ceux dont la main du Fils de Dieu a retiré Saint Pierre, lorsqu’il
marchait sur les eaux avec lui... Mais en écoutant la voix de Votre Sainteté,
j’écoute la voix de celui qui a dit: ”Mes brebis écoutent ma voix.” C’est ce qui
m’oblige à me soumettre en paix à l’ordonnance que Votre Sainteté fait sur moi,
et à la disposition que vous voulez faire de moi, puisque je suis à vous par
Jésus-Christ, et que vous êtes à Jésus Christ par lui-même, et qu’il a voulu
vous donner en la terre la plus grande autorité qu’il ait voulu y laisser, en
laissant la terre pour s’élever au ciel.”
En octobre 1627, Bérulle envoya, à tous ses confrères de l’Oratoire, une longue
méditation sur la grandeur de Dieu qui se terminait ainsi: “Le dessein de
Dieu sur nos âmes, c’est notre sanctification; la science nous est donnée pour
en être un moyen... Pour arriver à cette sanctification par la science, ayons
soin de rendre hommage à Dieu, Père des lumières, et à son Fils bien-aimé,
Lumière des Lumières... Que notre science, au lieu de nous enfler, nous élève à
Dieu.”
Malgré toutes ses activités, Bérulle réussit à écrire, non pour se défendre
comme ce fut souvent le cas, mais pour dire son émerveillement devant le mystère
de l’Incarnation. Sa Vie de Jésus est une étrange méditation “sur
l’instant où le Verbe se fait chair.” C’est l’instant où le Verbe de Dieu
change, pour ainsi dire, de condition. Dans la dédicace de ce livre, destinée au
roi, Bérulle écrivit ce qui est comme le résumé de toute sa vie : “Le monde
était mon chemin, et non pas mon but.”
Depuis la mort en janvier 1628, de Madame de Bérulle, (qui fut carmélite pendant
22 ans), la santé de Pierre de Bérulle s’était beaucoup altérée. Louis XIII et
Richelieu poursuivaient à La Rochelle leurs actions contre les Anglais et les
réformés. Le 15 janvier 1629 le roi confia une nouvelle fois la régence à sa
mère. Bérulle, chef du Conseil de la reine, traitait les affaires de l’État. Sa
situation était très délicate, entre la reine et les exigences de Richelieu...
Dès septembre 1629, la faiblesse du Cardinal de Bérulle devint extrême;
cependant il tenait à célébrer la messe tous les jours.
Le 2 octobre 1629 alors qu'il célébrait la messe dans une pièce attenante à sa
propre chambre, car il n’avait pas eu la force de se rendre à la chapelle, il
tomba en défaillance au moment où il prononçait les paroles de l'oblation
[2] . On l’allongea
à côté de l’autel et, au moment où on lui apportait le viatique, il prononça :
“Où est-il que je le voie, que je l’adore, que je le reçoive ?”. Puis, à
la demande du Père Gibieuf, il bénit sa congrégation au nom de Jésus, et il
expira dans les bras de ses disciples. Il avait 54 ans.
On a prétendu qu'il avait été empoisonné, et on a même accusé Richelieu, qui ne
l'aimait pas, d'avoir trempé dans ce crime. Mais cette accusation n'a jamais été
prouvée et il faut convenir qu'elle n'offre aucune vraisemblance. La santé du
fondateur des oratoriens étaient devenue languissante depuis quelque temps et
les médecins avaient annoncé sa fin prochaine. Il est probable qu'il succomba à
une attaque d'apoplexie foudroyante ou à la rupture d'un anévrisme.
Ses obsèques furent célébrées, le 4 octobre 1629, à l'église de la rue
Saint-Honoré, où son corps fut déposé provisoirement dans une des chapelles.
Trente ans plus tard, le corps de Bérulle fut inhumé dans la chapelle de la
Passion[3].
Paulette Leblanc
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