Le Livre du Tabernacle Spirituel[1]

Introduction

Le Livre du Tabernacle Spirituel - Prologue

1 Le premier degré de la course spirituelle : la conversion

Le deuxième degré de la course spirituelle

Le troisième degré de la course spirituelle

Le quatrième degré de la course spirituelle

Le cinquième degré de la course spirituelle

6 Les articles de notre foi

7 Comparaisons essentielles entre le Christ et Moïse

8 Quelques réflexions au sujet des prêtres

9 La consécration des prêtres

10 Le Saint-Sacrement

11 À propos des aliments purs et impurs chez les juifs

12 Le sixième degré de la course spirituelle

13 Le septième degré de la course spirituelle

Annexe - Quelques chapitres de l'Exode

Chapitre XXVI

Chapitre XXVII

Chapitre XXVIII

Chapitre XXIX

Chapitre XXX

Chapitre XXXI

 Introduction

 

Les spécialistes de Ruysbrœck pensent que Le Tabernacle Spirituel, l'un de ses principaux ouvrages, a été achevé vers 1343-1344. Le Tabernacle Spirituel aurait donc été composé vers la fin du séjour de Ruysbrœck à Bruxelles ou au début de sa vie monastique à Groenendael. L'auteur avait beaucoup souffert du comportement du clergé séculier et des chanoines de son époque; aussi la deuxième partie du livre présente-t-elle les erreurs graves que les consacrés devraient éviter tant dans la hiérarchie, que dans le clergé ou les monastères. 

Le Tabernacle Spirituel, malgré son apparence déconcertante pour les hommes du XXIème siècle, renferme une haute doctrine spirituelle. L'originalité du genre littéraire très spécial, genre littéraire inattendu qui s'appuie presque littéralement sur des chapitres de la Bible, peu lus de nos jours (Exode et Lévitique) mais fort goûtés des contemporains de Ruysbrœck, lui donne une saveur très particulière, lorsqu'on s'y est enfin habitué. Ce genre de composition adopté par l'auteur piquait, paraît-il, la curiosité et le goût de  ses contemporains.  

Le chartreux Gérard était en admiration devant ce livre du Tabernacle, estimant que chaque personne, dans la sainte Église, depuis le Pape jusqu'au plus humble des fidèles, devrait en faire son profit spirituel, si toutefois... "il était capable de le lire et de le comprendre" bien que Ruysbrœck donnât constamment une interprétation spirituelle et mystique de ce qu'il écrivait. 

Nous savons que ce livre a joui d'une vraie célébrité, du vivant même de Ruysbrœck; il fut rapidement copié par les moines et traduit en latin afin d'en permettre la diffusion au-delà du Brabant. Denys le Chartreux ne pouvait retenir son admiration pour le "Docteur divin" comme il appelait Ruysbrœck. La doctrine n'était pas seule à attirer tant d'intérêt pour le Tabernacle Spirituel; en effet, nous aussi nous devons bien admettre que même certains détails compliqués ou obscurs de la sainte Écriture, aboutissent tous, quand ils sont bien expliqués et compris, à une même préoccupation: la sainteté de l'âme humaine. 

Nous avons signalé ci-dessus que "Le Tabernacle Spirituel" suivait pas à pas la description très détaillée, donnée par Dieu, pour la construction du tabernacle de l'alliance, description qui se trouve au livre de l'Exode à partir du chapitre XXV. Ce qui, pour la plupart d'entre nous, hommes du XXIème siècle, semble fastidieux à lire, et même sans intérêt, Ruysbrœck le décrit et en donne une fine interprétation spirituelle. Il en épuise les moindres détails, parfois avec une imagination débordante qui, non seulement ne gêne pas, mais ouvre des horizons inconnus. On se surprend même à  admirer la foi profonde avec laquelle notre mystique scrutait les Écritures et savait y trouver l'enseignement spirituel le plus élevé. Cette méthode d'enseignement était, nous l'avons déjà dit, tout à fait appréciée des lecteurs contemporains de Ruysbrœck. 

Ruysbrock, dans "Le Tabernacle Spirituel procède de la manière suivante: 

– Il cite le passage qu'il veut commenter,

– il en donne le sens qui lui paraît être le plus exact,

– puis il aborde son sens spirituel et mystique, pour aboutir à ce qu'il appelle "la course de l'amour". 

Décrivant les différentes étapes, rapportées dans le Livre de l'Exode, de la construction du tabernacle: d'abord le sacrifice offert au pied du Sinaï, puis, le parvis du tabernacle, l'autel des holocaustes dans le parvis, la construction du tabernacle lui-même et la fabrication des objets qui devaient se trouver dans le Saint des saints, ainsi que les ornements des prêtres qui serviraient dans le tabernacle et offriraient les sacrifices, Ruysbrœck montre l'évolution des grandes étapes de la vie spirituelle chrétienne, de son début jusqu'à son terme suprême. Cette vie chrétienne est placée dans son vrai milieu de vie, l'Église, rattachée à sa source et à notre modèle: Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

Comme dans ses autres ouvrages Ruysbrœck décrit les grands stades de la vie chrétienne: la vie active(1er et 2ème degrés), la vie intérieure, affective, qui réalise l'unité du cœur (3ème degré), l'unité de l'esprit (4ème et 5ème degrés) jusqu'à la vie la plus intime (6ème degré), et enfin la vie contemplative qui est la rencontre avec Dieu dans le plus profond de l'esprit (7ème degré). Ruysbrœck rappelle l'importance de la grâce de Dieu méritée par le Sacrifice de la Croix, fondement de la nouvelle alliance, la nécessité de la vie vertueuse et des vertus morales pratiquées selon les dix commandements de Dieu et la doctrine des quatre Évangiles, l'obligation du dévouement au service du prochain dans les œuvres de miséricorde. Cette vie vertueuse c'est comme le parvis de notre tabernacle spirituel. Puis l'homme recherche Dieu par ses méditations amoureuses. Ensuite notre raison intervient à travers notre volonté docile et notre intelligence éclairée par une attention plus recueillie aux enseignements divins. Nous pénétrons plus à fond le vrai sens de la vie spirituelle, et nous découvrons la source profonde de nos actes vertueux: le libre arbitre mû par la grâce divine. 

À partir des objets multiples qui se trouvaient dans la partie réservée aux prêtres, appelée le Saint, Ruysbrœck s'attarde longtemps sur le cinquième degré de la vie spirituelle. Il s'attarde aussi sur tout ce qui concerne le sacerdoce et les sacrifices de l'ancienne Loi. L'application spirituelle en est faite en relation avec le second stade de la course de l'amour, comme l'appelle Ruysbrœck, la vie intérieure. 

Après avoir minutieusement décrit la composition de l'huile consécratoire, Ruysbrœck évoque la consécration d'Aaron et de ses fils, ce qui lui donne l'occasion d'exposer son code de vie ascétique et intérieure. Les prêtres tenus à une sainteté particulière et tous les fidèles, doivent, tous, se sanctifier et trouver la lumière qui fait tendre à cette sainteté, par l'union au Christ et à son Église. Des sacrifices de l'Ancienne Loi et des oblations qui les accompagnaient: pains de proposition, agneau pascal et repas rituel qui suivait l'immolation de l'agneau, notre auteur retire un enseignement spirituel, relatif notamment, aux dispositions que les chrétiens doivent apporter à la réception du sacrement de l'Eucharistie.

 

Le Livre du Tabernacle Spirituel

Prologue

 

Ruysbrœck rappelle quelques paroles de saint Paul aux Corinthiens: "Courez de telle manière que vous atteigniez le but!" Puis il insiste: il faut courir "spirituellement, c'est-à-dire par l'amour", et "de telle manière" c'est-à-dire en considérant comment nous courons, "afin d'atteindre le terme de notre course et l'objet de notre poursuite." C'est la course de l'amour que tous les hommes doivent courir car elle seule conduit à Dieu.  

Or, écrit Ruysbrœck, "nous avons de ceci une figure, qu'il nous faut considérer attentivement dans la description donnée par le prophète Moïse de ce qui lui fut montré par Dieu sur la montagne du Sinaï..." Cette figure, c'est  celle de l'arche et du tabernacle, avec tout ce qui en faisait partie, et dont Dieu avait ordonné la construction. "C'est là que Dieu voulait vivre au milieu de son peuple, manifestant son dessein par tout ce que figuraient le tabernacle et les objets destinés à son culte." 

Ruysbrœck explique ensuite ce qu'il appelle la course de l'amour: "Le prophète Moïse nous décrit sept particularités qui se rapportent toutes à une sage course d'amour... Au premier stade, l'homme est déchargé et délivré de tous péchés... Au second et au troisième, la partie sensible est ornée à l'extérieur et à l'intérieur par les bonnes mœurs... Au quatrième et au cinquième, l'entendement et la volonté sont ornés d'intelligence et d'amour, pour la louange et l'honneur de Dieu. Au sixième degré, toutes les vertus sont amenées à la perfection, selon la très chère volonté de Dieu. Au septième, on entre dans le repos, et alors on possédera et on saisira; tout en saisissant, on courra, et tout en courant, on saisira et c'est vie éternelle."

 

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Le premier degré de la course spirituelle: la conversion

 

1-1-Un sérieux avertissement 

Ruysbrœck commence sa longue méditation à partir du Tabernacle de l'Ancien Testament, une grande tente, par un sérieux avertissement: "Le premier degré de cette course spirituelle consiste à être déchargé de tout ce qui alourdit. Or, ceci ne peut se faire en nous sans que nous fassions à Dieu en notre âme une arche spirituelle et un sanctuaire." Puis, il rappelle que l'arche de Noé, construite en bois, sauva huit personnes. Moïse construisit, à la demande de Dieu et selon les plans de Dieu, "une arche de bois précieux toute recouverte d'or." Quant au Christ, le Fils de Dieu, Il a construit une arche et un tabernacle éternels: "et ce n'est autre chose que lui-même, ou la sainte Église... dont il est le prince et le chef." Ce tabernacle, affirme Ruysbrœck, "demeure éternellement, car il est la réalisation de toutes les figures qui ont précédé." (Chapitre 1) 

1-2-Moïse, figure du Christ 

Environ trois mois après le passage de la Mer Rouge, le peuple était dans le désert du Sinaï. Dieu appela Moïse sur la montagne et lui donna ses enseignements et ses lois. (Exode Chapitres 19 à 23) Puis, Moïse et le peuple d'Israël offrirent à Yahweh un grand sacrifice d'action de grâces. Moïse prit la moitié du sang des bêtes sacrifiées, et la mit dans des bassins, et il répandit l'autre moitié sur l'autel. Ensuite "il prit le livre de l'alliance, il le lut en présence du peuple, qui répondit: 'Tout ce qu'a dit Yahweh, nous le ferons et nous y obéirons.' Alors Moïse prit le sang et en aspergea le peuple, en disant: 'Voici le sang de l'alliance que Yahweh a conclue avec vous'." 

Ruysbrœck explique "qu'en Moïse c'était le Christ qui était figuré... et l'ancienne loi, avec tous ses rites et ses sacrifices, n'était qu'une figure et le fondement de la nouvelle Loi... Car le Christ est le terme de l'ancienne loi, en même temps que le principe et le fondement de la nouvelle... En effet, en figure, Moïse a été tiré des eaux du fleuve par la fille du roi Pharaon et a été appelé son fils, de même, Jésus-Christ a été tiré par la fille du roi David, Marie, des grandes eaux du Saint-Esprit... Il a été créé de son propre sang et il est né d'elle selon la chair. Et c'est ainsi qu'il a été tiré, en vérité et pour notre bien, des grandes eaux de la charité divine." 

Ruysbrœck précise en disant: "Le Christ est encore celui qui attire par sa doctrine, ses exemples et sa mort... Il est toujours celui qui touche secrètement à l'intérieur tous ceux qui sont pleinement à lui. Il est celui qui répand l'onction par les dons du Saint-Esprit sur ses amis attentifs et préparés... Et toute puissance lui a été donnée au ciel, sur la terre et dans les enfers."

D'où la conclusion: "C'est ainsi que nous trouvons réalisé dans le Christ tout ce qui avait été figuré dans la personne de Moïse." (Chapitre 1) 

1-3-Comment le Christ réalise les figures de l'Ancienne Alliance 

Ruysbrœck estime que les actes accomplis par Moïse et son sacrifice avaient un sens caché se rapportant au Christ. 

Moïse avait offert en sacrifice, au pied du mont Sinaï, douze jeunes taureaux, prélevés sur les douze tribus, sacrifice par lequel les enfants d'Israël s'engageaient à obéir à Dieu. Le Christ, Fils de Dieu, l'auteur et le maître de toute loi, enseigna, instruisit son peuple et lui révéla la volonté de son Père; mais peu d'hommes accueillirent ses enseignements. "Néanmoins, pour accomplir les figures qui avaient été présentées et mises en œuvre autrefois, il érigea un autel sur le mont du Calvaire... Il offrit son corps précieux... pour notre rédemption. Et par ce sacrifice il accomplit la loi de l'amour, qu'il nous a transmise et laissée à tous ceux qui veulent la garder." 

De même que Moïse avait répandu une partie du sang des victimes sur l'autel de Dieu, le Christ versa tout son sang "autour de l'autel de la croix, en l'honneur de Dieu; et ce sang a été répandu tout entier sur nous, pourvu que nous consentions à nous lier à Dieu par le sang du Christ..." Par ses apôtres, et maintenant par ses prêtres, Jésus nous lave par son sang et nous rachète de toutes nos souillures, comme Moïse l'avait fait en  aspergeant le peuple hébreu avec le sang de l'alliance.  

Malheureusement, dit Ruysbrœck, "les Juifs, après avoir contracté alliance avec Dieu par le sang des victimes immolées, rompirent cette alliance jusqu'à aller vénérer et adorer un veau d'or... Alors, Dieu se vengea de leur infidélité aux promesses qu'ils avaient contractées..." Mais, pour nous, "le sang du Christ n'est pas un sang de vengeance, mais de miséricorde. C'est pourquoi il l'a confié... aux chefs spirituels, qui doivent être remplis de grâces, comme les dispensateurs et les ministres de ce sang généreux qui a payé toute notre dette..." Si nous péchons, "il nous reste le fleuve de la pénitence, qui coule toujours... le sang de Dieu,  chaud, vivant et plein d'amour, vie de l'Église..." Si nous nous repentons sincèrement, si nous accusons notre infidélité avec une intention droite, et si "nous faisons de nouveau alliance avec lui par le sacrement de pénitence, devant le prêtre à qui a été confié ce sacrement de pénitence, chaque fois qu'il est nécessaire", le Christ ne nous repoussera pas. 

Ruysbrœck résume son enseignement: "Ainsi avons-nous expliqué le premier point de notre sujet, où l'on nous enseigne comment nous sommes rachetés du péché originel et affranchis par le baptême, moyennant le sang de Notre-Seigneur; comment aussi nous recevons sans cesse la même grâce par ce même sang, au moyen d'une vraie pénitence." (Chapitre 2)

 

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Le deuxième degré de la course spirituelle

 

2-1-Le libre arbitre 

Ruysbrœck utilise une autre figure: après le sacrifice des taureaux, le Seigneur demanda à Moïse "que chaque homme lui offrît ses prémices et ce qu'il avait de plus précieux, pour en faire l'arche et le tabernacle, avec tous les ornements qui s'y rapportaient. De cette façon, tout ce qui serait ensuite offert à Dieu serait agréé." Or, pour Ruysbrœck, "les prémices et ce qu'il y a de plus précieux dans l'homme, c'est son libre arbitre." C'est ce que Dieu veut avoir de nous, par amour. Après cela, toutes les bonnes œuvres que l'homme offre seront agréées de Dieu. "Et, de ce libre choix et de ces bonnes oeuvres, il construira à Dieu une arche spirituelle et un tabernacle, où il habitera avec lui à jamais." (Chapitre 3) 

2-2-Le parvis du tabernacle (Chapitres 4 et 5) 

      2-2-1-Le parvis construit par Moïse et les éléments du parvis spirituel 

"Le Seigneur dit à Moïse: 'Vous construirez le parvis du tabernacle'..."  Ruysbrœck rapporte intégralement le texte de l'Exode[2], dans lequel le Seigneur décrit, en entrant dans les plus petits détails, les dimensions, l'architecture, les couleurs, l'orientation, les décorations les plus minutieuses et jusqu'aux vases destinés au culte. Ce sont les enfants d'Israël qui devront apporter l'huile des lampes, lesquelles devront brûler sans jamais s'éteindre.  

Ruysbrœck va maintenant expliquer ces figures: "Tout ceci n'est que le côté le plus extérieur et le plus humble de la figure que je me suis proposée. Maintenant il nous faut, à l'aide de la vérité signifiée par la figure, nous instruire en passant de l'extérieur à l'intérieur et du plus humble au plus élevé. 

Lorsqu'un homme veut obéir à Dieu et à la sainte Église, d'un cœur sans partage, il est libéré et déchargé de tout péché, par le sang de Notre-Seigneur. Il se lie et s'unit à Dieu et Dieu avec lui. Et il devient lui-même l'arche et le tabernacle, où Dieu veut habiter, non en figure, mais en réalité. Car la figure est passée et la vérité est révélée à tous ceux qui veulent se tourner vers elle, en même temps que fuir et éviter tout ce qui lui est contraire." (Chapitre 4) 

      2-2-2-Les colonnes et les chapiteaux (Chapitre 5) 

Ruysbrock prévient ses lecteurs: "Si vous ne trouvez et n'expérimentez pas en vous-même ce qui de droit fait partie de ce tabernacle... c'est signe certain que vous n'êtes pas le tabernacle de Dieu...  

La première chose à chercher et à découvrir en vous, c'est le parvis du tabernacle, c'est-à-dire une vie conforme à la loi morale, selon la conduite extérieure, avec tout ce qui s'y rattache. Or le parvis spirituel, où doivent se trouver le tabernacle et l'arche, aura soixante colonnes aux bases d'airain, vingt au sud, autant au nord, dix à l'occident et autant à l'orient... Les bases d'airain, sur lesquelles s'élèvent les colonnes, c'est la résolution intime de la volonté à pratiquer toutes les vertus: c'est là le commencement d'une vie juste.  

Les colonnes signifient un ferme désir d'observer tous les commandements de Dieu, tous les usages et bonnes coutumes pratiqués dans la sainte Église..." 

Il faut désirer tout ce qui précède, et "ce désir doit s'étendre à tout, sous l'action du bon vouloir et de la chaleur de l'amour, comme le métal sous l'action du feu... 

Comme l'airain prend l'éclat de l'or aux rayons du soleil, ainsi le bon vouloir et le désir des vertus ont l'éclat de l'amour divin aux yeux de tous ceux qui les contemplent dans les œuvres extérieures. Mais ce désir n'a pas la noblesse de la charité, parce qu'il se rattache au bon vouloir et qu'il est tourné tout entier vers les œuvres extérieures. Néanmoins Dieu le réclame pour son tabernacle, qui sans lui ne saurait être achevé. Ces colonnes du bon vouloir ou du désir devront être recouvertes de lames d'argent, c'est-à-dire unies à une vie juste et à une conduite irréprochable. Par là il faut entendre que nous devons vivre diligemment selon les commandements de Dieu et la doctrine des saints..." 

Les chapiteaux de ces colonnes seront tout entiers d'argent, sans alliage d'airain..." sont la figure de l'homme qui mortifie sa volonté en toutes ses actions, et abdique sa liberté, pour le bon plaisir de Dieu ou de son supérieur. Il "est également prêt à embrasser toutes les vertus et à supporter tout ce qu'il plaît à Dieu de lui envoyer... Les chapiteaux d'argent, ce sont donc tous les renoncements d'une volonté comme sculptée et ciselée selon le bon plaisir de Dieu..."  

Ruysbrœck cite, comme exemple, Abraham prêt à sacrifier son fils à la demande de Dieu. Ou Job, qui malgré ses nombreuses épreuves demeura sans reproche, craignant Dieu en toutes choses. Puis Ruysbrœck contemple le Christ et tous ceux qui le suivirent: ses apôtres et les saints qui s'abandonnèrent et se livrèrent à la mort, au gré des tyrans, dans une obéissance parfaite. "Aussi devons-nous suivre les saints et nous appliquer, en grande diligence, à la pratique de toutes les vertus... portant, en parfaite obéissance, tout ce qu'il plaît à Dieu de nous envoyer." 

En résumé: "Nous devons nous dépenser, par le désir et la charité... pour ceux qui sont nos amis comme pour ceux qui sont nos ennemis, de façon à nous efforcer de faire régner les commandements de Dieu en nous et en tous les hommes avec nous... C'est ainsi que nous nous tiendrons fermes, appuyés sur nos vingt colonnes... c'est-à-dire sur les dix commandements doublement observés..." 

2-3-Les vertus du second degré 

Pour entrer dans le parvis, trois vertus sont nécessaires: mépriser les honneurs terrestres, mener une vie austère tout en accordant au corps le nécessaire, en toute discrétion, et conserver une intention droite qui cherche Dieu constamment. Ruysbrœck revient rapidement sur le parvis de son tabernacle et, après voir donné quelques détails sur le nombre des colonnes –soixante- et leur disposition, il précise: "La somme des diverses colonnes ne peut être que de soixante, ce qui est six fois dix ou dix fois six, pour signifier que les dix commandements doivent être accomplis dans les six oeuvres de miséricorde, et les six œuvres dans les dix commandements... Toutes ces colonnes avec leurs bases s'élevaient sur un fondement stable, la terre elle-même. C'est de même que toutes les vertus doivent être maintenues solides sur le fondement de l'humilité." 

2-4-Les rideaux du parvis 

S'appuyant sur les divers éléments qui constituaient le parvis du tabernacle, Ruysbrœck poursuit la description de ce qu'il appelle "la vie morale". Le rideau de lin fin qui entoure tout le parvis en s'appuyant sur les colonnes, signifie la pureté d'intention et des mœurs. L'entrée du parvis c'est-à-dire de la vie vertueuse doit être de quatre couleurs:  

– l'hyacinthe, proche du bleu azur, représente "la vertu de discernement ou de prudence, ornement de la puissance raisonnable."

– la pourpre, "teinte du sang d'un coquillage marin, figure la vertu de force dans la puissance irascible, parce qu'elle immole et domine la chair et le sang. De cette façon l'homme agit selon les conseils de la prudence, et non selon l'appétit et les tendances de la nature."

– l'écarlate, qui est la vertu de compassion, doit perfectionner la puissance concupiscible afin que l'homme soit plein de commisération parfaite pour chacun, se donnant à autrui tout entier dans les œuvres extérieures: il aime les autres comme lui-même.

– Le blanc éclatant, couleur du lin fin, c'est la pureté intérieure du cœur et la chasteté extérieure. 

"Ces quatre couleurs, nous dit Ruysbrœck, c'est-à-dire ces quatre vertus sont inséparables l'une de l'autre. Ou bien nous devons les avoir toutes, ou bien nous n'en avons proprement aucune, car elles renferment tous nos devoirs envers le prochain et envers nous-mêmes, pour ce qui regarde les vertus morales et l'activité extérieure. C'est pourquoi, afin de les souhaiter et de les pratiquer davantage, nous devons remarquer comment le Christ, notre Sauveur, les a mises en œuvre en toute sa vie. 

Ruysbrœck contemple alors le Seigneur Jésus:  

– "Il accomplissait tout selon la droite raison... C'est pourquoi il est vêtu d'hyacinthe, parce que toute sa conduite était raisonnable et pleine de prudence.

– Il était vêtu également de pourpre, par sa force, car il a dominé sa nature sensible en la dévouant à la mort: son anxiété et l'effroi de sa partie sensible furent tels qu'une sueur de sang coula de ses membres, et c'est de cela que fut teint le vêtement de son humanité.

– Il est vêtu encore d'écarlate, par sa charité et sa miséricorde et c'est pourquoi il a livré à la mort son corps précieux. C'est l'écarlate car il nous a lavés et teints noblement de son sang...

– Il portait encore le fin lin retors, comme quatrième parure, car il était sans tache, innocent comme un agneau, en toute sa vie et en toutes ses œuvres..."  (Chapitre 5) 

2-5-L'huile des lampes 

Dieu exigea, pour les lampes du tabernacle, une huile d'olive très pure. De même le Christ nous commande, à nous qui avons été rachetés par son sang, d'apporter l'huile pure de la compassion et de notre charité les uns pour les autres, en toute nécessité. Ainsi nos lampes pourront luire et brûler sans cesse devant le Seigneur, car c'est devant Lui que nous nous tenons maintenant. Oui, si nous accomplissons les œuvres de charité et de miséricorde, figurées par la lumière de la lampe, le Christ nous bénira et nous rendra heureux grâce à nos œuvres de miséricorde qui, seules, nous permettront de passer à la vie éternelle. 

Ce deuxième point nous permet de voir "comment nous devons nous dépenser au service du prochain, à condition d'avoir été délivrés et rachetés de tous nos péchés par la mort du Seigneur." (Chapitre 6)

 

3
Le troisième degré de la course spirituelle

 

3-1-L'autel 

Avançons encore... Le Seigneur demande à Moïse un autel en bois de sétim, ou d'acacia. Il donne ses dimensions, le décrit et indique les ustensiles qui serviront au culte. Ces figures, selon Ruysbrœck, indiquent "que nous devons pénétrer plus avant dans la vérité... et voir comment nous devons rentrer en nous-mêmes par le recueillement des sens, dans une pratique d'ordre affectif. Car de même que, par les vertus morales, nous devons nous tourner à l'extérieur vers le prochain, de même, par l'amour affectif, nous devons nous recueillir et nous tourner vers l'autel du Seigneur... Par cet autel nous devons entendre l'unité sensible de notre cœur. Et dans cette unité devront être recueillies toutes les puissances affectives de l'homme, d'une façon sensible..."  

L'autel sera de bois de sétim, bois léger et incorruptible. Ce bois représente la liberté qui est légère et mène l'homme spirituel où il veut. "C'est pourquoi nous devons laisser de côté toutes les occupations désordonnées de la partie sensible, et nous recueillir librement dans l'unité sensible. Et cette liberté est constante et affranchie d'entraves, pourvu que nous consentions à l'exercer dans la vertu. Dans le feu de l'amour elle ne peut ni périr, ni se consumer, mais elle y est purifiée de tout ce qui est désordonné..."  Nous devons donc vaincre toute multiplicité de notre cœur et rassembler nos sens dans l'unité, y compris nos désirs sensibles, méprisant tout ce qui les flatte. 

"Lorsque l'homme est  introduit dans cette unité sensible, ses aspirations montent vers le ciel et ses yeux souvent s'y élèvent. Ce qu'il éprouve à l'intérieur et ce qu'il manifeste au dehors est étrange: tout ce qui est du temps, devient pour lui sans attrait, car il a recouvert son autel, ou l'unité de son cœur, à l'extérieur et à l'intérieur, d'airain ou d'amour affectif pour Dieu..." Ruysbrœck indique aussi que quatre cornes d'airain ornent les quatre coins de l'autel. Ces quatre cornes figurent les quatre vertus morales. (Chapitre 7) 

3-2-Les instruments 

Ruysbrœck décrit rapidement les ustensiles humbles, destinés à ramasser les cendres après les sacrifices, figures de la Passion du Christ, "restes du feu de l'amour, que nous devons sans cesse recueillir par une méditation dévote, humble et amoureuse, et pleine de compassion." 

Voici maintenant les instruments d'airain: les tisonniers pour exciter le feu, donc, pour nous, l'insatisfaction devant les défauts de nos œuvres vertueuses, et l'amour de Dieu pour nous. "Les crochets d'airain, ce sont les sens intérieurs tout pénétrés d'un goût savoureux; ils doivent porter leur attention vers l'extérieur et nous faire rentrer à l'intérieur, tournant et retournant, les offrandes des vertus dans le feu de l'amour. Les brasiers pour recevoir le feu, ce sont des désirs inassouvis que rien ne peut satisfaire, sinon aimer..." Il y a aussi "un petit gril d'airain, portant des treillis comme un filet. Par là nous entendons le désir spontané et ardent qui embrasse toutes choses pour les employer au service de Dieu... Ce désir ressemble à un filet, car sous lui, dans l'unité du cœur, brûle le feu d'un amour affectif pour Dieu. Et la flamme de ce feu, c'est la ferveur. Toutes les faveurs qui s'écoulent de Dieu dans l'unité du cœur et tout ce que la ferveur fait remonter de cette unité vers le ciel, tout cela traverse le désir sans qu'il puisse rien retenir, car il est comme ce gril en forme de filet, sur lequel sont placées toutes choses pour être offertes à Dieu dans le feu de l'amour." 

Petite précision de la part de Ruysbrœck: "Le gril, qui représente ce désir, est suspendu au milieu de l'autel, c'est-à-dire au milieu de l'unité de notre cœur, et il est fixé aux quatre cornes d'airain... car toutes nos œuvres vertueuses doivent sortir de notre unité sensible et y rentrer, selon les quatre modes des vertus morales. Et, dans le retour à l'intérieur, nous trouvons le désir comme tenu en suspens au milieu de l'amour affectif. Sortir de l'unité et s'élever au-dessus de lui-même, il ne le peut. D'autre part il est incapable de se maintenir dans le fond de l'unité sensible: c'est pourquoi il demeure suspendu au milieu de l'autel, où le feu de l'amour doit brûler sans fin." 

Sous le gril se trouve un foyer d'airain figurant l'esprit intérieur. "Aux quatre cornes de ce foyer il y aura quatre anneaux de fonte d'airain et deux barres en bois de sétim recouvert de lames d'airain, que l'on doit passer à travers les anneaux de chaque côté de l'autel; et c'est ainsi que nous porterons l'autel de notre unité sensible partout où nous voudrons, et que nous le maintiendrons stable en toute sa beauté..." Puis Ruysbrœck donne la signification des quatre anneaux. 

Le premier anneau en nous, c'est l'amour éternel de Dieu, "dans lequel nous avons été vus d'avance et élus de toute éternité". Le deuxième anneau nous fait comprendre que, "de toute éternité, par amour, Dieu avait décidé d'envoyer son Fils unique en notre nature, pour qu'il nous donnât son enseignement en paroles et en œuvres..." À travers ces deux anneaux d'éternité, chacun peut faire passer une barre "qui ne saurait être détruite que par notre faute. C'est la ferme confiance, au cœur de chacun, qu'il est élu et aimé de Dieu dès l'éternité... Cette confiance jointe à un entier abandon devra être gardée jusqu'à la mort..." 

Le troisième anneau nous fait "considérer l'amour actuel de Dieu pour nous" et nous rappelle qu'il nous donne de nombreuses grâces et des bienfaits afin que nous puissions mériter de vivre éternellement avec lui. Le quatrième anneau nous révèle que, "par amour, Dieu veut se donner lui-même à nous en récompense, afin que nous puissions jouir de lui éternellement... " 

Les deux barres qui passent entre les anneaux pour les réunir solidement signifient "qu'il nous faut aimer Dieu avec un cœur libre, au-dessus de toutes choses et, par un humble service, obéir toujours à ses commandements et à ceux de la sainte Église, et y persévérer jusqu'à la mort... Les barres sont recouvertes de lames d'airain, par où nous entendons l'amour affectif..." 

Après avoir décrit les symboles que représentent les instruments liés au culte, Ruysbrœck revient à l'autel, creux et vide de chaque côté. Cela signifie que notre cœur "doit être vide de toutes choses capables de préoccuper notre esprit... et ainsi, rentrer en nous-mêmes par affection, ou sortir par des œuvres vertueuses, nous sera également facile. Cet autel, c'est l'unité de notre cœur, toujours ouvert du côté du ciel, par la ferveur et un service plein de révérence..." L'autel a une petite ouverture du côté du soleil levant: cela signifie "que nous devons humblement désirer et demander la grâce et le secours de Dieu." 

L'autel de notre unité est "placé à droite du tabernacle, du côté de la lumière, c'est-à-dire au plus intime de notre cœur et de notre sensibilité, devant l'entrée de la partie raisonnable: ainsi, toutes nos œuvres et nos offrandes faites à Dieu... seront bien ordonnés et parfaitement agréables à Dieu..."  

Ruysbrœck conclut: "Ce troisième degré nous apprend comment nous devons nous exercer dans l'amour affectif pour Dieu, à condition que nous vivions déjà dans une vraie pénitence, bien ordonnés en vertus morales, envers nous-mêmes et envers le prochain." (Chapitre 7)

 

4
Le quatrième degré de la course spirituelle

 

4-1-Les protections du tabernacle 

Ruysbrœck veut nous apprendre comment, "par la connaissance de la vérité et l'amour divin nous pouvons acquérir et posséder l'état de perfection, c'est-à-dire de rectitude dans la partie raisonnable." Ce sera le but du quatrième degré de la course spirituelle. Ruysbrœck réussira cette gageure en examinant l'ordre de Dieu à Moïse, et en s'appuyant sur une longue description des rideaux et des toiles destinés à la protection du tabernacle. Ruysbrœck rappelle, entre autres: "Le Seigneur parla à Moïse en ces termes: 'Il y aura dix rideaux de fin lin retors, de couleur d'hyacinthe, de pourpre et d'écarlate teinte deux fois: ils seront brodés et ouvrés en ornements variés'... Ces rideaux seront réunis entre eux, cinq par cinq. Des cordons d'hyacinthe seront placés de chaque côté et au sommet des rideaux, afin qu'ils puissent être joints ensemble..."  (Chapitre 8) 

Dieu demande à Moïse de placer cinquante cordons au sommet de chaque rideau, pour que ces rideaux puissent être joints, et cinquante anneaux d'or pour joindre les deux rideaux et ne faire qu'un seul tabernacle. Il y aura aussi onze toiles de poils de chèvre, cinquante cordons et cinquante agrafes. Les toiles, réunies, formeront une unique couverture. "Vous ferez encore pour le toit de ce tabernacle une autre couverture de peau de bélier, teinte en rouge, et par-dessus une autre encore, de peau teinte en couleur d'hyacinthe..." Ruysbrœck décrit ensuite les ais, recouverts d'or, destinés à supporter ces couvertures ainsi que les bases sur lesquelles reposeront ces ais. Un autre rideau est également commandé. 

Cette architecture légère est destinée à contenir l'arche du tabernacle et le voile doit séparer le Saint du Saint des saints. Un autre rideau "de couleur d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate teinte deux fois et de fin lin retors, tout orné d'ouvrages de broderie, fermera l'entrée du tabernacle." (Chapitre 8)  

Ruysbrœck reviendra plus loin, au chapitre 19, sur ce voile et sur les colonnes qui étaient dressées dans le tabernacle, devant le Saint des saints. Il précise: "Dieu continue toujours à habiter en nous, pourvu que nous ayons une conscience pure et un cœur sans images: et c'est ce que signifient les deux bases qui se trouvaient posées sous chaque ais. Nous avons appris que Dieu habite en nous de quatre façons, c'est-à-dire par quatre propriétés: sa propre clarté, sa richesse, son union et son essence... Et de là notre esprit sera dépouillé de quatre façons, et ce dépouillement de notre esprit est signifié par les quatre bases d'argent qui se trouvaient sous les quatre colonnes." 

Ruysbrœck insiste: "Comprenez-moi bien maintenant: dès que nous nous recueillons entièrement et avec amour dans la simplicité de notre esprit, nous rencontrons l'immense clarté divine, et en elle notre intelligence devient tellement pauvre de considérations et tellement vide de toutes images, qu'il semblerait que nous n'ayons jamais vu ni entendu chose quelconque. Ce dépouillement d'images de notre esprit pénétré de la clarté de la lumière divine est notre première base d'argent sur le fondement de notre intelligence. Dieu habite dans la simplicité de notre esprit par sa richesse insondable... Et dans cette richesse notre esprit est tellement dégagé et tellement vide de tout vouloir et de tout désir, qu'il semble n'y avoir plus au ciel et sur la terre aucune chose dont nous ayons besoin..." 

Ensuite, quand nous sommes dans la clarté de Dieu, nous sentons l'union que Dieu a faite avec notre esprit et nous demeurons toujours seuls avec Dieu. "Dieu habite dans la simplicité de notre esprit par son essence. Et ainsi, lorsque moyennant la clarté et la richesse divines, et l'union avec Dieu, nous nous quittons nous-mêmes, nous élevant au-dessus de toutes choses, et dépassons toute multiplicité et distinction, nous entrons dans la simple nudité de notre essence, et là nous ressentons l'immense largeur et la profondeur insondable de l'essence divine; et elle est à notre regard simple comme un désert solitaire où jamais image corporelle ni spirituelle ne peut entrer... " (Chapitre 19) 

Ainsi, Dieu veut demeurer en nous sur quatre bases:

 notre entendement nu et recueilli,

 notre amour simple et recueilli qui nous fera monter vers la bonté de l'Esprit-Saint,

 l'unité de notre esprit,

 la montée cachée de notre essence dans l'essence divine, de notre nature dans sa nature. Cette "simple montée", qui nous unit avec Dieu, est sans mesure et sans mode; et à cause de cela elle reste toujours au-dessus de la raison et incomprise; nous ne pouvons la connaître que par l'amour dépouillé et le regard simple tourné vers la lumière divine. 

      4-1-2-Les cordons et les anneaux  

Le rideau de quatre couleurs était suspendu au moyen de quatre cordons d'hyacinthe passés dans quatre anneaux d'or. Les anneaux indiquent que nos vertus "sont attachées à la grâce de Dieu, et celle-ci à l'union que nous possédons en Dieu par amour essentiel: là nous sommes un par l'amour." Les cordons d'hyacinthe, fixés aux anneaux, "sont notre considération raisonnable lorsqu'elle est éclairée de Dieu..." Nos cordons, notre raison éclairée sont fixés dans les anneaux d'or qui soutiennent le rideau de toutes nos vertus. La couleur hyacinthe des rideaux, qui découle de la vérité de Dieu, représente la discrétion dans les vertus. "Ensuite de la richesse éternelle de Dieu il nous est donné d'être miséricordieux, cléments et généreux dans le don de nous-mêmes. Cette générosité orne et remplit notre désir, et elle est attachée à la bonté et à la richesse de Dieu: et à cause de cela elle doit toujours pardonner et donner... Par la générosité toutes vertus et toutes bonnes œuvres deviennent pour nous éternelles et sont offertes à Dieu...  

Ensuite, nous sentons venir en nous, de l'union avec Dieu, une perpétuelle attraction intérieure... qui nous sollicite à aimer... Nous devons alors obéir à cet appel, car l'union divine attire et exhorte tout notre désir aimant à entrer avec amour, et notre désir y est porté au-dessus de tout et, de cela la charité, le vrai amour, naît en nous, s'exerce et se développe... car l'union entre nous et Dieu est un feu dévorant..." 

Dieu nous possède éternellement... Dans sa présence essentielle en nous elle nous attire en elle-même et nous fait sortir de nous-mêmes dans des ténèbres insondables et inconnues. Là nous nous perdons dans la solitude déserte, et en nous perdant ainsi nous trouvons la béatitude... La trouver, c'est l'élire, et cette élection fait que nous sommes élus. Mais entre ces deux choses, élire et être élu, a dû naître l'innocence, en laquelle toutes les vertus prennent leur source et ont leur fin... Dès lors, nous ne pouvons, ne savons, ni ne voulons rien d'autre que demeurer éternellement en lui par amour... Nous ne pouvons plus en effet chercher ni poursuivre, dans le temps ou l'éternité, que ce qui plaît à Dieu... Par l'innocence nous portons la palme de la victoire et nous suivons l'Agneau en toutes ses voies de béatitude..." (Chapitre 19) 

      4-1-3-Les broderies 

Moïse avait fait broder sur les rideaux du Tabernacle, en lettres et en images, l'histoire du peuple hébreu, pour l'instruction du peuple et son affermissement dans la foi. Ainsi pouvait-il attendre la venue promise du Seigneur, né de leur race et de leur peuple, Jésus-Christ le Fils de Dieu, incarné en la vierge Marie. 

De même, nous devons repasser sans cesse dans notre mémoire toutes les merveilles que Dieu a faites pour ses amis, depuis le commencement du monde, et en particulier l'histoire et la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. "Nous devons admirer l'amour brûlant dans lequel Dieu et ses amis se fondent en une mutuelle complaisance, et enfin la simplicité toute pure, selon laquelle, unis à Dieu, ils possèdent tout bien..." 

C'est ainsi que les saints vivent dans la gloire de Dieu. Dès cette vie, nous devons les imiter. (Chapitre 19) 

4-2-Signification des symboles 

      4-2-1-La tente 

Pourquoi, pensons-nous, Ruysbrœck s'est-il si longuement attardé sur la description d'une tente, sacrée, certes, mais relativement banale pour l'époque? C'est que, d'une part, Moïse, obéissait à l'ordre de Dieu, et, d'autre part, ce tabernacle voulu par Dieu était la figure du Christ qui viendrait plus tard, mais qui était présent dans la pensée éternelle de Dieu. Notre auteur s'explique: "Par Moïse, nous entendons le Christ... notre chef et notre guide dans la loi chrétienne et notre fidèle médiateur. Le Christ a accompli toutes les figures et leur a substitué la vérité. Il a obtenu pour nous la faveur de son Père, pour tout ce que nous lui demandons avec amour et confiance. Et par le commandement et la volonté de son Père, il a construit un tabernacle spirituel, la sainte Église, qui demeurera éternellement dans la gloire. Cette sainte Église, ce sont tous les justes unis à Dieu, tous appelés... dans l'unité d'une même loi, d'un même baptême, d'une même foi, dans la concorde d'un même amour... et de la charité éternelle de Dieu qui les tient tous embrassés. De sorte que chacun est une pierre vivante bien taillée du tabernacle de Dieu..." (Chapitre 9) 

      4-2-2-Les couleurs 

Ruysbrœck fait remarquer à ses lecteurs que Dieu ordonna, contre toute logique humaine, "de faire d'abord le toit du tabernacle et ensuite les parois, qui devaient porter et soutenir le toit. Ceci nous montre que souvent il faut pratiquer longtemps la vertu, avant de reconnaître clairement le fond des vertus, qui porte et soutient la vertu dans sa splendeur..." Ces dix rideaux représentent la plénitude de la loi dans les exercices intérieurs selon les commandements du Seigneur. Les quatre couleurs signifient que nous devons les accomplir: 

– Avec simplicité et candeur (couleur blanche qui figure toutes nos vertus) sans nous rechercher en aucune chose ni poursuivre notre propre intérêt. Cependant nous devons lutter, en toutes nos œuvres, contre l'ennemi tentateur qui voudrait que nous poursuivions notre satisfaction, ce qui souillerait  nos vertus.

– L'hyacinthe, c'est-à-dire l'azur, couleur toujours éclairée par la grâce de Dieu, nous incite à une parfaite discrétion intérieure.

– La couleur pourpre, c'est la générosité, toujours éclairée par la lumière céleste, c'est-à-dire par la grâce de Dieu.

– Par l'écarlate, c'est-à-dire le rouge de feu, Ruysbrœck "entend la charité qui orne et achève toutes les vertus. Semblable au feu, elle nous unit à  Dieu et à notre prochain... Elle consume tous les défauts et achève toutes les vertus." (Chapitre 11) 

      4-2-3-Pourquoi des broderies 

Le Seigneur ordonna de coudre des broderies sur les couleurs: 

– Sur la couleur blanche, Dieu demanda l'insertion de roses rouges, ce qui signifie que nous devons résister à tout ce qui s'oppose à la vertu. Les roses rouges, d'un parfum agréable, ce sont nos croix. Il faut aussi broder des boutons d'or, c'est-à-dire l'obéissance.

– Sur la couleur azur, il fallut broder des oiseaux aux plumages divers et magnifiques, et, grâce à ces images, "nous appliquerons notre raison, avec une attention éclairée, à la vie et aux œuvres des saints, qui sont multiples."

– Dans la pourpre violette qui représente la générosité, il faut broder "la fleur des eaux, le nénuphar, qui signifie une possession libre de toute la richesse de Dieu, et par la générosité nous possédons avec liberté d'esprit les grandes eaux de toute la richesse de Dieu... Nous devons avoir des feuilles vertes, c'est-à-dire contempler avec amour la générosité éternelle de Dieu..."

– Dans l'écarlate charité de feu, brilleront des étoiles lumineuses, c'est-à-dire "des prières intimes pour le bien de notre prochain, ainsi que des exercices dignes et secrets entre nous et Dieu." 

Ruysbrœck conclut: "Nous possédons ainsi la signification des rideaux ornés du tabernacle des juifs." (Chapitre 11) 

      4-2-4-Les dimensions des rideaux 

Ruysbrœck rapporte l'ordre de Dieu à Moïse: "La longueur de chaque rideau sera de vingt-huit mesures et la largeur de quatre. Tous les rideaux auront la même mesure." Nous remarquons que Ruysbrœck parle de "mesure", ce qui est bien vague. Nos bibles modernes parlent de coudées. L'imprécision est encore conséquente compte tenu du fait qu'il y avait, au temps de Moïse, plusieurs longueurs correspondant à la coudée[3]. Si on remplace l'expression: une mesure, de Ruysbrœck, par une coudée, en utilisant une coudée d'environ 50 cm, il semble qu'on soit dans un ordre de grandeur à peu près correct. 

Chaque rideau mesurait en longueur 28 coudées, soit environ 14 mètres.

Ruysbrœck explique que chaque vertu doit avoir 28 "mesures" de longueur, c'est-à-dire "qu'elle doit prendre son point de départ et son terme dans la plénitude des grâces de Dieu... en accomplissant la loi des dix commandements... Et dans la plénitude des grâces, où toutes ces vertus trouvent leur origine et leur terme, elles forment un état spirituel et une vie... Chaque rideau avait quatre mesures de largeur, ce qui nous apprend que nous devons étendre nos vertus à l'intérieur vers Dieu, à l'extérieur vers tous les hommes... car toute bonne œuvre doit avoir nécessairement quatre propriétés: accomplie avec innocence, prudence, générosité et charité."  (Chapitre 11) 

      4-2-5-Les voiles 

Le Seigneur demanda de joindre les rideaux cinq par cinq pour réaliser deux voiles. Les rideaux furent cousus grâce à cinquante cordons de couleur hyacinthe, et cinquante anneaux d'or, pour ne faire qu'un seul tabernacle. Par là, dit Ruysbrœck, "nous entendons qu'il nous faut recueillir nos sens intérieurs, c'est-à-dire notre sens spirituel... Ainsi nous sommes instruits intérieurement de la véritable loi des vertus et des commandements du Seigneur. De même devons-nous... nous appliquer extérieurement aux saintes Écritures et aux exemples des saints... Ce double regard qui se tourne à l'intérieur et à l'extérieur est représenté par les deux toiles de dix rideaux, figures de l'union des vertus et des commandements du Seigneur..." 

Pourquoi cinquante cordons et cinquante anneaux d'or destinés à réunir les cordons? C'est "qu'il y a pour nous cinq sens spirituels, et chacun d'eux aime et désire accomplir, en l'honneur de Dieu, les dix commandements et toutes les vertus..." Chacun de nos sens a ses dix anneaux d'or, (les dix commandements) ce qui fait pour les cinq sens cinquante anneaux. (Chapitre 11) 

      4-2-6-La forme du Tabernacle 

"Le tabernacle avait la forme d'un carré... À l'est, du côté de l'orient, le tabernacle était entièrement ouvert, tandis qu'à l'ouest il était complètement fermé. De plus la couverture ne touchait pas la terre. "Par là nous entendons que le fond de notre libre arbitre est simple et sans mode, indéterminé par rapport à toute vertu. Il demeure toujours vide en lui-même, sans jamais recevoir la détermination d'aucune œuvre vertueuse... Il cherche toujours l'honneur de Dieu... Et c'est pourquoi les vertus, figurées par les rideaux du tabernacle, ne peuvent toucher ce fond du libre arbitre. Car en lui-même ce fond n'est autre chose qu'amour et liberté essentiels. Et c'est pourquoi toutes nos facultés avec toutes leurs œuvres sont dans le fond de notre libre arbitre simples et indéterminées et s'identifient avec lui." 

Ruysbrœck poursuit la description du tabernacle, et, après avoir montré que "la couverture des rideaux se trouvait pliée en trois, à la face occidentale du tabernacle," il affirme: "Nous apprenons ainsi que l'état parfait de toutes les vertus est triple dans la partie supérieure de notre tabernacle, c'est-à-dire dans l'unité de nos puissances supérieures. Car notre mémoire possède la vérité et toutes les vertus, en plongeant le regard dans l'entendement, parce que c'est là que s'enseignent tous les modes de vertus. Et l'intelligence s'unissant à la mémoire possède la même vérité avec toutes les vertus, en plongeant le regard dans la mémoire... où tous les modes de vertus sont possédés et conservés..."  

La troisième puissance, la puissance aimante, orne et informe tous les modes de vertus par l'amour. Et en la dépassant, "la puissance aimante fait de la mémoire une pure pensée et de l'intelligence un pur regard. Car dans cette opération, qui consiste à plonger le regard dans l'unité, toutes les vertus arrivent à leur perfection et toutes les puissances deviennent sans mode et sans détermination. Cette opération est en effet au-dessus de la raison et sans le mode de la raison, mais non pas contre la raison. Car c'est l'opération la plus haute de l'amour, et ce n'est autre chose qu'amour sans mode et sans détermination." 

Nous savons que l'amour est constant; il se renouvelle sans cesse, et il accomplit la loi en son entier et adhère toujours à Dieu, nous rassemblant avec toutes nos puissances dans le fond de l'unité. "Et ainsi nous en finissons avec la couverture de dix rideaux et tous leurs ornements." (Chapitre 11) 

      4-2-7-La couverture en poils de chèvre, figure de l'humilité 

Le Seigneur demanda à Moïse de faire onze tapis pour couvrir le toit. Ces onze tapis faits de poils de chèvres, représentent la parfaite humilité. "Car de même que les chèvres ont la vue perçante, cherchent une nourriture piquante, et aiment à grimper et à se reposer sur les rochers et dans les lieux élevés, de même, plus que toutes autres vertus, l'humilité aiguise notre regard intérieur et nous fait rechercher une vie dure et méprisée, qui est la nourriture du cœur humble. Et le Christ lui-même, comme un rocher élevé, est l'habitation et le repos des humbles; car descendre par l'humilité, c'est s'élever au-dessus de toutes les hauteurs des cieux."   

Nous devons donc être l'humilité même qui recouvrira nos vertus. Dix tapis de l'humilité "recouvrent les dix rideaux de toutes nos vertus, tandis qu'avec le onzième nous nous couvrons nous-mêmes. Car l'humilité est le sol sur lequel s'appuient toutes les vertus qui tirent leur origine du sol de l'humilité, et c'est en elle qu'elles doivent s'achever..." Ruysbrœck nous fait remarquer que la liberté et l'humilité sont égales en noblesse, et que  l'humilité est à pratiquer avant et après, en toutes vertus, car elle soutient toutes les vertus et elle les recouvre.  

Après avoir décrit le montage de cinq tapis, Ruysbrœck indique "que notre humilité doit avoir deux parts: car nous devons être humbles à l'égard de Dieu et à l'égard du prochain..." Puis il ajoute: "Selon le mode de l'humilité plus profonde que toutes les vertus, nos trois puissances supérieures, en mourant à elles-mêmes, descendent jusqu'au fond de l'humble abandon, et ce fond est vide et simple. Dans ce fond nous sommes nous-mêmes humilité et amour essentiels, et unité, et liberté, et richesse de toutes vertus, et plénitude de tous les dons... Et nos puissances supérieures descendent tout droit jusqu'à la paix la plus intime..." 

Passant aux cinq autres tapis restant qui devront être réunis et joints aux précédents, Ruysbrœck monte d'un cran dans la vie spirituelle et passe au onzième tapis, qu'il estime être le déplaisir de nous-mêmes et de toutes nos œuvres: "Nous devons faire rentrer nos sens à l'intérieur et par l'humilité les unir et les maintenir sous la raison, de façon à ce que nous puissions sans entraves montrer aux autres et pratiquer nous-mêmes à l'extérieur la loi et toutes les vertus, sans poursuivre aucune complaisance ni satisfaction en notre sensibilité... 

L'homme humble aperçoit en son fond qu'il n'acquitte jamais sa dette envers Dieu ni envers les hommes, et qu'en toutes ses œuvres il ne peut atteindre à la véritable vertu... En effet, nous devons nous abaisser tellement en humilité devant Dieu, qu'aucune suavité, aucune consolation, aucun don de Dieu ne puissent nous élever... Nous devons nous abaisser et humilier au-dessous de tous les hommes, de telle façon que ni honneur, ni richesse, ni tout ce que le monde peut nous offrir de prospérité extérieure ne puisse élever ni réjouir notre âme... Nous devons comprendre que notre humilité doit avoir deux parts: nous devons être humbles à l'égard de Dieu et à l'égard du prochain, sans restriction et humblement, avec toutes nos vertus, de façon à ce que nous recevions à l'intérieur, avec humilité, la vérité de Dieu et tous ses dons...  

Selon le mode des vertus, la puissance aimante seule, par l'amour sans mode ni détermination, dépasse tous les modes de vertus et arrive jusqu'au fond de l'unité... Selon le mode de l'humilité plus profonde que toutes les vertus, nos trois puissances supérieures, en mourant à elles-mêmes, descendent jusqu'au fond de l'humble abandon, et ce fond est vide et simple. Et dans ce fond nous sommes nous-mêmes humilité et amour essentiels, et unité, et liberté, et richesse de toutes vertus, et plénitude de tous les dons..." 

Pourtant, nous devons toujours "pratiquer les vertus sans jamais sans poursuivre aucune complaisance ni satisfaction en notre sensibilité. Et c'est pourquoi quand nous avons fait tout ce qui est en notre pouvoir à l'extérieur et à l'intérieur, envers Dieu et envers le prochain, nous ne pouvons nous complaire à nous-mêmes en aucune de nos œuvres vertueuses..." En effet, "l'homme humble aperçoit en son fond qu'il n'acquitte jamais sa dette envers Dieu ni envers les hommes, et qu'en toutes ses œuvres il ne peut atteindre à la véritable vertu... Et nous devons être tellement abaissés en humble abandon de nous-mêmes qu'aucune tribulation dans le temps ou dans l'éternité ne puisse toucher notre âme ni l'abattre... Et du fond de l'humilité l'on contemple la sublimité et la fidélité de l'amour de Dieu... Et sa contemplation et son désir tendent toujours à le faire disparaître et s'effacer pour l'honneur de Dieu..." (Chapitre 12) 

      4-2-8-La couverture rouge, en peau de bélier 

Le Seigneur demanda aussi, toujours pour le toit du tabernacle, une autre couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et par-dessus une dernière couverture de peaux de béliers, teintes en couleur d'hyacinthe.   

"Par la première couverture en peaux de béliers teintes en rouge, nous entendons une simple et foncière tendance ou aspiration vers Dieu..." Ruysbrœck examine ce qui est propre au bélier, mais que nous retrouvons spirituellement dans la tendance simple vers Dieu. En effet, le bélier, plus fort que la brebis, est le plus simple et le moins rusé des animaux. Et il fut le premier à être offert en sacrifice à Dieu... Dans notre désir simple que nous ressentons pour Dieu, désir plus fort que toutes les vertus, nous voulons nous élever au-dessus de tout vers Dieu, "nous donner tout entiers à Dieu et n'être qu'à lui pour l'honorer et le louer... C'est pourquoi dès le premier instant où nous nous tournons vers Dieu, nous lui offrons un sacrifice digne de lui, qui consiste en ceci, que nous mettons en Dieu notre complaisance par-dessus tout, simplement et sans arrière-pensée. Et cette complaisance est le principe et le fondement du désir simple... Ce désir veut lutter contre toutes les autres vertus, car dans l'impétuosité de son transport, aucune vertu n'arrive à le satisfaire, ni à calmer son ardeur, toutes lui semblant trop étroites et trop infimes. C'est pourquoi le désir s'élève au-dessus de tout et il embrasse sa propre activité et celle des vertus en un seul acte et en un seul mode." (Chapitre 12)

Petite mise au point 

Ruysbrœck nous indique qu'il existe "une grande différence entre notre désir ou aspiration sensible, qui demeure toujours dans les limites de la raison, et notre amour spirituel, qui nous fait dépasser la raison et nous unit à Dieu. Cet amour spirituel tout intime est un amour sans mode, dont l'activité... rend l'esprit tout absorbé dans l'amour. L'esprit devient lui-même amour, un amour essentiel dans le fond de son unité...  

De plus notre amour spirituel nous abaisse devant Dieu, dans une humble abnégation de nous-mêmes, et ainsi nous nous anéantissons en humilité... et nous devenons nous-mêmes abîme d'humilité et de toute vertu... Notre amour spirituel et l'humilité font que nous nous livrons nous-mêmes librement à Dieu, de sorte que nous devenons libres et un avec la liberté de Dieu. Telles sont les opérations les plus hautes de l'amour, qui nous font dépasser la raison et qui dureront jusqu'à l'éternité... Sous la poussée d'une tendance affective, dont Dieu se sert comme d'un instrument, l'amour aspire à une vie parfaitement réglée à l’extérieur et à l'intérieur, à être enseigné par Dieu et par toutes les créatures. Mais l'amour lui-même, ne cherche et ne poursuit, en toutes vertus, que l'honneur de Dieu, avec sagesse et intelligence éclairée... Par là croît en nous une tendance habituelle, qui demeure toujours en nous essentiellement. C'est là comme une couverture simple de toutes les vertus, que nous pouvons pratiquer sous l'inspiration de notre désir affectif..." (Chapitre 13) 

      4-2-9-La couverture supérieure, bleue, en peau de bélier  

Le Seigneur voulait une autre couverture supérieure, en peau de béliers, mais teinte en bleu azur. Cela signifie un état "où notre désir, avec toutes nos puissances affectives, est élevé intérieurement, de façon à ce que soit suspendue simplement notre faculté sensible, sans qu'elle puisse redescendre. Là est le dernier sommet où puissent tendre notre désir et nos exercices affectifs... Mais cette couverture doit être de couleur d'hyacinthe, ce qui signifie que grâce à notre raison, nous aurons toujours en notre pouvoir tous nos sens extérieurs et intérieurs... et ainsi notre homme extérieur s'unit à l'homme intérieur dans une soumission définitive; et le repos et la paix croissent sans cesse dans notre partie sensible..." 

Remarque: 

Les deux couvertures en peau de bélier ont des teintes différentes: "Notre désir, est rouge comme le feu, qui, par nature, monte toujours le plus haut possible, tandis que cette simple élévation ou suspension, surpasse tout le reste et elle est couleur d'azur. Là toutes nos puissances affectives deviennent simples, oisives et élevées au-dessus d'elles-mêmes, et unies à la partie raisonnable; et la partie sensible ainsi élevée demeure couverte et informée par l'azur, c'est-à-dire par la lumière de l'intelligence..." (Chapitre 14) 

      4-2-10-Les ais[4] du tabernacle 

Le Seigneur donna également des consignes pour la construction de la charpente du tabernacle. Le bois utilisé sera du bois de sétim (du bois d'acacia). Ruysbrœck poursuit l'explication des symboles: "Par ce bois de sétim nous entendons une entière maîtrise de nous-mêmes, c'est-à-dire liberté d'âme..." En effet: "il nous faut être tellement maîtres de nous-mêmes que, par la grâce de Dieu, nous puissions mortifier toute propriété de volonté, librement et sans aucune difficulté, pour accomplir la toute aimable volonté de Dieu... Si nous nous possédons ainsi nous-mêmes, nous possédons une âme libre et dégagée, bien ordonnée et toujours également disposée à toute espèce de vertus, représentées par la diversité des ais du tabernacle. Et tous ces ais doivent être verticaux, c'est-à-dire que nous devrons élever librement, en l'honneur de Dieu, notre âme ainsi dégagée avec toutes les bonnes œuvres..." Ruysbrœck compare ensuite les mesures de ces ais à nos déterminations libres, au libre arbitre, perception raisonnable et intellectuelle, qui "peut accomplir à l'extérieur et à l'intérieur toutes les formes de vertus, suivant la manière dont il est mû par l'Esprit de Dieu et sa propre liberté..." 

Le Seigneur demande que des rainures soient pratiquées dans les ais afin de pouvoir les assembler. Cela signifie que " chaque homme libre possède en lui d'une façon habituelle une inclination spontanée vers Dieu et vers toute vertu... Par la grâce de Dieu et sa propre inclination libre, l'âme est mue librement de nouveau à aimer... Ainsi, tous les conseils de Dieu veulent que nous nous renoncions et surmontions nous-mêmes, en nous donnant tout entiers à Dieu et en le suivant en unité et en repos; tandis que les commandements de Dieu ont pour but de nous faire abandonner et vaincre le péché et de nous livrer tout entiers et librement à toutes les vertus, en parfaite obéissance pour l'honneur de Dieu." 

Pour soutenir les ais le Seigneur demande quarante bases d'argent, soit deux bases pour chaque ais. "Par là nous apprenons qu'à la base de chaque détermination libre, si nous voulons qu'elle s'élève vers Dieu, nous devons avoir une conscience pure et un cœur libre et dépouillé... Ainsi nous supporterons patiemment tout ce que Dieu nous impose, ... intérieurement ou extérieurement, à nous-mêmes ou à notre prochain... et nous serons libres au milieu de toutes les souffrances, en obéissance aux commandements de Dieu... nous abandonnant tout entiers au bon plaisir divin, de façon à ce que ce qu'il a décrété éternellement faire de nous devienne notre plus grande joie: et alors nous pourrons souffrir sans souffrir..." (Chapitre 15) 

Les ais, portant les anneaux d'or, doivent être revêtus d'or, ce qui signifie que "nous devons élever tous nos libres propos en charité et en amour divin... pour qu'en chaque libre propos notre amour puisse pénétrer toutes nos œuvres et l'opération intérieure de Dieu en nous, ainsi que tous ses dons. Car Dieu est tellement libre dans son amour et il s'enfonce tellement par amour en nous, que traversant ses œuvres et les nôtres, il habite essentiellement en nous... Et nous, nous devons sentir en nous un esprit aimant, qui se réjouit en Dieu et défaille en amour et en béatitude."  (Chapitre 17) 

Ruysbrœck signale en outre que trois ais principaux "figurant notre élévation dans la foi ou dans les conseils divins, avaient à leur bord extérieur cinq anneaux d'or, par lesquels passait la barre verticale. Car, si notre homme intérieur concorde avec Dieu en toute manière, nous serons sans aucune attache et aurons l'âme pleinement libre...  

L'opération de Dieu en nous est comme la barre verticale qui unissait les ais. En cela il y a jouissance pour notre partie raisonnable et tous nos sentiments intérieurs, c'est-à-dire pour nos cinq sens internes; ils s'épanouissent et s'ouvrent vers Dieu, et embrassent amoureusement cette libre opération de Dieu en nous comme le principe vivant et le soutien permanent de toute notre vie spirituelle..." 

      4-2-11-Les barres d'attache et les anneaux 

Ruysbrœck rappelle que le Seigneur veut que "nous mettions des barres devant les ais, c'est-à-dire que nous n'entreprenions et ne terminions nos œuvres qu'en sa vertu et dans un complet abandon à lui. Car par lui et par son opération toute libre dans l'intime de nous-mêmes, nous pouvons toutes choses. C'est pour la même raison qu'il se plaît à nous donner son Esprit, sagesse, intelligence et science, pour nous donner la vie et nous faire accomplir librement des œuvres de vie."  

En effet, cinq barres en bois recouvertes d'or doivent maintenir les ais de chaque côté du tabernacle. Ici, il n'y a pas de mesures imposées, et Ruysbrœck en conclut que c'est pourquoi les saints et les docteurs n'en parlent pas de la même façon, mais chacun en parle selon son propre sentiment. Ruysbrœck nous dit: "Ces cinq barres nous apprennent que notre homme intérieur doit s'établir dans une union permanente avec Dieu et une libre conformité avec les opérations libres de Dieu en lui. Et cette union et cette conformité doivent être pratiquées et possédées de trois façons: et c'est là ce qui nous maintient dans un état vraiment spirituel: 

– La première manière... consiste à nous donner tout entiers et docilement à toutes les vertus, et à rester cependant unis avec Dieu dans un repos affranchi de toute préoccupation. 

– La seconde manière consiste à nous renoncer et à nous abandonner nous-mêmes en toute souffrance sans la moindre préférence, et à nous livrer au bon plaisir de Dieu; de cette façon nous devenons un bien dont Dieu peut disposer à son gré...

– La troisième manière, consiste à servir Dieu en amour, tant en nous-mêmes qu'en toutes les créatures et à adhérer à lui avec tant de simplicité et d'assurance que notre confiance en Dieu l'emporte infiniment sur celle que nous pourrions mettre dans les créatures... Nous nous livrons tout entiers et spontanément par amour à son amour...

Cette triple conformité avec Dieu ne forme qu'une seule et même vie spirituelle."  

En résumé, "les trois barres verticales fixées dans les premières bases d'argent établies sous les ais, représentent le fondement, soit des commandements, soit des conseils, soit de la foi... Les trois ais principaux figurent notre élévation dans la foi ou dans les conseils divins. Si notre homme intérieur concorde avec Dieu en toute manière, nous serons sans aucune attache et aurons l'âme pleinement libre; et c'est au sein de cette conformité que Dieu habite et opère par la plénitude de ses grâces; et cette opération de Dieu en nous est comme la barre verticale qui unissait les ais. En cela il y a jouissance pour notre partie raisonnable et tous nos sentiments intérieurs, c'est-à-dire pour nos cinq sens internes; ils s'épanouissent et s'ouvrent vers Dieu, et embrassent amoureusement cette libre opération de Dieu en nous comme le principe vivant et le soutien permanent de toute notre vie spirituelle. (Chapitre 17) 

      4-2-12-Les lames d'or 

Il semble que Ruysbrœck veuille maintenant faire monter ses lecteurs encore plus haut dans la vie spirituelle. En effet, pour lui, le fait que les barres soient revêtues de lames d'or signifie que "qu'entre nous et Dieu doit toujours exister un amour vivant et actif qui doit transformer l'opération libre intérieure de Dieu, et notre libre correspondance. Et cet amour ne peut pas être oisif... Plus nous sentons en nous d'amour actif, plus nous vivons dans la grâce; et plus nous éprouvons d'amour essentiel qui embrasse en nous l'amour actif, plus nous défaillons en nous-mêmes par amour, et possédons la béatitude. Mais l'amour actif entre nous et Dieu doit transformer et couvrir toutes nos œuvres et l'opération intérieure de Dieu, et ce sont là nos lames d'or, dont nous couvrons toutes nos barres; cet amour actif nous l'appelons charité... Ce lien unique de la charité nous donne l'amour, et il exige de nous que nous aimions, et il est lui-même amour... Cet influx mutuel est notre vie spirituelle et notre charité, l'amour de Dieu et le nôtre unis en un seul... C'est  le mouvement du ciel que Dieu donne communément à toutes les créatures qui vivent et croissent sous le soleil jusqu'au dernier jour...  

Nous pouvons remarquer que toutes les fois que nous donnons avec amour notre esprit à Dieu, et recevons en nous son esprit, nous sommes bien portants, et nous devenons en son esprit plus vivants, plus forts et mieux portants que nous ne l'étions auparavant; car son esprit est un air céleste et doux, qui attire notre esprit dans sa propre douceur..."  

Mais, "lorsque notre esprit attire en soi avec amour quelque image de créature qui nous impressionne et l'emporte sur l'amour de Dieu, nous y trouvons un obstacle, et, à cause de cet obstacle, nous ne pouvons recevoir l'inspiration de Dieu, et nous devons alors mourir dans le péché... Aussi devons-nous toujours dresser et orner de vertus notre tabernacle spirituel."  (Chapitres 17 et 18) 

      4-2-13-Les cinq bases d'airain et les cinq colonnes 

Le Seigneur avait demandé, pour l'entrée du tabernacle, un rideau couleur d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fin lin retors, orné de broderies. Ce rideau devait être fixé sur cinq colonnes dorées, en bois d'acacia, reposant sur des chapiteaux dorés et des bases d'airain. Ruysbrœck explique: "Les bases d'airain sur lesquelles reposent les colonnes, sont les délices sensibles de la nature, nos cinq sens intérieurs, obtenues (les bases d'airain) par la pureté de la conscience et le dépouillement d'images dans le cœur et l'esprit... Comme les sens intérieurs, pleins de l'amour divin, doivent être toujours élevés d'une façon sensible et simple, et s'unir à l'esprit... il y a cinq colonnes à l'entrée du tabernacle..."  

Plus loin Ruysbrœck précisera: "Dieu continue toujours à habiter en nous, pourvu que nous ayons une conscience pure et un cœur sans images: c'est ce que signifient les deux bases qui se trouvaient posées sous chaque ais. Nous apprenons maintenant que Dieu habite en nous de quatre façons: sa propre clarté, sa richesse, son union et son essence. Et lorsque nous nous recueillons avec amour jusque dans la simplicité de notre esprit, nous trouvons en Dieu et possédons ces quatre propriétés. Et de là notre esprit sera dépouillé de quatre façons, et ce dépouillement de notre esprit est signifié par les quatre bases d'argent qui se trouvaient sous les quatre colonnes. 

Dès que nous nous recueillons entièrement et avec amour dans la simplicité de notre esprit, nous rencontrons l'immense clarté divine, et en elle notre intelligence devient tellement pauvre de considérations et tellement vide de toutes images, qu'il semblerait que nous n'ayons jamais vu ni entendu chose quelconque. Ce dépouillement d'images de notre esprit pénétré de la clarté de la lumière divine est notre première base d'argent sur le fondement de notre intelligence. 

Deuxièmement, Dieu habite dans la simplicité de notre esprit par sa richesse insondable... Dans cette richesse notre esprit est tellement dégagé et tellement vide de tout vouloir et de tout désir, qu'il semble n'y avoir plus au ciel et sur la terre aucune chose dont nous ayons besoin... 

La troisième propriété est l'union que Dieu a faite avec notre esprit... Nous demeurons toujours seuls avec Dieu et détachés en toutes choses... 

Enfin, nous nous quittons nous-mêmes, nous élevant au-dessus de toutes choses... "Nous entrons dans la simple nudité de notre essence, et là nous ressentons l'immense largeur et la profondeur insondable de l'essence divine; et elle est à notre regard simple comme un désert solitaire où jamais image corporelle ni spirituelle ne peut entrer. Voyez: contempler ce désert solitaire et le posséder dans la nudité de notre essence, c'est la quatrième base d'argent." (Chapitre 19) 

Ruysbrœck atteint les hauteurs spirituelles: "Nos sens intérieurs doivent de même être élevés de façon sensible et simple, et suivre l'esprit dans tous les modes de vertus; ainsi faisons-nous toutes nos œuvres avec plaisir; tout cela est figuré par ces colonnes placées aux coins antérieurs du tabernacle... Leurs chapiteaux étaient en or, comme ceux des colonnes intérieures du Saint des saints. De même notre ascension simple et sensible, à son sommet, ne rencontre que délectation sans mesure et sans mode: c'est une délectation divine et de jouissance, plus profonde et plus ample que toute pratique..." 

Il faut, en effet, savoir "qu'il y a trois sortes de délectation: délectation sensible, raisonnable et divine. Si toutes trois se réunissent dans une même vie, il y aura grandes délices dans la délectation inférieure; clarté, richesses et délices plus grandes dans la délectation moyenne; jouissance divine, joie et richesse sans mesure dans la délectation supérieure. 

Cette délectation supérieure est élevée au-dessus de la délectation sensible et même de la raisonnable. En tant que la délectation sensible est animale, elle doit être soumise aux commandements de Dieu par la raison et la volonté droite; mais si elle naît de l'unité sensible de notre cœur, elle est alors de grand prix. Car cette unité, lorsqu'elle est élevée et ornée d'un amour affectif pour Dieu, est l'autel du sacrifice, sur lequel nous offrons en holocauste notre nature corporelle, pour le service et l'honneur de Dieu. Et chaque fois que cette nature est touchée de l'amour divin, nous éprouvons un désir de cœur et une tendance à nous y attacher simplement. Ce sont là comme les deux peaux de béliers, l'une rouge et l'autre bleue, qui couvrent notre tabernacle...  

Cette délectation spirituelle nous rend obéissants et soumis à Dieu, et nous fait accomplir toutes nos œuvres librement; la délectation divine nous unit à, Dieu au-dessus de la raison, et nous met en possession de la liberté, de la sagesse, du repos et de tout bien sans mesure que comporte cette union élevée... Ce sont là comme les bases d'airain à l'entrée du tabernacle... Ce goût du divin est amour essentiel, et c'est l'or des chapiteaux, semblables à ceux qui ornaient le Saint des saints...  

Dans l'opération intime de Dieu, notre nature corporelle est mue elle aussi d'un amour sensible et suit librement et amoureusement l'esprit. Et dans cette poursuite elle est pénétrée elle-même de goût et de sentiment et elle est unie à la liberté divine. Ainsi sommes-nous de l'intérieur vers l'extérieur, et de l'extérieur vers l'intérieur, unis à Dieu et rendus libres, tout en demeurant distincts, c'est-à-dire avec intermédiaire et sans intermédiaire..." 

Ici Ruysbrœck revient au tapis de poils destiné à protéger le tabernacle contre les intempéries; quand ce tapis était descendu, la nuit ou quand cela était nécessaire, "le tabernacle avait alors l'aspect d'une pauvre et misérable petite demeure, recouverte de toutes parts de tapis de poils de chèvres. Le tabernacle était ainsi complet. 

Comprenez maintenant la signification de toutes ces choses. Nos puissances sensibles doivent suivre l'esprit dans sa montée simple; ainsi notre nature inférieure est élevée et unie à l'esprit, dans une délectation divine. Nous en avons trouvé la figure dans les colonnes antérieures avec leurs chapiteaux. Si quelqu'un est rempli de délectation divine, cela se traduit à l'extérieur par des paroles et des actes; la vérité intérieure le rend extérieurement véridique et prudent en ses paroles. La générosité intérieure, lui donne en toutes ses démarches clémence, générosité et dévouement pour toute nécessité. La charité intérieure lui apprend à être miséricordieux et équitable en tous ses actes, et la simplicité intérieure le rend extérieurement sans malice et sage en toute sa vie..." 

Cependant, "nous devons toujours demeurer humbles et modestes... car tout enseignement de vérité et toute vertu viennent de Dieu; et c'est pourquoi nous ne pouvons nous enorgueillir de ce que Dieu manifeste sa bonté et glorifie son nom par qui il lui plaît... Le tapis de poils figure l'humilité, lorsqu'on loue nos vertus, car une telle louange nous fait tort, l'honneur revenant à Dieu seul, auteur de toute vertu... Il convient aussi que nous recevions mépris et de nous-mêmes et de toute créature..." Et notre auteur d'ajouter: "Si cela se produit, il vaut mieux laisser ces gens aller leur chemin, tout en les supportant avec humilité et patience, ce qui est la meilleure manière de se conduire envers eux." (Chapitre 20) 

4-3-Le don de Dieu (Chapitre 17) 

Ruysbrœck écrit: "Lorsque nous consentons à nous unir et à nous conformer à Dieu, nous faisons nôtre l'opération de Dieu en nous: ce sont là les barres par lesquelles nous devons maintenir notre tabernacle spirituel. En effet, à l'instant même où nous nous donnons à Dieu avec toutes nos œuvres en toute liberté, Dieu se donne lui-même à nous et produit en nous son opération; et ce don mutuel établit entre Dieu et nous la concorde, le don de l'un appelle celui de l'autre..." Mais le don de Dieu, qui se plaît à nous donner son Esprit: sagesse, intelligence et science, pour nous donner la vie et nous faire accomplir librement des œuvres de vie, vient avant le nôtre... "Dès l'instant où nous recevons son souffle, nous lui livrons notre esprit, et cet acte purifie notre conscience du péché et nous rend libres et dégagés de toute image..."  

      4-3-1-Quel est ce don de Dieu?

Selon Ruysbrœck, l'examen du montage des barres nous apprend que "du libre influx de Dieu, qui est la source de toute notre vie spirituelle, s'écoulent, d'une part, en nous l'intelligence et la science... L'intelligence qui s'écoule de Dieu, c'est-à-dire la révélation intérieure de Dieu, tient l'intime de notre âme ouvert, et élève notre entendement au-dessus de toutes les images et au-dessus de toute préoccupation, dans une tranquillité toute pure. Et, dans cette tranquillité pure, notre entendement perçoit l'inspiration divine, murmure caché qui s'adresse à nos oreilles intérieures et nous rend aptes à entendre et à percevoir, par l'intelligence, toute vérité que l'Esprit de Dieu nous enseigne intérieurement... Grâce à cette intelligence élevée, notre raison reçoit de l'influx divin une science divine, qui illumine complètement la partie raisonnable... nous apprend à distinguer toute vérité et nous enseigne de quelle manière nous devons correspondre à la vérité par toute notre vie... pour arriver à la possession tranquille de Dieu, et de nous-mêmes..." (Chapitre 17) 

      4-3-2-Notre réponse 

"Quand nous nous tournons ensuite vers Dieu, en exerçant la foi, l'espérance et la charité, nous recevons de l'influx divin l'intelligence et la science, qui nous donnent l'ouïe et la vue intérieures de ce que nous devons croire et espérer, et de ce que nous avons reçu de l'amour, avec ce que nous devons lui rendre... Nous apprenons à nous fixer et à nous élever selon les commandements de Dieu... Nous sommes attirés en haut vers Dieu par la foi, l'espérance et la charité... nous nous élevons vers Lui... et nous comprenons qu'il nous faut toujours suivre avec faim et avidité la sagesse qui coule en nous et pénètre en nous si profondément et nous fait entrer si intimement, que par elle nous défaillons à nous-mêmes en une expérience spirituelle intérieure, qui nous introduit dans la profondeur de l'union et nous fixe en une paix éternelle..." (Chapitre 17) 

4-4-Quelques attributs de Dieu 

      4-4-1-Dieu est lumière (Chapitre 10) 

"Dieu est une lumière dans laquelle vivent toutes choses, et par cette lumière toutes choses sont créées et ordonnées diversement, selon leur essence naturelle. Et si notre esprit se tourne pleinement vers cette lumière... nous sommes unis à la lumière et recevons d'elle une nouvelle naissance, au-dessus de la nature, dans la grâce...  Il y a quatre espèces de lumières:

      – la lumière du ciel, qui éclaire nos yeux de chair.

      – la clarté du ciel supérieur, que Dieu a créée pour nos yeux glorifiés, là où sera l'habitation des corps glorieux. Nous contemplerons d'une façon sensible, avec grande joie, la grande clarté du corps du Seigneur, ainsi que du nôtre et de ceux de tous les saints. Et nous verrons clairement les signes d'amour qu'ils portent en leur chair et qu'ils ont mérités les uns par le martyre, les autres par toutes sortes de pénitences, le tout enduré pour le service de Dieu, selon la mesure de chacun... Cette deuxième lumière fait donner à Dieu le nom de feu, c'est-à-dire le feu de l'amour qui unit le Père et le Fils et qui brûle éternellement. Ce feu s'appelle le Saint-Esprit, le vivant amour de Dieu...

– La lumière spirituelle, l'intelligence naturelle des anges et des hommes. En cette lumière nous pouvons reconnaître, par notre raison, bien et mal, mensonge et vérité. Là commence le premier ornement de la nature raisonnable.

– Enfin, la grâce de Dieu, par laquelle nous devenons agréables à Dieu et en retour prenons en lui, par-dessus tout, notre complaisance." 

      4-4-2-Dieu est feu et unité. La Trinité créatrice 

"Le feu de l'amour... le Saint-Esprit, le vivant amour de Dieu... est cause de ce que nous sommes créé... recréés dans la grâce, appelés et invités à la gloire." Ce feu, cet embrasement, nous l'appelons l'unité de la nature divine, qui, en raison de sa fécondité et en tant que principe de son opération éternelle, porte le nom de Père, car toute opération des personnes prend son origine en cette unité.  

Cette unité toute aimable et parfaite, est "le fondement et le lien d'amour, qui attire tout ce qui aime... Cet embrasement va toujours consumant et engloutissant toutes choses dans l'unité et il ne peut souffrir en soi aucune distinction. Néanmoins chaque propriété en Dieu conserve son activité propre qui ne saurait disparaître."  

Dieu veut s'ouvrir un passage jusqu'à nous: "Cela se réalise par l'union du Verbe éternel avec notre nature... union qui tient ouvert pour nous le royaume de Dieu... En cette union le Père, par amour, nous a donné son Fils, et le Fils à son tour s'est donné lui-même à son Père et nous avec lui, par le moyen de sa mort précieuse et par amour. Et le Père et le Fils nous ont donné par amour leur amour mutuel, qui est le Saint-Esprit. Ainsi l'union est-elle renouvelée pour nous de triple façon, car Dieu veut demeurer en nous et y habiter, pourvu que nous lui consacrions notre vie par la pratique des vertus." (Chapitre 10) 

Celui qui aime est embrasé de l'embrasement né de la haute unité de Dieu. Dieu l'attire sans cesse "d'une touche intime venant de l'unité superessentielle de Dieu, où tous ceux qui aiment sont fondus sous l'unique étreinte d'un même amour. De là naît en nous une chaleur mystérieuse qui consume en nous toute espèce d'intermédiaires ou d'images. Cet embrasement est la plus haute perfection de toutes les vertus car c'est là que notre esprit, consumé dans l'étreinte incompréhensible de l'unité de Dieu, vient défaillir en amour, pour se tenir passif..."   C'est la plus haute béatitude. 

Tout ceci est difficile à comprendre, et Ruysbrœck en est très conscient. Il écrit: "C'est là une révélation qui naît de la vie cachée que nous possédons avec le Christ en Dieu, et elle crée en nous hauteur et profondeur, longueur et largeur, car elle nous unit à la vie infinie qui embrasse tontes choses; et c'est pourquoi il est impossible de définir comment cette révélation est en elle-même; car on ne peut la démontrer ni l'enseigner par paroles, ni par exemples, ni par aucune comparaison; mais elle découle de Dieu et se révèle elle-même au sommet de l'intelligence..." 

4-5-Les artisans de la construction du tabernacle  

      4-5-1-Pourquoi Dieu choisit-il Seseleel et Oliab  (Chapitre 10) 

Nous avons vu plus haut que, pour Ruysbrœck, Moïse était la figure du Christ. Moïse va obéir à l'ordre de Dieu, mais pour cela il devra faire appel à un certain nombre d'artisans, particulièrement doués, et, semble-t-il, prédestinés pour ces tâches délicates imposées par le Seigneur. En effet, Ruysbrœck présente ces artisans artistes, en insistant sur la signification profane de leur nom. Dieu a choisi Beseleel et Oliab, "remplis de l'Esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science... pour être les chefs de tous les artisans, tant en habileté qu'en intelligence, remplis de toute sorte de vertus et de dons, pour construire un tabernacle matériel destiné au service du Seigneur...  

Beseleel et Oliab furent chargés de la construction du tabernacle. Mais, comme Dieu voulait que son tabernacle "fût construit avec les offrandes volontaires de tout le peuple d'Israël, Il confia le soin, à Ithamar, (par qui nous entendons la liberté surnaturelle) le fils du grand prêtre Aaron, de recevoir toutes les offrandes qu'il donnait ensuite aux ouvriers... Grâce à cette liberté nous remportons la victoire sur nos péchés et sur tous nos ennemis, et nous goûtons en elle le fruit de toutes nos vertus, sans aucune crainte... Et, grâce à la richesse et à l'énergie de notre liberté, toutes nos puissances sont capables d'accomplir des œuvres de vertu, parce qu'elle les rend libres, car sans liberté il n'y a pas d'œuvre méritoire... Aussi devons-nous imiter le Christ et nous élever en liberté, et nous abandonner complètement en la libre unité de Dieu. 

Beseleel et Oliab, représentent notre libre arbitre et notre intelligence. C'est par ces deux facultés que nous devons obéir à l'Esprit de Dieu." 

Signalons que le nom 'Beseleel' signifie, entre autres, 'obéissance spontanée ou conformité avec Dieu'. "Si donc nous nous conformons à Dieu et nous accordons avec lui, nous serons toujours remplis de l'esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science... Beseleel, veut dire aussi 'ombre de Dieu ou ombrage divin', car nous sommes l'ombre de Dieu quand nous suivons docilement tous les mouvements intérieurs que Dieu produit en nous..." Le nom 'Oliab' a deux sens: "opération qui consiste, soit à regarder vers le dehors, soit à pratiquer la vision intérieure. Cela doit être toujours propre à notre intelligence, aussi longtemps que nous vivons ici-bas: et alors nous serons Oliab, nés de la pensée élevée qui contemple toute vérité." 

"Beseleel était né d'Huri -c'est-à-dire une volonté librement docile,- que Dieu choisit spécialement pour construire son tabernacle sous la loi ancienne... Il nous faut ressembler à Beseleel, fils d'Huri, par qui nous comprenons une volonté docile, née à chaque instant de l'amour de la justice... " 

Nous devons imiter Beseleel, conseille Ruysbrœck qui ajoute: "Si notre propre volonté est tournée d'une façon ferme et inébranlable vers la lumière, avec une parfaite docilité, alors elle devient Beseleel, l'ombre de Dieu. Car, au moment même où la volonté se retourne ainsi, Dieu envoie sa lumière éternelle dans le secret de l'esprit; et l'esprit est uni à cette lumière dans le secret de Dieu; et de cette unité naît la plénitude des grâces dans l'unité des puissances supérieures; et de la plénitude des grâces naît une volonté docile qui est Beseleel, l'ombre de Dieu. Et tout ceci doit se faire par l'intermédiaire des mérites très dignes de Notre-Seigneur Jésus-Christ; et alors nous sommes Huri par notre union avec Dieu... et Beseleel, l'ombre de Dieu, par la docilité et la soumission de notre volonté. L'ombre se meut toujours avec l'objet qui la produit, et elle le suit partout où il va; si donc nous sommes l'ombre de Dieu par la docilité de notre volonté, nous devons suivre l'esprit de Dieu et tous les mouvements qu'il produit au dedans de nous, et nous devons imiter l'humanité du Seigneur et observer sa doctrine qui nous vient du dehors, aussi bien quant aux conseils que quant aux commandements... 

Quand la volonté docile se livre pleinement à la libre volonté de Dieu et goûte... la liberté et l'unité que Dieu lui-même possède, Dieu repose et habite en elle, et elle en Dieu. Il y a alors embrassement mutuel dans une fruition éternelle. Ceci se passe dans l'unité de Dieu, où toute activité et toute naissance, aussi bien dans la nature que dans la grâce, trouvent toujours leur principe et leur terme..."  

C'est pour cela que Dieu choisit Beseleel pour construire son tabernacle, car le libre vouloir est un maître ouvrier. 

      4-5-2-Huri et Hur (Chapitre 10) 

Ruysbrœck veut nous montrer aussi l'importance de notre ascendance; c'est pourquoi il s'attarde-t-il sur les aîeux de Besebeel et d'Oliab. "Le grand-père de Beseleel s'appelait Hur et son père Huri. Hur veut dire feu: par là nous entendons le feu de l'amour éternel de Dieu, où toute naissance... prend son origine. Et de Hur, c'est-à-dire de l'amour éternel de Dieu, est né Huri, par qui nous entendons la grâce de Dieu... Huri signifie ma mesure ou celui qui m'éclaire...  Le rayonnement, dans l'âme, de la grâce divine est la lumière qui éclaire l'homme, car il illumine les yeux intérieurs, il apprend le chemin de la vérité sans erreur et, au terme, il montre la vie où est caché tout bien... 

C'est pourquoi quiconque aime peut dire, en son nom propre, sous l'action de la plénitude de grâces qu'il a reçues: ma lumière, dans le fond de ma puissance intelligente; mon feu, dans le fond de ma puissance aimante; mon embrasement, dans le fond de l'unité de mon esprit; ce qui s'ouvre devant moi, dans le transport de ma pensée. La lumière de la grâce de Dieu, dans le fond de l'intelligence, nous rend témoignage de toute vérité et de toute sagesse, car elle naît en nous sans interruption de l’éternelle vérité et sagesse de Dieu. C'est pourquoi cette lumière est toute spirituelle et échappe à l'imagination, et elle demeure, au-dessus de la mémoire, dans le fond de l'intelligence..." 

      4-5-3-Oliab
D'Achisamech naît Oliab, c'est-à-dire une claire intelligence, le compagnon de Beseleel choisi par Dieu, en qui nous avons reconnu une volonté docile.

Oliab veut dire: celui qui protège son père. Cela "se réalise dans cette vision intérieure où la sensibilité est impuissante à nuire... Oliab, de la tribu de Dan, était maître en menuiserie... Il était également maître en ouvrages de broderie... et dans l'art de discerner les différentes couleurs... De même façon notre entendement doit-il être maître, et observer soigneusement tout notre intérieur, et examiner avec prudence tout ce que nous devons décider intérieurement pour nous conduire, c'est-à-dire. Pour cela il nous faudra: 

– l'adapter, le mesurer et l'établir, selon un ordre parfait pour l'honneur de Dieu.  

– ensuite revêtir cette décision d'actes spirituels.  

– Introduire comme un ornement et une broderie, tous les exercices intérieurs et toute la dignité cachée que Beseleel, c'est-à-dire la volonté docile, et Oliab, c'est-à-dire l'intelligence claire, peuvent imaginer.  

– Discerner nos vertus, comme des couleurs que l'on dispose chacune en leur lieu propre, selon que l'esprit en sera mieux orné..." (Chapitre 10)  

4-6-Le service du culte: Aaron et Ithamar  

Ithamar était le fils du grand prêtre Aaron. Nous savons déjà qu'il recueillait les offrandes du peuple d'Israël et les distribuait ensuite aux ouvriers qui construisaient le tabernacle du Seigneur. Le nom Aaron signifie: montagne invincible de la puissance que Ruysbrœck compare à la partie supérieure de l'esprit où Dieu règne.  

Le nom: Ithamar, signifie la liberté, le palmier vert qui croît en Syrie ou en Égypte et conserve toujours sa verdure. Pour Ruysbrœck, il s'agit de la liberté surnaturelle. "Quand nous nous livrons nous-mêmes à Dieu avec une généreuse liberté et que nous nous offrons sur l'autel du bon plaisir de Dieu, de toutes les cimes la plus haute, alors notre liberté croit et elle porte un fruit hâtif qui plaît beaucoup à Dieu, tel qu'un fruit de palme ou un raisin qui nous enivre et nous fait goûter Dieu au-dessus de toutes choses. 

Quand... nous nous abandonnons librement à Dieu, en toutes choses qui nous contrarient... alors le palmier de la liberté croît en Égypte et porte son fruit hâtivement mûri devant Dieu. Et ce sont ces fruits qui donnent l'égalité d'âme et le calme, et nous rendent semblables à Dieu, et nous font goûter par-dessus tout le fond des vertus. Voilà comment nous sommes Ithamar, c'est-à-dire liberté, semblables au palmier et à son fruit. Grâce à cette liberté nous remportons la victoire sur nos péchés et sur tous nos ennemis, et nous goûtons en elle le fruit de toutes nos vertus, sans aucune crainte... Et, grâce à la richesse et à l'énergie de notre liberté, toutes nos puissances sont capables d'accomplir des œuvres de vertu, parce qu'elle les rend libres, car sans liberté il n'y a pas d'œuvre méritoire...  

La liberté ressemble encore à la paume de la main, c'est-à-dire à une main ouverte qui donne toujours et ne retient jamais... Aussi devons-nous imiter le Christ et nous élever en liberté, et nous abandonner complètement en la libre unité de Dieu... De même nous devons nous abaisser librement et nous renoncer nous-mêmes dans toutes les contrariétés qui nous arrivent, et ainsi nous portons notre croix et mourons à la nature, et nous suivons le Christ, qui, pour notre amour, s'est abaissé vers toute misère jusqu'à la mort de la croix... 

C'est pourquoi notre liberté est comme Ithamar, le fils d'Aaron, car elle rassemble en elle-même tous les trésors spirituels avec lesquels on doit construire le tabernacle de Dieu. 

Ruysbrœck se résume: "Voyez, nous sommes Hur par l'unité avec Dieu... Beseleel et Oliab par une volonté docile et une claire intelligence, nées toutes deux de la plénitude des grâces divines; enfin nous sommes Ithamar fils d'Aaron par notre liberté d'âme... Et moyennant une obéissance docile et une prudence éclairée, nous construisons en nous-mêmes un tabernacle éternel, à l'aide des offrandes spontanées de nos vertus et des riches dons de Dieu; c'est ce que le Christ nous ordonne de faire... selon le modèle du tabernacle extérieur, que Moïse, de la part de Dieu, avait ordonné de construire."  

4-7-Les vertus théologales (Chapitre 16) 

Au cours de notre paragraphe 4-2-10 nous avons vu la signification que Ruysbrœck donnait au symbole des ais destinés à la construction du tabernacle. Plus loin Ruysbrœck continue son exposé en rapprochant le plan du montage des ais, donc de nos déterminations, des vertus théologales et de l'éminence de la vie spirituelle. Ainsi, sur notre première détermination libre, est fondée notre foi. La deuxième détermination libre nous fait exercer et posséder notre foi, sans erreur et en tout ce que la sainte Église enseigne, dans la liberté de la volonté et de l'âme. Grâce aux mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous irons librement à Dieu, avec une confiance sans borne et entrerons simplement en Dieu, où espérance et confiance atteignent et possèdent la paix éternelle. Enfin, nous confierons à Dieu tout ce dont nous avons besoin ici-bas, pour le corps ou pour l'âme. Et nous nous abandonnerons complètement à Dieu, soit en santé, soit dans les difficultés et nous ne ferons jamais confiance "à aucune trufferie ni aucune sorte de sortilège." 

À ces quatre déterminations libres nous ajouterons celle par laquelle débute la charité: décider d'aimer Dieu pour toujours, et dans cette volonté, nous livrer nous-mêmes par amour à l'Amour. Ainsi, "si nous consacrons notre vie à l'amour de Dieu... si nous suivons l'amour entrant simplement jusqu'au fond de toute simplicité, alors nous arrivons par la foi, au-dessus de la foi, jusqu'à la connaissance; par l'espérance, au-dessus de l'espérance, jusqu'à la possession; et par l'amour, à une jouissance sans fin..."  

Ainsi l'amour se trouve parfaitement ordonné en nous, soit à l'égard de Dieu, soit à l'égard des créatures. "Car l'amour nous introduit simplement en Dieu, sans aucun regard pour autre chose, et c'est l'amour désintéressé, qui nous rend essentiellement heureux... Ces vertus avec leurs actes nous suivent et nous ornent dans la vie éternelle..."  

Nous signalons que "notre nature corporelle, n'est qu'un instrument pour agir ou supporter... mais, comme elle est unie à l'esprit, dans toutes ses déterminations et ses œuvres libres, elle devient libre grâce aux vertus...  dans les actions libres, dans les souffrances endurées patiemment, dans les commandements et les conseils de Dieu... dans le renoncement à soi-même... La nature corporelle sera unie à son âme, et l'âme à sa nature, dans toutes les déterminations libres et dans toutes les vertus. Ainsi, notre tabernacle spirituel pourra se tenir debout et plaire aux yeux de Dieu..." (chapitre 16) 

 

5
Le cinquième degré de la course spirituelle

 

Maintenant Ruysbrœck va s'intéresser aux objets du culte qui se tiendra dans le tabernacle: le chandelier d'or, l'autel d'or et la table des pains de proposition, et aux prêtres de la loi juive. "Tout cela était la figure de la réalité qui se trouve maintenant dans la sainte Église." (Chapitre 21) 

5-1-Le chandelier d'or (Chapitres 22, 23 et 33) 

      5-1-1-Le chandelier d'or: description 

Ruysbrœck décrit en détail le chandelier qui portait les sept lampes ainsi que les instruments destinés à nettoyer et à régler les mèches, ainsi que les vases où l'on éteignait la mèche enflammée. Ces instruments étaient tous d'or pur. Puis il explique le symbole: "Le chandelier d'or est la figure de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, unie à sa divinité. Selon son humanité, il est un flambeau lumineux pour le monde entier et en particulier pour la sainte Église... L'or du chandelier représente l'amour par lequel le Seigneur nous a été donné, lui, le fils de l'amour... C'est Lui le vrai chandelier d'or, qui a été forgé des mains du Père céleste et de la vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit et l'intermédiaire du ministère de l'ange..." (Chapitres 22 et 23) 

Le chandelier avait un poids bien précis "un lourd poids d'or, le poids éternel d'amour que nous devons à Dieu. L'amour, en effet, que nous devons avoir pour Dieu doit l'emporter en poids sur celui que nous avons pour nous-mêmes et pour toutes choses, et il ne peut trouver ni repos, ni satisfaction que dans l'amour même qui est Dieu..." (Chapitre 33) 

      5-1-2-le chandelier spirituel 

Ruysbrœck peut passer au chandelier spirituel... Une tige s'élevait au milieu du chandelier d'or: c'est la figure de la nature humaine dans le Christ. "Trois branches d'or s'élevaient de chaque côté de la tige: ce sont les puissances sensibles et les puissances spirituelles dans le Christ... L'Esprit de Dieu s'empara amoureusement de l'humanité de Notre-Seigneur et la fit monter d'une triple façon vers la gloire de Dieu: par la force il lui donna de surmonter toutes choses, par la sagesse il lui fit tout savoir, par la docilité il accomplit toute justice... Si nous sommes unis au Seigneur, nous éprouverons en nous chose semblable, selon ce que dit saint Paul: 'Vous devez éprouver en vous-mêmes ce que vous apercevez dans le Christ Jésus'... Si donc nous sommes morts à nous-mêmes et vivons en lui, nous aurons la force (du Père) pour nous vaincre nous-mêmes, la sagesse (du Fils) pour connaître ce qui nous manque et la docilité (de l'Esprit-Saint) pour accomplir la vertu..."   

Or, "le Christ est notre Chef et nous sommes ses membres, ce qui nous oblige de lui ressembler autant que nous le pouvons... car l'Esprit de Dieu s'est emparé amoureusement de la nature spirituelle du Christ, c'est-à-dire de son âme qu'il rendit soumise à la justice, à la loi et à toute l'Écriture qui avait parlé de lui dès le commencement du monde... 

      5-1-3-Les décorations du chandelier d'or 

Trois branches d'or s'élevaient de chaque côté de la tige centrale et rejoignaient, deux à deux, cette tige centrale en un point décoré par une pomme d'or. Par ailleurs, "chaque branche portait trois pommes d'or, surmontées de coupes du même métal, d'où émergeaient des fleurs de lis d'or. Il en était de même pour la tige du milieu... Chacune de ces branches était disposée de telle façon que du lis supérieur sortait une lampe..."  

Pour Ruysbrœck, "ces choses signifient que l'humanité de Notre-Seigneur, figurée par ce chandelier d'or, est élevée par l'Esprit de Dieu et ornée d'une triple façon... Le Christ est notre Chef et nous sommes ses membres, ce qui nous oblige de lui ressembler autant que nous le pouvons... "   

Notre Seigneur, nous dit encore Ruysbrœck, était docilement soumis à l'Esprit de Dieu "qui s'était emparé amoureusement de la nature spirituelle du Christ, pauvre de tout ici-bas, mais infiniment riche en vertus. Il nous faut tendre à de mêmes sentiments: car les lis d'or[5] qui s'élèvent des coupes sont une figure de l'intention simple et élevée, par laquelle le Christ offrait à son Père chaque vertu... De plus, le Seigneur sentait toutes les puissances de son humanité attirées vers l'unité de son esprit, et toutes ses puissances obéissaient toujours à cette attirance... Cette obéissance aux attraits intérieurs de Dieu est figurée par les pommes d'or[6] de la rangée supérieure de la troisième ornementation... C'est de cet abaissement le plus profond que surgissaient la plus grande gloire et le plus grand honneur, qui furent jamais offerts à Dieu: car personne ne peut rendre gloire à Dieu s'il n'est humble, de même que personne n'est capable de trouver son bonheur et ses délices et glorifier Dieu sinon dans la vraie humilité... Et le Christ est le plus humble de tous les hommes; l'honneur qu'il faisait monter vers Dieu était plus grand et plus agréable que tout autre... Nous devons aspirer à une telle perfection selon notre pouvoir... 

La soumission du Christ est figurée par la deuxième rangée de pommes d'or et c'est en elle que toutes nos vertus depuis le premier homme jusqu'au dernier trouvent leur solidité. Les sept coupes d'or placées sur ces pommes, figurent le désir largement ouvert de son esprit et de toutes ses puissances... Le Christ était riche en vertus... lesquelles sont comme des lis d'or qui ont rempli et réjoui le ciel et la terre d'une céleste odeur... 

Personne ne peut comprendre combien Dieu s'est abaissé pour se donner, et jusqu'à quelle hauteur il a élevé l'humanité de Notre-Seigneur... Le Christ en effet possédait dans son être personnel une double nature: par sa naissance éternelle du sein de son Père, il est Fils de Dieu et vrai Dieu lui-même; et par sa naissance dans le temps, du sein de sa mère la sainte Vierge Marie, il est Fils de l'homme et véritablement homme... Chacune de ses deux natures restait ce qu'elle était en elle-même, la divinité ne pouvant devenir humanité, ni l'humanité divinité; mais elles s'unissaient dans la Personne divine du Fils de manière à être chacune sa propre nature à Lui car Il est véritablement Dieu et homme... L'humanité de Notre-Seigneur fut tellement saisie de l'amour éternel, que sans retour elle dut rester éternellement dans cet amour... Et, grâce à sa montée simple, cet esprit créé de Notre-Seigneur avait le regard éternellement fixé en la divinité...  Et nous voyons la fusion et l'anéantissement les plus intimes qui jamais furent pratiqués dans l'amour...  Sur le Christ repose l'Esprit du Seigneur: l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; et l'esprit de la crainte du Seigneur..."  

Saint Jean l'Évangéliste parle, dans l'Apocalypse, des sept lampes qu'il avait vu brûler devant le trône de Dieu... Il dit aussi avoir vu un agneau debout, comme immolé, portant sept cornes et sept yeux: 'Ce sont là les sept esprits de Dieu qui sont envoyés par toute la terre'. "Cet agneau était l'humanité du Seigneur, immolée bien qu'innocente pour nos péchés... En lui, opéraient les sept dons ou esprits de Dieu... Il faut savoir que les vertus sont inséparables des dons: ils doivent toujours rester unis." (Chapitre 23) 

5-2-Les dons du Saint-Esprit 

      5-2-1-Les lampes 

Ruysbrœck voit dans les sept lampes, les sept dons unis aux sept vertus. Comme le lis d'or, Jésus-Christ tendait toujours avec son esprit vers la gloire de son Père... et l'Esprit de Dieu se reposait sur lui avec tous ses dons. De même, notre esprit doit intérieurement tendre vers la gloire de Dieu. "Toute lampe comporte nécessairement trois choses: un vase, de l'huile et une mèche brûlante. Par le vase nous entendons une volonté prompte à toutes les vertus; par l'huile, la plénitude des œuvres vertueuses; par la mèche, l'intention droite et par le feu qui l'enflamme le don divin qui consume tout à la gloire de Dieu. Car sur l'autel du sacrifice aussi bien qu'à l'intérieur du tabernacle il ne devait y avoir d'autre feu que celui que Dieu avait envoyé du ciel, et qui devait brûler toujours sur l'autel... C'est dans ce feu que, selon l'ordre du même Seigneur, toutes les offrandes devaient être brûlées... Dieu désire que son feu, c'est-à-dire son amour qu'il a envoyé sur terre, brûle toujours dans l'unité de notre cœur et dans l'intention de notre âme. Et il veut que nous entretenions ce feu par une vie austère et pénitente qui devra réprimer et châtier notre corps, et par le désir de pratiques intérieures, que nourrira et fortifiera pleinement notre intention droite... Notre nature spirituelle, élevée vers Dieu dans un amour véritable et une intention droite, doit brûler toujours et éternellement en amour divin et à la gloire de Dieu: par là elle deviendra plus claire que le soleil et constituera un sacrifice perpétuel. Mais nous devons toujours nous garder de tout feu profane, c'est-à-dire des voluptés corporelles et de tout amour déréglé pour une créature quelconque... et si nous ne voulons pas employer l'amour de Dieu et ses dons pour son service, nous mourons dans le péché devant la face de Dieu..." (Chapitre 24) 

      5-2-2-Le don de sagesse 

"Par la lampe la plus élevée... nous entendons le Saint-Esprit et le don de sagesse. Car là où est l'Esprit de Dieu, il y a sagesse, et là où il y a véritable sagesse, là est l'Esprit de Dieu, source vivante de tous les dons. Le fleuve le plus noble qui coule de cette source vivante de l'amour divin, c'est l'esprit de sagesse. L'humanité de Notre-Seigneur en était entièrement inondée, et grâce à sa plénitude, nous pouvons en être remplis nous-mêmes. Ce fleuve réclame de notre esprit qu'il soit simple, dépouillé et sans image, immobile, libre et sans sollicitude, qu'il meure toujours à lui-même et vive en Dieu..." C'est la justice à son plus haut niveau. "En mourant à nous-mêmes et à toute chose, nous trouvons la sagesse divine:  c'est huile de justice pour la lampe la plus élevée, qui est notre libre volonté. Cette huile brûle toujours à condition que nous y placions la mèche de l'intention simple..."  

En bref: "La première et suprême vertu est la justice. Le premier mode, dans lequel débutent toutes les vertus, c'est l'innocence, et le dernier mode où elles s'achèvent toutes, c'est aussi l'innocence mais revêtue de charité... Ainsi se tisse le rideau qui couvre le tabernacle." (Chapitre 25) 

      5-2-3-Le don d'intelligence 

Le plus noble des dons, le don d'intelligence, "nous apprend à contempler Dieu et à le considérer dans sa richesse et sa bonté multiples. C'est une lumière surnaturelle qui veut éclairer notre entendement à son sommet, pourvu que nous consentions à nous élever intérieurement et à être dociles à cette lumière. En effet, la lumière réclame de notre homme intérieur qu'il dépasse les sens et toutes images sensibles, que nous mourrions à la nature et que nous vivions selon l'esprit... Si nous consentons à dépasser ainsi les images sensibles et à mourir à la nature, nous trouvons la lumière et nous recevons ce don de clarté au sommet de notre entendement..." Ce don nous fait contempler sans peine la richesse de Dieu à qui nous devons offrir l'huile de joie intérieure avec la mèche, qui est notre intention droite; ainsi s'allumera l'huile de l'ardent désir qui s'élève en nous. Le don de sagesse fait plonger notre regard en Dieu et fondre devant sa face, tandis que l'intelligence "éclaire intérieurement notre accès près de lui." (Chapitre 26) 

      5-2-4-Le don de science 

Ruysbrœck aborde ensuite directement le cinquième don, le don de science qui est "une sorte de sortie guidée par la raison." Lorsque nous contemplons l'Écriture sainte, ou la vie des saints, la lumière divine appelée le don de science, nous enseigne à procéder raisonnablement dans la connaissance des choses extérieures et à les comprendre d'une façon intelligente et spirituelle. Ainsi "le don d'intelligence dépasse en noblesse et en élévation le don de science. Cependant nous devons les posséder tous deux, car sans une vie extérieure vertueuse, nous ne pouvons aller intérieurement vers Dieu. Si donc nous voulons recevoir en nous la science de Dieu, nous devons obéir à ce qu'il demande: porter en nous un zèle intérieur à toujours mourir au péché pour vivre de vertus...  

Dans ce but nous ne devons épargner ni frais, ni labeurs, car la vertu vaut tout cela. Dans la mesure où croît en nous le zèle intérieur aux bonnes œuvres, croît aussi intérieurement la science de Dieu... De cette façon notre troisième lampe sera bien garnie d'huile et nous y mettrons la mèche qui convient: l'offrande de toutes nos œuvres à l'honneur de Dieu. Ainsi l'huile brûlera de la science du Seigneur et nous en recevrons à l'intérieur lumière et chaleur. Portés au dehors vers toutes bonnes œuvres et ramenés au dedans par un attrait intime de Dieu, nous fixerons notre intelligence entre ces deux mouvements, prêts à l'appliquer à l'un et à l'autre... Quand nous nous renouvelons de cette façon en vertus et en clarté, à l'extérieur et à l'intérieur, notre raison s'éclaire et nous recevons révélation du juste discernement..." (Chapitre 27) 

      5-2-5-Le don de conseil 

Le conseil du Seigneur est une motion intérieure de l'Esprit de Dieu, qui touche par l'intime notre puissance affective, et nous incite à éviter les préoccupations mondaines et à aimer l'unité d'esprit. C'est d'ailleurs ce que nous conseille Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu'il dit: "Une seule chose est nécessaire; si vous voulez être parfait, renoncez à vous-même, allez et laissez toutes choses dehors, et rentrez en vous-même; puis suivez-moi en paix intérieure, en unité et en repos." 

Si nous suivons ce conseil, nous gagnerons une inclination amoureuse vers l'unité[7] et le prophète (Psaume 44) murmurera à notre puissance affective: 'Écoute, ma fille le conseil du Seigneur et regarde l'unité... oublie ton peuple et la maison de ton père... et le roi ( ton Seigneur et ton Dieu) convoitera ta  beauté'..."  

Ruysbrœck remarque: "L'inclination affective vers l'unité, c'est l'huile de notre paix d'éternité; notre unité est fondée en celle de Dieu et notre huile s'enflamme du conseil de Notre-Seigneur."  (Chapitre 28) 

      5-2-6-Le don de piété 

Ruysbrœck contemple son Seigneur: "De même que Dieu est toujours intérieurement tourné de tout lui-même vers l'unité, de même est-il aussi penché au dehors vers toutes les créatures par sa grâce et sa bonté... Le don de conseil nous est donné pour le mouvement de retour à l'intérieur, celui de piété nous est conféré pour nous faire sortir au dehors... Nous devons demeurer entre l'amour de Dieu et celui du prochain, capables ainsi de pratiquer par amour la rentrée et la sortie, selon que l'amour nous en donne la motion. Grâce à ce don de Dieu et à notre sortie amoureuse qui y répond, naît en nous la cinquième vertu principale, la miséricorde, qui nous rend tendres de cœur et compatissants pour toute misère: et c'est l'huile qui peut guérir toutes nos blessures. Nous devons la porter toujours dans notre cinquième lampe, c'est-à-dire dans notre libre puissance affective, afin d'avoir pitié, pour l'honneur de Dieu, de toute misère. L'intention droite est la mèche que nous mettons dans cette huile... Lorsque nous sentons en nous la bonté ou la piété de Dieu, ce sentiment fait naître chez nous la libéralité.... L'exemple par excellence nous en vient du Christ..." (Chapitre 29) 

      5-2-7-Le don de force 

La sixième lampe représente le don de force, qui nous meut intérieurement et nous demande d'élever toujours notre âme élevée au-dessus de tout ce qui n'est pas conforme à Dieu. Il nous apprend à nous livrer de plein gré à la puissance de Dieu et à établir sur elle toute notre force. "Si nous consentons à obéir à cette requête de Dieu, notre libre volonté s'unit à sa puissance et nous ressentons alors une vraie peine de nos péchés, qui nous enlève tous doutse, frayeurs et mobilités de volonté, et nous fixe dans le don divin de force.... Nous recevons l'assurance de ne plus tomber jamais en péché mortel..." De là naît la sixième vertu, la noble magnanimité...  

Nous méprisons tout ce qui ressemble au mal et nous ne mettons notre espoir en nul autre que Dieu, n'estimant grand que Dieu seul. "La noblesse d'âme, en effet, unie à la force, nous presse de servir Dieu, de lui rendre grâces, de le louer et adorer. Ainsi avons-nous dans notre sixième lampe de l'huile de la vie éternelle... Et plus la tentation se fait sentir, plus notre force grandit, car nous combattons avec la force de Dieu, qui ne peut être vaincue... Et notre âme ressent l'impétuosité de nouveaux élans; l'huile de la louange afflue sans cesse et nous disons avec Marie: 'Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit exulte en Dieu mon salut'." (Chapitre 30) 

      5-2-8-Le don de crainte de Dieu

"La septième lampe, dernier ornement de notre chandelier est le don de crainte du Seigneur... La crainte amoureuse et pleine de révérence demeure pour l'éternité et nous en sommes redevables envers Dieu. Elle nous dépouille de la propre volonté et nous fait comprendre que nous appartenons à Dieu et non à nous-mêmes. Elle chasse le péché, nous en préserve à l'avenir, nous incite à la vertu et aux bonnes œuvres... La sagesse de la crainte de Dieu nous reproche nos péchés; sa bonté se plaint de notre infidélité, nous fait faire abnégation de nous-mêmes par amour, et humblement nous soumet à son enseignement..." L'humilité est la vertu principale de la crainte amoureuse de Dieu. 

L'humilité est "le fondement de toute notre vie, car l'humilité jointe à la crainte nous rend obéissants et patients, prêts à confesser sans cesse nos défaillances et nous fait observer les commandements de Dieu et de la sainte Église... C'est l'huile que nous pourrons offrir à Dieu pour la septième lampe; et nous y mettrons la mèche de l'intention droite, qui consistera. à souhaiter nous anéantir nous-mêmes en humilité, pour l'honneur de Dieu. Là, nous ne pouvons que défaillir, mais en cela même, il y a repos et béatitude; notre mèche s'enflamme d'une nouvelle crainte amoureuse... Le don de crainte du Seigneur attise encore le même feu d'amour et il réclame que nous nous abaissions devant la hauteur de Dieu, en union avec toutes les créatures, en toute révérence et en signe d'humble service. C'est ainsi que vivait le Christ, Fils de Dieu, en son humanité qui est un exemplaire pour nous tous... (Chapitre 31) 

5-3-Les instruments de nettoyage des lampes 

Suivre le développement de la pensée de Ruysbrœck n'est pas toujours chose facile pour nos esprits cartésiens. Cherchant à exprimer clairement ce qu'il appelle le cinquième degré de la course spirituelle, il décrit longuement le chandelier d'or, ce qui le conduit à méditer les dons du Saint-Esprit, dons qui aident les âmes à aimer Dieu et à se rapprocher de plus en plus de Lui. Puis il poursuit, plus humblement, en commentant les symboles que sont, pour lui, les sept instruments d'or destinés au  nettoyage des lampes: les outils devant couper les mèches brûlées et le vase d'or contenant de l'eau pour éteindre les mèches. Il faut couper les mèches brûlées pour que la lumière soit plus claire. Nos mèches brûlées, ce sont nos actes vertueux que, sous l'action des sept dons, nous devons oublier, comme si nous n'avions rien fait. En effet, "chaque don divin réclame de nous un perpétuel recommencement, sans regard en arrière, avec une obéissance d'âme non satisfaite à chacune des motions de Dieu..."  

Notre exigence et notre impatience d'amour sont les outils d'or qui servent à couper nos mèches brûlées.

Le vase contenant de l'eau "nous apprend que chacun des dons réclame de notre esprit une intention si simple, dans l'accomplissement de chaque vertu principale, que nous puissions ressentir un amoureux trépas dans l'unité de Dieu. C'est bien ce que nous apercevons aussi dans le Christ Jésus, notre modèle à tous; car en chaque vertu qu'il pratiquait, il trépassait si amoureusement qu'il ne poursuivait par amour que l'unité de son Père... Nos vases d'or remplis d'eau représentent la plénitude de vérité et de justice, où nous devons plonger les mèches enflammées, c'est-à-dire tous les actes de vertu que nous avons pu pratiquer pour les éteindre en les plongeant dans la justice du Seigneur..." (Chapitre 32) 

5-4-L'autel des parfums (Chapitre 34) 

Le Seigneur avait demandé à Moïse de faire un autel en bois de sétim sur lequel on brûlerait des parfums précieux. Ruysbrœck décrit l'autel et la manière dont ces parfums devront être brûlés, puis il enseigne: "La libre volonté élevée de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est notre autel à tous devant la face du Père. Sur cet autel... le Christ et tous ceux qui le suivent font brûler et offrent sans cesse au Père les parfums précieux de bonne odeur. Ce sont les vertus intérieures du Christ lui-même et celles accomplies par les hommes de bien. Le Christ les offre à son Père et nous tous avec lui..." 

      5-4-1-Description et signification de l'autel  

Ruysbrœck va s'attarder sur l'autel intérieur de la libre volonté du Saint des saints du Seigneur, l'humanité sainte du Christ. Après avoir expliqué que tous ceux qui se seront unis à la volonté libre du Christ "vivront éternellement dans une même étreinte d'amour..." Ruysbrœck poursuit: "L'autel devait être revêtu d'une petite couronne d'or tout autour, ce qui signifie que tous ensemble nous serons couronnés et embrasés d'une même joie dans le Christ Jésus, qui nous l'a méritée par sa libre volonté; mais pour cela nous devons perdre notre propre volonté en la sienne: s'il vit en nous et nous en lui, et la couronne d'or est à nous...  

C'est volontairement et librement que le Christ s'est livré par amour à tout ce que Dieu savait et voulait de lui éternellement. Et il nous faut agir de même... Car si nous sommes unis au Christ, nous disons avec lui: 'Seigneur Dieu, agissez avec nous selon ce que vous savez et ce que vous voulez, pour le temps et pour l'éternité'." 

      5-4-2-La fonction des autels   

Le Seigneur avait dit à Moïse: "Sur l'autel d'or, Aaron devra faire brûler une offrande d'agréable odeur..." Mais il y avait aussi l'autel des sacrifices à l'extérieur du tabernacle. "Ces deux autels, avec le service qui leur appartenait, furent confiés par Moïse, de la part de Dieu, à Aaron son frère, le premier pontife des Juifs, et à ses fils après lui... Tout ceci est dit en figure; mais selon la réalité signifiée, c'est le Christ qui offrit le premier sacrifice de la sainte Église, agréable à Dieu par-dessus tous les autres, lorsqu'il se livra lui-même librement à la mort; et par sa mort il a fondé la sainte Église, il a béni et consacré dans son sang notre autel extérieur, qui est l'Église elle-même, et notre autel intérieur, c'est-à-dire sa propre volonté libre ainsi que la nôtre..." Ces deux autels furent ensuite confiés à à saint Pierre, aux autres apôtres et à leurs successeurs. (Chapitre 34) 

      5-4-3-Le bassin d'airain 

Nous savons que les prêtres de la loi juive devaient porter des vêtements sacrés. Mais avant de les revêtir, les prêtres devaient se laver les mains et les pieds dans le bassin d'airain demandé par le Seigneur. Ruysbrœck s'adresse alors directement à tous les prêtres de l'Église: "Le bassin d'airain, c'est l'application affective que chaque prêtre doit apporter au service de Dieu. La base sur laquelle il repose, c'est l'amour affectif envers Dieu, qui sert de fondement à l'application. Tant que nous sentons en nous l'une et l'autre, nous possédons réellement l'eau vive de la grâce et de la miséricorde de Dieu, où nous devons, nous purifier chaque fois que nous revêtons les ornements sacrés et que nous allons à l'autel de Dieu; nous y lavons nos mains, c'est-à-dire nos œuvres désordonnées, et nos pieds, c'est-à-dire les désirs déréglés qui nous entraînent chaque jour..." 

Les parfums qu'Aaron et ses fils devaient faire brûler n'étaient "qu'une figure des vertus intérieures et des prières que nous répandons devant Dieu... car nous devons nous confier à la seule miséricorde de Dieu, où nous allons chercher purification, en déplorant et confessant humblement devant lui les oublis où nous tombons quotidiennement, par actes et désirs désordonnés; c'est ce que nous entendons par se laver les mains et les pieds... " De plus, le bassin d'airain était garni à la partie supérieure de miroirs, dont se servaient les femmes placées à l'entrée du tabernacle pour veiller à ce que nul indigne ne pût s'y introduire. "C'est ainsi que notre tabernacle intérieur est gardé par l'amour et la crainte, ayant pour miroir la raison éclairée et s'en servant pour empêcher d'y pénétrer rien qui pourrait le souiller..."  

Et de nouveau, s'adressant aux prêtres, Ruysbrœck écrit: "Les miroirs du bassin servaient aussi aux prêtres qui allaient s'y laver afin de s'en purifier... De même, lorsque nous voulons monter à l'autel du Seigneur, devons-nous nous considérer dans le miroir de notre raison, et si nous découvrons quelque tache en notre conscience, nous nous en purifierons. Nous observerons aussi nos vêtements, c'est-à-dire nos mœurs, nos paroles et nos actes, ainsi que les rapports que nous avons au dehors avec les hommes, pour voir si nul ne souffre par nous de dommage... Nous devons offrir à Dieu l'homme extérieur, par le moyen de vertus morales, de bonnes pratiques et d'austères pénitences; et l'homme intérieur sera offert sur notre autel d'or... Dieu verse l'eau de sa grâce et nous devons nous y purifier... Les prêtres sont tenus de réaliser dans leur vie ce que figurait la loi ancienne. Leurs bonnes œuvres à l'extérieur et leurs saints exercices à l'intérieur seront comme les ornements que les prêtres juifs devaient porter pour le service de Dieu." (Chapitre 35) 

5-5-La table de proposition (Chapitre 117) 

      5-5-1-La table 

Après avoir décrit la table de proposition recouverte d’or et placée près du tabernacle, Ruysbrœck veut nous faire considérer notre vie intérieure et ses sentiments intimes. Le Christ, le Fils de Dieu, préfiguré par Moïse nous a apporté la foi chrétienne. La foi chrétienne, c'est la liberté de la sainte Église; elle est recouverte d'or très fin, c'est-à-dire de la charité sincère, permanente et impérissable. "Plus nous aimons, plus il nous reste à aimer, et plus nous acquérons de vertus, plus il nous en reste à acquérir, car l'amour dans son opération demeure toujours inassouvi et insatiable, parce qu'il se sent impuissant à payer tout ce qu'il doit…" 

Par ailleurs, "Dieu dépasse tellement en grandeur toute compréhension, et mérite tant de louange et de gloire, que toutes les créatures défaillent et sont impuissantes, lorsqu'il s'agit de louer et d'honorer Dieu autant qu'il en est digne… Jamais nous ne parviendrons à une louange digne de lui et qui nous satisfasse pleinement... parce que nous sentons que Dieu mérite plus de louange que toutes les créatures ne sont capables de lui en donner…" 

Ruysbrœck nous dit aussi que la table avait quatre pieds, quatre soutiens, où nous voyons les quatre Évangiles, écrits par les quatre évangélistes, "et où toutes les lois reçoivent leur achèvement et sur lesquels sont établies toutes nos œuvres d'amour…  À ces quatre soutiens on avait fixé quatre anneaux d'or, un à chaque angle, pour transporter la table…" 

La loi des évangiles a quatre aspects ou quatre faces: la face du lion, la face du taureau, une face d’homme et "une face d’aigle, qui atteste que l'amour élève parfois des hommes au-dessus de la compréhension des sens, jusqu'au regard dépouillé d'images, et ouvre leur pensée vers une immensité qu'aucune représentation ne vient borner; cela signifie que l'homme, peut recevoir une connaissance mystérieuse de Dieu et une vue claire et distincte des vertus… Ces quatre aspects sont dominés par les pratiques de l'amour qui existe entre nous et Dieu. Et bien que la grâce de Dieu nous soit donnée dans le temps, elle provient de l'amour dont Dieu nous aime de toute éternité et qui produit ces quatre aspects."  (Chapitre 117)

La table est couverte d’or, entourée d'un bord en or surmonté tout autour d'une couronne de même métal. Cela signifie que «nous avons reçu du Christ, la liberté et la charité selon l'homme intérieur, et de cette façon la table est couverte d'or. Le bord en or précieux signifie la montée de notre charité. La couronne d'or qui orne le bord, figure l'amour et le respect envers Dieu, avec toutes les bonnes œuvres qu'on lui offre…"  

Ruysbrœck va encore plus loin dans la vie contemplative. Il écrit: "Pourtant il faut savoir que la couronne était par endroits lisse et sans ciselure, ce qui signifie que notre amour, dans ses opérations les plus hautes, ne souffre aucune image, là où il se tient en union avec l'amour éternel qui est Dieu. C’est pourquoi la couronne dans l'histoire figurative des juifs, était alternativement lisse et ciselée; ce fut là aussi la raison pour laquelle la petite couronne (aureola) était posée la première. En effet, c'est lorsque notre amour, au-dessus de toute opération propre, se consume et se fond dans le feu de l'amour éternel de Dieu, que les délices sont plus intenses et plus suaves. Alors, dans cet anéantissement de lui-même, notre amour reçoit sa petite couronne, du fait que Dieu opère et que nous sentons et subissons cette action…  

Mais ceux-là seuls qui portent à Dieu cet amour sublime, le peuvent éprouver." (Chapitre 117) 

      5-5-2-Les pains de proposition (Chapitre 118) 

Dieu avait demandé à Moïse que des pains d'une blancheur éclatante, faits de farine de froment très pur et sans mélange de levain "fussent toujours placés sur la table dans le tabernacle, devant le lieu de la présence divine. Dans la sainte Église le Christ a fait de même. Il a placé sur la table de notre charité des pains vivants du ciel, à savoir son corps très saint, sa Passion et sa mort, ainsi que sa vie glorieuse avec tous ses mérites. C'est là notre aliment spirituel aussi bien pour le temps présent que pour l'éternité..."  

Les prêtres, pour faire ces pains, utilisaient la dixième partie des dîmes qu'ils recevaient du peuple.  

Nos prêtres "sont intermédiaires entre nous et Dieu par leurs sacrifices, leur vie, leur enseignement et par les sacrements de la sainte Église, et nous ne saurions nous passer d'eux, à moins que la religion chrétienne ne fût abolie, ce qui est impossible... Car la barque de saint Pierre traversera tous les flots de l'affliction, conduisant tous les élus dans le port de la gloire divine... mais tous ceux qui tombent de la barque de la foi chrétienne seront à jamais perdus. Il faut donc être obéissant, renoncer à soi, dompter ses sens et sa nature, pour suivre le Christ et porter sa croix: car alors on offre à Dieu les dîmes par les mains des prêtres. Le Christ lui-même a payé les dîmes par son obéissance jusqu'à la mort à cause de nous. " (Chapitre 118) 

Et, pour Ruysbrœck, nous devons être nourris spirituellement de nos bonnes œuvres et obéir aux prêtres: c'est cela, pour nous, payer la dîme. Mais Jésus-Christ, vue l'innocence de sa vie, "a laissé et donné à la sainte Église son humanité et toutes ses œuvres. Il est la perfection de notre vie et de nos œuvres, car il donne la vie aux vivants et sanctifie les saints, et son obéissance est le sacrifice qui précède et enveloppe toutes les bonnes œuvres que nous pouvons offrir à Dieu. Ainsi il devient la dîme de nos dîmes, c'est-à-dire un hommage parfait de tous les honneurs que nous pouvons rendre à Dieu..."  

Il y a plus. Nous savons que le Christ s'est donné lui-même en nourriture et en boisson sur la table de notre charité commune. "Il est le pain sacerdotal, le pain de proposition, qui repose sans interruption sur la table de notre charité, devant la présence divine. Le Christ lui-même est devenu notre nourriture et notre boisson." 

Ruysbrœck profite de ces considérations pour dénoncer tous ceux qui traitent l'Eucharistie avec désinvolture et rédiger un véritable code eucharistique, et il conclut, comme un encouragement: "Suivons les bons prêtres. Ils nous conduiront au tabernacle de Dieu et ils nous nourriront des pains célestes, tels que nous les trouvons toujours préparés sur la table de notre charité devant la présence divine." (Chapitre 118) 

      5-5-3-La présence divine dans le tabernacle 

Moïse avait également "reçu l'ordre de veiller à ce que des pains fussent toujours placés sur la table dans le tabernacle, devant le lieu de la présence divine. Dans la sainte Église le Christ a fait de même. Il a placé sur la table de notre charité des pains vivants du ciel, à savoir son corps très saint, sa Passion et sa mort, ainsi que sa vie glorieuse avec tous ses mérites. C'est là notre aliment spirituel aussi bien pour le temps présent que pour l'éternité..." (Chapitre 119)

5-6-Les vêtements des prêtres (Chapitres 36 à 38) 

      5-6-1-Les ornements de tous les prêtres 

Réfléchissant sur les huit ornements des prêtres de l'ancienne loi qui allaient offrir le sacrifice, Ruysbrœck estime que "tout évêque ou prélat, dans la loi nouvelle, doit être orné plus que tous les autres hommes, de huit vertus principales, figurées par les vêtements des prêtres juifs. 

– Le vêtement blanc est la figure de la double pureté, celle du corps et celle qui consiste à résister énergiquement à toute révolte de l'appétit sensuel. 

– Le second vêtement, c'est la pureté de cœur et l'honnêteté dans la conduite extérieure au regard de tous. 

– Le troisième vêtement était une ceinture, dont la chaîne était de lin double, tissé d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fleurs diverses. La chaîne, c'est une conscience pure avec l'innocence de la vie: elle est tissée d'hyacinthe, c'est-à-dire d'intention céleste; de pourpre, qui est abstinence de tout ce qui est illicite; d'écarlate, qui signifie le zèle intense de satisfaire à Dieu et à tous; de fleurs variées enfin, par quoi nous pouvons attirer et enseigner les autres, au moyen de la vérité et des bonnes œuvres. 

– Le quatrième ornement, la mitre de lin, liée sur la tête du prêtre par des cordons d'hyacinthe, signifie une liberté dépouillée de sollicitudes; car la volonté libre, figurée par la tête, doit être, en tout prêtre, délivrée d'images et de tous soucis, afin qu'en son service il ne soit pas distrait et puisse offrir à Dieu un sacrifice vraiment digne..." (Chapitre 37) 

      5-6-2-Les ornements propres au grand-prêtre 

Aaron portait encore quatre autres ornements qui lui étaient propres et qui représentent "quatre vertus spéciales, dont tout évêque ou prélat doit être revêtu de droit: 

– une tunique de couleur hyacinthe qui symbolise "la vérité évangélique, que tout évêque ou prélat doit porter dans son cœur et manifester par toute sa vie. Or cette vérité céleste, nul ne peut l'obtenir sinon par le dépouillement d'images et la liberté vis-à-vis de toute sollicitude, ce qui convient de droit à tous les prêtres.  

– Le prélat doit toujours diriger par amour son intelligence libre d'images vers la simplicité. Son enseignement doit être profitable à son peuple.  

– Il  doit toujours poursuivre l'honneur de Dieu et le salut des hommes.

– Il doit toujours user d'une grande sagesse envers les bons ou les mauvais, selon l'utilité de chacun, consolant l'un, reprenant l'autre..." (Chapitre 38) 

      5-6-3-L'éphod 

Le pontife des juifs portait encore l'éphod, sorte de scapulaire qui représente "l'unité de notre esprit assemblant toutes les vertus par l'appel intérieur figuré par les agrafes d'or et l'adhésion de désir que signifient les anneaux d'or. ... Cette unité est de quatre couleurs, car toutes les vertus ont en elle leur point de départ et leur fin... leur unité et leur vie, à cause de l'or qui y est tissé, c'est-à-dire la charité ou amour divin qui fait sortir toutes les vertus de l'unité et les y fait retourner....

L'éphod portait encore sur chaque épaule une riche pierre d'onyx enchâssée dans l'or, et les douze noms des fils d'Israël y étaient gravés... Ces pierres signifient les douze apôtres qui nous ont engendrés dans l'esprit et dans la foi... et qui accueillaient indifféremment Gentils et Juifs, désireux de venir à la foi. Les prélats et les docteurs, en qui l'on trouve ces vertus, peuvent être suivis dans leur enseignement et dans leur vie: ce sont de vrais pasteurs et eux seuls." (Chapitre 38) 

"Au-dessus de l'éphod le grand prêtre portait encore une ceinture semblable à celle des autres prêtres, dont il se ceignait de nouveau. De même l'unité de l'esprit en nous doit être fortement serrée au moyen des cinq vertus figurées par la ceinture... À chacun de voir s'il possède ces vertus pour s'en ceindre étroitement." (Chapitre 39) 

      5-6-4-Le rational du grand-prêtre 

Sur la poitrine du grand prêtre et couvrant l'ouverture de l'éphod, se trouvait un ornement de forme carrée, formé d'un tissu aux quatre couleurs déjà nommées. Dieu nomma cet ornement: "Jugement, Doctrine et Vérité". Ruysbrœck estime que cet ornement symbolise la raison de l'homme, éclairée de la lumière surnaturelle et capable de juger toutes choses d'une façon droite et selon la vérité. "Ce rational de la raison éclairée convient à tout prélat et à tout docteur, qui doit le porter toujours devant lui en son regard intérieur, comme le pontife des juifs le portait sur sa poitrine dans tous les sacrifices." 

Le rational était orné de douze pierres sur lesquelles se trouvaient les noms des douze patriarches, chefs du peuple d'Israël, un nom sur chaque pierre. De plus, Dieu fit mettre trois autres noms: Jugement, Doctrine, Vérité. Ruysbrœck ajoute que ces douze pierres représentent les douze articles de notre foi, ornement et lumière de notre raison... "Sur ces pierres apparaissent les noms des douze apôtres de Notre-Seigneur, car c'est dans leur doctrine que sont manifestées leur vie et leur foi... On n'y voit que Jugement, Doctrine et Vérité." (Chapitre 40) 

Quand il aura achevé de traiter des douze article de notre foi,  Ruysbrœck reviendra sur quelques détails du vêtement d'Aaron, le grand-prêtre. Pour lui, la disposition des douze pierres en trois rangées, sur le rational, est significative: elle évoque l'exemple des douze apôtres:  

– "La première rangée propose à notre foi un seul Dieu en trois personnes, le Père tout-puissant et son Fils unique, lui-ême conçu du Saint-Esprit, né dans notre chair de la Vierge Marie. 

– La seconde rangée nous enseigne que ce même Fils a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli et est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité d'entre les morts, est monté au ciel, est assis à la droite de son Père tout-puissant. 

– La troisième rangée nous enseigne qu'il viendra ensuite juger les vivants et les morts, et que nous devons aussi croire fermement au Saint-Esprit et à l'Église une, sainte et catholique. 

– La quatrième rangée enfin nous enseigne qu'il faut croire à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de nos corps et à la vie éternelle..." (Chapitre 53)

Aux extrémités supérieures du rational d'Aaron étaient fixés deux petits anneaux d'or, d'où pendaient deux chaînettes d'or... "Ceci veut dire que notre raison éclairée... doit être fixée en l'unité de notre esprit, comme par deux anneaux, deux chaînettes et deux agrafes d'or: 

– Le premier anneau consiste à se confier pleinement en Dieu, en dépassant la compréhension de la raison. À ce premier anneau pend une chaîne, qui est un amour ascendant dépouillé de crainte.

– Le second anneau est fait de contemplation en l'unité, au-delà de toute considération. À cet anneau second pend l'autre chaîne: c'est une paix vide d'images, qui s'établit en Dieu et que nul ne peut troubler.

À cet ensemble appartiennent les deux agrafes d'or, représentant une double attache surnaturelle à l'unité, qui nous attire par le moyen des dons divins et en raison des aspirations mêmes de l'unité de notre esprit..." 

En résumé: "la raison éclairée doit avoir, en regardant en bas, comme deux anneaux d'or, qui sont l'amour de la vertu et celui du prochain; car la foi puissante et l'intelligence claire, sans regard en bas, du côté des bonnes œuvres, seraient sans vie devant Dieu. Si notre raison éclairée monte ainsi au-dessus d'elle-même vers Dieu, dans la lumière de la foi, et se tourne en bas vers le prochain avec intention droite, elle demeure stable en l'unité et l'unité avec elle." (Chapitre 54) 

      5-6-5-La mitre du grand-prêtre 

La tête du grand-prêtre était ornée de la mitre de lin retors, que tous les prêtres devaient porter dans le service du Seigneur. Au-dessus de cette mitre, une autre de couleur hyacinthe, de forme ronde et se terminant en pointe, y était placée.  

Ruysbrœck estime que cette deuxième mitre d'hyacinthe, cousue à la première, est le symbole "d'une libre montée toute céleste dans la lumière surnaturelle, dont le sommet est si exigu et élevé qu'il défie tout regard. La couleur d'hyacinthe, c'est-à-dire bleu de ciel, signifie que tout commerce extérieur et intérieur devient céleste. La forme ronde marque l'absence d'inquiétude ou de souci quelconque..."  

Cette mitre ronde était entourée d'un anneau d'or, fait de trois anneaux joints ensemble, sur lesquels étaient des fleurs d'or. "Ces trois anneaux représentent un triple amour, qui doit toujours régner chez tout prélat et chez tout homme éclairé, dans la libre ascension vers Dieu." C'est un amour essentiel, qui revêt trois formes: aimer et rechercher librement l'honneur de Dieu par-dessus toute chose, rejeter et mépriser les choses terrestres, pour l'honneur de Dieu; enfin souhaiter le salut de tous les hommes. Les fleurs d'or jointes aux anneaux "représentent les œuvres pleines d'amour que nous devons exercer envers Dieu, envers nous-mêmes et envers notre prochain, en l'honneur de Dieu... Ces trois formes s'unissent en un seul amour divin, cause et origine de toute vertu." 

Au-dessus du front, la mitre portait une fleur d'or de jusquiame. "Par là nous entendons l'influence du Saint-Esprit, qui orne notre liberté... Les fleurs d'or de la mitre étaient surmontées de glands d'or se terminant en pointe. Ce qui veut dire que toutes nos bonnes œuvres offertes librement à Dieu doivent finalement aboutir à autant d'abandons d'amour. Et plus nous nous sommes dépassés en libre ascension céleste, plus nous avons offert à Dieu de nous-mêmes et de nos œuvres, plus aussi notre gain est grand... C'est pourquoi chacun régnera et se réjouira, selon la mesure de son abandon et le mode de sa révérence pour Dieu." (Chapitre 55) 

      5-6-6-La lame d'or 

Une lame d'or fin, en forme de demi-lune, sur laquelle était gravé: "Le Saint du Seigneur", pendait devant le front du grand-prêtre. C'était une figure de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de toutes ses œuvres accomplies en amour. Cette lame d'or est le dernier des ornements; il signifie qu'en dehors de la vie très digne du Seigneur, il ne peut y avoir aucune beauté. Cette lame de "la sainte révérence", était ronde de tous côtés, sauf en haut, pour montrer que Notre-Seigneur, ne touchait les choses terrestres que pour les nécessités de son corps. 

Sur la lame d'or étaient gravés ces mots: "le Saint du Seigneur" car la vie humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, fut véritablement humble, toute remplie d'une plénitude de dons et de sainteté, et lui seul peut être appelé le Saint du Seigneur. "Nous ne devrions-nous jamais oublier l'amour qui a porté le Christ à être notre médiateur et à renouveler sans cesse son sacrifice devant la face de son Père... L'anneau d'or, fixé à la lame d'or au moyen d'une agrafe, représente l'offrande amoureuse faite par le Christ de lui-même et de tous les siens à l'accueillance fruitive de son Père... C'est l'amour éternel, qui n'ayant ni commencement ni fin, nous rend bienheureux et un avec Dieu..." (Chapitre 56) 

5-7-La consécration des prêtres 

      5-7-1-Consécration par Moïse du tabernacle et des prêtres 

C'est Dieu Lui-même qui indiqua à Moîse comment il devait pratiquer la consécration du tabernacle, d'Aaron et de ses fils, et avec quoi. Cette première consécration fut accompagnée de rites de purification et de sacrifices de jeunes taureaux, de béliers et d'agneaux. Les rites de purification se firent avec le sang des victimes. Moïse fit tout ce que le Seigneur lui avait ordonné. Puis, il fit approcher Aaron et ses fils, et après les avoir lavés, il les revêtit comme le Seigneur l'avait indiqué, et il procéda à leur consécration après avoir consacré le tabernacle, l'autel et tous les ustensiles, avec une huile spéciale. (Chapitre 64) 

Cette manière ancienne de consacrer fut agréable à Dieu "jusqu'au temps où le Christ institua le sacrement de son corps et s'offrit lui-même en sacrifice sur l'autel de la croix. C'est alors que, par sa mort et ses mérites, il composa l'huile sainte qui sert à nous oindre tous... L'apparition des nouveaux sacrements apportaient avec eux vérité et vie; les anciens devaient disparaître, parce qu'ils n'étaient que figures et signes de la vérité à venir." (Chapitre 65) 

      5-7-2-L'huile sainte 

Le Seigneur donna la composition de l'huile sainte qui devait oindre "le tabernacle du témoignage, l'arche du testament, la table avec ses vases sacrés, le chandelier et tout ce qui lui appartient, l'autel des parfums et l'autel des holocaustes, avec tout ce qui y est attaché. Aaron et ses fils furent oints de cette huile et consacrés à Dieu..."  

Pour Ruysbrœck, "cette huile était une figure de l'huile sainte, que le Christ a composée lui-même et qui doit durer éternellement, huile dont il nous a tous oints dans le Saint-Esprit, et particulièrement les prêtres de la loi nouvelle..." Nous passons maintenant à la composition de cette huile. (Chapitre 57) 

La myrrhe 

La myrrhe est une plante aromatique dont les fruits verts sont doux à l'odeur, mais amers au goût. Une gomme coule des branches lorsqu'on pratique des incisions dans l'écorce. "Par l'arbre de myrrhe nous entendons Jésus-Christ, mortifié selon la chair... Sachez cependant que la contemplation des souffrances du Christ est, pour tous ceux qui ont un amour affectif, quelque chose de très violent et d'amer."  

Suit un avertissement important concernant certains commençants qui entreprennent, sans discrétion, des œuvres extérieures et châtient trop durement leur corps. Il en résulte pour eux des maladies ou des troubles d'esprit, parfois redoutables. En conséquence, nous devons, certes, contempler son humanité sensible, mais en même temps fixer sa divinité féconde.. . Ainsi, quand nous contemplons la Passion de Notre-Seigneur, nous demeurons maîtres de nous-mêmes et de notre sensibilité.  (Chapitre 58) 

La cinname 

Cette plante aromatique porte de petites tiges rondes qui, quand on les casse en deux, dégagent une sorte de poussière qui obscurcit l'air. Pour Ruysbrœck, "cette petite plante aromatique représente Notre-Seigneur Jésus-Christ, humilié au-dessous de tous... L'unité fruitive de l'essence divine est une douceur sans mesure, qui faisait signe au Christ d'entrer, avec tous ceux qui, comme lui, s'appliquent à l'humilité intérieure... L'aromate, tiré de la précieuse cinname est d'autant plus amer au goût qu'on le mélange à des choses plus douces. C'est pourquoi il figure l'homme intérieur et humble, qui se méprise d'autant plus lui-même qu'il est plus élevé par Dieu et par les créatures: plus Dieu le comble de ses biens, et plus il s'en estime indigne... Au point de vue spirituel, c'est la vraie humilité qui opère toutes ces choses: elle chasse et consume toutes les humeurs vicieuses, elle fortifie l'homme dans toutes les vertus et elle lui donne la faim et le désir de toutes bonnes œuvres..."  (Chapitre  59) 

Le calame aromatique 

Cette plante se compose de plusieurs jets ou nœuds; elle est de couleur rouge et d'odeur douce; mais le goût en est acide et un peu âcre... "L'aromate qu'on en tire est de nature chaude. Par cette troisième plante aromatique, nous entendons l'obéissance intérieure, dans laquelle vécut et mourut Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Christ vivait pleinement docile aux signes et commandements de son Père céleste... C'était pour lui une douceur intérieure, car il a dit lui-même: 'Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père'... Les saints et tous les hommes vertueux se sont noués à Notre-Seigneur Jésus-Christ et sont devenus ses membres, grâce à l'obéissance... Marie, la Mère de Dieu, initia à l'obéissance notre vie à tous, lorsqu'elle dit: 'Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole.' 

La noble plante de calame est d'un goût un peu âcre; de même Notre-Seigneur Jésus-Christ, disposé selon l'esprit à mourir et à accomplir la suprême obéissance, souhaitait-il, selon la tendance naturelle du corps, continuer à vivre; de sorte que son obéissance était douleur et amertume dans la partie sensible de son âme. Néanmoins le corps dut se soumettre à l'esprit et ainsi accomplir toute obéissance et c'est ce que nous devons faire nous-mêmes..." (Chapitre 60) 

La casse 

"La casse porte des feuilles de couleur rouge pourpre et donne des fleurs d'agréable parfum... Elle représente Notre-Seigneur Jésus-Christ, répandant son précieux sang. Il nous est apparu tout humble, mais en même temps plein de sagesse et vainqueur de tous ses ennemis... Les feuilles de la plante, de couleur rouge pourpre, figurent les multiples blessures reçues par Notre-Seigneur à la flagellation et au couronnement d'épines; les fleurs odoriférantes représentent les cinq grandes plaies, qui ont porté pour nous le fruit de vie; car le parfum de telles fleurs était si doux que le Père céleste en fut blessé d'amour pour nous et qu'il ne peut plus l'oublier. Poursuivant ses grâces, nous sommes sûrs de les trouver, si nous lui rappelons les plaies de son Fils..."  (Chapitre 61) 

L'huile d'olive 

Dans l'huile qui devait contenir les divers aromates, produite par l'olivier, Ruysbrœck voit plusieurs symboles: 

 l'olivier figure le Père dans la divinité, le Père qui donne son Fils comme un signe de paix éternelle;

– Le fruit, c'est le Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, qui, par le Saint-Esprit, s'est livré lui-même au pressoir des juifs, d'où il s'est écoulé en huile sainte;

– l'huile qui coule du fruit, sont l'amour et la grâce émanant de la divinité et de l'humanité, et capable de nous rendre tous saints et bienheureux. 

Ruysbrœck fait ensuite une digression sur le poids de l'huile et des aromates, et donne la signification de cette huile, appliquée à la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il écrit: "lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ naquit dans notre nature, il fit comme une composition destinée à sanctifier tous les hommes, prenant dès lors la myrrhe de sa Passion, puis la casse odoriférante de son sang versé... à la circoncision, enfin la cinname et le calame de son humilité et obéissance intérieures. Réunissant le tout, il le plongea dans l'huile de son amour et de sa miséricorde. Lorsque l'heure vint d'employer son onguent, il se livra au pressoir et il y souffrit jusqu'à la mort, répandant tout son sang. Ceci correspondait au poids le plus lourd, c'est-à-dire aux mille onces[8] des deux premiers parfums. Mais son humilité et son obéissance, toutes deux vertus intérieures, quoique plus légères de poids, étaient néanmoins supérieures en noblesse et en puissance. C'étaient les cinq cents onces des deux derniers parfums. Les ayant mêlés tous les quatre avec l'huile de sa miséricorde, il paya ainsi notre dette au poids le plus lourd du sanctuaire." (Chapitres 62 ) 

Allant plus loin encore, Ruysbrœck explique que "Notre-Seigneur Jésus-Christ en naissant dans notre nature, fit comme une composition destinée à sanctifier tous les hommes, prenant la myrrhe de sa Passion, la casse odoriférante de son sang versé le huitième jour, à la circoncision, enfin la cinname et le calame de son humilité et obéissance intérieures. Réunissant le tout, il le plongea dans l'huile de son amour et de sa miséricorde. Lorsque l'heure vint d'employer son onguent, il se livra au pressoir et il y souffrit jusqu'à la mort, répandant tout son sang... Le prophète Isaïe l'avait bien compris, lorsque longtemps avant la venue du Seigneur et il prophétisa, disant: 'Vraiment, il a porté nos langueurs et notre peine; il a été blessé à cause de notre injustice et broyé pour nos péchés... et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris'." (Chapitre 63)

 

6
Les articles de notre foi

 

6-1-La première pierre: Ruben et Pierre 

La première pierre du rational d'Aaron est une sardoine rouge sang, sur laquelle est gravé le nom de Ruben, premier fils de Jacob. Elle représente le premier article de notre foi. Cette pierre rouge symbole de la charité, nous unit à Jésus-Christ par qui nous connaissons le Père. Ruben était la figure de saint Pierre qui "voyait dans l'esprit le Fils uni à notre humanité et put dire à Jésus: 'Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant.'  Et, par cet intermédiaire qui est le Fils, il voyait le Père éternel qui est principe éternel dans la sainte Trinité. C'est de là que saint Pierre fit partir la foi chrétienne en disant: 'Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre'. C'est pourquoi le Christ lui dit en toute vérité: 'Tu es Pierre...' ce qui veut dire: celui qui connaît la vérité..." (Chapitre 41) 

6-2-La deuxième pierre: Siméon et André 

La seconde pierre du rational est une topaze couleur d'or portant gravé le nom de Siméon, second fils du patriarche Jacob. "Pour nous cette topaze signifie le second article de la foi, et Siméon, saint André, l'apôtre de Notre-Seigneur." Saint André entendit saint Jean-Baptiste lui dire: "Voici l'Agneau de Dieu."  

Et l'Agneau divin lui dira plus tard, alors qu'il était sur la mer avec saint Pierre, son frère: "Venez, suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs d'hommes." 

André reconnut le témoignage intérieur et le langage secret du Père. Aussi quitta-t-il toutes choses pour suivre le Christ... Il répondit à la parole du Père et à l'appel du Fils par des œuvres parfaites à l'extérieur... "C'est pourquoi il suit de près son frère saint Pierre, en disant: 'Je crois en Jésus-Christ, le Fils unique du Père, Notre-Seigneur.' Jésus-Christ est comparé à la topaze, parce que son amour éternel le rend couleur d'or, comme la noble topaze... L'humanité du Christ surpasse en clarté et en noblesse tous les saints et tous les anges, parce qu'elle est unie au Verbe éternel... La topaze est appréciée des rois et des princes au-dessus de toute richesse: de même ceux qui choisissent le Christ, qui l'aiment et l'estiment au-dessus de toutes choses sont des rois et des princes. Et c'est ce que faisait André, car ce nom veut dire viril, ou qui est de l'homme, c'est-à-dire du Christ..." (Chapitre 42) 

6-3-La troisième pierre: Lévi et Jacques 

La troisième gemme est une verte émeraude; le nom de Lévi, troisième fils de Jacob, y était gravé. "Cette pierre nous rappelle le troisième article de notre foi, et Lévi figure saint Jacques, fils de Zébédée, l'apôtre du Seigneur. Le nom de Lévi signifie en effet attaché ou uni; et saint Jacques nous enseigne comment notre nature est attachée au Verbe éternel et le Verbe uni à notre nature, ce qui s'est fait en Marie par sa vertu et par l'opération du Saint-Esprit: 'Je crois que le Fils du Père est conçu du Saint-Esprit, né de la vierge Marie'."  

Et Ruysbrœck de s'écrier: "Et si nous considérons la manière dont il s'est fait homme, nous sommes remplis de confusion, ne sachant comment nous humilier devant tant d'humilité. Si enfin nous regardons pourquoi il s'est fait homme, alors nous pouvons nous réjouir, et nous n'aurons jamais assez d'amour pour aimer de retour... cette belle émeraude qui est le Christ... Et nous le trouvons imprimé en nous et nous en lui, par le moyen de sa grâce et d'une vie vertueuse..." (Chapitre 43) 

6-4-La quatrième  : Juda et Jean 

La quatrième pierre est une escarboucle rouge feu comme un charbon ardent. Elle portait le nom de Juda, le quatrième fils de Jacob. Cette escarboucle nous fait penser au quatrième article de notre foi, et Juda, nous révèle saint Jean, l'apôtre qui confesse et glorifie la naissance éternelle du Fils du Père, et sa naissance temporelle dans la chair. Il dit notamment de tous les apôtres, "qu'ils ont entendu, vu, contemplé et touché de leurs mains le Christ, le Verbe de vie. Et le quatrième article de notre foi confesse le même Fils de Dieu en disant: 'Je crois qu'il a souffert sous Ponce Pilate, qu'il a été crucifié, qu'il est mort et a été enseveli.' 

Dans cet article le Christ apparaît comme semblable à l'escarboucle, cette pierre est rouge comme le feu que l'obscurité de la nuit ne peut faire pâlir. Elle jette comme des flammes brillantes aux yeux de ceux qui la regardent. De même le Christ, notre escarboucle, avait-il durant sa vie, et surtout dans sa passion et son crucifiement, cette couleur rouge feu qui le faisait ressembler à un charbon ardent... C'est pourquoi il nous faut porter l'ornement des vertus et nous tourner par amour vers sa digne mort, où notre vie éternelle trouve son principe. C'est ce que pratiquait saint Jean dont le nom veut dire: grâce de Dieu, ou celui en qui habite la grâce de Dieu." (Chapitre 44) 

6-5-La cinquième pierre de notre foi: Dan et Thomas 

La cinquième pierre est un saphir sur lequel était gravé le nom de Dan, le cinquième fils de Jacob. "Elle représente le cinquième article de notre foi, et Dan saint Thomas. Car Dan signifie jugement... et saint Thomas jugea bien lorsqu'il répondit au Christ, en disant: 'Mon Seigneur et mon Dieu.' Ainsi prononçait-il un juste jugement. Et parce qu'auparavant il avait douté de la résurrection du Seigneur, il nous a donné maintenant le cinquième article de notre foi: 'Je crois qu'il est descendu aux enfers et est ressuscité des morts le troisième jour'. 

Dans cet article l'on peut comparer le Christ au précieux saphir, qui est de deux sortes. La première a une couleur jaune aux reflets de pourpre et paraît comme mêlée de poudre d'or. La seconde est bleu ciel et, exposée aux rayons du soleil, elle émet une lumière brûlante, mais le regard ne peut la traverser. C'est tout cela que nous apercevons dans Notre-Seigneur, en ce cinquième article. Car, lorsque sa sainte âme descendait aux enfers, son corps gisait dans le sépulcre... dans la pourpre de ses blessures sanglantes, mais aussi dans la poussière d'or de la divinité qui lui demeurait unie. Et dans sa descente aux enfers son âme avait la clarté du bleu ciel, afin de réjouir tous ses amis et les remplir de bonheur par sa lumière. Dans sa résurrection d'entre les morts, la clarté devient si grande et si puissante en l'âme et le corps qu'il émet des rayons lumineux et brûlants, enflammant ainsi l'amour de quiconque approche de lui. Ce noble saphir est le Christ... insondable;  et saint Thomas l'a enchâssé, car Thomas veut dire abîme." (Chapitre 46) 

6-6-La sixième pierre: Nephtali et Jacques le Mineur 

La sixième pierre est une verte jaspe sur laquelle est gravé le nom de Nephtali, le sixième fils de Jacob. Nephtali représente Jacques le mineur qui nous enseigne: "Je crois qu'il est monté au ciel et qu'il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant."  On pense forcément à l'Ascension de Notre Seigneur qui est assis à la droite de son Père. Nous comparons le Christ à la précieuse pierre de jaspe. "Nous y trouvons une ressemblance avec l'Ascension de Notre-Seigneur, vision si sereine, si gracieuse et si douce aux yeux des apôtres, qu'ils ne purent jamais plus l'oublier de leur vie... Puis nous considérerons comment la gemme glorieuse de jaspe, c'est-à-dire le Christ Jésus, est monté au ciel revêtu de notre nature, s'est assis à la droite de son Père et nous a préparé une place de gloire, objet de nos désirs les plus chers... Jacques, fils d'Alphée, est pour nous la figure de Jésus-Christ, qui, selon sa divinité, est l'enseignement du Père et selon son humanité est enseigné par le Père." (Chapitre 46) 

6-7-La septième pierre: Gad et Philippe 

Sur la septième pierre, rouge vif, appelée ligurius est gravé le nom de Gad, le septième fils de Jacob, auquel Ruysbrœck adjoint l'apôtre Philippe. À Gad (qui signifie 'béatitude') et à Philippe, Ruysbrœck associe le septième article de notre foi: "Je crois qu'il viendra juger les vivants et les morts." Le dernier jugement de tous les hommes sera une béatitude pour les bons qui recevront alors bienheureusement la béatitude pour le corps et pour l'âme, parce qu'ils en sont dignes... "À ce dernier jugement le Christ nous apparaîtra semblable à la pierre qu'on appelle ligurius. Cette pierre attire à elle par sa vertu particulière les objets secs et légers qui lui sont présentés: le Christ fera de même au dernier jugement, quand il montrera le rouge vif de ses blessures; par l'ardeur de son amour il répandra de lui-même une vertu capable d'attirer tout ce qui sera sec et léger, c'est-à-dire délivré du poids des péchés et embrasé de charité..." (Chapitre 47) 

6-8-La huitième pierre: Aser et Barthélémy 

La huitième pierre est une agate de couleur brune portant des veines de couleur noire et blanche. Sur elle était gravé le nom d'Aser, le huitième fils du patriarche Jacob. "Par cette pierre nous entendons le huitième article de notre foi et par le nom d'Aser, saint Barthélemy, l'apôtre de Notre-Seigneur. Aser veut dire: temple ou béatitude... Or c'est ce que saint Barthélemy nous enseigne dans cet article: 'Je crois au Saint-Esprit.' En effet, pour celui qui croit au Saint-Esprit et a confiance en lui... le Saint-Esprit est son temple où il prie... Il est sa béatitude... Et tous ceux qui, dans la foi, se confient dans le Saint-Esprit seront bienheureux." 

On dit que l'agate rend aimable celui qui la porte; de même la foi au Saint-Esprit donne à l'homme une couleur brune qui est l'humilité foncière et une vraie pureté d'intention, tout ce qui est rend l'homme plein de grâce vis-à-vis de Dieu, et de ceux qui sont à lui. (Chapitre 48) 

6-9-La neuvième pierre: Issachar et Matthieu 

L'améthyste est la neuvième pierre sur laquelle on trouvait le nom d'Issachar, le neuvième fils de Jacob. Issachar, celui qui réfléchit, est lié à saint Matthieu, l'apôtre qui réfléchit bien lorsqu'il renonça au péché et au monde; il reçut le Christ dans sa maison et devint son apôtre. Lorsqu'il écrivit l'Évangile du Christ, l'enseigna et y conforma sa propre vie, il vivait le neuvième article de notre foi: 'je crois en la sainte Église catholique'. "L'améthyste, de couleur pourpre mêlée de violet, jette des flammes brillantes comme des roses rouges. La pourpre est le sang de Notre-Seigneur, des apôtres et des martyrs... Des flammes éclatantes y brillent gracieusement: c'est l'amour intérieur qui se pratique dans la sainte Église et éclate en grandes œuvres.  

Cette améthyste représente bien la sainte Église, car, facile à tailler, elle est, pour l'homme vraiment croyant, l'image des bonnes œuvres..."  

Ruysbrœck signale que le nom de saint Matthieu signifie: donneur de conseils, ou: un don de promptitude. "Ainsi son exemple, et celui des autres saints, nous servent de conseillers pour mener notre vie. Quant au don de promptitude, c'est la grâce de Dieu, qui, en un seul instant, accomplit tout ce qui nous permet de nous unir à la communion de la sainte Église..." (Chapitre 49) 

6-10-La dixième pierre: Zabulon et Simon 

Sur la dixième pierre, la chrysolithe, était gravé le nom de Zabulon, dixième fils de Jacob. Zabulon veut dire: un appui de la demeure, ou une demeure de force et de beauté; et il signifie aussi le torrent de la nuit... Tout cela nous est enseigné par saint Simon, l'apôtre qui représente dixième article de notre foi: "Je crois à la communion des saints, à la rémission des péchés." Or, la communion des saints, dans l'amour divin est bien un appui de la demeure ou de la réunion; et cette même communion, c'est aussi une demeure pour tous et une maison...   

"La communion des saints et la rémission des péchés s'obtiennent par le torrent de la nuit, c'est-à-dire par deux sacrements de la sainte Église, le Baptême et la Pénitence. Ce sont les torrents qui lavent dans la foi la nuit des ténèbres du péché... et dans son grand amour universel, le Seigneur voulut nous laver dans son sang...  

Enfin, dit Ruysbrœck, cet article de foi: 'Communion des saints, rémission des péchés', nous est signifié par la pierre précieuse appelée chrysolithe, qui ressemble aux eaux de la mer par sa clarté transparente et par sa verdeur, et qui brille comme l'or...  

Si donc nous voulons recevoir rémission des péchés et jouir de la communion des saints, nous devons ressembler au chrysolithe et suivre Simon, l'apôtre de Notre-Seigneur; car Simon, c'est quelqu'un qui entend la tristesse de son cœur, et qui obéit à Dieu et à la sainte Église. Par la vraie tristesse du cœur on obtient rémission des péchés et par l'obéissance véritable, communion des saints." (Chapitre 50) 

6-11-La onzième pierre: Joseph et Thaddée 

"La onzième pierre s'appelle onyx, et en elle se trouvait le nom de Joseph (onzième fils de Jacob) qui signifie: celui qui est justifié devant le Seigneur. Cette pierre nous murmure le onzième article de notre foi: 'Je crois à la résurrection de la chair' et le nom de Joseph, nous fait penser à saint Thaddée, mot qui signifie: une adjonction.  À la résurrection le corps sera joint à l'âme, ce qui sera pour nous une augmentation de joie; et nous serons justifiés devant le Seigneur, lorsque nous le servirons et louerons éternellement, avec tout ce que nous avons reçu de lui, âme et corps. Ainsi serons-nous semblables à la pierre précieuse qui s'appelle onyx, dont la couleur est mêlée de blanc et de rouge... Par la pierre d'onyx, nous entendons les hommes glorifiés après le jugement dernier, car ils seront transparents... à cause de la pureté de leur conscience, et ils auront des reflets de couleur rouge, parce qu'ils ont crucifié leur chair, en résistant à ses désirs sensibles. Nous aurons encore une autre couleur rouge spéciale, venant du sang du Christ où nous avons tous été purifiés..." (Chapitre 51) 

6-12-La douzième pierre: Benjamin et Mathias 

La douzième gemme, un béril vert pâle, portait gravé le nom de Benjamin, le fils cadet du patriarche Jacob. Nous sommes parvenus au dernier article de notre foi: 'Je crois à la vie éternelle'. Benjamin signifie: un fils de la vertu ou un fils du jour,  et cela nous est enseigné par saint Mathias. Tout homme qui, avec saint Mathias, veut croire et espérer la vie éternelle, doit être un fils de la vertu. Et par sa vie vertueuse il devient dans le Christ, un fils du jour, c'est-à-dire du jour éternel, et un fils des vertus, entrant en possession de toutes les vertus pratiquées par le Christ et par tous ses saints. 

"Tout ceci trouve sa signification dans la pierre précieuse de béril, qui est transparente, verte et pâle comme l'eau claire sous la lumière du soleil... Généralement on la taille en hexagone, afin que l'éclat de sa couleur soit multiplié, à la clarté de la lumière, sur toutes ses faces... Nous devons ressembler à cette pierre, pour posséder la vie éternelle: réaliser la verdeur, qui est l'ornement de toutes les vertus, et la pâleur, qui représente la pudeur et la retenue, avec grande révérence devant Dieu... La taille hexagonale de la pierre signifie la manière dont notre vie doit revêtir reflet et lumière pour la vie éternelle:  

– l'humilité unie à l'obéissance envers Dieu et la sainte Église,

– ne patience douce avec une volonté résignée,

– une volonté diligente et appliquée, qui s'orne de bonnes œuvres en toute discrétion,

– l'amour avec sa force et son impatience,

– la libre élévation vers Dieu,

– un regard simple et dépouillé d'images, contemplant dans la nudité. 

Nous retrouvons tout ceci en saint Mathias dont le nom signifie le don providentiel de Dieu... ou le petit de Dieu, c'est-à-dire l'humble de Dieu." (Chapitre 52)

 

7
Comparaisons essentielles entre le Christ et Moïse

 

Ruysbrœck nous a montré en détail, nous avons vu ci-dessus[9], comment Moïse consacra Aaron et ses fils après avoir consacré le tabernacle, l'autel et tous les ustensiles, avec une huile spéciale. Ruysbrœck a également rapporté tout ce qui concernait les sacrifices d’animaux liés à ces consécrations. Après avoir ensuite établi une comparaison entre les douze fils de Jacob et les douze apôtres, Ruysbrœck va s’attarder sur les intentions de Jésus depuis sa Résurrection jusqu’au jour de la Pentecôte.  

7-1-Comment  le Christ consacra ses apôtres 

Ruysbrœck commence par rappeler comment Jésus composa l'huile sainte destinée à tous nos sacrements, et comment Il voulut consacrer ses apôtres après sa Résurrection. Il écrit: "Dès qu'il fut ressuscité pour la gloire de son Père, pour la sienne propre et celle de tout son peuple, voulant consacrer ses prêtres les apôtres, il vint à eux les portes fermées et se tenant au milieu d'eux, il leur dit: ‘La paix soit avec vous!’ et leur montrant ses mains, son côté et ses pieds, il ajouta: ‘Voyez mes mains et mes pieds; c'est bien moi. Touchez-moi et considérez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai.’ Puis il leur dit de nouveau: ‘La paix soit avec vous! Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie.’ Et alors il souffla sur eux et dit: ‘Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus’…"  

Ruysbrœck relate ensuite d’autres évènements qui ont suivi la Résurrection de Jésus, puis après avoir "établi Pierre comme chef au-dessus des autres apôtres, il les rencontra une dernière fois afin de préciser leur mission: ‘Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre c'est pourquoi, allez, enseignez tous les hommes, et baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai ordonné. Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde.’ c'est-à-dire par sa grâce et par le sacrement de son corps sacré." 

Puis Jésus, avant de s’élever au ciel "bénit ses apôtres pour l'éternité. Et lorsqu'il les eut bénis, il se sépara d'eux et entra dans une nuée lumineuse…"  

Les apôtres retournèrent à Jérusalem et attendirent le consolateur que le Christ avait promis de leur envoyer. (Chapitres 66 et 67)  

7-2-La venue du Saint-Esprit après la Résurrection 

Ruysbrœck reprend le texte évangélique sur la venue du l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte, et comment les apôtres "furent tous remplis du Saint-Esprit, c'est-à-dire de l'amour de Dieu. Et cet amour amena avec soi le Père et le Fils, et ainsi reçurent-ils la sainte Trinité" Ruysbrœck rappelle ensuite comment le Christ donna trois fois le Saint-Esprit à ses apôtres :

 d’abord avant sa mort, afin qu’ils puissent accomplir des œuvres extérieures: guérir les malades, chasser les démons, etc...

– Puis, après sa Résurrection, afin qu'ils puissent accomplir les œuvres spirituelles: comme baptiser, remettre les péchés et enseigner la vérité, car leur amour spirituel dépassait alors l'amour sensible.

– Enfin "une troisième fois, après son Ascension, et c'était pour qu'ils accomplissent des œuvres divines et fussent un avec Dieu. Dès lors ils possédaient Dieu par amour et ils étaient possédés par lui dans le même amour." Cette dernière venue de l’Esprit à la Pentecôte fut accompagnée de trois signes : 

     – un grand bruit de vent, et ils furent remplis de la puissance du Père, qui leur enleva crainte et anxiété,

     – des langues posées sur chacun d'eux. "Par là nous entendons la sagesse du Fils, qu'ils reçurent afin qu'ils pussent comprendre toute vérité, enseigner et vivre toutes les vertus, et parler toutes les langues,

     – Enfin, le feu, qu'ils voyaient reposer sur la tête de chacun, nous apprend qu'ils reçurent l'amour de Dieu… 

De cette façon leur amour devint triple; ils aimaient Dieu de tout leur cœur, d'un amour sensible et affectif; ils l'aimaient de toute leur âme et de toutes leurs forces, d'un amour spirituel et raisonnable; ils l'aimaient enfin de toutes leurs pensées, d'un amour divin, se perdant eux-mêmes dans l'unité."  

Ruysbrœck fait remarquer que les apôtres reçurent le Saint-Esprit si abondamment, qu'à leur tour ils le donnèrent aux autres. "Ils avaient été sacrés et oints du Saint-Esprit, car cet Esprit-Saint est lui-même l'onguent sacré que le Christ nous a mérité par sa mort. C'est pourquoi nous sommes tous baptisés et oints dans la mort du Christ et dans le Saint-Esprit; mais non pas tous de même façon: car il y a beaucoup de degrés dans la sainteté. 

Le Christ consacra douze pontifes, en la personne de ses apôtres, tandis que des autres soixante-douze disciples il fit autant de prêtres et ils reçurent tous l'onction du Saint-Esprit. Mais dans les pontifes il versa si abondamment son Esprit, que de leur intérieur cet Esprit se répandit à l'extérieur par toute la terre, et que nous pouvons encore en jouir nous-mêmes." C’est ce que figurait Moïse consacrant Aaron, le grand-prêtre, et ses fils: il répandit tant d’huile sur la tête d'Aaron en si grande abondance, qu'elle coulait sur sa barbe, et de sa barbe jusqu'à la frange de son vêtement. (Chapitre 68) 

7-3-Différences entre les sacrements de la Synagogue et ceux de la Sainte Église 

Ruysbrœck fait remarquer qu'il y a une grande différence entre les sacrements de la synagogue et ceux de la sainte Église. L’onguent utilisé pour oindre et consacrer les prêtres de l’ancienne Loi était d'odeur suave, mais âcre et amer au goût, car figure prophétique de la venue de Notre-Seigneur, de sa Passion et de sa mort. "Aujourd’hui, par le saint-chrême, l'onguent sacré qui sert à la consécration des pontifes, nous entendons le Saint-Esprit et par le baume, les dignes mérites de l'humanité de Notre-Seigneur. Ce sont ces dignes mérites qui nous ont obtenu le don du Saint-Esprit… et c'est le Saint-Esprit qui a donné aux mérites de l'humanité de Notre-Seigneur leur dignité... C'est le trésor de la sainte Église, avec lequel les prêtres servent Dieu et qu'ils dispensent à chacun selon que l'exigent son état et ses besoins… 

Nous devons présenter le Christ humble, obéissant, rempli de toutes les vertus, vivant et mourant pour la gloire de son Père, à cause de nous… Le Christ nous offre à son Père céleste, comme le fruit qu'il s'est acquis en mourant pour nous… et nous faisons monter devant la face de Dieu l'humanité de Notre-Seigneur et toujours nous l'y trouvons unie à Dieu… Et le Christ vit d'autant plus en nous, qu'il nous dispense plus de grâce. Et pour nous, nous vivons d'autant plus en lui, que notre amour se tourne vers lui… C'est ainsi que nous sommes oints et consacrés, comme le furent les apôtres." (Chapitre 69)

 

8
Quelques réflexions au sujet des prêtres

 

Ruysbrœck est toujours dans la présentation du cinquième degré de la course spirituelle. Considère-t-il que les prêtres de la sainte Église devraient avoir tous atteint ce cinquième degré? Probablement, car tout au long de l'étude de ce cinquième degré il s'interrompra fréquemment, et souvent longuement, pour s'adresser directement aux prêtres de son temps, leur signaler quel devrait être leur comportement de consacrés, et signaler, parfois durement, leurs faiblesses, leurs lacunes, voire leurs défauts et même leurs péchés. Cela, il le fera en se référant, comme il le fait sans cesse dans ce livre du Tabernacle Spirituel, aux enseignements de Moïse. Ainsi il rappelle que dans l’ancienne Loi, il y avait neuf défauts physiques qui rendaient impossible toute consécration, notamment les aveugles et les boiteux. Il estime qu’il y a également neuf défauts spirituels qui rendent indignes du sacerdoce. (Chapitre 70) 

8-1-Le premier défaut : la cécité spirituelle 

Ruysbrœck rappelle qu'il y a beaucoup d'aveugles parmi les clercs, et qu'ils ne doivent pas être ordonnés. Ainsi: 

– "Sont aveugles tout d'abord les ignorants qui ne pourraient exercer le ministère auquel sont tenus les prêtres,

– Les insensés par nature, privés du discernement de la raison et incapables de distinguer entre les vertus et les vices.

– Les orgueilleux, qui recherchent et souhaitent d'être élevés au-dessus des autres, car le sacerdoce est une charge pour le service d'autrui, à l’exemple du Christ, qui s'est fait le serviteur de tous." (Chapitre 71) 

8-2-Le deuxième défaut : les boiteux 

Ruysbrœck distingue plusieurs catégories de boiteux spirituels. Sont boiteux : 

 ceux qui veulent servir à la fois Dieu et le monde, et qui, délaissant Dieu, souhaitent la richesse du monde,

– ceux qui se recherchent eux-mêmes en toutes choses, à leur propre profit.  

Pour Ruysbrœck, ces boiteux sont en réalité des avares indignes de recevoir le Saint-Esprit et d'être unis à Dieu. (Chapitre 72) 

8-3-Les troisième, quatrième et cinquième défauts 

Chacun de ces trois défauts concerne un vice qui entrave l'homme et l'empêche de parvenir à la vraie foi : 

– le contentement de soi-même, qui fait que l'on demeure attaché à ses habitudes, sans s’inquiéter si elles sont justes devant Dieu. D’où une certaine lenteur au service de Dieu, car l’excès de confiance en soi-même, conduit à refuser ce que réclame la justice.

– La perpétuelle insatisfaction de ceux qui n'osent se confier en Dieu pour  ce qui leur est nécessaire et sont trop craintifs.

– Le doute envers quelques points de la foi. "Ceux qui doutent estiment plus leur propre opinion que les paroles des saints et ils se mettent au-dessus de tous. Ils manquent de la clarté divine, mettent trop de lenteur à renoncer à leur amour-propre et à se soumettre à la vérité divine. Manquant d'amour de Dieu, ils en arrivent à douter volontairement de leur foi." (Chapitre 73) 

8-4-Le sixième défaut : l’avarice 

Ruysbrœck revient sur l’avarice. L’avare trouve son gain toujours médiocre, "car il manque tout autant de ce qu'il possède que de ce qu'il n'a pas. Jaloux d'épargner toujours et de garder son bien pour plus tard, il ne souffre pas de le dépenser pour l'honneur de Dieu; il le refuse aussi au soutien du prochain, et il se prive lui-même du profit qu'il en pourrait tirer pour son salut éternel, allant jusqu'à épargner au détriment de son propre corps… C'est pourquoi Notre-Seigneur dit qu'il est difficile pour ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume des cieux… Ce sixième défaut rend l'homme indigne de recevoir le Saint-Esprit et de devenir prêtre." (Chapitre 74) 

8-5-Le septième défaut : la colère et la jalousie 

"La colère et l’envie s'opposent à la charité… car la charité est un amour de bienveillance que fait naître le Saint-Esprit… À la charité s'opposent la colère et l'envie, fruits de l'orgueil et de l'amour désordonné de soi-même. Ces deux péchés mettent le trouble dans les rapports de l'homme avec Dieu et avec son prochain… car celui que domine la colère porte en son âme amertume et malice, désir de vengeance et impatience à rien supporter. La colère et l'emportement poussent l'homme à l'invective et à l'injure, au blasphème contre Dieu et à l'irrévérence envers le prochain en manières, en paroles, en actes ou en signes quelconques… 

Voulez-vous être à l'abri de cette colère? Il vous faut apprendre à garder le silence en toute contrariété et à conserver toujours devant les yeux la Passion de Notre-Seigneur… 

L'homme méchant et envieux porte souvent envie aux dons du Seigneur qu'il aperçoit chez autrui, jugeant mal ce qui est bon, exagérant encore ce qui semble mauvais… L'envieux s'oppose à Dieu et à toute vertu… L'envie engendre médisance, trahison, faux témoignage, jugement erroné, homicide et maints autres péchés graves. L'envieux est facilement colère, et l'homme colère, lorsqu'il est en courroux, est dévoré d'envie, car colère et envie vont ensemble, comme partant d'un même fond d'orgueil. 

Tel est le septième défaut qui repousse le Saint-Esprit et rend indigne du sacerdoce et de tout honneur…" (Chapitre 75) 

8-6-Le huitième défaut : gourmandise et impureté 

"Les deux vices de gourmandise et d'impureté, souillent la pensée libre de l’homme, pensée destinée à le tenir dans la contemplation de Dieu et le posséder en toute pureté: ces deux péchés la font descendre vers la vie animale, de sorte que l'homme n'a plus de goût ni pour Dieu, ni pour aucune vertu… Il perd la connaissance et le goût de tout bien spirituel et s'engloutit dans la volupté de la nature d'une façon si aveugle, qu'il pense ne plus pouvoir se tourner vers Dieu…" 

      8-6-1-La gourmandise 

"Le gourmand cherche à se délecter plutôt qu'à réparer ses forces. La gourmandise est source d'intempérance et de désordres multiples… de vaines imaginations, ivrognerie, ignorance, et, enfin, de toutes sortes enfin d'impuretés… La gourmandise devient péché grave lorsque l'homme mange et boit, non pour assouvir sa faim ni par besoin, oubliant l'honneur de Dieu, et ne poursuivant que la délectation et les délices de la nature; il s'abaisse vers la jouissance qu'il prend en la nourriture et il se jette sur cette nourriture comme un animal sans raison sur sa proie…"  

Mais il y  des remèdes contre la gourmandise. Et Ruysbrœck propose:

– de penser aux exemples des saints et à leur enseignement, à leur tempérance et à leur sobriété.

– de parler peu pendant les repas. Ceci s’adresse davantage aux religieux. En effet, dit Ruysbrœck, dans les couvents "on a coutume de lire au réfectoire des sermons ou autres livres agréables à entendre, afin que les frères soient attirés à l'intérieur par un goût spirituel, tandis qu'ils donnent à leur corps ce qui lui est nécessaire."

– de penser aux pauvres qui ont faim. (Chapitre 76) 

Pourtant Ruysbrœck ne craint pas d’affirmer qu’apprécier "la nourriture, ce n'est pas péché. Se délecter de la nourriture que l'on doit prendre par nécessité, ce n'est pas non plus péché, car tout homme bien portant le ressent. Mais lorsque nous prenons extérieurement notre nourriture, nous devrions à l'intérieur chercher une autre nourriture qui consiste en de saintes méditations et en la parole intime de Dieu. Cela s'appelle être nourris intérieurement et extérieurement; car le Seigneur a dit que l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu...  

Aussi longtemps que ce vice demeure, l'homme est privé de la grâce de Dieu et est indigne de l'honneur sacerdotal..." (Chapitre 79) 

      8-6-2-L’impureté 

"Il y a impureté chaque fois, que cédant à la nature révoltée et lâche, on se complaît volontairement en des imaginations ou en des actes impurs… Si de la délectation on passe à l'acte, le péché s'aggrave… Ce vice est nuisible à l'homme… Il outrage Dieu… Il satisfait les démons… Il perd l'âme et la met au service de la chair et des sens. C'est pourquoi saint Grégoire signale huit conséquences funestes auxquelles est entraîné l'homme impur: 

– aveuglement de la raison et de l'intelligence,

– oubli de la mort et de l'enfer,

– inconstance dans la réflexion et le désir,

– prédominance de l'amour-propre,

– l’homme impur compromet ses biens, son honneur, sa vie même en des aventures, dans le seul but de poursuivre sa convoitise impure.

– haine de Dieu, qui punit ceux qui s'adonnent à ces plaisirs,

– recherche et l'amour du monde, afin de vivre une vie voluptueuse

– désespoir de posséder jamais la vie éternelle." 

En conséquence, un homme adonné à l'impureté ou à la gourmandise n'est pas digne du sacerdoce. "Mais quiconque veut… devenir sobre et chaste, ou le demeurer, devra garder ses yeux, ses oreilles, ses démarches et éviter toutes les occasions capables de l'entraîner au mal… Fuyant l'oisiveté, il s'occupera toujours à quelque œuvre bonne, à l'extérieur ou à l'intérieur. Il imposera à son corps une contrainte et le châtiera par de sages pénitences, dans la mesure de ses forces…  

Ainsi pourra-t-il vaincre l'impureté."  (Chapitres 76 à 78) 

8-7-Le neuvième défaut : le reflet du péché mortel sur le visage 

Ruybrœck se réfère au fait que, dans la loi juive, un autre défaut empêchait l’accès au sacerdoce: la présence de taches rugueuses sur le corps ou le visage. Pour lui, le visage de l’homme, c’est sa conscience. "Si donc, l'homme garde sur le visage de sa conscience quelque tache noire de péché mortel, il n'est point digne de Dieu et il ne mérite aucun honneur dans la sainte Église… L'homme doit encore être prêt à se plier à toute volonté de Dieu sur lui, qu'il y ait à agir ou à s'abstenir… Celui qui scandalise par sa conduite n'est pas digne du sacerdoce; sa figure est tachée aux yeux des hommes." 

Ruysbrœck contemple alors la beauté de la vie d’un prêtre qui "devrait l'emporter tellement en perfection sur celle du commun des hommes, que son visage intérieur fût plus beau à contempler et plus riche en vertus que celui de tous. Quiconque veut posséder ce visage intérieur agréable et sans tache, c'est-à-dire une âme pure, qui plaise à Dieu et aux hommes, doit se lever avec empressement et se purifier de toute tache du péché.  

À cette âme le Seigneur dit dans le Cantique ou Livre de l'Amour: ‘Lève-toi, mon amie, ma toute belle, ma colombe, qui reposes au creux du rocher, dans l'ouverture de la muraille autour de la vigne.’ Les creux du rocher, ce sont les plaies de Notre-Seigneur, et l'ouverture dans la muraille qui entoure la vigne, c'est la plaie ouverte en son côté sacré; car c'est par la vertu de ces plaies que le pécheur pourra se lever et se purifier des taches du péché.  

Et Notre-Seigneur dit encore: ‘Montre-moi ta face, ta voix retentit à mes oreilles, lorsque tu déplores et confesses tes péchés: alors ta voix est douce, et ta face est parfaitement belle.’ Plus loin, au même livre, il ajoute: ‘Ô mon amie, tu es toute belle et il n'y a en toi aucune tache’.  

Ainsi tout pécheur doit-il se lever et faire disparaître toute tache laissée par le péché. Sans quoi il n'est pas digne de l'union avec Dieu, ni de devenir ou d'être prêtre." (Chapitre 80) 

Continuant à se référer à la consécration des prêtres selon la Loi de Moïse, Ruysbrœck peut maintenant envisager tout ce que renferme la consécration des prêtres de la sainte Église. Nous présentons ci-dessous sa pensée, en ne suggérant que très rapidement les rituels et les sacrifices de l’ancienne loi.

 

9
La consécration des prêtres

 

9-1- La purification 

Pour consacrer Aaron et ses fils, Moïse leur lava d'abord les mains et les pieds, puis il revêtit Aaron, comme un pontife, de huit ornements et ses fils de quatre. Ensuite il y eut une série de sacrifices d’animaux. Pour Ruysbrœck, Moïse, figurait le Christ. "Si donc nous voulons offrir un sacrifice digne de Dieu, c'est le Christ qui doit tout d'abord purifier nos mains et nos pieds, c'est-à-dire nos œuvres et nos désirs… Nos deux autels sont l'unité de notre cœur et la liberté de notre volonté, seront purifiés par le Christ, qui en fera disparaître toutes les taches provenant de péchés mortels… Nous devons tous vivre en une seule volonté, un seul amour, une seule liberté dans le Christ Jésus: et c'est alors que le Christ répandra l'onction et la consécration sur toutes les bonnes œuvres accomplies dans la foi chrétienne…" (Chapitre 81) 

9-2-Les sacrifices 

      9-2-1-Le sacrifice du taureau 

Dans l’ancienne Loi, Aaron et ses fils et tous ceux qui devenaient prêtres devaient, lors de leur consécration, offrir à Dieu un jeune taureau pour leurs péchés. Ruysbrœck écrit que, "par là, nous apprenons que tous ceux qui deviennent prêtres, sous la loi chrétienne, doivent offrir à Dieu leur propre corps par une vie d'austère pénitence… Dans le sang de notre sacrifice le Christ, pontife souverain, trempera son doigt… c’est-à-dire sa touche puissante, qui nous meut intérieurement… C'est là une œuvre qui est plus sienne que nôtre si nous sommes dociles, et ce sera pour nous comme un sacrement, où le Christ communiquera sa vertu… Le sacrifice du taureau, que Dieu avait ordonné aux Juifs, signifie donc l'offrande de notre propre corps, qui pratique abstinence et pénitence pour nos péchés." (Chapitre 82) 

      9-2-2-Le sacrifice du premier bélier 

Aaron et ses fils offrirent aussi à Dieu un jeune bélier d’un an; cela signifie que "nous devons offrir à Dieu notre corps, par la pénitence et en résistant à toute affection désordonnée… Ainsi notre nature devient douce, patiente et innocente… Alors le Christ, pontife suprême, immolera notre offrande et en versera le sang sur l'autel de Dieu: ce qui veut dire que, par sa vertu et son secours, nous triompherons de notre propre sang et immolerons notre nature… La victime était un bélier sans tache, ce qui signifie que lorsqu'on est pur de péché mortel et que l'on s'offre à Dieu, avec une âme affranchie, pour brûler entièrement dans son amour, c'est une œuvre virile et une racine féconde d'amour et de toute vertu, sous la motion de Dieu et de notre propre liberté. C'est pourquoi nous devons sans cesse et pour toujours être consumés et renouvelés, sans jamais demeurer oisifs…" (Chapitre 86) 

      9-2-3-Le bélier de consécration 

Un autre bélier sans tache, le bélier de consécration, fut immolé par Moïse qui "prit de son sang, il en marqua la partie inférieure de l'oreille droite d'Aaron et de ses fils, ainsi que le pouce de leur main droite et de leur pied droit… Il versa le reste du sang au-dessus et tout autour de l'autel…"   

Ruysbrœck poursuit le récit de la consécration d’Aaron et de ses fils, et il ajoute: "C'est donc ainsi que furent consacrés les prêtres, dans l'ancienne loi, selon le commandement qu'en avait donné le Seigneur… De même, pour être sanctifiés, les prêtres doivent offrir à Dieu, en esprit de pénitence, leurs sens et toute leur nature inférieure, renoncer à toute consolation venant du monde et vaincre tout désir désordonné de la chair… C'est l'ornement extérieur des vertus morales. De plus ils doivent offrir en sacrifice à Dieu leurs puissances intérieures et leur nature spirituelle, comme un holocauste à consumer dans le feu de son amour" 

Quant au bélier de consécration, Ruysbrœck en explique la figure: "Lorsque l'amour nous soulève, nous embrasse avec lui en unité et nous pénètre de douceur, il se fait en nous un silence caché de parfaite obéissance et nous nous offrons à Dieu comme un doux agneau, en nous abandonnant nous-mêmes, pour qu'il fasse en nous sa libre volonté, tant ici-bas que dans l'éternité. Alors le Christ, souverain prêtre, immole notre offrande… Cela représente le dépouillement de notre volonté propre et une continuelle mortification de tout esprit propre en la libre volonté de Dieu, le fondement le plus profond et le plus intime de toute sainteté. 

Notre face intérieure y reçoit la lumière de la vérité, en laquelle Dieu se fait comprendre et où nous devenons dégagés et dépouillés de toute image. Cette lumière nous affranchit et nous donne intérieurement un regard en avant, qui nous fait apercevoir l'attrait de Dieu et nous donne pour lui une telle complaisance, que nous mourons à nous-mêmes en lui et devenons incapables de plus jamais regarder en arrière, dans un sentiment de complaisance personnelle. C'est la mort suprême dont parlent les Écritures, et qui s'accomplissait autrefois d'une façon figurative… Dès que nous mourons à notre amour-propre et que la volonté de Dieu devient la nôtre, nous sommes vraiment les disciples de Dieu et les imitateurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ…  

Lorsque nous devenons ainsi simples et un seul esprit avec Dieu, nous aimons sa justice, nous nous livrons à son bon plaisir et mourons à tout esprit de propriété…  

Le Christ, notre pontife suprême prend du sang dont nous avons parlé, et, comme Moïse le fit pour Aaron et ses fils, lorsqu'ils reçurent la consécration sacerdotale, il en humecte la partie inférieure de notre oreille droite, ainsi que le pouce droit de la main et du pied, afin de nous sanctifier nous-mêmes. Ce qui signifie que l'amour de Dieu devenant en nous assez puissant pour immoler toute volonté propre et nous attacher au seul vouloir de Dieu, le sang de cette victime, qui est notre volonté immolée, adhère au doigt de Dieu, c'est-à-dire à l'Esprit du Seigneur…" 

      9-2-4-Le prêtre et sa consécration 

Ruysbrœck continue son envolée spirituelle: "Tout homme juste qui, par amour, se renonce lui-même et abandonne sa volonté propre entre les mains de la volonté de Dieu et de celle de son supérieur, pour l'honneur de Dieu, devient un avec Dieu et avec tous les saints, et sa vie ainsi que ses œuvres naissent de l'Esprit de Dieu… L'homme, qui est devenu ainsi un sacrifice de consécration ou de sanctification, est lui-même voué à Dieu et uni au Christ. Ce qu'il y a de plus intime en lui est brûlé par le Christ sur l'autel des sacrifices, c'est-à-dire dans l'unité même de son cœur…" 

Revenant à la signification de la graisse, Ruysbrœck ouvre des horizons spirituels insoupçonnés: "Sous l'action du feu de l'amour, il y a fusion de la graisse intérieure qui devient comme un onguent pénétrant qui cicatrise et guérit toutes les blessures des péchés… Chez l'homme parfait, elle devient toute brûlante; la chaleur et la tempête d'amour sont telles, qu'il ne voit plus ni soi, ni Dieu, ni autre chose, ne connaissant plus que l'amour seul, auquel il est uni et qui le pénètre entièrement.  

La tempête apaisée, il revient à soi dans une calme tranquillité; les yeux de son intelligence s'éclairent et s'ouvrent si bien, qu'il peut reconnaître les voies parfaites de la vie intérieure: c'est-à-dire la libre montée vers la sublimité divine, jointe à la louange éternelle; l'humble descente du renoncement à la volonté propre sous l'empire divin; la sortie vertueuse à la rencontre de tous, pratiquée avec une commune fidélité et générosité, sous l'action des riches libéralités divines; enfin l'entrée simple, avec l'oubli de toutes choses, dans l'embrassement de l'unité divine.  

En ces quatre voies, l'homme expérimente la plénitude et la richesse de tous les exercices spirituels. Quant à la richesse sans fond, où ces quatre voies trouvent leur terme comme leur point de départ, nulle créature n'en peut parler, ni la comprendre, ni l'approfondir. Et c'est pourquoi celui qui la ressent se réjouit en tout exercice spirituel et en toute vertu; et il lui plaît encore davantage de trépasser de lui-même et de toute vertu à cette richesse superessentielle de Dieu qu'il ressent…"  

Ce double appétit de Dieu et de toutes les vertus pénètre l'âme et le corps, et il est naturel et surnaturel… Lors donc que le Christ touche ce désir ardent et l'attise de sa grâce, la chaleur d'amour devient si grande qu'elle dévore et consume tout ce qui auparavant était aimé et désiré distinctement; et l'homme devient si simple en amour qu'il ne sait et ne peut que porter et ressentir l'amour." (Chapitres 87 et 88) 

9-3-Utilisation et signification des diverses parties des animaux sacrifiés 

      9-3-1-Utilisation des éléments du taureau sacrifié  

"Au point de vue spirituel, la victime du sacrifice c'est notre corps mortifié et offert à Dieu en une vie austère et pénitente.

La graisse des intestins, le foie et les reins représentent en nous les délectations et le goût qui viennent des vertus, de l'amour et du sentiment intérieur et tout cela, Dieu veut que nous le brûlions sur l'autel en son honneur… C'est dans les puissances de notre âme, qu'est conservée notre vie surnaturelle, par la nourriture intérieure de la grâce de Dieu, jointe aux œuvres saintes et conformément à la  volonté de Dieu… 

Le foie, selon Ruysbrœck, est comme une source de feu… Il y a en nous un lieu brûlant, qui ressemble au foie, et c'est notre puissance affective. Le feu qui y réside s'appelle charité et c'est un don de Dieu. La joie spirituelle est produite par la grâce de Dieu et les exercices intérieurs d'amour… et notre offrande devient de plus en plus agréable à Dieu… 

Les reins de la victime figuraient le foyer de toute impureté, et c'est pourquoi le Seigneur avait ordonné dans l'ancienne loi qu'on les brûlât sur l'autel pour le péché…" Pour Ruysbrœck, cela signifie "qu'on ne peut prendre repos et demeure en quelque goût et sentiment intérieurs, quels qu'ils soient; mais on doit brûler tout cela dans le feu de l'amour de Dieu…" 

D’où l’enseignement: "Nous devons nous offrir à Dieu par pénitence et abstinence, dans l'exercice rigoureux des bonnes œuvres, en toute innocence et douceur… La graisse unie à la chair, qui peut être mangée, c'est la délectation et la joie spirituelles, qui accompagnent les exercices des bonnes œuvres, et dont il est permis de jouir…  

Mais la graisse la plus intime de toutes nos vertus et de toutes nos bonnes œuvres, c'est notre libre adhésion intérieure à Dieu: lorsque nous la lui offrons, il l'enflamme toujours du feu de son amour; et c'est alors que nous ressentons plus de délectation et de joie..." (Chapitre 83) 

      9-3-2-Utilisation des éléments des autres victimes 

D’autres victimes avaient été sacrifiées au cours de la consécration d’Aaron et de ses fils. Nous venons de voir comment les éléments principaux du taureau avaient été brûlés et offerts à Dieu. Mais d’autres parties, moins nobles, restaient: que fallait-il en faire ? Et quelle est la signification de l’usage qu’en donne Ruysbrœck? C’est ce que nous allons voir maintenant. 

La peau des victimes, devait être brûlée loin du peuple, dans un lieu pur. La peau, c'est l'œuvre extérieure de pénitence, qui est présentée à Dieu en holocauste, toujours cachée aux regards du peuple, afin d’éviter la tentation de vaine gloire… En effet, dans toutes nos bonnes œuvres, nous devons éviter la louange et l'éloge du monde, mais offrir intention et œuvres uniquement à Dieu, et en secret… Chacun doit se prosterner devant le Seigneur, disant avec le publicain: ‘Ô Dieu, soyez-moi propice, pauvre pécheur’. (Chapitre 84) 

La fiente des victimes, figure les instincts mauvais et désordonnés qui sont en nous par nature, ou acquis par l'habitude. Il nous faut les immoler en nous-mêmes et en triompher, pour l'honneur de Dieu… si secrètement que personne ne puisse apercevoir notre misère… Le lieu pur, où s'accomplit cette offrande, c'est notre conscience, qui doit donc être purifiée par avance de tout péché, devant les yeux de Dieu, par contrition et confession sincère… (Chapitre 85) 

La queue du bélier devait être brûlée sur l’autel. "Maintenant tous ceux qui sont consacrés à Dieu doivent se tourner si parfaitement vers lui, par intention et amour, que tout ce que nature et raison pourraient rechercher et souhaiter dans l'exercice des bonnes œuvres soit entièrement consumé dans le feu de l'amour…" (Chapitre 89) 

      9-3-3-L’épaule droite du bélier et les trois pains  

Ruysbrœck rappelle que "chaque prêtre devait offrir à Dieu trois pains sans levain, puis l'épaule droite de la victime… L'épaule droite c’est  l'humble obéissance que nous devons au supérieur, comme tenant la place de Dieu. 

Quant aux trois pains, ils représentent le pain vivant du ciel, qui nous est donné de trois façons, et que nous devons offrir de même à Dieu. Ce pain vivant du ciel, c'est le Fils de Dieu, qui nous est donné pour partager notre nature, pour être notre nourriture dans le sacrement, et pour nous délivrer par sa mort." (Chapitre 90) 

Le premier pain offert par Aaron, donné par le Père, est sa miséricorde en son Fils, pain cuit au four, c'est-à-dire préparé dans sein de la très pure Vierge Marie, toute brûlante du feu de la charité. (Chapitre 91) 

Le deuxième pain d'Aaron c’est le Christ, dans le sacrement de l'autel... pain vivant cuit dans l'huile de sa charité… Le désir que le Christ a de notre salut et celui que nous avons de sa gloire attisent ensemble le feu, sur lequel le pain est cuit… (Chapitre 92) 

Le troisième pain offert à Dieu par Aaron représente Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre pain vivant… offert sur le gril de la croix. Le feu de l'amour et de la souffrance était si vif et si brûlant, que notre pain fut calciné et desséché comme un tesson… C'est là un pain céleste de si grande douceur, que nous devrions mettre notre gloire, par-dessus toutes choses, en l'amour et l'obéissance qui ont cuit et rôti ce pain. 

      9-3-4-Application aux prêtres du Nouveau Testament 

Ces trois pains, nous devons les offrir à Dieu; et ainsi ils seront notre nourriture spirituelle et notre vie…  

À l'origine de la synagogue, le bélier de consécration fut offert à Dieu avec les trois pains… et Aaron fut consacré avec ses fils par Moïse... De même au commencement de l'Église et de la loi chrétienne, lorsque furent offertes à Dieu les vertus, les apôtres reçurent la consécration de Jésus-Christ… leur frère, chef et pontife du monde entier, toute puissance lui ayant été donnée au ciel et sur la terre, et pour l'éternité. 

Or, tout prêtre qui, s'étant renoncé lui-même et offert à Dieu, porte en son cœur avec dévotion les mystères de la naissance, de la vie et de la Passion de Notre-Seigneur, est consacré à Dieu et uni au Christ, appelé et élu comme Aaron; car avec le Christ, il est mort en Dieu et ressuscité. Et c'est pourquoi il vit de Dieu, né à nouveau de l'Esprit-Saint, et le Christ lui donne sa puissance, pour qu'avec lui il porte les péchés du monde et en obtienne le pardon… Il n'appartient plus à lui-même, mais il est pour Dieu une offrande éternelle… Il se donne à nouveau aux mains de Notre-Seigneur Jésus-Christ car, sans le Christ, aucune offrande n'est agréable au Père céleste…" (Chapitre 93) 

      9-3-5-La poitrine du bélier, dite "de l’élévation" 

"Tandis qu'Aaron élevait l'offrande, Moïse la faisait surmonter de la poitrine du bélier, appelée pour cela la poitrine de l'élévation. C'est pour nous le signe que le cœur de tout prêtre, qui monte vers Dieu, au-dessus de toute chose, est rempli de la sagesse divine; car ce que nous pouvons offrir à Dieu de plus élevé et de plus noble, pour être tout entiers consumés dans son amour, c'est un cœur haut et libre, où règne la sagesse de Dieu… Nous apprenons en cela que toute puissance, tout honneur et toute sainteté viennent premièrement de Dieu, par l'intermédiaire du Christ et des hauts ministres de la sainte Église. C'est pourquoi le Christ, prince suprême, disait que sa doctrine n'était pas la sienne, mais la doctrine de celui qui l'avait envoyé…"  (Chapitre 94) 

      9-3-6-Le sang des victimes 

Ruysbrœck rappelle comment Moïse "prit le sang de la victime, versé sur l'autel et l'huile sainte, et en aspergea Aaron, ses fils et leurs vêtements; ainsi ils furent consacrés et sanctifiés en la présence de Dieu." Ruysbrœck en fait immédiatement application aux prêtres catholiques:  

"La réalisation de cette figure s'aperçoit en tout bon prêtre qui, renonçant à sa volonté, a immolé à Dieu son propre sang sur l'autel. Là intervient le Christ, notre pontife suprême, qui prend pour l'unir à ses mérites et à son sang précieux… la volonté immolée, tel le sang de la victime, en y ajoutant l'eau de sa grâce et les mérites multiples de tous les saints. Il en asperge la vie intérieure du prêtre, en sorte que les vêtements de ses bonnes œuvres en soient tout pénétrés… La sainteté du prêtre, en effet, ne doit pas seulement l'embraser intérieurement, elle doit aussi briller à l'extérieur.»  

Le Seigneur avait aussi ordonné de cuire tout ce qui restait de la chair du bélier et de la manger avec des pains azymes, devant les portes du tabernacle... "Par là nous apprenons que le bon prêtre, qui s'est offert à Dieu, est toujours docile dans l'accomplissement des bonnes œuvres et prêt à tout souffrir en vue de la gloire de Dieu… Il y ajoute le pain azyme, c'est-à-dire la vie humble de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son entière obéissance jusqu'à la mort…" (Chapitre 95)  

Et pour conclure Ruysbrœck ajoute: "Quelque saints que soient les prêtres, ils doivent toujours se reconnaître et s'avouer pécheurs et infirmes, et vivre en esprit de pénitence. Ils doivent aussi brûler d'amour de Dieu et être pleins de zèle pour les exercices de sainteté." (Chapitre 96) 

      9-3-7-La sanctification du peuple 

Quand la consécration d’Aaron et de ses fils fut achevée, il fallut procéder à la purification du peuple. On prit de nouvelles victimes, offertes par tout le peuple: un jeune taureau offert pour les péchés de tous; un bouc, pour les péchés du chef du peuple; un agneau pour les péchés de chaque âme. Ruybrœck explique: «Nous devons nous reconnaître toujours pécheurs et infirmes… Une vie pénitente et mortifiée vis-à-vis du péché, et tous, sans exception, y sont obligés, pape et évêques, moines et clercs, savants et ignorants est indispensable; car quiconque vit sans faire pénitence et sans mortifier sa nature, n'est pas un membre vivant de la sainte Église…»  

Après le sacrifice du jeune taureau, un bouc était offert pour les péchés du prince. Aaron le sacrifia. "Au sens spirituel, nous savons que c’est la volonté libre qui, à la manière d'un prince, commande toute notre vie et toutes nos œuvres... Si donc nous avons commis le péché mortel avec une volonté libre, nous devenons un objet de mépris et de dégoût à nos propres yeux… Nous devons alors nous présenter devant Dieu et devant le prêtre qui tient sa place, et nous offrir entre les mains du prêtre, disposés à faire et à supporter tout ce qui est utile à notre salut… Notre pénitence sanctifiée devient comme un sacrifice devant Dieu." (Chapitres 97 et 98) 

Aaron offrit ensuite un agneau pour les péchés des âmes, et en fit trois parts conformément au précepte divin. "Pour remplacer ce sacrifice, la sainte Église offre la mortification des sens et de la nature, à laquelle tous nous sommes tenus, étant tous pécheurs… Voulons-nous offrir à Dieu ce qui tient lieu d'un agneau, il nous faut alors être simples et dociles, écouter la voix de notre Mère la sainte Église, qui nous appelle à la pénitence et veut nous nourrir des sacrements, de la foi et de la sainte Écriture…" (Chapitre 99)  

Plus loin, au chapitre 106, Ruysbrœck précisera davantage. À propos de la graisse des reins de l’agneau, qui doit être brûlée, il écrit: "Dieu veut que nous lui donnions les reins, c'est-à-dire l'amour sensible, que nous ne devons exercer qu'à son égard. Pourtant c'est en son feu que cet amour doit brûler, car s'il n'était recouvert de la charité, par nature nous nous rechercherions nous-mêmes, en poursuivant en Dieu nos délices et notre bien-être. Et pour que nous lui appartenions entièrement, il veut que nous lui donnions aussi les rognons et la graisse qui les enveloppe, c'est-à-dire… toute occasion capable de nous attirer ou exciter à l'amour impur. Mais c'est à la divinité et à l'humanité de Notre-Seigneur qu'il faut donner l'amour de cœur et l'affection sensible, avec tout ce qui peut y être utile ou profitable: tels sont les rognons qu'il faut offrir en holocauste à l'amour divin. De la graisse également, il faut faire un holocauste d'amour… Le Seigneur dit dans l'Évangile de saint Luc de se ceindre les reins, par la chasteté, et de porter en main des lampes allumées, dans l'attente de Notre-Seigneur et Époux, qui viendra nous juger à l'heure de la mort. Que chacun donc veille sur lui-même et garde sa règle, son ordre et ses vœux: la voie de la vie éternelle est étroite et le jugement de Dieu est proche..." 

Curieusement, ce qui chez lui est assez rare, Ruysbrœck aborde le cas des simples chrétiens: "Quant à ceux qui se sont unis légitimement devant la sainte Église, ils peuvent accomplir ce que Dieu et la sainte Église leur permettent, dans la mesure où la raison et l'honnêteté naturelle les y autorise…" (Chapitre 106) 

9-4-Le sacrifice du Christ 

      9-4-1-La Passion du Christ 

Ruysbrock va s’attarder sur le sacrifice du Christ en relisant les textes évangéliques. Mais il ajoute: "De plus il souffrit de multiples peines intérieures et extérieures que nous ignorons, et qui n'ont pas été décrites…" Donc il n’insiste pas mais précise que "la sainte Église doit  chaque jour offrir à Dieu en son sacrifice, notre agneau à tous, le Christ Jésus, avec sa Passion et sa sainte mort, sous peine de n'être plus agréée de Dieu…"  

Ruysbrœck, revenant aux divers sacrifices d’animaux que Moïse, Aaron et leurs successeurs durent accomplir, écrit que "c'est au moyen de cette figure que les juifs célébraient d'avance l'anniversaire de la mort future du Seigneur, dont nous célébrons maintenant la mémoire… Et la mort du Christ devait remplir le monde de grâces et de tous les fruits spirituels…

Le Christ, descendu du ciel nous a annoncé que Dieu est prêt à pardonner tous nos péchés, pourvu que nous mettions en sa mort notre espoir et notre confiance… En effet, le Christ offrit ce sacrifice pour lui-même et pour sa maison, portant volontairement les péchés de nous tous, et celui qui ne connaissait point le péché, s'est fait péché à cause de nous… Nous devons donc faire particulièrement pénitence au jour où le Christ a voulu souffrir pour nous; il nous faut aujourd'hui prier et jeûner pour ceux qui sont en état de péché mortel, pour nous-mêmes et pour tous ceux qui languissent en purgatoire…" 

Ruysbrœck revient au récit de la Passion, et rappelle "que c'est par le Saint-Esprit et par sa propre volonté libre qu'il versa son sang et qu'il souffrit. La Passion extérieure acheva pour la gloire éternelle de Dieu l'œuvre intérieure du Christ..."  

      9-4-2-Comment nous devons vivre la Passion du Christ 

Ruysbrœck pense qu’il nous est profitable d’estimer ce qui nous excite à servir le Seigneur. Aussi revient-il sur les sacrifices offerts par Aaron et ses successeurs avec le peuple juif. Nous ne nous y attarderons pas, mais nous insisterons plutôt sur le sacrifice du Christ et de ses successeurs, "car il l'emporte en noblesse sur les anciens sacrifices autant que la réalité l'emporte sur la figure… Quand Aaron et Moïse entrés dans le tabernacle pour y prier en sortirent pour bénir le peuple, la gloire divine se manifesta devant tous, car Dieu envoya le feu du ciel, qui dévora toutes les offrandes déposées sur l'autel… À cette vue tous les assistants tombèrent la face contre terre, reconnaissant dans ce signe que leur sacrifice lui avait été agréable…" 

      9-4-3-Le sacrifice des pauvres  

Plus tard, dans le culte des hébreux, les pauvres étaient si pauvres qu’ils ne pouvaient pas offrir un agneau. La Synagogue les a donc autorisés à offrir, pour leurs péchés, deux tourterelles ou deux jeunes colombes.  

Si nous aussi, nous sommes devenus trop pauvres, à cause de nos négligences, et donc incapables de nous offrir à Dieu avec la patience, la simplicité et l'ardent désir pour Dieu que nous devrions avoir, si nous sommes sans pouvoir sur notre sensibilité, si nous sentons la violence des pensées mauvaises et les images impures, nous devons "fuir à l'intérieur et chercher les tourterelles sur les cimes des montagnes dans le désert, là où elles ont coutume d'habiter… La première tourterelle est un regard raisonnable éclairé par Dieu et un amour de toute justice; la seconde, un regard sans image et la consommation dans l'unité par le feu de l'amour Ces deux tourterelles sont offertes, la première pour les péchés de l'âme, la seconde en holocauste à la gloire de Dieu."  (Chapitre 100) 

Selon Ruysbrœck, les tourterelles étaient rares dans les régions où vivaient les Hébreux; en conséquence, la loi divine permettait l’offrande de deux colombes, l'une pour les péchés, l'autre en holocauste à la gloire divine. "La première colombe signifie le mépris et la haine du mal; l'autre le désir et l'amour des vertus. Ces deux colombes doivent être d'intention simple et pure envers Dieu, patientes dans la souffrance, et sans fiel, c'est-à-dire ne voulant ni blesser ni affliger personne…" (Chapitre 101) 

Ruysbrœck poursuit, car il y avait aussi des pauvres si pauvres qu’ils ne pouvaient même pas se procurer des colombes. Ils étaient donc autorisés à n’offrir, pour les péchés, que le dixième d'un ephi de farine[10]. Ruysbrœck écrit: "Chaque pécheur, quelque pauvre qu'il soit, doit donc offrir, pour ses péchés, la dixième partie de cette mesure de farine. La dixième partie de toute la loi et de toutes les Écritures, c'est la foi, l'espérance et la charité, que chaque pécheur, quelque pauvre qu'il soit, doit offrir à Dieu et à la sainte Église, sous peine de ne pas recevoir la rémission de ses péchés…"  

Ruysbrœck poursuit: "Chez les juifs, le sacrifice pour le péché devait toujours précéder l'holocauste, sacrifice pour le salut, que le feu devait consumer tout entier… Donc, la première chose que le pécheur doit donner au prêtre, c'est son inclination naturelle innée à la vertu et aux bonnes œuvres…" mais seulement quand l'amour de Dieu aura expulsé le péché. (Chapitre 102)  

D’où la comparaison avec la Sainte Église: "De même que la sainte Église s'abaisse par l'humilité et la pénitence, à cause des péchés, de même elle s'élève vers Dieu par l'amour et la louange éternelle. L'humble abaissement toutefois de la pénitence doit précéder, car quiconque s'abaisse sera élevé, dit le Seigneur… Dans cette libre ascension, c'est tout le corps de la sainte Église qui est offert en holocauste d'amour… Nous sommes tous un avec cette oblation, lorsque librement nous nous offrons à Dieu, par les mains du prêtre, dans le service de la sainte Église… De là provient une adhésion amoureuse, par laquelle tout ce qui est en nous est purifié de tout défaut…" (Chapitre 103) 

Ruysbrœck, dans sa contemplation se plaint cependant: "Mais le monde ne peut en faire autant, ne s'étant pas offert à Dieu: aussi n'est-il pas élevé au-dessus du sensible jusqu'en la paix du Seigneur, qui dépasse tous les sens et que Dieu accorde aux amis qui lui sont unis." (Chapitre 104) 

"Nous devons demeurer sous l'autorité des prêtres, jeûner et observer les fêtes… et être soumis à la sainte Église, aux sacrements et à toutes les bonnes coutumes de la sainte chrétienté. Nul, en effet, ne peut atteindre une contemplation et un amour si sublimes, qu'il puisse se diriger selon sa propre raison, sans obéir à ses supérieurs, à sa règle, à ses vœux, et à toutes les choses auxquelles l'honnêteté et la vertu l'obligent…" (Chapitre 103) 

9-5-La primitive Église 

Le Christ dut préparer longuement ses apôtres avant de les ordonner, mais ce n’est qu’après l’Ascension, par le jeûne, la veille et la prière, qu’ils devinrent un sacrifice digne de Dieu, aptes à recevoir le feu céleste, c'est-à-dire le Saint-Esprit. C’est sur la montagne de Sion, où Moïse avait déjà reçu la loi des préceptes, qu’ils furent tous remplis du Saint-Esprit et reçurent la loi nouvelle. C'est-à-dire, dit Ruysbrœck, "l'amour sans mesure que reçurent les apôtres et qui les remplit avec surabondance, les faisant s'épancher en toutes les vertus…" Et les apôtres jusqu’alors si poltrons se mirent à prêcher et à faire de nombreuses conversions.  

Aux premiers convertis qui avaient accueilli les parole de saint Pierre et qui lui demandaient ce qu’ils devaient faire, Pierre répondit: "Faites pénitence, et que chacun se fasse baptiser au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit, et vous parlerez en toutes les langues comme nous le faisons." Ce jour-là, ils furent environ trois mille à être baptisés.  

Tous persévérèrent et  devinrent un sacrifice agréable à Dieu. "Tous les jours les apôtres rompaient pour eux le pain vivant du Sacrement, et pourvoyaient à leurs besoins corporels, car tout étant mis en commun, personne n'avait rien en propre… Et tous étaient un de cœur et d'âme, et leurs volontés s'unissaient dans la charité. C'est là le feu que le Christ a envoyé sur la terre et qui doit brûler éternellement. Mais nous devons l'entretenir et l'alimenter de vertus, comme les juifs alimentaient de bois sec le feu que Dieu leur avait envoyé…" (Chapitre 116) 

9-6-Digression sur les prêtres de l’Église 

Ruysbrœck revient à l'Église de son temps: "Nous devons appartenir tout entiers à Dieu, et nullement à nous-mêmes. C'est le devoir en particulier de ceux qui vivent en religion et qui se sont promis l'obéissance à leurs supérieurs et se sont engagés à ne rien avoir ou posséder en propre… Ceux qui violent ces engagements, bien qu'ils continuent à vivre dans le corps, meurent dans l'âme, parce qu'ils sont séparés de toute sainteté."  

Après avoir fustigé tous ceux, prélats ou prêtres, qui poursuivent plus les honneurs du monde que la gloire de Dieu et le salut du peuple, Ruysbrœck ne craint pas d’affirmer "que les hommes sans culture, qui vivent pour Dieu, ont bien plus de sagesse que les savants qui vivent pour le monde et la chair… Pourtant, ce sont eux, les prélats, les prêtres et les docteurs qui devraient se tenir prêts à recevoir la sagesse de Dieu, car c'est à eux qu'incombe le devoir de porter le fardeau de la sainte Église aussi bien par leur vie que par leur doctrine. Le Christ leur a confié son héritage, tant spirituel que temporel, pour qu'ils le distribuent à chacun selon ses besoins. Ils sont appelés, en effet, à être les intermédiaires entre Dieu et son peuple, non seulement par les sacrements et la vertu qui vient de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais aussi par leurs propres sacrifices et prières, et par tous les biens qu'ils ont reçus de Dieu." (Chapitre 116) 

"Le prêtre chrétien offre Jésus-Christ, l'agneau innocent, humble, obéissant et patient, qui a souffert, qui a versé son sang et qui est mort par amour, pour effacer les péchés du monde. Or, ce sacrifice réunit en soi toute la vie de la sainte Église, et au-dessus de ce sacrifice il n'y a rien que Dieu, car le Christ est Dieu avec Dieu, et avec tous les siens il vit de Dieu et retourne vers Dieu… L'oblation de ce sacrifice est, pour les bons prêtres, vie et nourriture intérieure car il embrasse tous ceux qui plaisent à Dieu, tandis que ceux qui n'entrent pas dans ce sacrifice restent en dehors de la grâce divine. Que chacun donc s'éprouve soi-même et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice, car quiconque offre ce sacrifice de façon purement extérieure ou mange et boit sans goût intérieur, n'atteint pas non plus à la réalité." (Chapitre 100) 

Ruysbrœck resta longtemps attaché à la cathédrale sainte Gudule de Bruxelles. Il fut dont amené à rencontrer fréquemment de nombreux responsables de l’Église: prélats, abbés de monastères, et de nombreux prêtres. Est-ce la conduite de ces prêtres qui l’obligèrent à écrire ce qui suit? "Vous pouvez reconnaître que beaucoup de prêtres aujourd'hui se laissent aller à l'intempérance et livrent leur âme à la mort. Car la vérité que le Christ a enseignée comme Moïse, ils ne veulent ni la connaître, ni la vivre, ni l'enseigner; leur orgueil, leur avarice, leur gourmandise et leur impureté les rend comme ivres et hébétés, au point de ne plus goûter aucune vertu."  

Et encore: "Voilà qu'aujourd'hui on trouve nombre de prêtres qui, bien qu'impurs de corps et d'âme, et malgré leur indignité, ont, devant Dieu, la présomption et l'audace de consacrer le corps très pur du Seigneur, de toucher de leurs mains souillées le saint Sacrement et d'offrir ce sang précieux qui fut répandu pour les péchés du monde. Puis ils l'absorbent en leur gosier impur et souillé, comme si cela leur appartenait et qu'ils en fussent dignes. Hélas! quelle honte devant Dieu et devant le monde entier… 

La sainteté que le Christ et les premiers prêtres avaient acquise par leur vie et leur sang, les mauvais prêtres d'aujourd'hui la détruisent par leurs péchés honteux, car ils sont cause de confusion et de scandale pour le monde. Si, au début de la sainte Église, l'ombre de saint Pierre guérissait tous les malades qu'elle atteignait, aujourd'hui c'est l'odeur fétide des péchés et le mauvais renom des prêtres impurs qui rendent beaucoup d'hommes malades en leur âme, au point même d'en faire mourir quelques-uns dans le péché. Mais dès lors ils doivent s'attendre à être livrés à la confusion éternelle, avec tous les démons, dans l'abîme de l'enfer. Car il est juste qu'ils demeurent à jamais dans les tourments avec ceux dont ils ont été les esclaves au temps où ils avaient la grâce et où ils auraient dû se mettre au service de Dieu.  

Ruysbrœck s'interrompt brusquement pour aborder des sujets plus édifiants. Il écrit: "Mais parlons maintenant des bons prêtres d'aujourd'hui, sans plus nous occuper des mauvais." (Chapitre 116) 

Reprenant son enseignement, il rappelle que Saint Paul nous enseigna que Dieu envoya son Fils, né d'une femme, établi sous la loi, afin de racheter tous ceux qui étaient sous la loi. "Car selon la naissance corporelle de Marie, sa Mère, il voulut se soumettre à la loi, nous enseignant que tous les hommes doivent nécessairement obéir et être soumis à la loi divine et à la sainte Église. Ainsi établis dans l'obéissance, les plus élevés sont les plus humbles et les plus humbles les plus élevés" 

Mais attention! Ruysbrœck nous met en garde: "Jamais cependant nous ne devons obéir en matière de péché ni contre les préceptes divins: mais il faut honorer et révérer la puissance que Dieu a donnée aux prêtres et aux prélats. Ainsi nous obéissons toujours plus à Dieu qu'aux hommes, à qui nous devons être soumis pour Dieu et à cause de son nom. Pour cette raison le Christ, le Fils de Dieu… a voulu obéir à Caïphe et à Pilate, qui à ce moment représentaient l'autorité de la loi juive.

Dieu permit que le Christ fût condamné par eux à la mort; et le Christ, obéissant et se soumettant à leur volonté, leur présenta l'épaule droite sur laquelle fut posée la lourde croix en elle il porta les péchés de nous tous qui serons sauvés...»   (Chapitre  107)

 

10
Le Saint Sacrement

 

Nous sommes toujours dans le cadre de ce que Ruysbrœck appelle le cinquième degré de la course spirituelle. Parfois nous avons l'impression qu'il s'éloigne beaucoup de son sujet en s'étendant sur les dons du Saint-Esprit qu'il a déjà traités ailleurs et à plusieurs reprises, ou en développant les articles de notre foi, ce qui nous semble hors du sujet à cet endroit. Après avoir décrit avec beaucoup de détails la liturgie et les sacrifices pratiqués par le peuple juif suivant les préceptes donnés par Moïse, après avoir établi une comparaison entre Moïse et le Christ, s'être longuement penché sur la consécration des prêtres dans l'ancien et le nouveau Testament, et énuméré les défauts que les prêtres et les prélats devraient absolument éviter, Ruysbrœck va s'attarder, avec juste raison, sur le sacrifice du Christ et sur le Saint-Sacrement: l'Eucharistie. 

10-1- Les pains de proposition[11] 

Nous savons, nous dit Ruysbrœck, "que, dans l'histoire figurative, Moïse avait reçu l'ordre de veiller à ce que des pains fussent toujours placés sur la table dans le tabernacle, devant le lieu de la présence divine. Dans la sainte Église le Christ a fait de même. Il a placé sur la table de notre charité des pains vivants du ciel, à savoir son corps très saint, sa Passion et sa mort, ainsi que sa vie glorieuse avec tous ses mérites. C'est là notre aliment spirituel aussi bien pour le temps présent que pour l'éternité... Ces pains devaient être d'une blancheur éclatante, faits de farine de froment très pur, et sans mélange de levain. C'est bien la figure du corps très saint de Notre-Seigneur, car il était innocent et pur dans l'état de la grâce, et aujourd'hui, dans la gloire, il est d'une clarté resplendissante. Il a été fait de cette fleur très pure qu'est la Vierge Marie; et il a été préservé du levain de l'orgueil dans les honneurs, ainsi que de tout défaut et de toute corruption. (Chapitre 118) 

Remarque: Les dîmes[12] 

Ruysbrœck rappelle que les pains de proposition étaient payés par le dixième des dîmes versées par le peuple aux prêtres. En ce qui nous concerne, si nous voulons nous unir au Christ, "il nous faut donner les dîmes de tous nos fruits, aussi bien temporels que spirituels, extérieurs qu'intérieurs reconnaissant ainsi, comme il est de notre devoir, que tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons ou pouvons faire, nous vient entièrement de sa grâce..."  

Nous offrons à Dieu nos dîmes par les mains des prêtres, intermédiaires entre nous et Dieu. "Le Christ lui-même a payé les dîmes par son obéissance jusqu'à la mort à cause de nous. Il s'est offert à son Père céleste en se livrant aux mains de mauvais prêtres, ses ennemis..." (Chapitre 119) 

10-2-L’Agneau de Dieu 

Ruysbrœck se souvient de "l'agneau pascal, figure de notre sacrement de l'autel que nous célébrons aujourd'hui et dont nous sommes nourris spirituellement dans la vie présente et pour l'éternité. Le Seigneur nous l'a laissé, comme testament, au moment d'aller à la mort, le donnant pour chacun de nous en particulier et pour tous ensemble, comme le marquait déjà la figure prophétique..." Ceci est si vrai, "qu'avant de consentir à se laisser saisir, le Seigneur fit préparer un repas qu'il devait partager avec ses disciples et qui serait sa pâque à lui: ainsi mangèrent-ils la pâque telle que l'ordonnait la loi... Il donna donc à ses disciples l'agneau pascal, qui était pour nous tous, c'est-à-dire sa chair et son sang et sa vie innocente..." (Chapitre 120) 

10-3-Comment manger l'Agneau de Dieu 

Ce n'est pas tout: "Nous devons encore tremper l'hysope dans le sang de l'agneau. L'hysope est une petite herbe qui croît dans le creux des rocs et qui guérit chez l'homme l'inflammation du poumon. Cette petite herbe c'est le Christ dans son humilité, enraciné dans le roc de la divinité: si nous voulons le regarder, alors même que nous serions enflés d'orgueil, nous serons guéris... Ainsi tous ceux qui confessent le Christ et le suivent par la pénitence, le goûtant à l'intérieur, sont gardés de péchés graves... Les juifs devaient aussi "manger l'agneau avec du pain azyme et des laitues sauvages[13]. Il nous faut donc une foi ferme, constamment et simplement unie à son objet..."  (Chapitre 120)  

Au chapitre 107 du Tabernacle Spirituel, Ruysbrœck avait rappelé que le Christ avait inauguré la première messe. En prenant le pain et le vin, en les bénissant et les consacrant en sa chair et en son sang, Il se donna lui-même à ses disciples comme un agneau vivant. Il se fit ainsi la nourriture de l’âme de tous ceux qui professent la foi chrétienne... "Ceux qui la reçoivent, goûtent la vie éternelle… mais ceux qui le mangent seulement de bouche et n'en font pas la nourriture de l'âme, demeurent dans la mort et mangent leur propre condamnation…"  (Chapitre 109)  

"Dans le sacrement du Christ, la substance et la nature du pain sont changées en la substance et la nature du corps de Notre-Seigneur; et la nature du corps de Notre-Seigneur est là... et cette même nature est unie à l'âme, à la personne du Verbe et ainsi à la divinité. Aussi quand nous recevons la substance du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, recevons-nous par concomitance tout ce qu'il est selon la divinité et selon l'humanité...  

Selon sa divinité, il est partout sans occuper de place, et c'est ainsi qu'il est dans le sacrement. Car, si l'hostie occupe un lieu, le corps du Seigneur est là d'une façon non locale; et pour cette raison il est en chaque hostie et en chaque partie d'hostie, entier et indivisé. Ainsi quant au lieu, quant à la vue et à la compréhension des sens, son corps est toujours et immuablement dans le ciel; mais par la consécration, il est partout où consacrent les prêtres, et chaque homme le reçoit tout entier, et tous les hommes ensemble ne reçoivent pas plus qu'un seul, car il reste indivisé..." (Chapitre 120) 

Il était donc normal que Ruysbrœck s’arrêtât pour contempler plus longuement le Christ nous donnant le Saint-Sacrement. Il écrit encore: "Si avec tous les hommes de bien nous voulons manger cet agneau divin pour notre salut, il nous faut méditer sa passion, son amour et sa mort, les offrant chaque jour à notre Père céleste, avec tous les sacrifices de la sainte Église…  Le Christ, notre pontife, voulant se donner à tous en nourriture, comme notre véritable agneau… sentit son cœur devenir brûlant, et il dit à ses disciples: 'J'ai désiré d'un grand désir de manger cette pâque avec vous.’  Alors prenant le pain et le vin, il rendit grâces à son Père céleste et il les consacra en notre Sacrement... Ainsi, par la vertu de cet aliment, notre vie devient spirituellement une seule vie avec la sienne, ce qui est le fondement de toute sainteté…  

Il faut considérer ensuite comment le Christ, notre pontife, se tint devant la justice divine, lorsqu'il alla se livrer et se laisser immoler comme notre agneau à tous. Dans sa nature sensible, il fut saisi de crainte et d'épouvante, et il dit à ses disciples: ‘Mon âme est triste jusqu'à la mort’ Puis s'éloignant de ses apôtres il pria son Père céleste de lui épargner, si c'était possible, le calice de la passion: sa nature, en effet, se raidissait devant la mort amère qu'il devait subir, et qu'il savait être décrétée depuis le commencement du monde…" (Chapitre 110)  

Mais Jésus-Christ obéit, et par son humble obéissance il vainquit tous les serpents de l'enfer. D’une volonté forte il s'offrit volontairement à la mort en disant au Père: "Que votre volonté se fasse, et non la mienne…"  

Judas, le traître, à la tête des soldats, pouvait venir pour se saisir de lui. (Chapitre 111) 

10-4-Qui peut manger l'Agneau pascal? 

Ruysbrœck poursuit son étude sur l'Eucharistie et passe maintenant à des questions plus pratiques. Il donnera ainsi quelques règles importantes, notamment à propos des personnes pures et impures. 

Le problème de ce qui est pur ou impur revient en effet sans cesse dans la loi juive. Cela peut nous surprendre, mais Ruysbrœck rapporte chacune des règles qu'il énonce aux obligations chrétiennes. Par ailleurs, il convient que les lecteurs d'aujourd'hui considèrent les conditions de vie de l'époque: les nomades qui suivaient Moïse ne vivaient pas comme les religieux du XIVème siècle et encore moins comme les citadins du XXIème siècle; souvent des questions d'hygiène, voire d'écologie, se cachaient sous des règles de pureté légale.  

Cependant, pour Ruysbrœck, tout devient spirituel. Ainsi, à propos d'une citation de la loi juive, il écrit: "Celui qui est impur ou incirconcis ne mangera pas de cet agneau[14]. Cela veut dire que tous ceux qui vivent en péché mortel, ou qui ne sont pas baptisés ne peuvent s'approcher du sacrement. De même quand le Seigneur ordonnait aux Hébreux 'd'avoir les reins ceints, les chaussures aux pieds et des bâtons en main', cela signifie que nous devons être purs d'âme et de corps, élever tous nos désirs vers les choses célestes, et fouler aux pieds tout ce qui est de la terre..."  

De même, pour Ruysbrœck, "ne rompre ni briser aucun des os de l'agneau pascal, c'est vouloir tout ce que veut le Christ, et souhaiter que sa volonté s'accomplisse dans nos œuvres en toute circonstance, sans changement, amoindrissement ni lésion quelconque."  

Et encore: "Si le Seigneur défendait de jeter la chair de l'agneau, cela veut dire qu'on ne doit donner le saint sacrement ni à un excommunié, ni à un infidèle, ni à qui que ce soit, qui d'une façon ou d'une autre serait en dehors de la communion de la sainte Église... Nous mangeons notre agneau pascal avec du pain azyme, c'est-à-dire le corps du Seigneur avec toutes ses œuvres saintes. Et nous devons continuer cette manducation par la méditation constante de notre nourriture spirituelle. C'est ce que le Seigneur nous ordonne dans la figure de l'ancien précepte: manger pendant sept jours du pain sans levain, c'est méditer tous les jours de notre vie sur les œuvres pleines d'humilité du Christ, sur sa sainte Passion et sa mort amère..."  (Chapitre 121) 

10-5-Comment honorer le Saint-Sacrement 

      10-5-1-Les sept lampes 

Ruysbrœck rappelle que "dans le tabernacle des juifs, brûlaient sept lampes pendant la nuit et trois pendant le jour. Pour nous, dans la sainte Église, il y a aussi sept lampes qui brûlent, dans l'état de grâce, et trois, là-haut, dans l'état de gloire. L'état de grâce, en effet, est comme la nuit… nous vivons à la lumière de la foi chrétienne, et il nous est nécessaire que toutes les lampes brûlent et éclairent, afin que nous puissions entrer dans la claire vision de Dieu que nous comparons à la clarté du jour… là où brûleront éternellement… dans l'humanité du Christ et en tous ceux qui lui appartiennent, les trois lampes inférieures. La première lampe est la sainte crainte de Dieu… la deuxième est la fidélité mutuelle et la piété que chacun aura envers les autres et la troisième est la connaissance distincte de toutes choses… 

Les quatre autres lampes nous dirigent ici-bas et nous élèvent vers Dieu…" Ces lampes sont les dons de Dieu qui demeureront éternellement dans nos âmes. Ruysbrœck les compare aux dons du Saint-Esprit: "La quatrième lampe est le don de force, qui nous fait combattre et vaincre toutes choses. Quand nous aurons terminé le combat et remporté la victoire, les armes ne nous serviront plus… mais nous demeurerons pour notre gloire éternelle, avec tout ce que nous aurons obtenu par leur moyen. Car, lorsque vient ce qui est parfait, nous laissons de côté ce qui est inachevé… Le don de force nous fait lutter pour nous permettre… d'obtenir de nous unir au Christ dans la gloire divine. 

Le don de conseil nous apprend à écarter et mépriser toutes choses, afin d'être élevés par dessus tout jusqu'à l'union avec Dieu... Par le don d'intelligence nous obtenons la connaissance, comme en un miroir… ensuite nous verrons le Fils de Dieu face à face et le connaîtrons comme nous sommes connus… La septième lampe est le don de sagesse, qui nous donne dès maintenant la connaissance et la saveur d'une petite goutte de la bonté divine, goutte qui est si douce, qu'elle l'emporte sur toute consolation du monde et sur tout ce qui ne ressemble pas à Dieu…  

Les sept lampes dont le Christ a orné la sainte Église, brilleront et brûleront éternellement en la société des saints, c'est-à-dire dans tous les rangs et dans tous les degrés de gloire et de louange, là où raison et charité doivent connaître et aimer par opérations distinctes. Mais là où les saints sont élevés dans la vision intuitive, au-dessus de la raison, la clarté est si immense, que toutes les lampes devront pâlir et le céder devant la transcendance du Soleil de justice. Recueillons donc de l'huile pour nos lampes..."  (Chapitre 112) 

      10-5-2-Honorer nos prêtres 

Ruysbrœck écrit: "Le Christ est le premier prêtre qui ait posé, sur la table de notre charité, le pain céleste, son corps glorieux, donné en nourriture éternelle. Dans les saints mystères cette fonction est renouvelée par les prêtres, oints et consacrés en son honneur... Il est le pain sacerdotal, le pain de proposition qui repose sans interruption sur la table de notre charité, devant la présence divine. Tous ceux que la grâce divine a oints et consacrés, sont prêtres selon l'esprit; dès lors il leur appartient de placer ce pain sur la table intérieure de la charité aussi bien que de s'en nourrir. Sanctifiés, ils entrent dans le tabernacle, et là, ils posent la Passion et la sainte mort du Christ en oblation devant Dieu. Et le Christ lui-même devient leur nourriture et leur boisson, lui qui est la sainteté de tous les saints...  

Il s'est donné à nous et demeure avec nous dans le saint Sacrement entre les mains des prêtres, en souvenir de sa Passion, de son amour et de sa mort. Nul ne peut s'ingérer dans le ministère sacerdotal, qui n'y soit ordonné de la part de Dieu et de la sainte Église... C'est pourquoi l'on doit honorer le sacerdoce plus que tout autre état au ciel ou sur la terre, et si quelqu'un le méprise, il méprise le Christ et ses apôtres, avec tous les saints qui ont été prêtres et qui maintenant sont avec le Christ dans la gloire. Et les meilleurs hommes qui soient sur la terre et qui peuvent le plus auprès de Dieu par leurs prières, sont les prêtres en qui Dieu se complaît..." (Chapitre 119) 

10-5-3-Les fruits du Saint-Sacrement 

Ruysbrœck énumère douze fruits liés au Saint-Sacrement:     

      – "Le premier fruit est la charité envers Dieu et envers tous les hommes.

      – Le deuxième est une joie intime et toute divine que personne ne peut nous enlever.

      – Le troisième est la paix de Notre-Seigneur, que nul ne peut déconcerter ni troubler.

      – Le quatrième fruit est la patience que nul ne peut mettre à bout par des afflictions.

      – Le cinquième est la longanimité: une âme constante sait supporter toute souffrance et toute contrariété.

      – Le sixième fruit est la bonté, qui n'admet pas de malice.

      – Le septième, la bénignité, qui est disposée à toutes les vertus et qui n'abandonne personne dans ses nécessités.

      – Le huitième fruit est la mansuétude qui supporte toutes choses avec égalité, sans irritation et qu'aucune contrariété ne peut chasser de l'homme.

      – Le neuvième fruit est la foi, vrai fondement de toute vertu et de toute sainteté...

      – Le dixième fruit c'est la modestie qui donne à l'homme une maturité pleine de discrétion à l'extérieur et une âme bien tranquille à l'intérieur...

      – Le onzième fruit est la continence...

      – Le douzième fruit de l'esprit est la chasteté, un cœur élevé qui médite la Passion de Notre-Seigneur, en porte l'image et en est tout pénétré; ou encore un entendement entièrement dépouillé, que Dieu vient illuminer lui-même et remplir de clarté céleste. 

Ce sont là les douze fruits que nous recevons, lorsque nous nous donnons tout entiers à Dieu et recevons le sacrement avec grande révérence." 

Ruysbrœck rapproche ces quelques données des figures données dans le Lévitique. Il écrit: "De cela nous avons une figure au Lévitique, le livre des sacrifices, là où il est dit que le Seigneur donna aux juifs la distinction des aliments purs et des aliments impurs, parmi les divers animaux, les poissons et les oiseaux... Mais ce qui était commandé aux juifs de faire corporellement, nous devons l'accomplir spirituellement car Dieu veut que nous soyons nourris du dehors par les bonnes œuvres extérieures, au dedans par la dévotion et les exercices intérieurs, et au-dessus de nous-mêmes par une adhésion contemplative à Dieu... 

Les animaux signifient la vie active, en laquelle nous vivons selon les préceptes de Dieu. Ensuite, par la vie intérieure, nourris de recueillement, nous nageons avec les poissons dans les eaux de la grâce, où nous goûtons Dieu et ses dons multiples. Enfin, nous sommes nourris de la vie contemplative, lorsque nous volons avec les oiseaux, au-dessus de notre entendement dans l'air de la clarté divine..." (Chapitre 122)

 

11
À propos des aliments purs et impurs chez les juifs
 

 

Ayant été dans l'obligation de parler de la pureté nécessaire aux prêtres qui consacrent le pain et le vin de l'Eucharistie et à ceux qui reçoivent le Corps du Christ, et vue l'importance des questions de pureté légale chez les juifs, Ruysbrœck ne pouvait pas ne pas parler de leur façon de s'alimenter. Nous savons que la loi juive interdisait la consommation de certains aliments dits "impurs". Seuls les aliments purs pouvaient être consommés. Pour Ruysbrœck, cela signifie "que, pour être nourris spirituellement, nous devons, revenir sans cesse sur la raison de nos bonnes œuvres... Nous nous mettrons donc volontiers aux bonnes œuvres extérieures, que Dieu a enseignées et prescrites depuis le commencement du monde... Elles nous ouvrent le royaume des cieux et nous unissent à Dieu... De plus en accomplissant des bonnes œuvres, nous obéissons à la sainte Église, nous croissons en vertu et obtenons plus grande récompense éternelle... Nos œuvres seront pures si nous y cherchons en même temps la gloire de Dieu et l'utilité et le salut des hommes. Si donc nous croyons, dans nos œuvres, viser la gloire de Dieu, tout en négligeant notre prochain, l'œuvre est impure..." (Chapitre 123) 

11-1- Les animaux impurs 

Poursuivant son explication des obligations rituelles du peuple juif, en matière d'alimentation, obligations qu'il considère comme des "figures" pour le monde chrétien, Ruysbrœck, avant de passer aux sixième et septième degré de la vie spirituelle, établit la liste détaillée des poissons et des oiseaux présentés comme purs et impurs. Nous ne nous y attarderons pas, mais renvoyons le lecteur aux chapitres 124 à  144. Nous signalons cependant quelques points qui nous semblent plus importants. Ainsi: 

      11-1-1-Les nageoires et les écailles des poissons 

– Ruysbrœck compare les nageoires des poissons aux quatre façons dont notre puissance aimante doit se mouvoir: "vaincre la volonté propre, aimer Dieu, résister aux désirs de la nature et acquérir la vertu..." De même considérant les écailles, il écrit: "Les écailles brunes nous enseignent que nous devons revêtir notre exercice de pensées d'humilité, que nous devons nous souvenir de nos péchés et de nos retards dans la vertu, de l'humilité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa Mère, de toutes les choses qui nous pourraient rendre humbles et modestes. Nous devrons aimer la pauvreté et le mépris, aimer à être ignorés et peu estimés du monde entier: c'est là la couleur brune...  

Les écailles rouges signifient que nous devons nous souvenir que par amour le Fils de Dieu a été torturé pour nous: nous porterons donc sa Passion en notre mémoire... L'ornement des écailles vertes signifie que nous devons porter notre souvenir et notre attention sur la vie des confesseurs et de tous les saints; voir comment ils ont méprisé le monde et par quelles œuvres admirables et de combien de manières ils ont rendu leur culte à Dieu et l'ont servi: c'est la couleur verte qui attire et réjouit les cœurs aimants et les yeux qui voient...  

Enfin notre exercice intérieur aura comme des écailles blanches, si nous élevons nos regards vers la pureté des vierges... Elles ont mérité de porter la couronne d'or et de suivre l'Agneau qui est le Christ, en chantant le cantique nouveau que nul ne peut chanter que ceux qui conservent la pureté d'âme et de corps..." (Chapitre 124) 

      11-1-2-Les oiseaux impurs 

Ruysbrœck rappelle qu'il existe "des hommes de nature plus élevée et plus délicate qui ne se contentent pas de poissons, mais désirent en outre des viandes et volatiles divers. Par là on entend les exercices de contemplation surnaturelle, que nul ne peut pratiquer, s'il n'est homme de vie intérieure et dévot..."  

Pensant certainement aux victimes des sectes du Libre esprit, Ruysbrœck indique: "Celui qui veut arriver à une vraie contemplation sans crainte de s'égarer, doit considérer les diverses espèces d'oiseaux impurs dont je vais vous parler: 

– Le premier oiseau que le Seigneur interdisait aux juifs comme aliment, était l'aigle, le roi de tous les oiseaux qui vole le plus haut de tous et fixe sans sourciller la clarté du soleil... Celui qui, dans son recueillement, peut se dépouiller de toute image... et qui sait élever son âme à un vide absolu est comme un roi dans la nature au-dessus des autres hommes: il vole dans les régions les plus hautes que puisse atteindre la nature... il fixe la simple vérité... d'un regard simple et sans détour, qui lui permet de contempler la vérité sans arrêt ni défaillance. Mais, c'est là chose si plaisante à la nature, que cet homme n'a que mépris et dédain... pour tout exercice de la raison... Et s'il descend de ces hauteurs, il devient orgueilleux et mauvais, impatient et hautain en ses paroles... 

Tout homme vertueux aime l'acte de raison qui s'incline devant la foi et la vérité première... comme le font les saints de la sainte Église. Dans son ascension il s'élève au-dessus de lui-même et de toutes les tentations... et en même temps il est si doux et si humble de cœur qu'il réjouit tous les bons qui l'approchent." (Chapitre 125)

– Celui qui ressemble à l'orfraie[15], "est un hypocrite qui paraît humble et petit aux yeux des hommes, mais qui tend au loin vers tout ce qui lui paraît louange et estime pour son extérieur vertueux... Il habite dans la mer de l'inconstance, et il se nourrit de poissons c'est-à-dire des louanges du monde si changeant. "

– Comme le milan qui dévore les petits des autres et se nourrit de déchets, il existe des hommes qui, remplis d'un désir naturel de vie spirituelle, sont plus soucieux de la lettre plus que de l'esprit... et demeurent toujours aux rudiments de la connaissance spirituelle... Ils se complaisent et cherchent leur repos en eux-mêmes, vivant d'une vaine complaisance en eux-mêmes et en leurs œuvres; car se croire saint et se complaire en soi sont des choses que les bons méprisent comme des pourritures, tandis que ceux-là s'en veulent nourrir..."

– L'avare est comparé à un vautour d'eau, oiseau très lourd

– Le dixième oiseau est l'autour... Par là on entend les prélats de la sainte Église qui gouvernent le peuple de Dieu, non comme des pasteurs, mais à la façon des princes du monde... L'autour fait voler ses petits vers leur proie dès qu'ils en sont capables, et il est toujours cruel et sans pitié. C'est ainsi que font les mauvais prélats à l'égard des jeunes clercs, qu'ils chargent de leur office; ils les font prendre leur butin où ils peuvent, se montrant toujours méchants et sans pitié quand il s'agit d'un gain temporel..."

– Comme le chat-huant, certains "fuient la lumière ne voulant ni connaître ni aimer, et ne cherchant ni raison ni discernement; sans pratiquer aucune vertu, ils veulent voler et se reposer dans les ténèbres. Ils se tiennent volontiers près de ceux qui ressemblent aux morts, c'est-à-dire les hérétiques, qui, sont morts devant Dieu et rejetés de la sainte Église..."

– Le quatorzième oiseau "est le cygne. Toute sa force se trouve dans ses ailes, et il fait entendre son chant au moment de mourir. C'est la figure du jeune homme qui, ne craignant pas Dieu, se laisse mener par ses penchants naturels et mène une vie de plaisir et de luxure..."

– Ruysbrœck revient sur l'avarice. Il écrit: "Le quinzième oiseau est l'onocrotale... C'est l'image de l'homme avare, qui vit dans l'inconstance... Le jabot de l'onocrotale, c'est le cœur de l'avare, toujours vide quoi qu'il puisse amasser. Dans son avidité qui le fait souffrir, il s'en va compter son trésor, dénombrer ses débiteurs, comme s'il voulait se rassasier à nouveau de tout ce qu'il a déjà dévoré. Voilà bien l'âne misérable, écrasé sous le fardeau et qui ne s'en rend même pas compte."

– Certains hommes volent dans les hauteurs comme l'aigle bigarré, avec une intelligence sublime, tandis qu'ils nagent dans l'eau comme l'oie, en menant une vie de plaisirs... Ils cherchent le moyen de recevoir des gens du monde vivre et couvert... S'ils font par hasard quelque bien à leur prochain, c'est qu'ils espèrent y trouver pour eux-mêmes un gain supérieur."

– Ruysbrœck compare ensuite les mauvais princes du monde, et les prélats pleins d'orgueil à des faucons. Il n'hésite pas à écrire: "Sans se connaître eux-mêmes, ils oppriment le peuple de Dieu... Ils ont la témérité de jeter à terre les quatre vertus cardinales[16] et une cinquième vertu qui est la crainte de Dieu...

– Le dix-huitième oiseau est appelé pluvier. Il a le plumage blanc, et sa fiente passe pour guérir les yeux; il habite les cours royales... Cet oiseau représente tous les prélats ecclésiastiques qui négligent le peuple que Dieu leur a confié. Ils ont beau être revêtus de plumes blanches, c'est-à-dire du service de Dieu et des sacrifices de la sainte Église, ils sont pourtant impurs en ce qu'ils négligent de regarder le pécheur malade et de lui enlever la maladie de ses péchés, par des corrections, des enseignements saints, de bons exemples et tout ce qui est en leur pouvoir... Mais ils se tiennent dans les cours royales c'est-à-dire qu'ils sont soucieux de la richesse, des honneurs et du faste, partout où ils peuvent s'en procurer."

– La huppe, c'est l'homme impur, qui veut plaire au monde et s'orne lui-même des plumes brillantes de beaux vêtements, de paroles enjouées, d'actions et de manières séduisantes, afin de tromper les autres et les séduire pour servir son propre penchant au péché. Cet homme est infect devant Dieu et tous ses saints...

– Les chauve-souris[17] figurent "les hommes sans intelligence et, de plus, inconstants, qui toujours se recherchent eux-mêmes dans leurs œuvres... Il faut se garder des chauves-souris, qui, se poursuivant elles-mêmes, ne cherchent pas la gloire de Dieu, ni ne se soucient du salut des hommes... car si beaucoup de ces gens se réunissent pour former une secte avec une même conduite extérieure, ils sont si forts et si unanimes dans leur manière de faire, qu'on ne peut s'en prendre à un seul, sans que tous se mettent en mouvement. Ils sont aveugles et téméraires, et ils retiennent fortement ceux qui s'attachent à eux..." (Chapitres 126 à 144) 

Ruysbrœck en a terminé avec les figures de l'Ancien Testament. Après avoir passé en revue ce qui rend les hommes impurs aux yeux de Dieu, il pourra aborder, rapidement, les deux derniers degrés de la vie spirituelle. Il écrit: "Dans l'exposé de l'histoire figurative, j'avais signalé, au début, sept degrés qui tous appartiennent à la Vie parfaite. J'en ai développé cinq au fur et à mesure que la figure les présentait. Ce qui suit nous donne les deux derniers degrés, qui perfectionnent l'homme en toute sainteté. Moïse, en effet, nous décrit de la part de Dieu ce qu'il y avait de plus intime, de plus parfait et de plus noble dans le tabernacle. Et par là nous entendons ce que nous pouvons expérimenter ou ressentir de plus intime, de plus noble et de plus saint dans le tabernacle de notre âme..." 

11-2-Ce qui rend vraiment les hommes impurs  

Servir Dieu, c'est, en fait, rester dans l'ordre de la nature créée pour sa gloire, et dont le but est de servir Dieu. Imitant la bonté de Dieu, nous devons servir nos frères, et "nous trouvons ainsi la béatitude en Dieu et le vrai but de notre vie et de toutes les créatures. Car le vrai but de notre vie est la charité et la fidélité mutuelles, et la recherche ardente de la gloire de Dieu en toutes nos œuvres. C'est ce que le Christ lui-même nous a enseigné en paroles et en œuvres quand Il nous apprend à tous à dire avec lui dans le Pater: 'Notre Père qui êtes aux cieux: que votre nom soit sanctifié: que votre règne arrive: que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel...'  

Les travaux ont beau être divisés et inégaux, le fruit du travail est commun: cependant celui qui désire le plus la gloire de Dieu et le salut universel des hommes, celui-là sera le plus récompensé de Dieu... 

Le Christ, Fils de Dieu, est notre chef à tous; en lui se trouve notre vie éternelle et nous sommes tous ses membres; aussi est-ce avec raison que chacun de nous doit servir les autres... dans leurs nécessités tant corporelles que spirituelles: de cette façon nous nous tiendrons debout avec le Christ comme chef pour la gloire éternelle de Dieu...  

Hélas! il y a peu d'hommes qui trouvent ce chemin... L'avarice, la fraude et la ruse sont devenues tellement fréquentes, que l'un trompe l'autre, dès qu'il en a l'occasion..."  

Ruysbrœck énumère alors toutes les œuvres qui rendent les hommes impurs. Mais ces impuretés salissent aussi de nombreux consacrés. Ruysbrœck s'écrie: "Mais ce qu'ils voient bien, c'est que tout le monde obéit aux biens terrestres: pape et évêques, princes et prélats, clercs et laïcs, tous s'inclinent devant les biens du monde..."  

Et il poursuit: les images des juifs sont "la figure des péchés charnels; car celui qui met toute sa jouissance dans son corps, ressemble au ver qui rampe sur la terre et fait du limon sa nourriture. De là naissent trois péchés capitaux la paresse, la gourmandise et la luxure. C'est, en effet, dans la paresse que le ver se traîne, dans la gourmandise qu'il se nourrit, dans l'impureté qu'il trouve sa vie et sa demeure. Et ces péchés produisent d'autres mauvaises habitudes et vices parfois plus funestes encore que les péchés capitaux." 

Ruysbrœck n'épargne personne: ni les hommes, ni les femmes. "Tel est le monde pour qui le Christ ne voulait pas prier son Père céleste; d'ailleurs ces hommes ne le demandent pas: ils vivent sans aucune notion des choses spirituelles et sans désir aucun de la vertu. Ils sont par là ces fils plus jeunes... Mais les fils aînés qui sont restés auprès du père à la maison et possèdent son héritage, ce sont les prélats de la sainte Église et tous ceux qui consument le patrimoine de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On dirait qu'ils se sont endormis en grande paresse, car ils ne se conduisent ni n'enseignent de manière à rendre leur peuple meilleur... Le Christ leur a confié ses brebis... ils n'en ont cure... 

Le bon pasteur, au contraire, va en avant de son troupeau: il appelle, il entraîne, il console ses brebis en leur parlant de la miséricorde de Dieu... Voyez maintenant si les prélats de la sainte Église sont de bons pasteurs. Leurs salons et leurs palais sont pleins de gens à leur service. Il y a chez eux puissance, richesse et grandeur mondaine, abondance de nourriture et de boisson, grande variété d'habits et de bijoux précieux, toute la magnificence enfin que le monde peut procurer. Ils n'en ont jamais assez, et plus ils obtiennent, plus ils désirent..."  

Ruysbrœck poursuit longuement son réquisitoire contre les mauvais bergers de son époque... Et il ajoute: "Ce mal détestable est contagieux; il s'est répandu, et a infecté toute la religion et le clergé du monde entier... Ce qui est péché et honte, est devenu un honneur aux yeux du monde, mais non pas devant la justice de Dieu..." (Chapitre 123) 

Remarque: 

Ruysbrœck sait qu'il y a encore de bons religieux, mais il se permet une remarque douloureuse: "Chez les religieux du monde entier on trouve encore dans les monastères des moines et des moniales qui gardent assez bien l'observance, qui paraissent dévots et recueillis et qui se comportent bien en tout ce qu'ils font; il y en a qui vraiment sont de bonne volonté, simples et saints, mais ceux-là ne sont pas estimés..." Parfois on peut se demander si Ruysbrœck n'a pas écrit pour l'Église de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle. Il serait utile que tous les gens d'Église et tous les religieux relisent l'intégralité du chapitre 123 du Tabernacle Spirituel.

 

12
Le sixième degré de la course spirituelle

 

Curieusement, alors que dans ses premières œuvres Ruysbrœck entraînait rapidement ses lecteurs vers les hauteurs insoupçonnées de l'union à Dieu, dans ses derniers ouvrages il s'attarde plutôt sur les débuts et le développement de la vie spirituelle, en marche vers l'union à Dieu. Puis quand il aborde ici les 6ème et 7ème degrés de la course spirituelle, il se fait plus prudent, plus évasif, comme s'il avait peur d'aborder ces thèmes délicats. Ainsi, dans le Livre du Tabernacle Spirituel, il demeure volontairement concret, comme s'il craignait, encore une fois, d'être mal compris. On remarquera en effet, que les chapitres concernant les sixième et septième degré, sont peu nombreux et courts, à l'inverse des chapitres consacrés au cinquième degré. 

12-1-Description de l'Arche 

Ruysbrœck poursuit son explication des figures que le tabernacle construit par Moïse lui propose. Pour décrire le sixième degré de la course spirituelle, il s'inspire de l'Arche d'Alliance contenue dans le tabernacle. Il écrit: "Le Seigneur ordonna à Moise et à tout le peuple de lui construire une arche de bois de sétim, qui devait être longue de deux coudées et demie, et dont la largeur et la hauteur seraient d'une coudée et demie... 'Cette arche, disait le Seigneur, vous devez la revêtir à l'intérieur et à l'extérieur de l'or le plus pur; au-dessus, vous ferez une couronne d'or tout autour... et vous mettrez quatre anneaux d'or aux quatre cornes de l'arche, deux de chaque côté...  

Au-dessus de l'arche vous ferez un propitiatoire, c'est-à-dire une table d'or très pur, de la longueur et de la largeur même de l'arche, de sorte qu'elle en soit recouverte par-dessus. Et vous devez forger deux chérubins d'or de chaque côté du propitiatoire, un chérubin d'un côté et l'autre de l'autre côté, de façon qu'ils recouvrent de leurs ailes étendues, de chaque côté, le propitiatoire de l'arche. Ces deux chérubins doivent être placés vis-à-vis l'un de l'autre, la face tournée vers le propitiatoire, dont on couvrira l'arche... Dans cette arche on mettra le testament que je vous laisserai'... 

Telle était l'arche que Dieu avait ordonné de construire et c'était Beseleel qui devait faire cette œuvre pour Dieu et pour tout le peuple d'Israël, sous les ordres de Moïse..." 

Ruysbrœck rappelle que Beseleel signifie: ombre de Dieu, puis traduit: par là on entend l'homme libre et aimant. "Ainsi, l'esprit libre et aimant suit Dieu, attentif à toutes les motions que Dieu imprime dans l'intime de lui-même, afin de se laisser mouvoir toujours par son influence... Sous l'impulsion divine, qui lui donne force et sagesse cet esprit aimant construit une arche spirituelle pour Dieu et pour lui-même, ainsi que pour tous ceux qui aiment Dieu. Car selon la figure il n'y avait qu'une seule arche, commune à Dieu et à tout le peuple, comme à chacun en particulier. Cette arche pour nous ne signifie rien autre chose que l'union de chaque homme de bien et de tous avec Dieu...  

En cette union chacun reçoit Dieu, avec tous ceux qui aiment, et chacun est reçu en même temps que Dieu, par chacun de ceux qui aiment. Et de cette manière nous habitons tous en Dieu, et Dieu en nous tous, et chacun, avec Dieu, habite dans les autres... Et ainsi nous construisons l'arche pour notre béatitude éternelle." (Chapitre 145) 

Ruysbrœck s'attardera un peu sur les dimensions de l'arche et de ses composants, faisant remarquer que les "demi-mesures" signifient que les opérations en cause doivent se renouveler constamment. Ainsi, "la charité se renouvelle constamment, tandis que l'union est permanente. Et l'opération de la charité doit se renouveler toujours, parce que jamais Dieu ne sera assez aimé..." (Chapitres 146 à 148)

12-2-La couronne d'or de l'arche et les quatre anneaux d'or 

L'arche avait une couronne d'or très fin. Il s'agit ici de "l'embrassement amoureux de Dieu et de nous-mêmes, au sommet le plus haut de notre union, embrassement qui couronne notre amour et toutes nos œuvres. C'est la plus haute réalisation de notre béatitude finie, et personne ne la connaît que celui qui a atteint dans son esprit l'union avec Dieu... 

L'arche du testament... devait avoir quatre anneaux d'or, un à chaque angle, et deux barres de bois de sétim, recouvertes d'or... C'est à l'aide de ces barres que l'on portait l'arche... Le premier anneau c'est notre regard intérieur qui doit toujours se replier sur l'union que nous sentons avec Dieu. Le deuxième anneau enseigne que tous nos exercices doivent suivre ce regard, et ne trouver repos nulle part ailleurs que dans l'arche de notre testament. Le troisième anneau nous apprend à rester unis à Dieu et à demeurer attachés par le lien d'amour que cause en nous l'union avec Dieu. Le quatrième anneau nous apprend à ne pas demeurer liés à nous-mêmes, mais à nous livrer à l'amour, de sorte que nous puissions sentir en nous la richesse de Dieu... avec égalité de cœur pour la gloire de Dieu... 

À ces anneaux appartiennent deux barres de bois de sétim, recouvertes d'or... La première barre dorée est la liberté de l'esprit, qui, par le moyen de l'amour, vise toujours l'unité... L'autre barre est le renoncement à la volonté propre, pour embrasser le libre vouloir de Dieu..." (Chapitres 149 et 150) 

12-3-Ce qui fut déposé dans l'arche 

Dans l'arche figurative Moïse déposa quatre choses destinées à rendre témoignage à Dieu pour ses dons et ses bienfaits. De même, dans l'arche de l'union, le Christ nous a laissé quatre choses qui témoignent de son amour et de ses dons. "Dans l'arche figurative se trouvaient la verge d'Aaron, les tables du décalogue, la manne venue du ciel, et le Deutéronome, c'est-à-dire le cinquième livre écrit par Moïse... 

Le Christ est né de la race d'Aaron; il a ramené à l'unité toutes les nations, et il est notre pontife pour l'éternité. Il porta sa verge, c'est-à-dire sa croix... Cela signifie que celui qui est élevé au sacerdoce doit se montrer humble et obéissant, imitant le Christ par la pénitence et la sainteté de sa vie... 

Dans l'arche des juifs se trouvaient aussi deux tables de pierre, préparées par Moïse, et sur lesquelles Dieu avait écrit le décalogue... Dans l'arche de la foi chrétienne le Christ a déposé son âme et son corps comme deux tables de pierre sur lesquelles Dieu a écrit toute la loi et tous les préceptes...  

Moïse avait déposé dans l'arche une urne d'or remplie de la manne venue du ciel, en témoignage du prodige par lequel Dieu les avait nourris au désert de pain céleste, durant quarante années... De même dans l'arche de la foi chrétienne, qui nous unit à Dieu, le Christ nous a donné une urne d'or, pleine de manne céleste, notre commune charité dans la sainte Église... dans laquelle nous recevons la nourriture céleste, qu'il nous a donnée dès le commencement et qu'il veut nous donner encore pour l'éternité... 

Enfin sur le point de mourir, Moïse ordonna aux lévites de déposer dans l'arche le cinquième livre qu'il avait composé, et où il rappelait la loi, les préceptes et tous les bienfaits reçus de Dieu, ainsi que les devoirs mutuels qu'ils devaient pratiquer en justice. Avant de mourir il leur donnait ainsi comme son testament qui devait être lu aux jours de grandes fêtes... De même le Christ montant aux cieux ordonna à ses disciples de mettre l'Évangile dans l'arche de la foi chrétienne, et il leur donna l'esprit d'intelligence, afin qu'ils pussent se rappeler et comprendre tout ce qu'ils avaient vu et entendu de lui en paroles, en œuvres et en sainteté de vie. Puis il leur ordonna de prêcher et d'enseigner dans le monde entier, annonçant que celui-là serait sauvé qui croirait et serait baptisé..." (Chapitre 151)  

12-4-Conséquences pour nous 

Dès lors on peut se demander comment faire pour que nos œuvres aient leur source dans la motion divine? Ruysbrœck répond: "Nous devons ressembler à Aaron et à Moïse; nous devons être forts et nous élever au-dessus de toutes choses... et reconnaître que de nous-mêmes nous n'avons ni bien ni pouvoir..." Cela, la verge d'Aaron, symbole du pouvoir de correction ou de l'autorité nous l'apprend. (Chapitre 152) 

Comme Moïse nous devons être élevés au-dessus de l'inconstance du monde. Les deux tables de pierre, sur lesquelles on peut lire, à la partie intérieure, la parole de Dieu, et sur la partie extérieure la loi et les préceptes divins, dépouillent notre mémoire d'images sensibles, et notre entendement d'images intellectuelles. Il s'agit de la sortie de toutes nos tentations. Ainsi, élevés au-dessus de toutes les tentations, nous sommes unis avec Dieu et sûrs de posséder la preuve que la loi de Dieu vit en nous. (d'après le chapitre 153) 

L'urne d'or est un amour sans mode où nous est donné le pain du ciel. "C'est là que notre urne pourra se remplir de manne céleste et de nourriture éternelle... Cette urne remplie de manne et conservée dans notre arche intérieure, c'est-à-dire dans l'union amoureuse qui existe entre nous et Dieu... est un perpétuel témoignage de l'inhabitation de Dieu en nous et de nous en Dieu." (Chapitre 154) 

Enfin, la présence du Deutéronome dans l'Arche, nous indique "qu'il faut garder toujours dans son intérieur la loi divine et la sainte Écriture; il faut en faire sa lecture, y conformer sa vie et son enseignement..." (Chapitre 155) 

Dans les chapitres 117 à 119 du Livre du Tabernacle Spirituel, Ruysbrœck avait longuement décrit la table de proposition. Nous n'étions, selon lui, qu'au cinquième degré de notre course spirituelle. Arrivé au sixième degré, Ruysbrœck revient longuement sur la signification de cette table, symbole de notre union fruitive en Dieu. Il écrit, entre autres:  

"Je vous dirai en dernier lieu comment, dans cette vie, nous pouvons jouir de Dieu et avoir une certaine expérience de la béatitude... Au-dessus de l'arche de Moïse se trouvait une table d'or pur appelée propitiatoire, lieu authentique où les juifs recevaient les grâces divines et les réponses de Dieu... C'était la partie la plus intime du tabernacle, et le lieu par excellence de la clémence divine dans l'ancienne économie... Par cette table d'or pur nous entendons l'amour de fruition, qui est le principe et la fin de tout bien et de toute grâce. Comme la table, cet amour de fruition se trouve au-dessus de la couronne d'or, c'est-à-dire au-dessus des embrassements amoureux qui s'échangent entre nous et Dieu car l'amour de fruition est au-dessus de tout: il est sans limite et sans fond, et il est élevé au-dessus de tous les exercices d'amour... 

Dans cet amour de fruition Dieu se montre comme objet de fruition dans le vide absolu de notre esprit. Puis l'esprit aimant sort de lui-même et se liquéfie dans une fruition essentielle. Cette liquéfaction dans l'amour se fait sans mode et sans forme, et ne connaît point de retour, comme il convient à la fruition: car l'esprit trépasse de lui-même en Dieu, par une expérience simple et bienheureuse. Mais ceci, il faut l'entendre de l'amour de fruition qui tend toujours à dépasser toute chose, non de l'amour actif qui s'approche, mais revient sans cesse. La fruition essentielle, en effet, est un repos foncier que rien ne peut jamais troubler... Dieu se donne dans la profondeur de l'esprit, et l'esprit s'élève si haut qu'il se dépasse lui-même et ne sent plus qu'une béatitude toute simple... 

Mais si la possession fruitive s’accomplit toujours dans le vide et l'immobilité, l'esprit brûle et se liquéfie toujours de nouveau en face de cette fruition.... Dans la fruition essentielle l'esprit ne sent plus de distinction entre lui et ce qu'il aime... Ainsi les esprits aimants ont dépassé leurs propres limites pour entrer dans l'amour essentiel, et la flamme de leur amour les a élevés et conduits jusque dans le feu infini de l'amour divin. La béatitude superessentielle commune à tous est un abîme simple et sans fond, dont jamais on ne peut sonder la profondeur... chacun a beau remplir son vase, la béatitude simple reste en elle-même surabondante et inépuisable. En puisant, nous avons toujours plus faim, tandis que dans la superessence, où le bien est possédé, nous sommes rassasiés et en abondance. La faim ne peut se rassasier, et la satiété n'est pas capable de chasser la faim ; aussi cette faim doit-elle demeurer sans cesse... Cette faim complète la fruition selon le bon vouloir de Dieu...  

Il faut remarquer que ceux qui perdent la faim dans l'amour et qui préfèrent le repos et le loisir... ne brûlent pas du vrai amour; ils se trompent et sont incapables de toute vertu." 

Ruysbrœck passe alors aux deux chérubins d'or, dont les ailes étendues recouvrent la table d'or, et qui nous apprennent comment nous tenir en face de cet amour de fruition qui est ce qu'il y a de plus intime et de plus haut en notre vie. En effet, dit Ruysbrœck: "Par ces deux chérubins d'or nous pouvons entendre deux qualités propres à l'esprit aimant.... La première qualité que nous trouvons dans un esprit si élevé, c'est un regard ou une contemplation continue et sans distraction en la simple lumière divine; la seconde c'est une inclination fruitive et continue vers la pureté divine sans mélange... Ils ont les ailes étendues afin de voler dans les hauteurs en contemplation et fruition; et ainsi couvrent-ils l'oracle, c'est-à-dire le lieu où l'on reçoit les inspirations secrètes ou les réponses de Dieu. Ces deux qualités susdites, regard simple dans la lumière divine et inclination fruitive vers la simple attirance de Dieu, ont toujours la face, c'est-à-dire l'inclination amoureuse, tournée vers le propitiatoire, ou amour de fruition. Ce simple amour de fruition doit sans cesse, par le regard intime, abriter l'amour actif... Ainsi toutes les vertus s'achèvent, et plus grande sera la fruition qu'un homme possède au-dessus de soi, plus aussi sera-t-il vertueux en lui-même. 

Enfin, entre ces deux chérubins, c'est-à-dire entre notre regard simple et notre inclination fruitive, se trouve l'habitation divine en nous d'où découlent sagesse et grâce; là aussi nous apprenons les préceptes de Dieu et ses conseils. Cette inhabitation de Dieu nous garde de tout mal... et si nous y fixons notre demeure et notre attention en lui obéissant... nous accomplissons toutes les vertus selon la très chère volonté de Dieu. 

Tel est le sixième degré contemplé par nous dans la figure prophétique. Nous y avons trouvé l'achèvement du tabernacle, avec l'arche et tout ce qui y appartenait, selon l'ordre du Seigneur. De même, c'est en ce sixième degré que notre vie devient parfaite à l'extérieur et à l'intérieur, en toutes manières, selon que Dieu le désire de nous." (Chapitre 157) 

 

13
Le septième degré de la course spirituelle

 

Ruysbrœck s'est peu étendu sur le sixième degré de la course spirituelle. Peut-être renvoie-t-il inconsciemment à ses ouvrages antérieurs, spécialement  "Les Noces spirituelles" ou le "Royaume des Amants de Dieu". Il sera encore plus bref ici dans la description du septième degré qui consiste à être uni à Dieu d'une façon stable, et solidement établi dans la pratique de toutes les vertus. Nous savons déjà, nous dit-il, que "l'amour sans image simplifie l'esprit en le dépouillant de toutes choses. Il élève l'homme au-dessus de lui-même et au-dessus de toutes ses œuvres, l'unit à Dieu, et fixe son esprit dans le repos de la fruition."  

Une telle affirmation nous semble bien difficile à comprendre et Ruysbrœck en a conscience; aussi donne-t-il une courte explication: "C'est pourquoi, si nous voulons expérimenter et ressentir que Dieu a pris possession de notre intérieur et que nous habitons en lui, le retour que nous faisons en nous-mêmes doit être sans image, et notre amour pour Dieu doit être si intense qu'il dépasse tout le créé, pour ne chercher et ne trouver repos nulle part qu'en Dieu seul.  

Alors notre entendement dépouillé est éclairé par la simple vérité comme l'air par le soleil; et tous nos sens intérieurs sont pénétrés de l'amour divin comme le fer l'est par le feu. Ainsi nous trouvons le royaume de Dieu en nous, et de ce royaume nous sommes mus à la justice et à toutes les vertus. Car l'amour ne peut demeurer oisif, mais l'esprit du Seigneur meut le cœur et les sens et toutes les facultés de l'âme, et nous pousse au dehors vers tous les exercices de vertu; il fait de nous un tabernacle spirituel, qu'il nous enseigne à régler selon toutes les manières indiquées ci-dessus, puis, il nous ramène en nous-mêmes, et nous fait poursuivre la gloire de Dieu en toutes choses. Ainsi devenons-nous avec toutes nos œuvres, une offrande agréable à Dieu..."  

Là nous possédons tout bien dans l'amour superessentiel. Le septième degré, c'est la vraie sainteté et la vie éternelle que Dieu réserve à tous ses enfants, s'ils le veulent. (Chapitre 158)

 

Annexe

Quelques chapitres de l'Exode utilisés par Ruysbrœck
(Exode Chapitre 25 à 31)

 

Les fournitures 

Yahweh parla à Moïse, en disant: "Dis aux enfants d'Israël de prélever pour moi une offrande; de tout homme qui la donnera de bon coeur vous recevrez pour moi l'offrande.

Voici l'offrande que vous recevrez d'eux: de l'or, de l'argent et de l'airain; de la pourpre violette, de la pourpre écarlate, du cramoisi, du fin lin et du poil de chèvre; des peaux de béliers teintes en rouge, des peaux de veaux marins et du bois d'acacia; de l'huile pour le chandelier, des aromates pour l'huile d'onction et pour le parfum d'encensement; des pierres d'onyx et d'autres pierres à enchâsser pour l'éphod et le pectoral. (Ex 25, 1 à 8) 

Les constructions - L'ordre de Dieu 

Ils me feront un sanctuaire, et j'habiterai au milieu d'eux. Vous vous conformerez à tout ce que je vais vous montrer, au modèle du tabernacle, et au modèle de tous ses ustensiles. Ils feront une arche de bois d'acacia; sa longueur sera de deux coudées[18] et demie, sa largeur d'une coudée et demie, et sa hauteur d'une coudée et demie. Tu la revêtiras d'or pur, en dedans et en dehors, et tu y feras une guirlande d'or tout autour. Tu fondras pour elle quatre anneaux d'or, que tu mettras à ses quatre pieds, deux anneaux d'un côté et deux anneaux de l'autre.

Tu feras des barres de bois d'acacia, et tu les revêtiras d'or. Tu passeras les barres dans les anneaux sur les côtés de l'arche, pour qu'elles servent à porter l'arche. Les barres resteront dans les anneaux de l'arche, et n'en seront point retirées. Tu mettras dans l'arche le témoignage que je te donnerai. Tu feras un propitiatoire d'or pur; sa longueur sera de deux coudées et demie, et sa largeur d'une coudée et demie.

Tu feras deux chérubins d'or; tu les feras d'or battu, aux deux extrémités du propitiatoire. Fais un chérubin à l'une des extrémités et un chérubin à l'autre extrémité; vous ferez les chérubins sortant du propitiatoire à ses deux extrémités. Les chérubins auront leurs ailes déployées vers le haut, couvrant de leurs ailes le propitiatoire, et se faisant face l'un à l'autre; les faces des Chérubins seront tournées vers le propitiatoire. Tu mettras le propitiatoire au-dessus de l'arche, et tu mettras dans l'arche le témoignage que je te donnerai.

Là je me rencontrerai avec toi et je te communiquerai, de dessus le propitiatoire, du milieu des deux chérubins qui sont sur l'arche du témoignage, tous les ordres que je te donnerai pour les enfants d'Israël.

Tu feras une table de bois d'acacia; sa longueur sera de deux coudées, sa largeur d'une coudée, et sa hauteur d'une coudée et demie. Tu la revêtiras d'or pur, et tu y mettras une guirlande d'or tout autour. Tu lui feras à l'entour un châssis d'une palme, et tu feras une guirlande d'or au châssis, tout autour. Tu feras pour la table quatre anneaux d'or; et tu mettras les anneaux aux quatre coins, qui seront à ses quatre pieds. Les anneaux seront près du châssis, pour recevoir les barres qui doivent porter la table. Tu feras les barres de bois d'acacia, et tu les revêtiras d'or; elles serviront à porter la table. Tu feras ses plats, ses cassolettes, ses coupes et ses tasses servant aux libations; tu les feras d'or pur. Tu placeras sur la table les pains de proposition, perpétuellement devant ma face.  

Tu feras un chandelier d'or pur; le chandelier, avec son pied et sa tige, sera fait d'or battu; ses calices, ses boutons et ses fleurs seront d'une même pièce. Six branches sortiront de ses côtés; trois branches du chandelier de l'un de ses côtés, et trois branches du chandelier du second de ses côtés. Il y aura sur la première branche trois calices en fleurs d'amandier, bouton et fleur, et sur la seconde branche trois calices en fleurs d'amandier, bouton et fleur; il en sera de même pour les six branches partant du chandelier. À la tige du chandelier, il y aura quatre calices en fleurs d'amandier, leurs boutons et leurs fleurs. Il y aura un bouton sous les deux premières branches partant de la tige du chandelier, un bouton sous les deux branches suivantes partant de la tige du chandelier, et un bouton sous les deux dernières branches partant de la tige du chandelier, selon les six branches sortant de la tige du chandelier. Ces boutons et ces branches seront d'une même pièce avec le chandelie ; le tout sera une masse d'or battu, d'or pur. Tu feras ses lampes, au nombre de sept, et on placera ses lampes sur les branches, de manière à éclairer en face. Ses mouchettes et ses vases à cendre seront en or pur. On emploiera un talent d'or pur pour faire le chandelier avec tous ses ustensiles. Regarde, et fais selon le modèle qui t'est montré sur la montagne." (Exode 25, 9 à 40)

 

Chapitre 26

 

"Tu feras la Demeure de dix tentures; tu les feras de lin retors, de pourpre violette, de pourpre écarlate et de cramoisi, avec des chérubins, ouvrage d'habile tisseur. La longueur d'une tenture sera de vingt-huit coudées, et la largeur d'une tenture sera de quatre coudées; la dimension sera la même pour toutes les tentures. Cinq de ces tentures seront jointes ensemble; les cinq autres seront aussi jointes ensemble. Tu mettras des lacets de pourpre violette au bord de la tenture terminant le premier assemblage; et tu feras de même au bord de la tenture terminant le second assemblage. Tu feras cinquante lacets à la première tenture, et tu feras cinquante lacets au bord de la tenture terminant le second assemblage, et ces lacets se correspondront les uns aux autres. Tu feras cinquante agrafes d'or, avec lesquelles tu joindras les tentures l'une à l'autre, en sorte que la Demeure forme un seul tout. Tu feras aussi des tentures de poil de chèvre pour former une tente sur la Demeure; tu feras onze de ces tentures. La longueur d'une tenture sera de trente coudées, et la largeur d'une tenture sera de quatre coudées; la dimension sera la même pour les onze tentures. Tu joindras à part cinq de ces tentures, et les six autres à part, et tu replieras la sixième tenture sur le devant de la tente. Tu mettras cinquante lacets au bord de la tenture terminant le premier assemblage, et cinquante autres au bord de la tenture du second assemblage. Tu feras cinquante agrafes d'airain, tu introduiras les agrafes dans les lacets, et tu assembleras ainsi la tente, qui formera un seul tout.

Quant à la partie qui sera de surplus dans les tentures de la tente, savoir la moitié de la tenture en plus, elle retombera sur le derrière de la Demeure, et les coudées en excédent l'une d'un côté, l'autre de l'autre, sur la longueur des tentures de la tente, retomberont sur les côtés de la Demeure, l'une d'un côté, l'autre de l'autre, pour la couvrir. Tu feras pour la tente une couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et une couverture en peaux de veaux marins, par-dessus.

Tu feras aussi les planches pour la Demeure, des planches de bois d'acacia, posées debout. La longueur d'une planche sera de dix coudées, et la largeur d'une planche sera d'une coudée et demie. Il y aura à chaque planche deux tenons, joints l'un à l'autre; tu feras de même pour toutes les planches de la Demeure. Tu feras les planches pour la Demeure : vingt planches pour la face du midi, à droite. Tu mettras sous les vingt planches quarante socles d'argent, deux socles sous chaque planche pour ses deux tenons. Pour le second côté de la Demeure, le côté du nord, tu feras vingt planches, ainsi que leurs quarante socles d'argent, deux socles sous chaque planche. Tu feras six planches pour le fond de la Demeure, du côté de l'occident. Tu feras deux planches pour les angles de la Demeure, dans le fond; elles seront doubles depuis le bas, formant ensemble un seul tout jusqu'à leur sommet, jusqu'au premier anneau. Ainsi en sera-t-il pour toutes les deux ; elles seront placées aux deux angles.

Il y aura ainsi huit planches, avec leurs socles d'argent, seize socles, deux socles sous chaque planche.

Tu feras des traverses de bois d'acacia, cinq pour les planches de l'un des côtés de la Demeure, cinq traverses pour les planches du second côté de la Demeure, et cinq traverses pour les planches du côté de la Demeure qui en forme le fond, vers l'occident-. La traverse du milieu s'étendra, le long des planches, d'une extrémité à l'autre. Tu revêtiras d'or les planches, et tu feras d'or leurs anneaux qui doivent recevoir les traverses, et tu revêtiras d'or les traverses.

Tu dresseras la Demeure d'après le modèle qui t'a été montré sur la montagne. Tu feras un voile de pourpre violette, de pourpre écarlate, de cramoisi et de lin retors; on y représentera des chérubins : ouvrage d'un habile tisseur. Tu le suspendras à quatre colonnes de bois d'acacia, revêtues d'or, avec des crochets d'or et posées sur quatre socles d'argent. Tu mettras le voile sous les agrafes, et c'est là, derrière le voile, que tu feras entrer l'arche du témoignage; le voile fera pour vous une séparation entre le Lieu saint et le Lieu très saint. Tu placeras le propitiatoire sur l'arche du témoignage dans le Lieu très saint. Tu placeras la table en dehors du voile, et le chandelier en face de la table, du côté méridional de la Demeure; et tu placeras la table du côté septentrional. Tu feras pour l'entrée de la tente un rideau en pourpre violette, pourpre écarlate, cramoisi et lin retors, ouvrage d'un dessin varié. Tu feras pour ce rideau cinq colonnes d'acacia, et tu tes revêtiras d'or; elles auront des crochets d'or, et tu fondras pour elles cinq socles d'airain." (Exode26, 1 à 37)

 

Chapitre 27

 

"Tu feras l'autel en bois d'acacia; sa longueur sera de cinq coudées, et sa largeur de cinq coudées. L'autel sera carré, et sa hauteur sera de trois coudées. À ses quatre coins, tu feras des cornes qui sortiront de l'autel, et tu le revêtiras d'airain. Tu feras pour l'autel des vases pour recueillir les cendres, des pelles, des bassins, des fourchettes et des brasiers; tu feras d'airain tous ces ustensiles. Tu feras à l'autel une grille d'airain en forme de treillis, et tu mettras quatre anneaux d'airain aux quatre bouts du treillis. Tu ta placeras sous la corniche de l'autel, par en bas, et le treillis sera jusqu'à la moitié de la hauteur de l'autel. Tu feras pour l'autel des barres, des barres de buis d'acacia, que tu revêtiras d'airain. On passera ces barres dans les anneaux, et elles seront aux deux côtés de l'autel, quand on le transportera. Tu le feras creux, en planches; on le fera comme il t'a été montré sur la montagne."

"Tu feras le parvis de la Demeure. Du côté du midi, à droite, il y aura, pour former le parvis des rideaux de lin retors, sur une longueur de cent coudées pour un côté, avec vingt colonnes et leurs vingt socles d'airain; les crochets des colonnes et leurs tringles seront d'argent. De même, du côté du nord, il y aura des rideaux sur une longueur de cent coudées, avec vingt colonnes et leurs vingt socles d'airain; les crochets des colonnes et leurs tringles seront d'argent. Du côté de l'occident, il y aura, pour la largeur du parvis, cinquante coudées de rideaux, avec dix colonnes et leurs dix socles. Du côté de l'orient, sur le devant, le parvis aura une largeur de cinquante coudées; et il y aura quinze coudées de rideaux pour un côté de la porte, avec trois colonnes et leurs trois socles, et quinze coudées de rideaux pour le deuxième côté, avec trois colonnes et leurs trois socles.

Pour la porte du parvis, il y aura une tenture de vingt coudées, en pourpre violette, pourpre écarlate, cramoisi, et lin retors, avec dessin varié, ainsi que quatre colonnes avec leurs quatre socles. Toutes les colonnes formant l'enceinte du parvis seront reliées par des tringles d'argent; elles auront des crochets d'argent et leurs socles seront d'airain. La longueur du parvis sera de cent coudées, sa largeur de cinquante coudées de chaque côté, et sa hauteur de cinq coudées; les rideaux seront de lin retors, et les socles d'airain. Tous les ustensiles destinés au service de la Demeure, tous ses pieux et tous les pieux du parvis seront d'airain." "Tu ordonneras aux enfants d'Israël de t'apporter pour le luminaire de l'huile d'olives concassées, pour entretenir les lampes continuellement. Dans la tente de réunion, en dehors du voile qui est devant le témoignage, Aaron et ses fils la prépareront pour brûler du soir au matin en présence de Yahweh. C'est une loi perpétuelle, de génération en génération pour les enfants d'Israël." (Exode 27)

 

Chapitre 28

 

Les vêtements sacerdotaux 

"Fais venir auprès de toi Aaron ton frère, et ses fils avec lui, du milieu des enfants d'Israël, pour qu'il soit prêtre à mon service : Aaron, Nadab, Abiu, Eléazar et Thamar, fils d'Aaron. Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui servir de parure. Tu t'adresseras à tous les hommes habiles que j'ai remplis d'un esprit de sagesse, et ils feront les vêtements d'Aaron, afin qu'il soit consacré pour qu'il exerce mon sacerdoce.

Voici les vêtements qu'ils feront: un pectoral, un éphod, une robe, une tunique brodée, une tiare et une ceinture. Tels sont les vêtements sacrés qu'ils feront à Aaron, ton frère, et à ses fils, afin qu'ils soient prêtres à mon service. Ils emploieront de l'or, de la pourpre violette, de la pourpre écarlate, du cramoisi et du fin lin. Ils feront l'éphod d'or, de pourpre violette, de pourpre écarlate, de cramoisi et de lin retors, mêlés dans un habile tissu. Il aura deux épaulettes qui réuniront ses deux extrémités, et ainsi il sera joint. La ceinture pour l'attacher en passant dessus sera du même travail et fera corps avec lui : elle sera d'or, de pourpre violette, de pourpre écarlate, de cramoisi et de lin retors.

Tu prendras deux pierres d'onyx, et tu y graveras les noms des fils d'Israël: six de leurs noms sur une pierre, et les six autres noms sur la seconde pierre, selon l'ordre de leurs naissances. Comme on taille les pierres précieuses et qu'on y grave des cachets, ainsi tu graveras sur les deux pierres les noms des enfants d'Israël, et tu les enchâsseras dans des chatons d'or. Tu placeras les deux pierres sur les épaulettes de l'éphod compte pierres de souvenir pour les enfants d'Israël, et Aaron portera leurs noms sur ses deux épaules devant Yahweh en souvenir.

Tu feras des chatons d'or, et deux chaînettes d'or pur, tressées en forme de cordons, et tu fixeras aux chatons les chaînettes en forme de cordons. Tu feras un pectoral du jugement, artistement travaillé; tu le feras du même travail que l'éphod; tu le feras d'or, de pourpre violette, de pourpre écarlate, de cramoisi et de lin retors. Il sera carré et double; sa longueur sera d'un empan et sa largeur d'un empan. Tu y adapteras une garniture de pierreries, quatre rangées de pierreries. Première rangée: une sardoine, une topaze, une émeraude; deuxième rangée une escarboucle, un saphir, un diamant; troisième rangée: une opale, une agate, une améthyste; quatrième rangée: une chrysolithe, un onyx, un jaspe. Ces pierres seront enchâssées dans des rosettes d'or.

Les pierres seront selon les noms des fils d'Israël, douze selon leurs noms; elles seront gravées comme des cachets, chacune avec son nom, pour les douze tribus. Tu feras pour le pectoral des chaînettes d'or pur, tressées en forme de cordons. Tu feras sur le pectoral deux anneaux d'or et tu mettras les deux anneaux aux deux extrémités du pectoral. Tu passeras les deux cordons d'or dans les deux anneaux, aux extrémités du pectoral; et tu attacheras les deux bouts des deux cordons aux deux chatons, et tu les mettras sur les épaulettes de l'éphod, par devant.

Tu feras encore deux anneaux d'or, que tu mettras aux deux extrémités inférieures du pectoral, sur le bord intérieur appliqué contre l'éphod. Et tu feras deux autres anneaux d'or, que tu mettras au bas des deux épaulettes de l'éphod, sur le devant, prés de son attache, au-dessus de la ceinture de l'éphod. On attachera le pectoral par ses anneaux aux anneaux de l'éphod avec un ruban de pourpre violette, afin que le pectoral soit au-dessus de la ceinture de l'éphod; et le pectoral ne pourra pas se séparer de l'éphod.

C'est ainsi qu'Aaron lorsqu'il entrera dans le sanctuaire, portera sur son coeur les noms des fils d'Israël gravés sur le pectoral du jugement, en souvenir perpétuel devant Yahweh. Tu joindras au pectoral du jugement l'Urim et le Thummin, et ils seront sur le coeur d'Aaron lorsqu'il se présentera devant Yahweh; et ainsi Aaron portera constamment sur son coeur, devant Yahweh, le jugement des enfants d'Israël. Tu feras la robe de l'éphod tout entière en pourpre violette. Il y aura au milieu une ouverture pour la tête, et cette ouverture aura tout autour un re-bord tissé, comme à l'ouverture d'une cotte d'armes, afin que la robe ne se déchire pas. Tu mettras au bord inférieur des grenades de pourpre violette, de pourpre écarlate et de cramoisi, sur le bord inférieur tout autour, et des clochettes d'or au milieu d'elles tout autour;  une clochette d'or et une grenade, une clochette d'or et une grenade sur le bord inférieur de la robe, tour autour. Aaron s'en revêtira pour remplir son ministère, et l'on entendra le son des clochettes quand il entrera dans le sanctuaire devant Yahweh, et quand il en sortira, et il ne mourra point.

Tu feras une lame d'or pur, et tu y graveras, comme on grave sur un cachet: Sainteté à Yahweh. Tu l'attacheras avec un ruban de pourpre violette pour qu'elle soit sur la tiare; elle sera sur le devant de la tiare. Elle sera sur le front d'Aaron, et Aaron portera les fautes commises dans les choses saintes que consacreront les enfants d'Israël, en toute espèce de saintes offrandes; elle sera constamment sur son front devant Yahweh, pour qu'ils trouvent faveur devant Yahweh. Tu feras la tunique en lin; tu feras une tiare de lin, et tu feras une ceinture de diverses couleurs. Pour les fils d'Aaron, tu feras des tuniques, tu leur feras des ceintures et tu leur feras des mitres, pour marquer leur dignité et pour leur servir de parure. Tu revêtiras de ces ornements, Aaron, ton frère, et ses fils avec lui. Tu les oindras, tu les installeras et tu les consacreras, afin qu'ils soient prêtres à mon service. Fais-leur des caleçons de lin, pour couvrir leur nudité; ils iront depuis les reins jusqu'aux cuisses.

Aaron et ses fils les porteront quand ils entreront dans la tente de réunion, ou quand ils s'approcheront de l'autel pour faire le service dans le sanctuaire; ainsi ils n'encourront point de faute et ne mourront point. C'est une loi perpétuelle pour Aaron et pour ses descendants après lui. (Exode 28, 1 à 43)

 

Chapitre 29

 

Voici ce que tu feras pour les consacrer à mon service comme prêtres. Prends un jeune taureau et deux béliers sans défaut; des pains sans levain, des gâteaux sans levain pétris à l'huile, et des galettes sans levain arrosées d'huile: tu feras le tout de fleur de farine de froment. Tu les mettras dans une seule corbeille, et tu les présenteras dans la corbeille en même temps que tu présenteras le jeune taureau et les deux béliers.

Tu feras avancer Aaron et ses fils à l'entrée de la tente de réunion, et tu les laveras avec de l'eau. Puis, ayant pris les vêtements, tu revêtiras Aaron de la tunique, de la robe de l'éphod, de l'éphod et du pectoral, et tu lui mettras la ceinture de l'éphod. Tu poseras la tiare sur sa tête, et tu mettras sur la tiare le diadème de sainteté. Tu prendras l'huile d'onction, tu en répandras sur sa tête et tu l'oindras. Tu feras approcher ses fils, et tu les revêtiras des tuniques. Tu mettras une ceinture à Aaron et à ses fils et tu attacheras des mitres aux fils d'Aaron. Le sacerdoce leur appartiendra par une loi perpétuelle, et tu installeras Aaron et ses fils.

Tu amèneras le taureau devant la tente de réunion, et Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du taureau. Tu égorgeras le taureau devant Yahweh, à l'entrée de la tente de réunion; tu prendras du sang du taureau, tu en mettras avec ton doigt sur les cornes de l'autel, et tu répandras tout le sang au pied de l'autel. Tu prendras toute la graisse qui couvre les entrailles, le réseau du foie et les deux rognons avec la graisse qui les entoure, et tu feras fumer tout cela sur l'autel. Mais tu consumeras par le feu hors du camp la chair du taureau, sa peau et ses excréments : c'est un sacrifice pour le péché.

Tu prendras l'un des béliers, et Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier. Tu égorgeras le bélier, tu en prendras le sang et tu le répandras sur l'autel tout autour. Tu couperas le bélier par morceaux et, ayant lavé les entrailles et les jambes, tu les mettras sur les morceaux et sur sa tête, et tu feras fumer tout le bélier sur l'autel. C'est un holocauste à Yahweh, d'agréable odeur, un sacrifice par le feu pour Yahweh. Tu prendras le second bélier, et Aaron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du bélier. Tu égorgeras le bélier et, ayant pris de son sang, tu en mettras sur le lobe de l'oreille droite d'Aaron et sur le lobe de l'oreille droite de ses fils, sur le pouce de leur main droite et sur le gros orteil de leur pied droit, et tu répandras le sang sur l'autel tout autour. Tu prendras du sang qui sera sur l'autel et de l'huile d'onction, et tu en aspergeras Aaron et ses vêtements, ses fils et leurs vêtements avec lui. Et ainsi il sera consacré, lui et ses vêlements, ainsi que ses fils et les vêtements de ses fils avec lui.

Tu prendras la graisse du bélier, la queue, la graisse qui enveloppe les entrailles, le réseau du foie, les deux rognons et la graisse qui les entoure, et l'épaule droite, car c'est un bélier d'installation. Tu prendras aussi, dans la corbeille des pains sans levain placée devant Yahweh, un gâteau de pain, un gâteau à l'huile et une galette. Tu poseras toutes ces choses sur les paumes des mains d'Aaron et sur les paumes des mains de ses fils, et tu les balanceras comme offrande balancée devant Yahweh. Tu les ôteras ensuite de leurs mains et tu les feras brûler sur l'autel par-dessus l'holocauste, en agréable odeur devant Yahweh: C'est un sacrifice par le feu pour Yahweh. Tu prendras la poitrine du bélier qui aura servi à l'installation d'Aaron, et tu la balanceras comme offrande balancée devant Yahweh : ce sera ta portion. Du bélier d'installation, de ce qui revient à Aaron et de ce qui revient à ses fils, tu consacreras ce qui aura été balancé et ce qui aura été élevé, savoir la poitrine balancée et l'épaule élevée: ce sera pour Aaron et ses fils une redevance perpétuelle de la part des enfants d'Israël, car c'est une offrande élevée; et les enfants d'Israël auront à prélever une offrande sur leurs sacrifices d'actions de grâces, leur offrande prélevée pour Yahweh.

Les vêtements sacrés d'Aaron seront après lui pour ses fils, qui en seront revêtus lorsqu'on les oindra et qu'on les installera. Sept jours durant, celui de ses fils qui sera prêtre à sa place les portera, celui qui entrera dans la tente de réunion pour faire le service dans le sanctuaire. Tu prendras le bélier d'installation, et tu en feras cuire la chair dans un lieu saint. Aaron et ses fils mangeront, à l'entrée de la tente de réunion, la chair du bélier et le pain qui sera dans la corbeille. Ils mangeront ainsi ce qui aura servi à faire l'expiation pour les installer et les consacrer; nul étranger n'en mangera, car ce sont des choses saintes. S'il reste jusqu'au lendemain de la chair de l'installation et du pain, tu brûleras ce reste, et on ne le mangera pas, car c'est une chose sainte.

Tu feras ainsi à l'égard d'Aaron et de ses fils, selon tous les ordres que je t'ai donnés. Tu les installeras pendant sept jours. Tu offriras chaque jour un jeune taureau en sacrifice pour le péché, pour l'expiation; tu ôteras de l'autel le péché par cette expiation, et tu l'oindras pour le consacrer. Pendant sept jours, tu feras l'expiation pour l'autel et tu le consacreras; et l'autel sera très saint, et tout ce qui touchera l'autel sera sacré. Voici ce que tu offriras sur l'autel: deux agneaux d'un an, chaque jour, à perpétuité. Tu offriras l'un de ces agneaux le matin, et tu offriras l'autre agneau entre les deux soirs.

Avec le premier agneau, tu offriras un dixième d'épha de fleur de farine pétrie avec un quart de hin d'huile d'olive concassée, et une libation d'un quart de hin de vin. Tu offriras le second agneau entre les deux soirs, tu l'accompagneras d'une offrande et d'une libation semblables à celles du matin. C'est un sacrifice d'agréable odeur, un sacrifice par le feu pour Yahweh: holocauste perpétuel qui doit être offert par vous d'âge en âge, à l'entrée de la tente de réunion, devant Yahweh, là où je me rencontrerai avec vous, pour t'y parler.

Je me rencontrerai là avec les enfants d'Israël, et ce lieu sera consacré par ma gloire. Je consacrerai la tente de réunion et l'autel, et je consacrerai Aaron et ses fils, pour qu'ils soient prêtres à mon service. J'habiterai au milieu des enfants d'Israël, et je serai leur Dieu. Ils connaîtront que moi, Yahweh, je suis leur Dieu, qui les ai fait sortir du pays d'Égypte, pour habiter au milieu d'eux, moi Yahweh, leur Dieu. (Exode 29, 1 à 46)

 

Chapitre 30

 

Tu feras un autel pour faire fumer l'encens, tu le feras de bois d'acacia; sa longueur sera d'une coudée, et sa largeur d'une coudée; il sera carré, et sa hauteur de deux coudées; ses cornes feront corps avec lui. Tu le revêtiras d'or pur, le dessus, les côtés tout autour et les cornes, et tu y feras une guirlande d'or tout autour. Tu feras pour lui deux anneaux d'or, au-dessous de la guirlande, sur ses deux arêtes : tu les feras aux deux côtés, pour recevoir les barres qui serviront à le porter. Tu feras les barres de bois d'acacia, et tu les revêtiras d'or. Tu placeras l'autel en face du voile qui est devant l'arche du témoignage, en face du propitiatoire qui est sur le témoignage, là où je me rencontrerai avec toi. Aaron y fera fumer l'encens; il le fera fumer chaque matin, lorsqu'il préparera les lampes, et il le fera fumer entre les deux soirs, lorsqu'Aaron mettra les lampes sur le chandelier. Encens perpétuel devant Yahweh, parmi vos descendants.

Vous n'offrirez sur l'autel ni parfum profane, ni holocauste, ni offrande, et vous n'y répandrez pas de libation. Aaron fera l'expiation sur les cornes de l'autel une fois chaque année; avec le sang de la victime expiatoire, il y fera l'expiation une fois l'an parmi vos descendants. Cet autel sera très saint à Yahweh." Yahweh parla à Moïse, en disant: "Quand tu compteras les enfants d'Israël pour en faire le recensement, ils donneront chacun à Yahweh une rançon pour leur âme, lorsqu'on les recensera, afin qu'ils ne soient frappés d'aucun fléau lors de leur recensement. Voici ce que donneront tous ceux qui seront compris dans le dénombrement: un demi-sicle, selon le sicle du sanctuaire, qui est de vingt guéras; un demi-sicle sera le don levé pour Yahweh.

Tout homme compris dans le dénombrement, depuis l'âge de vingt ans et au-dessus, acquittera la contribution de Yahweh. Le riche ne paiera pas plus, et le pauvre ne paiera pas moins d'un demi-sicle, pour acquitter la contribution de Yahweh, comme rançon de vos âmes. Tu recevras des enfants d'Israël l'argent de la rançon, et tu l'appliqueras au service de la tente de réunion; il sera pour les enfants d'Israël un titre devant Yahweh pour la rançon de leurs âmes."

Yahweh parla à Moïse en disant: "Tu feras une cuve d'airain, avec sa base d'airain, pour les ablutions; tu la placeras entre la tente de réunion et l'autel, et tu y mettras de l'eau, et Aaron et ses fils en prendront pour se laver les mains et les pieds. Ils se laveront avec cette eau, afin qu'ils ne meurent point, et lorsqu'ils entreront dans la tente de réunion, et lorsqu'ils s'approcheront de l'autel pour faire le service, pour faire fumer un sacrifice à Yahweh. Ils se laveront les pieds et les mains, et ils ne mourront pas. Ce sera une loi perpétuelle pour eux, pour Aaron et sa postérité d'âge en âge."

Yahweh parla à Moïse, en disant: "Prends, parmi les meilleurs aromates, cinq cents sicles de myrrhe vierge, la moitié, soit deux cent cinquante sicles, de cinname statistique, deux cent cinquante sicles de canne odorante, cinq cents sicles de casse, selon le sicle du sanctuaire, et un hin d'huile d'olive. Tu en feras une huile pour l'onction sainte, un parfum composé selon l'art du parfumeur : ce sera l'huile pour l'onction sainte. Tu en oindras la tente de réunion et l'arche du témoignage, la table et tous ses ustensiles, le chandelier et ses ustensiles, l'autel des parfums, l'autel des holocaustes et tous ses ustensiles, et la cuve avec sa base. Tu les consacreras, et ils seront très saints; tout ce qui les touchera sera saint.

Tu oindras Aaron et ses fils, et tu les consacreras, pour qu'ils me servent comme prêtres. Tu parleras aux enfants d'Israël, en disant: Ce sera l'huile d'onction sainte, pour moi d'âge en âge. On n'en répandra pas sur le corps d'un homme, et vous n'en ferez pas une semblable, de même composition; c'est une chose sacrée, et vous la regarderez comme chose sacrée. Quiconque en composera de semblable, ou en mettra sur un étranger, sera retranché de son peuple."

Yahweh dit à Moïse: "Prends des aromates: résine, ongle odorant, galbanum; des aromates et de l'encens pur; ils seront en parties égales. Tu en feras un parfum pour l'encensement, composé selon l'art du parfumeur; il sera salé, pur et saint. Tu le réduiras en poudre, et tu en mettras devant le témoignage, dans la tente de réunion, où je me rencontrerai avec toi. Ce sera pour vous une chose très sainte. Le parfum que tu feras, vous n'en ferez pas pour vous de même composition; tu le regarderas comme une chose sacrée pour Yahweh. Quiconque en fera de semblable, pour en respirer l'odeur, sera retranché de son peuple," (Exode 30, 1 à 38)

 

Chapitre 31

 

Yahweh parla à Moïse en disant: "Sache que j'ai appelé par son nom Béséleel, fils d'Uni, fils de Hur, de la tribu de Juda. Je l'ai rempli de l'esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de savoir pour toutes sortes d'ouvrages pour faire des inventions, pour travailler l'or, l'argent et l'airain, pour graver les pierres à enchâsser, pour tailler le bois et exécuter toutes sortes d'ouvrages. Et voici, je lui ai adjoint Ooliab, fils d'Achisamech, de la tribu de Dan, et j'ai mis la sagesse dans le coeur de tout homme habile, pour qu'ils exécutent tout ce que je t'ai ordonné: la tente de réunion, l'arche du témoignage, le propitiatoire, qui est dessus, et tous les meubles de la tente; la table et ses ustensiles, le chandelier d'or pur et tous ses ustensiles, l'autel des parfums, l'autel des holocaustes et tous ses ustensiles, la cuve avec sa base; les vêtements de cérémonie, les vêtements sacrés pour le prêtre Aaron, les vêtements de ses fils pour les fonctions du sacerdoce; l'huile d'onction et le parfum à brûler pour le sanctuaire. Ils exécuteront tous les ordres que je t'ai donnés."

Yahweh parla à Moïse, en disant: "Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: Ne manquez pas d'observer mes sabbats; car c'est entre moi et vous un signe pour toutes vos générations, pour que vous sachiez que c'est moi, Yahweh, qui vous sanctifie. Vous observerez le sabbat, car c'est pour vous une chose sainte. Celui qui le profanera sera puni de mort; celui qui fera quelque ouvrage ce jour-là sera retranché du milieu de son peuple. On travaillera six jours; mais le septième jour sera un jour de repos complet, consacré à Yahweh. Quiconque fera un travail le jour du sabbat sera puni de mort. Les enfants d'Israël observeront le sabbat et le célébreront, eux et leurs descendants, comme une alliance perpétuelle. Ce sera, entre moi et les enfants d'Israël, un signe à perpétuité: car en six jours Yahweh a fait le ciel et la terre, et le septième jour il a cessé son oeuvre et il s'est reposé."

Lorsque Yahweh eut achevé de parler à Moïse sur la montagne de Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu. (Exode 31, 1 à 18)


[1] Comme pour toutes nos autres études concernant les œuvres de Ruysbrœck, nous avons utilisé la traduction des moines de Wisques que l'on peut retrouver sur le site suivant:
 
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbroeck/table.html
[2] Exode 27, 9-21.
[3] La coudée (en latin cubitus) est une unité de longueur vieille de plusieurs milliers d'années. Elle a comme base la longueur allant du coude jusqu'à l'extrémité de la main. C'est la coudée, dite naturelle, de vingt-quatre doigts (= six paumes ou 11⁄2 pieds). Elle correspond donc à 45 cm environ. La coudée royale égyptienne, attestée depuis la IVe dynastie mesurait environ 52,4 cm.
[4] La Bible de Jérusalem traduit ce mot: ais, par "cadre". La Bible des Peuples parle de "planches". En fait, il s'agit ici de tous les éléments qui constitueront la charpente du tabernacle. Nous conserverons les termes utilisés dans la traduction de Ruysbrœck par les moines de Wisques.
[5] Qui ornaient le chandelier d'or.
[6] autres ornements du chandelier d'or.
[7] L'inclination affective vers l'unité, c'est l'huile de notre paix d'éternité.
[8] L'once est une ancienne unité de masse, dont la valeur est comprise entre 24 et 33 grammes. Au temps de l'Empire romain, l'once romaine, valait 27,264 g.
[9] paragraphes 5-6-1 et 5-6-2.
[10] Un setier était une unité romaine de volume qui valait environ 54 centilitres. Un ephi contenait trois muids, et un muids, 22 setiers. Un ephi valait donc environ 35 à 36 litres. Un dixième d’éphi valait donc, à Rome, environ 3,6 litres.
[11] Voir ci-dessus,  paragraphe 5-5-2.
[12] Voir ci-dessus, paragraphe 5-5-2.
[13] Les laitues sauvages signifient amertume et contrition entière de tous nos péchés.
[14] L'Agneau pascal.
[15] Le troisième oiseau cité par Ruysbrœck.
[16] prudence, tempérance, force et justice.
[17] Les chauve-souris ne sont pas des oiseaux, mais des mammifères volants. On ne le savait probablement pas à l'époque de Ruysbrœck.
[18] La coudée est une unité de longueur vieille de plusieurs milliers d'années. Elle a comme base la longueur allant du coude jusqu'à l'extrémité de la main. C'est la coudée, dite naturelle, de vingt-quatre doigts (= six paumes ou 11⁄2 pieds). Elle correspond donc à 45 cm environ. 

Cette mesure a évolué dans le temps :

    * la « coudée royale ancienne » attestée depuis la IVe dynastie mesurait environ 52,4 cm ;
    * la « coudée royale nouvelle » (ou souvent « coudée royale » tout court) attesté depuis la XIIe dynastie mesurait environ 52,9 cm.

 VOIR : K - Les douze Béguines 1

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