Pierre de Bérulle
(1575-1629)

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1-5-1-La formation des Oratoriens

En 1611, Bérulle a trente-six ans. Il est en pleine maturité et multiplie les conférences destinées à ses fils. Il insiste beaucoup sur l’année liturgique, le sacerdoce des prêtres et la vie spirituelle. Dans son enseignement, une place spéciale est toujours réservée aux mystères du Christ, à la Vierge Marie et aux saints, surtout à Marie-Madeleine. Enfin il faut noter que Bérulle revient constamment sur la nécessité de l’oraison quotidienne et recommande d’y consacrer une heure le matin et une demi-heure dans la soirée.

La bulle qui était sollicitée depuis deux ans fut publiée le 10 mai 1613. Paul V approuvait la nouvelle société sous le nom de “Congrégation de l’Oratoire de Jésus-Christ en France” et ajoutait que cette congrégation purement ecclésiastique se composerait de prêtres qui ne seraient liés par aucun vœu solennel.

1-5-2-La vie des oratoriens

Les oratoriens vivaient comme dans un monastère: office chanté et oraison en commun, puis Eucharistie. On prêchait souvent à la chapelle et Bérulle demandait que l’Écriture sainte soit la source vers laquelle ses prêtres devaient revenir sans cesse. Bérulle voulait que les sermons soient courts, simples et à la portée de tous. Et, recommandation suprême, ses disciples ne devaient jamais monter en chaire sans s’être préparé pendant un long temps d’oraison.

La direction spirituelle et la confession devaient être les tâches importantes des oratoriens. Bérulle pensait que c’était les ministères les plus élevés des prêtres. Lui-même passait des heures à confesser et demandait à ses disciples de faire de même. Il disait: “Notre vie doit être vie et mort tout ensemble, mort à nous-mêmes, au monde et au péché, vie à Dieu et à Jésus-Christ.” Il recommandait aux oratoriens d’être très attentifs au dessein de Dieu sur chaque âme et de chercher à découvrir les appels de l’Esprit de Jésus. Car, disait Bérulle, le prêtre doit s’effacer devant le Christ et prier beaucoup.

1-5-3-L’arrivée de Charles de Condren

Charles de Condren était venu à Paris pour étudier la théologie sous la direction du Père André Duval. Il fut ordonné prêtre le 17 septembre 1614. En juin 1617, Condren demanda à Bérulle, à la grande joie de ce dernier, de l’admettre à l’Oratoire. Voici ce que Bérulle écrivit de Charles de Condren, très peu de temps après son arrivée à l’Oratoire: “Il a plu à Dieu de nous donner Monsieur de Condren qui est d’une très grande considération et un des rares esprits que j’aie connus. Il est doué d’une grande humilité, douceur et modération d’esprit...”

Charles de Condren entra profondément dans la spiritualité de Bérulle et particulièrement dans sa spiritualité de l’Incarnation. Il vénérait Jésus, victime dont l’immolation était sans cesse renouvelée pour répondre au dessein d’amour du Père. Condren voulait, lui aussi, à l’imitation de Jésus, s’anéantir (au sens qu’on donnait à ce mot, au XVIIe siècle, c’est-à-dire participation à la kénose de Jésus) pour rendre hommage à l’infinie majesté de Dieu.

L’entrée de Charles de Condren mécontenta le Père Duval, son professeur, et suscita une querelle et des joutes épistolaires entre les deux hommes. À la même époque, Madame Acarie, devenue Sœur Marie de l’Incarnation, passée sous l’orbite du Père Duval, se trouva en opposition avec Bérulle à cause de la signification véritable du vœu de servitude.

Écrasé de travail, Bérulle se déchargea du supériorat de la maison de Paris et nomma supérieurs les Pères Gibieuf et Nicolas de Soulfour, en février 1617. Il faut dire que Richelieu, évêque de Luçon, lui avait confié, le 14 décembre 1614, la direction de son séminaire.

1-6-Le mystique

On le sait peu, Bérulle fut un grand mystique. Tous ceux qui ont étudié sa vie ont constaté sa conviction profonde d’avoir été chargé par Dieu d’initier à la vie mystique ceux qui lui avaient été confiés. Le soir du 10 novembre 1611, au cours de la première causerie qu’il fit à ses compagnons, il déclara: “Le caractère particulier de notre Congrégation est qu’elle l’a choisi (Jésus-Christ) avec, en même temps, la très bienheureuse Marie toujours Vierge, sa Mère...

La nature de notre Institut semble réclamer que tous les jours et à plusieurs reprises, nous repassions dans notre esprit tel ou tel mystère, telle ou telle parole, ou bien une action intérieure ou extérieure de Notre-Seigneur Jésus-Christ...

En l’honneur de la très bienheureuse Vierge Marie, protectrice principale de notre Congrégation après Jésus-Christ, que chaque jour, d’une façon ou d’une autre, lui soit manifestée notre servitude.”

1-6-1-Le vœu de servitude

Cette dévotion d’esclavage, très bérullienne, s’exprime dans le texte suivant, extrait du Petit Mémorial, rédigé probablement en 1612 : “Je me donne à vous, ô Jésus, selon tous mes besoins... selon tous mes rapports avec vous... pour tous les usages que vous voudrez avoir en moi... Usez de moi selon votre puissance et votre bon plaisir... Je suis à vous car vous m’avez acquis par votre sang... car je vous veux et choisis pour mon souverain...”

Et voici un texte comparable, probablement de la même époque, pour se consacrer à Marie : “Je vous offre mon âme et ma vie et veux vous appartenir pour jamais et vous rendre quelque particulier hommage et dépendance en temps et en éternité... Je vous choisis pour mère de mon âme en l’honneur de ce qu’il a plu à Dieu même vous choisir pour sa Mère... Je vous accepte et reconnais pour ma souveraine, en l’honneur de la dépendance que le Fils de Dieu, mon Sauveur et mon Dieu, a voulu avoir de vous comme de sa Mère; et en cette qualité je vous donne sur mon âme et sur ma vie tout le pouvoir que je puis vous donner selon Dieu... Je me donne donc à vous et à votre Fils unique Jésus-Christ Notre Seigneur et veux ne passer aucun jour sans lui rendre, et à vous, quelque hommage particulier et quelque témoignage de ma dépendance et servitude en laquelle je désire mourir et vivre pour jamais.”

1-6-2-Le vœu de servitude à Marie imposé aux carmélites

En juin 1615, Bérulle, visiteur des carmélites, pensa qu’il pouvait continuer et approfondir l’éducation mystique des carmélites déjà entreprise. Il imposa à toutes les carmélites de Chalon, le vœu de servitude à la Vierge : “Nous ordonnons que toutes les sœurs feront désormais, après leurs trois vœux solennels, un vœu particulier de servitude perpétuelle envers la très sainte Vierge... Cette dévotion et liaison par vœu à la très sainte Vierge sera tenue pour essentielle et primitive en l’Ordre et sera entretenue soigneusement par la Supérieure et les Religieuses comme étant correspondant au titre que l’on donne à cet Ordre, le surnommant l’Ordre le la Vierge...”

Bérulle avait proposé aux Oratoriens ce même vœu, le 8 septembre 1614, et le vœu de servitude à Jésus, le 28 février 1615. Cela n’avait posé aucun problème. Il n’en fut pas de même avec les carmélites, plusieurs des responsables des carmels, dont le Père André Duval, ayant cru qu’il s’agissait d’un vœu solennel, ce qui n’était pas le cas.

1-7-Les autres activités de Bérulle

1-7-1-Les activités politiques de Pierre de Bérulle

Malgré ses répugnances, mais en raison de ses liens avec les grands personnages de l’état: il avait été chef du Conseil de la reine Mère, Pierre de Bérulle fut contraint, par le roi Louis XIII et par Richelieu, de se mêler des événements du siècle.

Toute sa vie politique fut brillante, animée par la nécessité de travailler de toutes ses forces à la victoire du catholicisme sur le protestantisme. Il dut, notamment, œuvrer pour unir les puissances catholiques autour de la France, affaiblir les protestants et être même un des conseillers des responsables français lors du siège de la Rochelle. Par ailleurs :

– C’est lui qui, à force de patience et de démarches conciliantes, parvint à opérer un rapprochement entre Louis XIII et sa mère, Marie de Médicis. (1619) On a dit que cela avait indisposé contre lui l'irascible Richelieu.

– Pierre de Bérulle négocia aussi la paix de Mouçon entre la France et l'Espagne: quoique cette paix fût avantageuse pour la France, Richelieu blâma cependant quelques-unes des conditions consenties par Bérulle.

– Lorsqu'il fut question, en 1625, du mariage d'Henriette de France avec le prince de Galles, qui était protestant, il fallut demander au pape une dispense. Bérulle, chargé de cette mission, réussit à obtenir cette dispense, en deux mois, ce qui était une véritable performance. 

– Après avoir accompagné la princesse en Angleterre, Bérulle fut nommé ministre d’État, pendant que Louis XIII et Richelieu étaient allés sur le théâtre de la guerre, laissant la régence à Marie de Médicis. Mais la politique du nouveau ministre différait, sur plusieurs points, de celle de Richelieu; elle était plus droite, plus humaine: ainsi, il chercha à réconcilier Gaston d'Orléans [1] avec sa mère. Richelieu, contrarié, trouva bientôt le moyen de forcer à la retraite celui qu'il regardait comme un rival dangereux.

1-7-2-L’homme de lettres

Malgré ses nombreuses activités, Pierre de Bérulle, durant toute sa vie, écrivit beaucoup. On lui doit, entre autres, divers ouvrages de controverse et de dévotion. Son traité intitulé : “Discours de l'état et des grandeurs de Jésus, par l'union ineffable de la divinité avec l'humanité et de la dépendance et servitude qui lui est due, et à sa très sainte Mère, en suite de son état admirable,” produisit une grande sensation, et fit dire au Pape que l'auteur méritait d'être appelé l'Apôtre des mystères du Verbe incarné. C’était, en effet, une œuvre colossale quoique œuvre de circonstance, rédigée à la hâte, en réponse à une campagne d’accusations où étaient mises en cause ses vues mystiques sur le Carmel et sur l’Oratoire, à propos du vœu de servitude. Pourtant le vœu de servitude, ce n’était, dans l’esprit de Bérulle, que la volonté de se “vouer” tout entier au service de Jésus. Il reposait  sur le désir d’anéantir sa volonté propre pour honorer (au sens de rendre hommage) l’anéantissement de la personne humaine de Jésus dans le mystère de l’Incarnation.

L’ouvrage se présente sous forme de douze discours:

– Dans le premier discours Bérulle exprime son désir de ”parler de Jésus, de son état suprême, et de ses grandeurs admirables.”

– Le second discours est une prière au Père, au Verbe, à l’humanité déifiée de Jésus, et enfin à Jésus “Fils et serviteur tout ensemble.”

– Les deux discours suivants sont des méditations sur l’unité de Dieu laquelle “s’exprime dans le mystère de l’Incarnation et dans celui de l’Eucharistie, où Dieu se multiplie sans se diviser.”

– Les quatre discours suivants, intitulés: “De la communication de Dieu en ce mystère” traitent de la Trinité, de la génération éternelle du Verbe, de la manière dont Dieu, par l’Incarnation, s’est communiqué aux hommes.

– Le neuvième discours est le commentaire de la phrase : “Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique...”

– Les trois derniers discours traitent des trois naissances de Jésus : sa naissance, au sein du Père, à la vie éternelle,

          – sa naissance dans le sein de la Vierge, à la vie temporelle,

          – sa naissance dans le sépulcre à la vie immortelle.

On notera que Bérulle était un vrai mystique, passionné de Dieu, âme de prière, mais c‘était un mystique savant, instruit des Pères de l’Église et de nombreux théologiens.

Richelieu, promu cardinal le 2 septembre 1622, jugera Bérulle en ces termes: “Les mystères les plus cachés sont mis à la portée de l’intelligence; la pureté de l’œuvre démontre la pureté de l’auteur. On peut prédire à ce texte l’immortalité.”

Le Cardinal Bentivoglio, ancien nonce à Paris écrivit à Pierre de Bérulle, le 25 avril 1623: ”Je vous confesse n’avoir jamais vu un ouvrage d’une plus profonde doctrine et d’une plus noble éloquence, et je bénis Dieu d’avoir permis les contrariétés et les calomnies dont on a voulu vous noircir sur l’article de la doctrine, puisqu’elles ont donné lieu à une si belle et si riche production.”

Les sermons du Cardinal de Bérulle méritent également une mention particulière. Bien que Bérulle utilise parfois des abstractions subtiles, on découvre, là aussi, que ce grand homme d’action fut également un grand mystique très épris de Jésus.

Enfin, on ne peut pas ne pas citer, outre une volumineuse correspondance, Le Mémorial de direction, L'élévation sur Sainte Madeleine en 1625 et La vie de Jésus, son dernier ouvrage, en 1629, année de sa mort.

1-7-3-Le Mémorial de direction

Bérulle devait accompagner la jeune sœur du roi, Henriette de France, en Angleterre, pour y épouser Charles, prince de Galles qui venait de succéder à son père, Jacques 1er. Nous sommes en mai 1625. Henriette avait quinze ans et demi et elle devait épouser un prince protestant. Une dispense était nécessaire et c’est Bérulle qui avait été chargé de l’obtenir. Bérulle avait confié au Père Gibieuf la direction de la Congrégation de l’Oratoire, avant de s’embarquer à Boulogne, avec la jeune reine et sa suite, le 22 juin 1625.

Avant son départ, Bérulle rédigea à la hâte, le Mémorial de quelques points servant à la direction des supérieurs en la Congrégation de l’Oratoire de Jésus. La formation des supérieurs est un devoir très important compte tenu de leur tâche car, estimait Bérulle “Régir une âme, c’est régir le monde...” Une âme doit être regardée en référence à l’Incarnation. Devant celui qui commet une faute, le supérieur doit prendre sa part de responsabilité et ne jamais oublier que, quelle que soit la faute, celui qui l’a commise demeure aimé de Dieu.

Le principe qui guide Bérulle est simplement énoncé : “Mettez-vous en présence de Dieu, empruntez son regard, contemplez son projet, entrez dans son projet, et agissez en conformité.”

Le supérieur doit se rendre disponible et se laisser conduire par Dieu, d’où l’importance de l’oraison... L’anéantissement de soi-même n’est pas une démarche négative, mais la volonté de faire le vide pour que Dieu puisse le combler.

1-7-4-Élévation à Jésus-Christ Notre Seigneur, sur la conduite de son esprit et de sa grâce sur sainte Magdelaine, l’une des principales de sa suite et des plus signalées en sa faveur et en son Évangile.

Ce texte, couramment appelé Élévation sur sainte Madeleine, fut rédigé pour aider la jeune reine très éprouvée. L’intérêt de ce texte, publié en 1627, c’est que Bérulle fait comprendre que celle que le Christ a choisie, ce n’est pas la pécheresse pardonnée, mais la passionnée d‘amour, “la choisie entre les plus choisies”. Le portrait de Madeleine n’est pas l’essentiel. Bérulle, en cherchant à aider une jeune reine malheureuse, se laisse aller et exprime sa conception de la vie mystique, don de Dieu.

Enfin, il ne faut pas oublier que le Cardinal de Bérulle, homme de lettres, aimait les gens de lettres: il le prouva en faisant lever les difficultés qui s'opposaient à l'impression de la Bible polyglotte de Lejay, et surtout en encourageant Descartes à poursuivre ses travaux. D’ailleurs, la philosophie de Descartes est restée longtemps en honneur parmi les oratoriens, parce que leur fondateur en avait compris toute la valeur, tandis que des théologiens plus exclusifs ne l’accueillaient que par des persécutions.

1-7-5-Bérulle directeur d’âmes

Bérulle fut un grand conducteur d’âmes. Cette tâche, Bérulle savait combien elle est difficile, aussi donna-t-il beaucoup de conseils à ses religieux destinés à être des directeurs spirituels. Il écrivait: “ Régir une âme, c’est régir un monde, et un monde qui a plus de secrets et de diversités, plus de perfections et raretés que le monde que nous voyons, et un plus excellent rapport à celui qui est le créateur et l’idée de tout ce qui subsiste hors la divine essence...

Chaque âme doit être référée à Dieu, et humblement considérée comme un effet de la puissance divine qui la crée... comme un sujet de sa  sainteté qui doit reluire et opérer en elle par la grâce. Et nous devons regarder chaque âme comme un sujet enclos dans la divine providence, pour sa gloire...

La science des âmes s’apprend, non pas tant dans les livres et les académies que dans le livre de vie  (l’Écriture) et au pied de la croix, adhérant à Jésus, adhérant à ses voies, adhérant à son amour. Cette science est propre à l’esprit de Dieu... Cette science est donnée par Jésus... aspire à Jésus... ne connaît que Jésus, et Jésus crucifié... Soyons tous amateurs de cette science qui a Jésus pour sa fin, pour son objet et pour son origine, et que l’on apprend de Jésus... et qui a pour principes l’humilité d’esprit, la pureté du cœur, l’abnégation de soi-même, l’adhérence à Jésus... Aspirons à cette science sainte. Elle est fille de l’oraison, disciple de l’humilité...” Ses disciples s’instruisent en instruisant les autres, se font saints en faisant saints les autres, et Jésus est l’unique maître de cette science.

1-8-Les dernières années

1-8-1-Le Cardinal

En 1627, à la demande de Louis XIII, le pape Urbain VIII, envoya à Pierre de Bérulle un chapeau de cardinal auquel il avait joint l’ordre formel d'accepter à titre de soumission et d'obéissance.

Après s'être vu contraint de jouer un rôle dans les affaires du royaume, le pieux cardinal se retira au milieu de ses disciples, et y vécut quelques années dans la pratique des vertus les plus humbles, remplissant à son tour les mêmes fonctions que les simples prêtres de l'Oratoire, et lavant même quelquefois la vaisselle après les modestes repas que tous faisaient en commun. À l’un de ses confrères de l’Oratoire, Bérulle déclara : “Les grandes charges, quoique non recherchées, sont toujours dangereuses. Quiconque est élevé, de quelque façon qu’il le soit, est en danger de tomber, si Dieu ne le soutient par une grâce particulière, et je dois appréhender de ne le mériter pas. Toutes les dignités, même ecclésiastiques, ont quelque chose non seulement de vain, mais de malfaisant, et il faut s’en garder comme l’on se garde des ennemis.”

Et au saint Père, Urbain VIII, il écrivit le 24 septembre 1627 : “... Par l’ordonnance de Votre Sainteté, je me vois en une condition qui m’accable et m’abîme, au lieu de m’élever, et me met dans les flots plus grands et plus périlleux que ceux dont la main du Fils de Dieu a retiré Saint Pierre, lorsqu’il marchait sur les eaux avec lui... Mais en écoutant la voix de Votre Sainteté, j’écoute la voix de celui qui a dit: ”Mes brebis écoutent ma voix.” C’est ce qui m’oblige à me soumettre en paix à l’ordonnance que Votre Sainteté fait sur moi, et à la disposition que vous voulez faire de moi, puisque je suis à vous par Jésus-Christ, et que vous êtes à Jésus Christ par lui-même, et qu’il a voulu vous donner en la terre la plus grande autorité qu’il ait voulu y laisser, en laissant la terre pour s’élever au ciel.”

En octobre 1627, Bérulle envoya, à tous ses confrères de l’Oratoire, une longue méditation sur la grandeur de Dieu qui se terminait ainsi: “Le dessein de Dieu sur nos âmes, c’est notre sanctification; la science nous est donnée pour en être un moyen... Pour arriver à cette sanctification par la science, ayons soin de rendre hommage à Dieu, Père des lumières, et à son Fils bien-aimé, Lumière des Lumières... Que notre science, au lieu de nous enfler, nous élève à Dieu.” 

Malgré toutes ses activités, Bérulle réussit à écrire, non pour se défendre comme ce fut souvent le cas, mais pour dire son émerveillement devant le mystère de l’Incarnation. Sa Vie de Jésus est une étrange méditation “sur l’instant où le Verbe se fait chair.”  C’est l’instant où le Verbe de Dieu change, pour ainsi dire, de condition. Dans la dédicace de ce livre, destinée au roi, Bérulle écrivit ce qui est comme le résumé de toute sa vie : “Le monde était mon chemin, et non pas mon but.”

1-8-2-La mort de Bérulle

Depuis la mort en janvier 1628, de Madame de Bérulle, (qui fut carmélite pendant 22 ans), la santé de Pierre de Bérulle s’était beaucoup altérée. Louis XIII et Richelieu poursuivaient à La Rochelle leurs actions contre les Anglais et les réformés. Le 15 janvier 1629 le roi confia une nouvelle fois la régence à sa mère. Bérulle, chef du Conseil de la reine, traitait les affaires de l’État. Sa situation était très délicate, entre la reine et les exigences de Richelieu...

Dès septembre 1629, la faiblesse du Cardinal de Bérulle devint extrême; cependant il tenait à célébrer la messe tous les jours.

Le 2 octobre 1629 alors qu'il célébrait la messe dans une pièce attenante à sa propre chambre, car il n’avait pas eu la force de se rendre à la chapelle, il tomba en défaillance au moment où il prononçait les paroles de l'oblation [2] . On l’allongea à côté de l’autel et, au moment où on lui apportait le viatique, il prononça : “Où est-il que je le voie, que je l’adore, que je le reçoive ?”. Puis, à la demande du Père Gibieuf, il bénit sa congrégation au nom de Jésus, et il expira dans les bras de ses disciples. Il avait 54 ans.

On a prétendu qu'il avait été empoisonné, et on a même accusé Richelieu, qui ne l'aimait pas, d'avoir trempé dans ce crime. Mais cette accusation n'a jamais été prouvée et il faut convenir qu'elle n'offre aucune vraisemblance. La santé du fondateur des oratoriens étaient devenue languissante depuis quelque temps et les médecins avaient annoncé sa fin prochaine. Il est probable qu'il succomba à une attaque d'apoplexie foudroyante ou à la rupture d'un anévrisme.

Ses obsèques furent célébrées, le 4 octobre 1629, à l'église de la rue Saint-Honoré, où son corps fut déposé provisoirement dans une des chapelles. Trente ans plus tard, le corps de Bérulle fut inhumé dans la chapelle de la Passion[3].

Paulette Leblanc


[1]-Comte d'EU, duc d'Orléans (1608-1660), fils d'Henri IV et de Marie de Médicis. Frère cadet de Louis XIII, il resta l'unique héritier du trône jusqu'à la naissance du futur Louis XIV. Il prit part aux complots contre Richelieu, puis contre Mazarin. Il fut lieutenant général de 1644 à 1646.

[2]-Pendant la messe, action du prêtre qui, avant de consacrer le pain et le vin, les offre à Dieu (Jésus fit à Dieu l'oblation de sa personne). Le prêtre dit, juste avant la Consécration: “Daignez agréer, Seigneur, l’oblation de notre servitude.”

[3]-Il y demeura jusqu'en 1793. Vers la fin de cette année, M. Amable de Bérulle, ancien premier président du Parlement de Grenoble, l'en fit enlever, de concert avec les Pères de l'Oratoire, et le cacha dans son hôtel, à Paris. En 1840, M. François de Bérulle remit le précieux dépôt à Messieurs de Saint-Sulpice qui l'abritèrent dans la chapelle du séminaire de Paris. Quand la loi de séparation les chassa du séminaire, ils emportèrent à Issy les ossements du cardinal pour les placer dans la crypte de la chapelle de Lorette, où, depuis 1840, reposait déjà son cœur. 

    

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