Un
apostolat au bénéfice des prêtres
« L’année 1730 est très
importante dans l’établissement du charisme passioniste. Si, dans
les commencements, les deux frères pratiquent des formes ponctuelles
d’apostolat, liées aux diverses demandes qui leur sont faites un peu
chaotiquement, Mgr. Palmieri va les lancer dans la direction des
missions paroissiales, ce qui leur permettra de structurer leur
annonce de la parole de Dieu et d’organiser leur action
évangélisatrice. Cette forme d’apostolat aidera en outre leurs
futurs compagnons à s’intégrer facilement dans leur sillage.
L’apostolat des missions permettra enfin de garantir la dimension
contemplative de leur vie religieuse, puisqu’il s’effectuera par
saisons : « Ils sortaient à certaines époques déterminées,
surtout au printemps et à l’automne, étant invités par les évêques à
prêcher les saintes missions »[1].
La prédication des missions paroissiales va devenir la forme
principale et officielle de l’apostolat de la congrégation
passioniste »[2].
C'est dans ce contexte
que Paul va développer un apostolat spécifique auprès du clergé. Il
ne s'agit pas d'un aspect secondaire du charisme qu'il a reçu de
Dieu ; au contraire il le comprend comme l'une des finalités de sa
vocation. On le voit dans sa manière de résumer le charisme
passioniste au cardinal Rivera : « L'unique et principale fin de
notre institut est, après la sanctification personnelle de ses
membres, de chercher à procurer le salut de l'âme par les saintes
missions, les instructions, les catéchèses, les exercices spirituels
tant pour les laïcs que pour les ecclésiastiques et les moniales ;
et surtout promouvoir parmi les fidèles la dévotion à la Sainte
Passion de Jésus notre vrai Bien, faisant à cet effet le quatrième
vœu »[3].
Paul savait bien que le fruit spirituel des missions dépendait
beaucoup de l'exemple du clergé ; ce dont témoigne le Fr. Barthélémy
qui a si longtemps vécu avec Paul de la Croix : « Il savait,
cependant, que pour introduire les bonnes mœurs et la pratique des
vertus chrétiennes parmi les laïcs, l'exemple donné par les prêtres
était déterminant. Il déployait un effort plus intense à procurer la
sainteté à ces derniers. Les prêtres sont, en effet, le miroir du
peuple ; ils sont les semences les plus nobles de la sainte Église.
Pour cela, une vie sainte, imprégnée de toutes les vertus, doit
constituer la vie de ceux qui forment le clergé »[4].
Dans l'esprit de Paul,
les prêtres avaient besoin d'un enseignement spécifique, et pour ce
faire il demandait à l'un de ses religieux de les prendre à part
durant le temps de la mission. Il venait cependant les trouver
lui-même afin de les exhorter à la ferveur ; et par ses manières et
ses encouragements, il parvenait souvent à toucher leur cœur : « Le
P. Paul alla prêcher pour la première fois une mission à Bracciano,
au cours de laquelle le P. Jean-Baptiste, frère du P. Paul, donna
les exercices au clergé du lieu ; et j’y participais également. Le
dernier jour de ces exercices cependant, à ce qu’il me semble, le
P. Paul voulut nous faire à nous autres prêtres qui étions alors
réunis dans la sacristie, un discours sur l’amour de Dieu et sur
l’obligation essentielle qui nous incombait, à nous autres
ecclésiastiques, de L’aimer avec une plus grande perfection que les
laïcs. Je suis incapable à présent de traduire les sentiments, les
paroles, les pensées, les thèmes que développa le P. Paul à cette
occasion ; je dirais seulement que ce discours fut si tendre, si
rempli d’élan amoureux et d’une onction si particulière, que non
seulement le P. Paul pleurait abondamment tandis qu’il parlait, mais
qu'il suscita en nous-mêmes également une componction et une
tendresse de cœur si grande, qu’il parvint à obtenir un très grand
résultat. Je puis affirmer qu’actuellement plusieurs des témoins
conservent la mémoire des effets produits par ce discours du
serviteur de Dieu, nonobstant que 22 ans se sont déjà écoulés depuis
cet événement »[5].
Il faut dire que la ferveur de Paul puisait directement dans le
Ciel, et ses enseignements étaient de véritables épanchements de son
cœur en Dieu : « Un jour, à Latera, diocèse de Montefiascone, il
parla au clergé de l'obligation du bon exemple et du zèle
ecclésiastique avec tant de ferveur, qu'il parut rayonnant de
lumière, et qu'on le vit s'élever de terre et circuler en l'air
comme s'il avait des ailes »[6].
L'apostolat de Paul
auprès du clergé ne se limitait pas au temps des missions. Il ne
manquait pas de les exhorter également au cours des entretiens
privés qu'il pouvait avoir avec eux. Son regard dépassait de loin
les apparences visibles. Strambi nous en confie l'origine
surnaturelle à propos du don de lecture dans les consciences dont
était gratifié Paul : « Un jour, après la messe, pendant son
action de grâces, la Vierge Marie se montra à lui, avec un glaive
plongé dans le sein et les larmes aux yeux. (...) Elle l'exhorta
avec instance et tendresse à continuer de propager la dévotion à la
Passion de son Fils et à ses douleurs. Ensuite cette Mère de
miséricorde, voulant venir au secours d'un pauvre prêtre dont la
conscience était dans un fort triste état, révéla la chose au père
Paul, et ce prêtre étant venu le voir, le serviteur de Dieu lui dit
d'un ton assuré: « Vous avez à mes yeux la laideur d'un démon ». A
ces mots, le coupable rentra en lui-même, et reconnaissant son
malheureux état, se jeta, confus et repentant, aux pieds du père, et
lui promit d'amender sa vie. Cet ecclésiastique prouva ainsi la
vérité de l'apparition de la Mère des douleurs qui voulait le
retirer de la voie de la perdition. On comprend comment après de
telles visions, le père Paul ait été rempli d'une connaissance si
vive des douleurs de Marie et qu'il en ait parlé d'une manière si
affectueuse et si touchante »[7].
La sainteté du prêtre
L'existence humaine
invite les croyants à un effort continuel pour « demeurer » en Dieu
par la foi. Après avoir détaillé les tribulations de la fin des
temps, Jésus ajoute : « Tenez-vous sur vos gardes, de peur que
vos cœurs ne s'appesantissent dans la débauche, l'ivrognerie, les
soucis de la vie, et que ce Jour-là ne fonde soudain sur vous comme
un filet ; car il s'abattra sur tous ceux qui habitent la surface de
toute la terre. Veillez donc et priez en tout temps, afin d'avoir la
force d'échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout
devant le Fils de l'homme » (Lc 21,34-36). La prière est le seul
moyen de se maintenir dans la ferveur et la sainteté. C'est pourquoi
Paul de la Croix ne se lassait pas de recommander la pratique de
l'oraison, comme il le fait ici à l'un des prêtres de sa
congrégation : « Aimez fort l’oraison, à l’exemple de sainte
Thérèse ; prenez l’habitude du recueillement et de la solitude
intérieure, et tout ira bien si vous restez volontiers dans votre
cellule, en observant tout à fait le silence, en fuyant si possible
toutes les occasions de parler ! Oh ! Comme je vous recommande ce
point du silence comme l’ont fait les Pères. Si vous voulez mener
une vie immaculée, restez en silence autant que possible. Si vous
voulez recevoir le don d’oraison, restez en silence »[8].
Au cours de ses
prédications au clergé, Paul recommandait inlassablement la
méditation et l'oraison ; mais il n'était pas assez écouté des
prêtres, comme il l'écrit lui-même : « De retour à la Retraite,
j’ai été extrêmement édifié en recevant la lettre de votre très
illustre et révérende Seigneurie, accompagnée de l’imprimé sur
l’oraison mentale pour les assemblées ecclésiastiques. Je me réjouis
de ce que le Seigneur miséricordieux ait béni vos souhaits. Mes
compagnons et moi ne manquerons pas de faire toute diligence pour
qu’un si grand bien soit encouragé et propagé, mais l’expérience m’a
fait toucher du doigt à quel point il est difficile d’inculquer au
clergé cet exercice pieux, si nécessaire à la perfection personnelle
et au bien du prochain. Croyez-m’en, votre très illustre Seigneurie,
voici des années qu’au cours des missions et des exercices, on a
fait en sorte de suggérer au clergé de se rassembler au moins une
fois la semaine. Cela a duré quelque temps, puis ils ont abandonné »[9].
Paul souhaitait que les
grâces obtenues au cours des missions paroissiales ne se perdent
pas, et il savait combien le rôle des prêtres était important à cet
égard. Qui mieux que les prêtres pouvaient inciter les gens à rester
fidèles à l'oraison et à la méditation de la Passion ? Paul «
exhortait les fidèles, durant les missions, à méditer la Passion
chaque jour au moins durant un quart d'heure. Il tâchait d'obtenir
que l'un ou l'autre prêtre se chargeât de continuer à faire au
peuple, après son départ, la méditation sur les souffrances de
Jésus-Christ. C'était là, disait-il, le moyen de conserver le fruit
de la mission »[10].
Paul souhaitait que
dans les retraites de la congrégation on puisse accueillir les
prêtres pour qu'ils se ressourcent. Il a ce projet en tête dès 1732,
au moment où il projette la construction de la première retraite de
la congrégation sur l'Argentario : « La miséricorde de Dieu
permet qu’une Retraite pénitentielle soit fondée pour nous et nos
compagnons… sur le territoire de la ville d’Orbetello. Elle
consisterait en une église dédiée à la Présentation de la très
Sainte Vierge (jour de grande bénédiction pour nous, c’est
l’anniversaire de l’inauguration de cette vie que nous menons), et
d’environ 18 chambres, petites et pauvres… De plus, il y aura une
maison pour les exercices, non seulement pour les ecclésiastiques
des diocèses environnants (dans cette région de maremmes à l’air
malsain, la plupart n’ont pas de séminaire), mais aussi pour les
laïcs qui désirent se retirer de temps à autre pour faire les
exercices »[11].
Une bonne formation pour les prêtres
L'Église du XVIIIème
siècle manquait de « bons » prêtres. En contrepartie de cette
situation, Paul voulait que les prêtres de sa congrégation soient
saints, mais aussi qu'ils soient bien formés intellectuellement. Il
aimait à répéter à ce propos : « Nous avons besoin de personnes
bien formées ». A l'époque où il était lui-même jeune prêtre,
Paul avait déjà conscience de l'importance de la formation du
clergé. Il la poursuivit d'abord pour lui-même après son ordination
: « Ma vocation sacerdotale m'oblige à de grandes choses, parmi
lesquelles se trouve la formation, que j'accomplis selon mes
possibilités »[12].
Paul n'hésitait pas à
refuser les candidats qui n'avaient pas une culture de base
suffisante pour entreprendre la formation sacerdotale. En
particulier, il exigeait la connaissance du latin. Paul avait une
haute idée des religieux capables d'assurer la formation théologique
des jeunes. Il n'hésite pas à se priver d'un des meilleurs
prédicateurs de la congrégation, le P. Marcaurelio, pour lui confier
justement la formation des jeunes religieux. La formation avait pour
but la contemplation personnelle des religieux, mais aussi et
surtout, l'instruction du peuple chrétien. C'est pourquoi Paul
insistait sur un bon approfondissement du dogme de l'Église,
recommandant de laisser de côté les questions trop techniques, et
souvent inutiles sous l'angle de la foi. Il désirait que ses
religieux, certes bien formés, soient néanmoins capables de parler
simplement des choses les plus profondes : « Il n'est permis à
aucun membre de notre humble Congrégation de prêcher en un langage
tellement élevé et choisi qu'il en devienne obscur ou peu
intelligible au commun des auditeurs et au menu peuple. Qu'on rompe
aux petits le pain de la parole divine en se servant d'expressions
et de termes clairs et limpides, qui en assurent toute l'efficacité
et procurent plus de gloire à Dieu en produisant plus de fruit dans
les âmes. On enseignera aux fidèles, avec leurs devoirs, la manière
d'observer parfaitement la loi de Dieu, de purifier leur conscience
par le sacrement de Pénitence, de recevoir avec révérence et piété
la divine Eucharistie. On instruira patiemment le peuple des
mystères de la vraie foi et, avec un soin particulier, les fidèles
qu'on trouvera plus arriérés. Ainsi les labeurs apostoliques, si
agréables à Jésus-Christ, donneront avec le temps des fruits plus
abondants dans ces terrains incultes »[13].
Une bonne tenue et de bonnes mœurs
Les prêtres du temps de
Paul de la Croix, comme nous l’avons vu plus haut, lorsque leurs
cœurs s'éprenaient des joies de la terre, en arrivaient à s'habiller
et à vivre comme les laïcs. A cette époque il y avait deux types
d'habits pour les prêtres séculiers : un habit long, la soutane, et
un habit court, qui ressemblait au clergyman. Les positions de Paul
de la Croix envers les prêtres « mondains » étaient bien connues de
ses religieux : « Le costume ne devait rien avoir de la vanité et
des pompes du siècle. S'il voyait un ecclésiastique habillé à la
mode et d'étoffe de couleur comme les laïcs, il en ressentait le
plus vif chagrin. A la suite des exhortations du P. Paul, les
prêtres de Vetralla prirent l'habitude de porter la robe longue au
moins le matin jusqu'à midi, et un grand nombre d'entre eux la
portèrent toute la journée »[14].
Paul tâchait de convaincre les prêtres qui le visitaient de changer
de vie, et pour cela il savait parfois cacher son indignation, ce
qui ne voulait pas dire qu'il approuvait les comportements mondains
du clergé : « Le serviteur de Dieu éprouvait de l'horreur en face
d'ecclésiastiques à chevelure moderne, frisée avec la vanité
féminine. Il ne pouvait comprendre comment les supérieurs le
toléraient. S'il avait à traiter avec de tels ecclésiastiques, il
retenait parfois son blâme, réservant sa correction pour un moment
plus opportun. Un grand nombre profitèrent de ses admonitions,
rentrèrent en eux-mêmes, s'amendèrent, et donnèrent au serviteur de
Dieu la consolation de se montrer à lui corrigés de leur légèreté »[15].
Bien sûr, cette vanité
du « paraître », que le vêtement met si bien en relief, avait
souvent une relation étroite avec la vie affective. Ainsi, les
prêtres relâchés étaient-ils enclins à aimer la compagnie des
femmes, et ce n'était bien sûr pas pour parler de Dieu avec elles :
« Parmi les choses qu'il voulait voir disparaître du comportement
des prêtres, il y avait les longs entretiens avec les femmes, ce qui
était si peu conforme à leur vocation. Il ne pouvait absolument pas
souffrir ces ecclésiastiques qui, au plus grand mépris de leur état
éminent, n'éprouvaient aucune honte à donner le bras à une femme, et
à se promener ainsi par les rue de la ville avec elle »[16].
C'est sans doute
pourquoi Paul se montrait fort circonspect dans le domaine des
recommandations. Il confie à son ami Fossi qu'il faut être très
prudent dans les recommandations des personnes en vue du sacerdoce :
« Il y a 25 ans, j'ai recommandé à l'évêque un homme déjà diacre
afin qu'il l'ordonnât prêtre. Croyez-le, j'en ai éprouvé un tel
repentir que j'en ai eu des scrupules des années durant »[17].
Célébrer la messe avec ferveur
Pour st Paul de la
Croix, la célébration de la messe ne pouvait pas être une prière
récitée mécaniquement. La célébration eucharistique était pour lui
le sommet de l'œuvre sacerdotale : « Regardant la liturgie, et
spécialement la liturgie eucharistique, il montrait un soin
minutieux et zélé à l'accomplir, et il veillait qu'elle soit
réalisée par les autres de la même manière ; car il regardait ces
actes comme ceux par lesquels on honore Dieu »[18].
Pour éviter une récitation mécanique ou ennuyeuse de la messe, il
recommandait de ne pas y passer trop de temps : « Il ne voulait
pas que les messes basses, qui se disent chaque jour, (...) soient
affectées ou ennuyeuses dans leur déroulement, par exemple en les
allongeant excessivement. C'est pour cela qu'il demandait que la
messe ne dure pas plus d'une demi-heure »[19].
Paul recommandait de
célébrer la messe en se centrant sur le mystère de la Passion, « en
accompagnant en esprit Jésus Christ au cours de sa Passion et de sa
mort, se figurant de célébrer les funérailles du Rédempteur, selon
un esprit de componction et d'amour, comme le firent la Vierge
Marie, st Jean, Joseph d'Arimathie et Nicodème »[20].
La sanctification du clergé
Paul avait le don de
lire dans les cœurs. Cela lui permettait d'aider plus efficacement
les nombreux prêtres qui venaient le voir, à Rome en particulier, où
les prêtres furent nombreux à venir le trouver. Le P. Cioni en
témoigne : « Lors d'une visite que je fis avec le serviteur de
Dieu à Clément XIV, raconte le père Jean-Marie, Sa Sainteté montra
grand contentement du bien que notre père faisait aux prêtres, aux
évêques et aux autres prélats qui le visitaient, en leur inculquant
la nécessité de l'oraison et de la vigilance, et aux évêques, la
prédication personnelle »[21].
Ces rencontres avec le fondateur des Passionistes laissaient
rarement les prêtres dans l'indifférence. C'est ainsi que l'un
d'eux, en sortant de la chambre de Paul, déclara au frère infirmier
: « C'est un saint, il m'a dit des choses étonnantes. Il a le don
de prophétie ! Oh ! Quel saint ! »[22].
Le ministère de
sanctification que Paul accomplissait auprès du clergé ne s'arrêtait
pas avec la vie terrestre. Ainsi, Strambi nous rapporte un dialogue
entre Paul et un prêtre défunt qui n'avait pas assez tenu compte des
avertissements de son ami : « Entre autres apparitions qu'eut le
serviteur de Dieu, il en est une qui me paraît très instructive et
que je raconterai pour l'édification de tous. Un prêtre séculier que
Paul affectionnait, avait été repris plusieurs fois par lui de
certains défauts, et n'avait pas mis assez de soin à s'en corriger.
Ce prêtre étant venu à mourir, voilà qu'une nuit, au moment où le
père Paul allait se mettre au lit, il entend un grand bruit au
voisinage de sa cellule. Il en est d'abord effrayé, comme c'est
l'ordinaire dans les visions qui procèdent du bon esprit ; il
demande qui est là, et au même instant, il entend la porte s'ouvrir,
et une voix lui dit qu'il est ce prêtre, son ami, décédé depuis
quelque temps et condamné au purgatoire. La frayeur du père Paul
s'évanouit à cette réponse, et surtout à la vue d'une âme si chère à
Dieu. Il lui demanda pour quel sujet il était en purgatoire. « Pour
n'avoir pas profité, comme je devais, de vos avis, et ne m'être pas
corrigé de mes manquements, répondit l'âme. Oh ! que mes souffrances
sont horribles ! ajouta-t-elle ». Puis elle désira savoir depuis
combien de temps elle souffrait. Le père Paul lui demanda si elle
savait à quelle heure son décès avait eu lieu, et sur l'indication
qu'elle lui donna, il prit sa montre, fit le calcul et lui dit qu'il
n'y avait pas plus d'une demi-heure. L'âme témoigna la plus grande
surprise à cette nouvelle ; elle se figurait qu'il y avait beaucoup
plus longtemps, tant sont grandes les souffrances qu'on endure dans
le purgatoire »[23]
!
L'activité sacerdotale de Saint Paul
de la Croix
Conscient d'avoir reçu
de Dieu le don du sacerdoce, non pas pour lui-même, mais pour
annoncer aux hommes la Bonne Nouvelle de la miséricorde divine, Paul
de la Croix n'eut de cesse d'être un prêtre selon le Cœur de Dieu.
Les missions
paroissiales prêchées par Paul laissèrent des traces profondes dans
le cœur des gens qui y avaient assisté. Les conversions étaient
nombreuses et durables. La prière trouvait désormais sa place dans
la vie des personnes. Deux ans après la mort de Paul, un témoin
déclara : « Tant moi que les autres confesseurs, nous
expérimentâmes qu'un très grand nombre de personnes continuaient,
après la mission, à faire tous les jours la méditation, les uns
durant cinq ou six mois, d'autres durant une année, et un grand
nombre continuent encore à présent »[24].
Les prédications de
Paul produisaient de nombreuses conversions, particulièrement ses
méditations sur la Passion de Jésus Christ. C'est son cœur qui
s'épanchait littéralement alors, ce que tous les témoins soulignent
avec force : « Quand le serviteur de Dieu prenait le crucifix en
main et tantôt le pressait contre son cœur, tantôt en montrait les
plaies, et tantôt Lui adressait des supplications touchantes, il
semblait qu'il le faisait parler, et ses paroles étaient
accompagnées de tant d'affection et de tant de larmes que le peuple
aussi se répandait en pleurs et en gémissements de compassion »[25].
Les témoins n'étaient pas frappés par la nouveauté du discours qu'il
leur tenait ; mais c'est sa manière de parler de Jésus qui les
ravissait. Or, derrière le cœur de Paul, c'est le Cœur de Dieu
lui-même qui épanchait Son infinie tendresse pour les hommes. Le P.
Valentino s'en souvenait, lui qui fut converti d'une manière si
surnaturelle. Passant par Latera où Paul était en train de faire une
ardente méditation de la Passion dans l'église, Valentino, alors
jeune laïc de 27 ans, décida de s'arrêter pour aller se moquer du
prédicateur. Or, il y avait tant de monde qu'il dut rester dehors
sans pouvoir voir Paul de la Croix, et à cause des cris de
l'auditoire il n'entendit que ces seules paroles : « Ô pécheur
indigne, par ton péché tu as transpercé d'un glaive les cœurs de
Jésus et de Marie ». Ces paroles transpercèrent le cœur de
Valentino qui s'en retourna chez lui tout changé : « Je ne
parlais que de l'amour que nous devons à Dieu et de notre obligation
de lui donner tout notre cœur. Or, ajoutai-je, puisqu'il est
difficile de faire cela en restant dans le monde, il convient de
prendre une résolution énergique »[26].
La résolution était forte, puisqu'il devint passioniste ! On
comprend par son témoignage que les quelques paroles entendues, sans
même voir celui qui les prononçait, auraient été incapables de
susciter une telle conversion, si Dieu ne les avait « remplies » de
Sa Sagesse.
Paul de la Croix
pratiquait également avec un grand zèle le ministère de la
réconciliation. Un prêtre séculier, qui l'avait accompagné dans un
grand nombre de missions pour l'aider dans les confessions, déclare
: « On reconnaît la vertu particulière des missions du Père Paul
en ceci que, dans celles prêchées par d'autres, les confessions
générales pouvaient monter, selon le calcul fait par moi et par
d'autres confesseurs, à quinze ou vingt en tout, tandis que, dans
les missions prêchées par le Père Paul, on eût trouvé difficilement
quinze ou vingt personnes n'ayant pas fait de confession générale
»[27].
Au temps des missions, il recevait jusque très tard dans la nuit les
nombreuses personnes qui venaient le trouver pour recevoir le pardon
de Dieu. Il mettait un soin particulier à assister les malades et
les mourants. Durant la journée, qui commençait tôt le matin, son
confessionnal était littéralement assiégé : « Des femmes
dormaient dans l'église pour se réserver les premières places ;
d'autres allaient, plusieurs heures avant le jour, attendre à la
porte, pour occuper, dès l'ouverture, une place aussi proche que
possible du confessionnal »[28].
La bonté de Paul n'était pas le seul motif de cet engouement ; les
gens étaient certains avec lui de recevoir le pardon de Dieu même.
Il ne s'agissait pas non plus d'une attitude superficielle de leur
part, comme en témoigne un prêtre : « Dans toutes les missions où
j'ai aidé le serviteur de Dieu à entendre les confessions, j'ai eu
la consolation d'être moralement certain de la contrition de tous
ceux qui se sont présentés à moi, contrition qu'avait
indubitablement excitée les sermons du P. Paul »[29].
La direction spirituelle
Paul concevait la
direction spirituelle comme un très grand moyen pour introduire les
âmes dans le chemin de la perfection. Son premier objectif était
d'accroître le désir des personnes qu'il dirigeait, pour les amener
à une intensification de leur vie de prière, c'est-à-dire une vie
intérieure qui, désormais, tournerait exclusivement autour de la
croix de Jésus Christ. Si l'oraison était pour lui le moyen le plus
efficace de se tenir en la présence divine, il savait attendre le
moment opportun, afin de ne pas l'imposer sans préparation à ses
dirigés. A ce propos, Paul demande à son ami Thomas Fossi d’être
plus sage à l'égard de sa fille, en laissant Dieu opérer Lui-même :
« Vous feriez une grosse erreur en voulant apprendre à votre
fille à s'exercer au repos intérieur : elle courrait le risque de
rester oisive dans l'oraison et d'être trompée. Laissez-la méditer
la Passion du Seigneur afin qu'elle prenne l'habitude de vivre dans
la vertu ; sa divine Majesté lui enseignera le reste. Et lorsque le
Seigneur voudra la mettre en cet état, elle ne pourra résister et en
aura les signes. Pour l'instant, je ne vois pas qu'elle y soit
disposée... »[30].
C'est là la règle d'or de l'oraison : suivre les impulsions que Dieu
nous donne, sans vouloir les provoquer.
L’apprentissage de
l’oraison par ses dirigés était une des tâches fondamentales
auxquelles Paul se consacrait dans la direction spirituelle. Il ne
manquait jamais d’en souligner l’importance : « Quant à
l’oraison, il est sûr que si elle vient à manquer, c’est tout
l’édifice spirituel qui tombe à terre »[31].
Il aimait souvent à répéter que l’oraison faisait beaucoup de tort
au Démon, et que celui qui faisait oraison ne pouvait pas se perdre.
Il savait profiter de toutes les circonstances pour introduire les
personnes dans le « désert intérieur ». Voici la pénitence imposée
par Paul à une jeune fille pour lui permettre de pénétrer dans le
monde de l’intériorité : « Il lui demanda que, durant plusieurs
jours, chaque matin, elle se retirât dans sa chambre, qu’elle
s'allongeât à terre sur une couverture comme si elle était morte,
portant dans ses mains une bougie allumée, et demeurant dans cette
position un quart d’heure ou plus, qu'elle répétât en elle-même :
‘Peut-être serai-je bientôt morte’. La bonne pénitente
accomplit à la lettre ce qui lui fut imposé par le serviteur de
Dieu, et le Seigneur lui accorda tant de lumières célestes au cours
de ses méditations sur le terrible passage à l’autre vie, que la
jeune fille se mit dès lors à mener une vie sainte »[32].
Cette pénitence ne doit pas nous faire penser que Paul vouait les
âmes à la crainte des châtiments d’outre-tombe. Rien de plus faux,
en effet, car Paul s’opposait de toutes ses forces au rigorisme
religieux, ce dernier interdisant de goûter la miséricorde divine.
Ainsi, dans un monastère de grande observance, il avait constaté que
les religieuses vivaient dans la peur et les scrupules continuels.
Le Seigneur Lui avait alors inspiré de les réconforter, et de les
encourager à avoir confiance en la miséricorde divine. Paul commenta
cet épisode en disant : « Ce n’est pas une façon de guider les
âmes que de les tenir dans un tel mépris de soi et dans une si
grande terreur de Dieu ! Il faut leur donner courage et force pour
cheminer dans la confiance en Dieu ; sinon, elles ne chemineront
jamais dans la voie de la perfection »[33].
La douceur, plutôt que
les reproches, était la méthode de Paul de la Croix. En général,
dans les commencements de la direction spirituelle, il exigeait peu
de choses de ses dirigés, ce qui souvent produisait beaucoup de
fruits. Fr. Barthélemy nous rapporte le cas d’une femme, très
élégante et aimant plaire, qui vint trouver Paul pour être suivie
spirituellement par lui[34].
Tandis qu’un prêtre rigoriste l’aurait sans doute chassée du
confessionnal, Paul au contraire ne lui fit aucune réflexion à
propos de sa tenue très décolletée et de son parfum entêtant, se
contentant de lui imposer un quart d’heure d’oraison chaque matin.
La fois suivante, certes toujours décolletée et parfumée, elle avait
déjà si bien goûté ce quart d’heure de cœur à Cœur avec Jésus, que
Paul lui imposa une demi-heure d’oraison. La troisième fois, Dieu
ayant si bien captivé son cœur de femme, elle revint trouver Paul en
une tenue fort simple et sans s’être parfumée. En étant introduite
dans la « chambre du Roi » par le moyen de l’oraison, elle s’était
détournée des choses superficielles qui jusque là captaient toute
son attention. Paul l’avait gagnée à Dieu par sa douceur et sa
patience.
Un directeur spirituel
doit aider l'âme à se disposer à recevoir la grâce d'intimité avec
le Seigneur, et c’est par la méditation de la Passion que Paul y
préparait ses dirigés. Cependant, le directeur spirituel doit aussi
attendre que Dieu introduise l'âme en cette dimension nouvelle, et
c’est seulement alors que Paul pouvait proposer la voie de
« l'abandon en Dieu ». Le désintéressement était pour Paul une chose
essentielle. C’est l’amour du Seigneur qui était toute sa
récompense : « Personnellement, en-dehors de la Congrégation
j'entretiens peu de rapports avec les gens ; j'aide qui je peux à
servir Dieu, je considère toutes les âmes en Dieu, j'ai soin de les
voir d'un regard simple, c'est-à-dire faites à l'image de Dieu,
riches dans le Christ ; moi, en revanche, je me vois tel que je
suis, à savoir un abîme de maux ... »[35].
Paul était persuadé que l’état d’amitié avec Dieu était accessible à
tous ceux qui le désiraient, car la volonté d’un Dieu incarné et
mort sur une croix ne saurait être autre !
Paul, qui avait le don
extraordinaire de lire dans les consciences, avait aussi celui de la
« communion des cœurs ». Ainsi, au contact d’une âme fervente, il se
sentait lui-même envahi de la même ferveur ; et si son dirigé avait
une extase en l’écoutant parler des merveilles de Dieu, Paul était
lui aussi élevé en esprit. En sens inverse, nous l’avons vu, il
sentait monter en son cœur la tristesse de Dieu quand il était en
présence d’une âme prise au piège de l’amour de soi. Paul de la
Croix, par un privilège très opportun, savait si son dirigé était
sincère ou fourbe. Paul confia un jour au Fr. Luigi, que le Seigneur
lui avait donné le don de discerner les véritables saints des
simulacres, et qu’il ne s’était jamais trompé en cette matière[36].
L’affaire de la fausse sainte de Rome est tout à fait significative
à cet égard. Une femme, à Rome, avait des dons mystiques
incroyables, et elle avait convaincu de sa sainteté bon nombre
d’ecclésiastiques de la ville sainte. On demanda alors à Paul de la
Croix de l’examiner. Tandis qu’il s’entretenait avec elle, « la
femme fut ravie en extase, et son corps s’éleva dans les airs. Paul
observa cependant qu’au cours de cette lévitation elle se tenait
d’une façon peu décente. Par ce détail et par d’autres signes, il
comprit que celle que l’on croyait sainte ne l’était pas du tout.
Retourné auprès de celui qui lui avait confié cette mission, il lui
dit : ‘Elle n’est pas sainte ; elle est trompée’. Ce jugement ne fut
pas immédiatement accueilli, mais ensuite on découvrit qu’elle était
vraiment trompée et trompeuse, et qu’elle entretenait des relations
avec le Démon »[37].
Au cours des entretiens
de direction spirituelle, l’enseignement de Paul avait une telle
force que les personnes s’en souvenaient pendant des mois, voire des
années. Il commençait par écouter avec bonté et attention la
personne qui s’adressait à lui ; puis il exposait avec précision ses
conclusions. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire que le dirigé se
soit lui-même exprimé avec netteté sur l’état de son âme, ne
comprenant pas toujours très bien ce qu’il ressentait durant
l’oraison ; Paul, en effet, comprenait les choses en peu de mots, et
il disait alors : « Cela me suffit, j’ai compris. Vous devez
faire ceci… »[38].
Dieu ne manque jamais d’assister celui qu’il destine à
l’accompagnement d’une âme !
Conclusion
Paul de la Croix fut un
modèle accompli du prêtre selon le Cœur de Dieu. Il effectua son
ministère dans le contexte de la vie religieuse, mais cela ne
l’empêcha pas de s’attaquer à la réforme du clergé de son temps.
Paul prêcha d’abord par l’exemple : son genre de vie totalement
ordonné à la contemplation de Dieu irradiait une lumière que tous
les témoins soulignent avec force. En l’imitant, ses religieux
irradiaient eux-mêmes cette lumière céleste. C’est ensuite par ses
prédications que Paul sut réveiller ses contemporains : ses
considérations sur les vérités de foi et sur les voies de l’oraison
lui valurent de convertir des hommes et des femmes de tous les
horizons. Enfin, son immense charisme de directeur spirituel acheva
de mettre en place des vocations consacrées à l’amour divin. Son
amour de Dieu et des hommes le poussa à former lui-même des prêtres
vivant et prêchant la folie de la croix. Seuls de tels prêtres,
pensait-il, pouvaient délivrer le monde de l’esclavage des ténèbres.
Puisse le Seigneur susciter encore de nos jours de tels hommes !
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