

PREMIERE PARTIE
Les Principes
CHAPITRE IV
De l'obligation de
tendre à la perfection
352. Ayant exposé la nature de la
vie chrétienne et sa perfection, il nous reste à examiner s'il y a pour nous une
véritable obligation de progresser en cette vie ou s'il ne suffit pas de la
garder précieusement comme on garde un trésor. Pour répondre avec plus de
précision, nous examinerons cette question par rapport à trois catégories de
personnes : 1° les simples fidèles ou chrétiens ; 2° les religieux ; 3° les
prêtres, insistant sur ce dernier point, à cause du but spécial que nous nous
proposons.
ART. I. DE L’OBLIGATION POUR LES
CHRETIENS DE TENDRE A LA PERFECTION
Nous exposerons : 1° l'obligation
elle-même ; 2° les motifs qui rendent ce devoir plus facile.
§1. De l'obligation proprement dite
353. En une matière aussi délicate
il importe de mettre autant de précision que possible. Il est certain qu'il faut
et qu'il suffit de mourir en état de grâce pour être sauvé ; il semble donc
qu'il n'y ait pour les fidèles d'autre obligation stricte que celle de conserver
l'état de grâce. Mais précisément la question est de savoir si on peut conserver
pendant un temps notable l’état de grâce sans s'efforcer de faire des progrès.
Or l'autorité et la raison éclairée par la foi nous montrent que, dans l'état de
nature déchue, on ne peut demeurer longtemps dans l'état de grâce sans
s'efforcer de progresser dans la vie spirituelle, et de pratiquer de temps, en
temps quelques-uns des conseils évangéliques.
I. L'argument d'autorité
354. 1° La Sainte Ecriture ne
traite pas directement cette question : après avoir posé le principe général de
la distinction entre les préceptes et les conseils, elle ne nous dit pas
généralement ce qui, dans les exhortations de Notre Seigneur, est obligatoire ou
non. Mais elle insiste tant sur la sainteté qui convient aux chrétiens, elle met
devant nos yeux un tel idéal de perfection, elle prêche si ouvertement à tous la
nécessité du renoncement et de la charité, éléments essentiels de la perfection,
que, pour tout esprit impartial, se dégage la conviction que, pour sauver son
âme, il faut, à certains moments, faire plus que ce qui est strictement commandé
et par conséquent s'efforcer de progresser.
355. A) Ainsi Notre Seigneur nous présente comme idéal de sainteté la perfection
même de notre Père céleste : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est
parfait, Estote ergo vos perfecti, sicut et Pater vester cælestis perfectus est
» (Matth., V, 48) ; ainsi donc tous ceux qui ont Dieu pour père, doivent se
rapprocher de cette perfection divine ; ce qui ne peut se faire évidemment sans
quelque progrès. Et, au fond, tout le sermon sur la montagne n'est que le
commentaire, le développement de cet idéal. La voie à suivre pour cela, c'est la
voie du renoncement, de l'imitation de Notre Seigneur et de l'amour de Dieu : «
Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas (c. à d. ne sacrifie pas) son père, sa
mère, sa femme, ses fils, ses frères et même sa propre vie, il ne peut être mon
disciple : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum, et matrem et uxorem et
filios et fratres, adhuc autem et animam suam non potest meus esse discipulus »
(Luc, XIV, 26-27). Il faut donc, en certains cas, préférer Dieu et sa volonté à
l'amour de ses parents, de sa femme, de ses enfants, de sa propre vie et tout
sacrifier pour suivre Jésus ; ce qui suppose un courage héroïque qu'on ne
possédera pas au moment voulu si on ne s'y est préparé par des sacrifices de
surérogation. Sans doute cette voie est étroite et difficile, et bien peu la
suivent ; mais Jésus veut qu'on fasse des efforts sérieux pour y entrer : «
Contendite intrare per angustam portam » (Luc, XIII, 24) ; n’est-ce pas nous
demander de tendre à la perfection ?
356. B) Ses apôtres ne tiennent pas un langage différent ; Saint Paul rappelle
souvent aux fidèles qu'ils ont été choisis pour devenir saints : « ut essemus
sancti et immaculati in conspectu ejus in caritate » (Ephes., I, 4) ; ce qu'ils
ne peuvent faire sans se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau,
c'est-à-dire, sans mortifier les tendances de la mauvaise nature et sans
s'efforcer de reproduire les vertus de Jésus. Or ils ne peuvent le faire, ajoute
Saint Paul, sans s'efforcer de parvenir « à la mesure de la pleine croissance de
la plénitude du Christ, donec occurramus omnes... in virum perfectum, in
mensuram ætatis plenitudinis Christi » (Ephes., IV, 10-16) ; ce qui veut dire
qu'étant incorporés au Christ, nous sommes son complément, et c'est à nous, en
progressant dans l'imitation de ses vertus, à le faire grandir, à le compléter.
Saint Pierre veut aussi que tous ses disciples soient saints comme celui qui les
a appelés au salut : « secundum eum qui vocavit vos Sanctum, et ipsi in omni
conversatione sancti sitis » (I Petr., I, 15). Peuvent-ils l'être, s'ils ne
progressent dans la pratique des vertus chrétiennes ? Saint Jean dans le dernier
chapitre de l'Apocalypse invite les justes à ne cesser de pratiquer la justice
et les saints à se sanctifier encore davantage : « Qui justus est, justificetur
adhuc, et sanctus, sanctificetur adhuc » (Apoc., XXII, 11)
357. C) C'est ce qui découle encore de la nature de la vie chrétienne, qui, au
langage de Notre Seigneur et de ses disciples, est un combat, où la vigilance et
la prière, la mortification et la pratique positive des vertus sont nécessaires
pour remporter la victoire : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation,
vigilate et orate ut non intretis in tentationem » (Matth., XXVI, 41). Ayant à
lutter non seulement contre la chair et le sang, c'est-à-dire, la triple
concupiscence, mais encore contre les démons qui l'attisent en nous, nous avons
besoin de nous armer spirituellement et de combattre vaillamment. Or, dans une,
lutte prolongée, on est presque fatalement vaincu si on se tient uniquement sur
la défensive ; il faut donc recourir aux contre-attaques, c'est-à-dire, à la
pratique positive des vertus, à la vigilance, à la mortification, à l'esprit de
foi et de confiance. C'est bien la conclusion que tire Saint-Paul, quand, après
avoir décrit la lutte que nous avons à soutenir, il déclare que nous devons être
armés de pied en cap, comme le soldat romain, « les reins ceints de la vérité,
revêtus de la cuirasse de justice, et les sandales aux pieds, prêts à annoncer
l'Evangile de paix, avec le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive
de l'Esprit : State ergo succinti lumbos vestros in veritate, et induti loricam
justitiæ, et calceati pedes in præparatione evangelii pacis ; in omnibus
sumentes scutum fidei... et galeam salutis assumite et gladium Spiritus... » (Ephes.,
VI, 14-17). Et par là, il nous montre que, pour triompher de nos adversaires, il
faut faire plus que ce qui est strictement prescrit.
358. 2° La Tradition confirme cet enseignement. Quand les Pères veulent insister
sur la nécessité de la perfection pour tous, ils disent que, dans la voie qui
conduit à Dieu et au salut, on ne peut demeurer stationnaire : il faut avancer
ou reculer. Ainsi Saint Augustin, faisant remarquer que la charité est active,
nous avertit qu'il ne faut pas s'arrêter en chemin, précisément parce que
s'arrêter c'est reculer ; et son adversaire, Pélage, admettait le même principe,
tant il est évident. Aussi le dernier des Pères, Saint Bernard, expose cette
doctrine sous une forme saisissante : « Tu ne veux pas progresser ? - Non. - Tu
veux donc reculer ? - Pas du tout. - Que veux-tu donc ? - Je veux vivre de telle
manière que je demeure au point où je suis parvenu... - Ce que tu veux est
impossible, car rien en ce monde ne demeure dans le même état... » (Epist. CCLIV
ad abbatem Suarinam, n°4). Et il ajoute ailleurs : « Il faut nécessairement
monter ou descendre ; si on essaie de s'arrêter, on tombe infailliblement. »
(Epist. XCI ad abbates Suessione congregatos, n°3). Aussi N. S. P. le Pape Pie
XI, dans son Encyclique du 26 janvier 1923 sur S. Fr. de Sales, déclare
nettement que tous les chrétiens, sans exception, doivent tendre à la sainteté.
II. L'argument de raison
La raison fondamentale pour
laquelle il nous faut tendre à la perfection, c'est bien celle qui est donnée
par les Pères.
359. 1° Toute vie, étant un mouvement, est essentiellement progressive, en ce
sens que, quand elle cesse de croître, elle commence à s'affaiblir. La raison en
est qu'il y a, en tout vivant, des forces de désagrégation qui, si elles ne sont
pas enrayées, finissent par produire la maladie et la mort. Ainsi en est-il de
notre vie spirituelle : à côté des tendances qui nous portent vers le bien, il
en est d'autres, très actives, qui nous portent vers le mal ; pour les
combattre, le seul moyen efficace, c'est d'augmenter en nous les forces vives,
c'est-à-dire, l'amour de Dieu et les vertus chrétiennes ; alors les tendances
mauvaises s'affaiblissent. Mais, si nous cessons de faire effort pour avancer,
nos vices se réveillent, reprennent des forces, nous attaquent plus vivement et
plus fréquemment; et si nous ne nous réveillons pas de notre torpeur, le moment
vient où, de capitulations en capitulations, nous tombons dans le péché mortel.
C'est hélas ! l'histoire de bien des âmes, comme le savent les directeurs
expérimentés.
Une comparaison nous le fera comprendre. Pour faire notre salut, nous avons à
remonter un courant plus ou moins violent, celui de nos passions désordonnées
qui nous portent vers le mal. Tant que nous faisons effort pour pousser notre
barque en avant, nous réussissons à remonter le courant, ou du moins à le
contrebalancer ; le jour où nous cessons de ramer, nous sommes emportés par le
courant, et reculons vers l’océan, où nous attendent les tempêtes, c'est-à-dire
les tentations graves et peut-être des chutes lamentables.
360. 2° Il y a des préceptes graves qui ne peuvent être observés à certains
moments que par des actes héroïques. Or, en tenant compte des lois
psychologiques, on n'est généralement capable de faire des actes héroïques que
si on s'y est préparé à l'avance par quelques sacrifices, ou, en d'autres termes
par des actes de mortification. Pour rendre cette vérité plus tangible, donnons
quelques exemples. Prenons le précepte de la chasteté, et voyons ce qu'il exige
d'efforts généreux, parfois, héroïques, pour être gardé toute la vie. Jusqu'au
mariage (et beaucoup de jeunes hommes ne se marient guère avant 28 ou 30 ans),
c'est la continence absolue qu'il faut pratiquer sous peine de péché mortel. Or
les tentations graves commencent pour presque tous à l'âge de la puberté, et
parfois auparavant ; pour y résister victorieusement, il faut prier, se sevrer
des lectures, des représentations, des relations dangereuses, se reprocher les
moindres petites capitulations et profiter de ses défaillances pour se relever
aussitôt et généreusement, et cela pendant une longue période de la vie. Est-ce
que tout cela ne suppose pas des efforts plus qu'ordinaires, quelques œuvres de
surérogation ? Le mariage une fois contracté ne met pas à l'abri des tentations
graves ; il y a des périodes où il faut pratiquer la continence conjugale ; or,
pour le faire, il faut un courage héroïque, qui ne s'acquiert que par une longue
accoutumance à la mortification du plaisir sensuel, et par la pratique assidue
de la prière.
361. Qu'on prenne maintenant les lois de la justice dans les transactions
financières, commerciales et industrielles, et qu'on pense au nombre
considérable d'occasions qui se présentent de la violer ; à la difficulté de
pratiquer l'honnêteté parfaite dans un milieu où la concurrence et l'âpreté au
gain font majorer les prix au-delà des limites permises ; et l'on verra que,
pour rester simplement honnête, il faut une somme d'efforts et d'abnégation plus
qu'ordinaire. Sera-t-il capable de ces efforts celui qui s’est accoutumé à ne
respecter que les prescriptions graves, qui s'est permis avec sa conscience des
compromissions d'abord légères, puis plus sérieuses et enfin troublantes ? Pour
éviter ce danger, ne faut-il pas faire un peu plus que ce qui est strictement
commandé, afin que la volonté, fortifiée par ces actes généreux, ait assez de
vigueur pour ne pas se laisser entraîner à des actes d'injustice ?
C'est donc de tous côtés que se vérifie cette loi morale que, pour ne pas tomber
dans le péché, il faut fuir le danger par des actes généreux qui ne tombent pas
directement sous le précepte. En d'autres termes, pour atteindre le but, il faut
viser plus haut ; et, pour ne pas perdre la grâce, il faut fortifier sa volonté
contre les tentations dangereuses par des œuvres de surérogation, en un mot
tendre à une certaine perfection.
§ II. Des motifs qui rendent ce
devoir plus facile
Les nombreux motifs qui peuvent
porter les simples fidèles à tendre vers la perfection, se ramènent à trois
principaux : 1° le bien de notre âme ; 2° la gloire de Dieu ; 3° l’édification
du prochain.
362. 1° Le bien de notre âme, c'est avant tout l'assurance du salut, la
multiplication de nos mérites, et enfin les joies de la conscience.
A) La grande œuvre que nous avons à accomplir sur terre, l'œuvre nécessaire, et,
à vrai dire, l'unique nécessaire, c'est le salut de notre âme. Si nous la
sauvons, quand bien même nous perdrions tous les biens de la terre, parents,
amis, réputation, richesse, tout est sauvé ; nous retrouverons au ciel, au
centuple, tout ce que nous avions perdu, et cela pour toute l’éternité. Or le
moyen le plus efficace pour assurer notre salut, c'est de viser à la perfection,
chacun selon son état ; plus nous le faisons avec sagesse et constance, plus
nous nous éloignons par là même du péché mortel, qui seul peut nous damner : il
est évident en effet que, quand on s'efforce sincèrement de devenir plus
parfait, on écarte par là même les occasions de péché, on fortifie sa volonté
contre les surprises qui nous guettent, et, le moment de la tentation venu, la
volonté, déjà aguerrie par l'effort vers la perfection, accoutumée à prier pour
s'assurer la grâce de Dieu, repousse avec horreur la pensée du péché grave.
Celui qui au contraire se permet tout ce qui n'est pas faute grave, s'expose à y
tomber quand se présentera une violente et longue tentation : accoutumé à céder
au plaisir en des choses moins graves, il y a lieu de craindre qu’emporté par la
passion, il ne finisse par y succomber, comme celui qui côtoie constamment
l'abîme finit par y tomber. Pour être sûr de ne pas offenser Dieu gravement, le
meilleur moyen est de s'éloigner des bords du précipice en faisant plus que ce
qui est commandé, en s'efforçant d'avancer vers la perfection ; plus on y tend
avec prudence et humilité, et plus on assure son salut éternel.
363. B). Par là aussi on augmente chaque jour les degré de grâce habituelle que
l'on possède et les degrés de gloire auxquels on a droit. Nous avons vu en effet
que tout effort surnaturel fait pour Dieu par une âme en état de grâce, lui vaut
un accroissement de mérites. Celui qui ne se soucie pas de la perfection et fait
son devoir avec plus ou moins de nonchalance, n'acquiert que peu de mérites,
comme nous l'avons dit, n° 243. Mais celui qui tend à la perfection et s'efforce
de progresser, en acquiert un grand nombre ; ainsi chaque jour il augmente son
capital de grâce et de gloire, ses jours sont pleins de mérites : chaque effort
est récompensé par une augmentation de grâce sur terre, et plus tard par un
poids immense de gloire, « æternum gloriæ pondus operatur in nobis ! » (II Cor.,
IV, 17).
364. C) Si l'on veut goûter un peu de bonheur sur terre, rien de meilleur que la
piété : « elle est, dit Saint Paul, utile à tout ; elle a des promesses pour la
vie présente et pour la vie éternelle : pietas autem ad omnia utilis est,
promissionem habens vitæ quæ nunc est et futuræ » (I Tim., IV, 8). La paix de
l'âme, la joie de la bonne conscience, le bonheur d'être uni à Dieu, de
progresser en son amour, d'arriver à une intimité plus grande avec Notre
Seigneur, telles sont quelques-unes des récompenses que Dieu ménage dès
maintenant à ses fidèles serviteurs, au milieu de leurs épreuves, avec l'espoir
si réconfortant du bonheur éternel.
365. 2° La gloire de Dieu. Rien de plus noble que de la procurer, rien de plus
juste, si nous nous rappelons ce que Dieu a fait et ne cesse de faire pour nous.
Or une âme parfaite rend plus de gloire à Dieu que mille âmes ordinaires : elle
multiplie en effet chaque jour ses actes d'amour, de reconnaissance, de
réparation, elle oriente dans ce sens sa vie tout entière par l'offrande souvent
renouvelée de ses actions ordinaires, et ainsi glorifie Dieu du matin au soir.
366. 3° L'édification du Prochain. Pour faire du bien autour de nous, convertir
quelques pécheurs ou incroyants et affermir dans le bien les âmes chancelantes,
il n'est rien de plus efficace que l'effort qu'on fait pour mieux pratiquer le
christianisme : autant la médiocrité de la vie attire sur la religion les
critiques des incroyants, et autant la vraie sainteté excite leur admiration
pour une religion qui sait produire de tels effets : « C'est au fruit qu'on juge
l'arbre : ex fructibus eorum cognoscetis eos » (Matth., VII, 20). La meilleure
apologétique est celle de l'exemple, quand on sait y joindre la pratique de tous
les devoirs sociaux. C'est aussi un excellent stimulant pour les médiocres, qui
s'endormiraient dans leur mollesse, si les progrès des âmes ferventes ne
venaient les faire sortir de leur torpeur.
Beaucoup d'âmes aujourd'hui sont accessibles à ce motif : en ce siècle de
prosélytisme, les laïques comprennent mieux qu’autrefois la nécessité de
défendre et de propager leur foi par la parole et par l’exemple. Il appartient
aux prêtres de favoriser ce mouvement en formant autour d'eux une élite de
vaillants chrétiens qui ne se contentent pas d'une vie médiocre et vulgaire,
s'efforcent de progresser chaque jour dans l'accomplissement de tous leurs
devoirs, devoirs religieux en premier lieu, mais aussi devoirs civiques et
sociaux. Ce seront d'excellents collaborateurs, qui pénétrant en des milieux peu
accessibles aux religieux et aux prêtres, les seconderont efficacement dans la
pratique de l'apostolat.
ART. II. DE L'OBLIGATION POUR LES
RELIGIEUX DE TENDRE A LA PERFECTION
367. Parmi les chrétiens, il en est
qui, voulant se donner plus parfaitement à Dieu, et assurer plus efficacement le
salut de leur âme, entrent dans l'état religieux. Or cet état est, selon le Code
de droit canon (Canon 487), « une manière stable de vivre en commun, où l'on
s'engage à pratiquer, outre les lois générales, les conseils évangéliques en
faisant les vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté ».
Que les Religieux soient tenus, en vertu de leur état, à tendre à la perfection,
c'est ce qu'enseignent unanimement les théologiens, et ce qu'a rappelé le Code,
en déclarant que « tous et chacun des religieux, les supérieurs aussi bien que
les sujets, doivent tendre à la perfection de leur état » (Canon 593). Cette
obligation est tellement grave que S. Liguori n'hésite pas à dire qu'un
religieux pèche mortellement, s'il prend. la résolution ferme de ne pas tendre à
la perfection, ou de ne s'en soucier aucunement (Theol. moralis, l. IV, n° 18).
Par là en effet il manque gravement à son devoir d'état, qui est précisément de
tendre à la perfection. C'est même pour cela que l’état religieux est appelé un
état de perfection, c’est-à-dire un état reconnu officiellement par le Droit
Canon comme une situation stable, où l'on s'oblige à acquérir la perfection.
Il n'est donc pas nécessaire d’avoir acquis la perfection avant d’y entrer, mais
on y entre précisément pour l'acquérir, selon la remarque de Saint Thomas (Sum.
theol. IIa IIæ, q. 186, a. 1, ad 3).
L'obligation, pour les religieux, de tendre à la perfection se base sur deux
raisons principales : 1° leurs vœux ; 2° leurs constitutions et règles.
I. Obligation fondée sur les vœux
368. Quand on se fait religieux,
c'est dans le but de se donner, de se consacrer plus parfaitement à Dieu, et
c'est pour cela qu'on fait les trois vœux. Or ces vœux obligent à des actes de
vertu qui ne sont pas commandés, et qui sont d'autant plus parfaits que le vœu
ajoute à leur valeur intrinsèque celle de la vertu de religion ; ils ont en
outre l'avantage de supprimer ou du moins d'atténuer quelques uns des plus
grands obstacles à la perfection. C'est ce que nous comprendrons mieux en
parcourant ces vœux en détail.
369. 1° Par le vœu de pauvreté on renonce aux biens extérieurs qu'on possède ou
qu'on pourrait acquérir ; si le vœu est solennel, on renonce au droit de
propriété lui-même, si bien que tous les actes de propriété qu'on voudrait
faire, seraient canoniquement invalides, nous dit le Code, can. 579 ; si le vœu
est simple, on ne renonce pas au droit de propriété lui-même, mais au libre
usage de ce droit, dont on ne peut user qu'avec la permission des Supérieurs et
dans les limites tracées par eux.
Ce vœu nous aide à vaincre l'un des grands obstacles à la perfection, l'amour
immodéré des richesses et les soucis que cause l'administration des biens
temporels ; c'est donc un grand moyen de progrès spirituel. Par ailleurs il
impose des sacrifices pénibles : on n'a pas cette sécurité, cette indépendance
que donne le libre usage de ses biens ; on a parfois à souffrir de certaines
privations qu'impose la vie commune ; c'est pénible et humiliant d'avoir recours
à un Supérieur chaque fois que l'on a besoin des ressources nécessaires. Il y a
donc là des actes de vertu auxquels on s'est obligé par vœu, et qui
non-seulement nous font tendre à la perfection, mais nous en rapprochent.
370. 2° Le vœu de chasteté nous fait triompher d'un second obstacle à la
perfection, de la concupiscence de la chair, et nous débarrasse des occupations
et des préoccupations de la vie de famille. C'est ce que fait remarquer Saint
Paul : « Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur ; il cherche à
plaire à Dieu ; celui qui est marié a souci des choses du monde, il cherche à
plaire à sa femme, et il est partagé » (I Cor., VII, 32-33). Mais le vœu de
chasteté n'enlève pas la concupiscence, et la grâce qui nous est donnée pour le
garder n'est pas une grâce de repos, mais une grâce de lutte. Pour demeurer
continent toute sa vie, il faut veiller et prier, c'est-à-dire, mortifier ses
sens extérieurs, sa curiosité, réprimer les écarts de l'imagination et de la
sensibilité, se condamner à une vie laborieuse, et, par-dessus tout, donner son
cœur entièrement à Dieu, par la pratique de la charité, essayer de vivre dans
une union intime et affectueuse avec Notre Seigneur, ainsi que nous le
montrerons en parlant de la chasteté. Or agir ainsi c'est évidemment tendre à la
perfection, c’est renouveler sans cesse son effort pour se vaincre soi-même et
maîtriser l'une des tendances les plus violentes de la nature corrompue.
371. 3° L'obéissance va encore plus loin, en soumettant non seulement à Dieu,
mais aux Règles et aux Supérieurs ce à quoi nous tenons le plus, notre volonté
propre. Par le vœu d'obéissance en effet, le Religieux s'engage à obéir aux
ordres de son Supérieur légitime, en tout ce qui se rapporte à l'observance des
vœux et des constitutions. Il s'agit ici d'un ordre formel et non d'un simple
conseil ; on le reconnaît aux formules employées par le Supérieur, par exemple,
s'il commande au nom de la sainte obéissance, au nom de Notre Seigneur, ou en
intimant un précepte formel ou en employant toute autre expression équivalente.
Sans doute il y a des limites à ce Pouvoir des Supérieurs ; il faut qu'ils
ordonnent selon la règle « en se bornant à ce qui s'y trouve formellement, ou
implicitement renfermé : telles sont les constitutions, les statuts légitimement
portés pour en procurer l'observation, les pénitences infligées pour punir les
transgressions et prévenir la rechute, tout ce qui tient à la manière de bien
remplir les emplois et à une bonne et droite administration » (Valuy, Les Vertus
religieuses, p. 106).
Mais, malgré ces restrictions, il reste vrai que le vœu d'obéissance est un de
ceux qui coûtent le plus à la nature humaine, précisément parce que nous tenons
beaucoup à notre volonté propre. Pour l'observer, il faut de l'humilité, de la
patience, de la douceur ; il faut modifier le penchant très vif que nous avons à
critiquer les Supérieurs, à préférer notre jugement au leur, à suivre nos goûts
et parfois nos caprices. Surmonter ces tendances, incliner respectueusement
notre volonté devant celle des Supérieurs, en voyant Dieu en eux, c'est
assurément tendre à la perfection, puisque c'est cultiver quelques-unes des
vertus les plus difficiles ; et, comme l'obéissance vraie est la meilleure
marque d'amour, c'est au fond croître dans la vertu de charité.
372. On le voit donc, la fidélité aux vœux entraîne la pratique non seulement
des trois grandes vertus de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, mais encore
de beaucoup d'autres qui sont nécessaires à leur sauvegarde ; et s'engager à les
observer, c'est assurément s'obliger à un degré de perfection peu commune. C'est
du reste ce qui résulte aussi du devoir d'observer les Constitutions.
II. Obligation fondée sur les
Constitutions et les Règles
373. Quand on entre dans l'état
religieux, on s'engage par là même à en observer les Constitutions et les Règles
qui sont expliquées au cours du noviciat, avant la profession. Or quelle que
soit la Congrégation à laquelle on se donne, il n'en est pas une seule qui ne se
propose pour but la sanctification de ses membres, et qui ne détermine, parfois
d'une façon très détaillée, les vertus que l'on doit pratiquer, et les moyens
qui en facilitent l'exercice. Si donc on est sincère, on s'oblige à observer, au
moins dans leur ensemble, ces règlements divers, et par là même à s'élever à un
certain degré de perfection ; car, même en ne pratiquant que l'ensemble des
règles, on a encore beaucoup d'occasions de se mortifier en des choses qui ne
sont pas de précepte ; et l'effort qu'on est obligé de faire pour cela est un
effort vers la perfection.
374. Ici se présente la question de savoir si les manquements aux règles
religieuses sont un péché ou une simple imperfection. Pour y répondre plusieurs
distinctions s'imposent.
a) Il y a des règles qui prescrivent la fidélité aux vertus de précepte ou aux
vœux, ou les moyens nécessaires pour les garder, comme la clôture pour les
communautés cloîtrées. Ces règles obligent en conscience, précisément parce
qu'elles ne font que promulguer une obligation qui résulte des vœux eux-mêmes :
en les faisant en effet, on s'oblige à les garder et à prendre les moyens
nécessaires à leur observation. Elles obligent sous peine de péché, grave ou
léger, selon que la matière est elle-même grave ou de peu d'importance. Ces
règles sont donc préceptives, et dans certaines Congrégations elles sont
nettement indiquées soit directement, soit indirectement par une sanction grave
qui implique une faute du même genre.
375. b) Il y a au contraire des règles qui explicitement ou implicitement sont
données comme étant simplement directives. 1) Y manquer sans raison est
assurément une imperfection morale ; mais ce n'est pas en soi un péché même
véniel, puisqu'il n’y a pas violation d'une loi ou d'un précepte. 2) Toutefois
S. Thomas (Sum. theol. IIa IIæ, q. 186, a. 1, ad 3) fait remarquer avec raison
qu’on peut pécher gravement contre la règle, si on la viole par mépris (mépris
de la règle ou mépris des Supérieurs) ; légèrement, si on le fait par négligence
volontaire, par passion, par colère, par sensualité, ou pour tout autre motif
peccamineux : c'est alors le motif qui constitue la faute. On peut ajouter, avec
S. Liguori, que la faute peut être grave, lorsque les manquements sont fréquents
et délibérés, soit à cause du scandale qui en résulte et qui amène graduellement
un affaissement notable de la discipline, soit parce que le délinquant s'expose
ainsi à se faire renvoyer de la communauté, au grand détriment de son âme.
376. Il résulte de là que les Supérieurs sont obligés par devoir d'état de faire
observer les règles avec soin, et que celui qui néglige de réprimer les
transgressions, même légères de la règle, quand elles tendent à devenir
fréquentes, peut commettre une faute grave, parce que par là il favorise le
relâchement progressif, qui dans une communauté est un grave désordre. Tel est
l'enseignement de Lugo, de S. Liguori, de Schram et de beaucoup d'autres
théologiens.
Au reste le vrai religieux n'entre pas dans ces distinctions, il pratique la
règle aussi intégralement qu'il le peut, sachant que c'est là le meilleur moyen
de plaire à Dieu : « Qui regulæ vivit Deo vivit : vivre conformément à la règle,
c'est vivre pour Dieu ». De même, il ne se contente pas de pratiquer strictement
les vœux, il en pratique l'esprit, s'efforçant d'avancer chaque jour vers la
perfection, selon la parole de S. Jean : « Que celui qui est saint, se sanctifie
encore » ; et alors se vérifient pour lui les paroles de S. Paul : « Quiconque
suivra cette règle jouira de la paix et pourra compter sur la miséricorde
divine, pax super illos et misericordia » (Galat., VI, 16).
ART. III. DE L'OBLIGATION POUR LES
PRÊTRES DE TENDRE A LA PERFECTION
377. Les prêtres, en vertu de leurs
fonctions et de la mission qui leur incombe de sanctifier les âmes, sont obligés
à une sainteté intérieure plus parfaite que les simples religieux qui n'ont pas
été élevés au sacerdoce. C'est la doctrine expresse de S. Thomas, confirmée par
les documents ecclésiastiques les plus authentiques (Sum. theol. IIa IIæ, q.
184, a. 8). Les Conciles, et en particulier celui de Trente (Sess. XXII, de
reform. c. 1), les S. Pontifes, spécialement Léon XIII et Pie X, insistent
tellement sur la nécessité de la sainteté pour le prêtre, que nier notre thèse,
c'est se mettre en contradiction flagrante avec ces autorités irréfragables.
Qu'il nous suffise de rappeler que Pie X, à l'occasion du cinquantième
anniversaire de son sacerdoce, a publié une lettre adressée au clergé
catholique, où il démontre la nécessité de la sainteté pour le prêtre, et
indique avec précision les moyens nécessaires pour l'atteindre, moyens qui, pour
le dire en passant, sont précisément ceux que nous inculquons dans nos
Séminaires. Après avoir décrit la sainteté intérieure, il déclare que seule
cette sainteté nous rend tels que l'exige notre vocation divine : des hommes
crucifiés au monde, revêtus de l'homme nouveau, qui n'aspirent qu’aux biens
célestes et s'efforcent par tous les moyens possibles à inculquer aux autres les
mêmes principes.
378. Le Code a sanctionné ces vues de Pie X, en insistant, plus que ne l'avait
fait la législation ancienne, sur la nécessité de la sainteté pour le prêtre et
les moyens de la pratiquer. Il déclare nettement que « les clercs doivent mener
une vie intérieure et extérieure plus sainte que les laïques, et leur donner le
bon exemple par leur vertu et leurs bonnes œuvres ». Il ajoute que les Evêques
doivent faire en sorte que tous les clercs s'approchent fréquemment du sacrement
de Pénitence pour s'y purifier de leurs fautes ; que chaque jour ils
s'appliquent un certain temps à l'oraison mentale, visitent le Saint Sacrement,
récitent le chapelet en l'honneur de la Vierge Mère de Dieu, et fassent l’examen
de conscience. Tous les trois ans au moins, les prêtres séculiers doivent faire
une retraite pendant le temps déterminé par leur Evêque, dans une maison pieuse
ou religieuse ; ils ne peuvent en être dispensés dans un cas particulier, que
pour une cause grave et avec la permission explicite de l'Ordinaire. Tous les
clercs, mais surtout les prêtres sont spécialement obligés à pratiquer à l'égard
de leur Ordinaire le respect et l'obéissance (Can. 124-127).
D'ailleurs la nécessité pour le prêtre de tendre à la perfection se prouve : 1°
par l'autorité de Notre Seigneur et de S. Paul ; 2° par le Pontifical ; 3° par
la nature même des fonctions sacerdotales.
I. L'enseignement de Jésus et de S.
Paul
379. 1° Notre Seigneur enseigne
éloquemment, par ses exemples aussi bien que par ses paroles, la nécessité de la
sainteté pour le prêtre.
A) Il donne l'exemple. Lui, qui dès le début était plein de grâce et de vérité,
a voulu se soumettre dans la mesure où il le pouvait, à la loi du progrès : « Il
progressait, nous dit Saint Luc, en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et
devant les hommes : proficiebat sapientia et ætate et gratia apud Deum et
homines » (Luc, II, 52). Et, pendant trente ans, il s'est préparé à son
ministère public par la pratique de la vie cachée, avec tout ce qu'elle entraîne
: prière, mortification, humilité et obéissance. Trois mots résument trente ans
de la vie du Verbe incarné : « Erat subditus illis » (Luc, II, 51). Pour prêcher
avec plus d'efficacité les vertus chrétiennes, il a commencé par les pratiquer :
« coepit facere et docere » (Act., I, 1) ; si bien qu'il aurait pu dire de
toutes les vertus ce qu'il a dit de la douceur et de l'humilité : « discite a
me, quia mitis sum et humilis corde » (Matth., XI, 29). Aussi, à la fin de sa
vie, il déclare en toute simplicité qu'il se sanctifie et se sacrifie (le mot
sanctifico a ce double sens) pour que ses apôtres et ses prêtres, leurs
successeurs, se sanctifient en toute vérité : « Et pro eis ego sanctifico
meipsum ut sint et ipsi sanctificati in veritate » (Joan., XVII, 19). Or le
prêtre est le représentant de Jésus-Christ sur terre, un autre Christ : « pro
Christo ergo legatione fungimur » (II Cor., V, 20). Donc, nous aussi nous devons
tendre sans cesse à la sainteté.
380. B) C'est du reste ce qui résulte des enseignements du Maître pendant les
trois années de sa vie publique, son grand œuvre est la formation des Douze :
c'est son occupation habituelle, la prédication aux foules n'étant qu'un
accessoire, et, pour ainsi dire, un modèle de la façon avec laquelle ses
disciples devront prêcher. De là découlent les conclusions suivantes :
a) Les enseignements si élevés sur la béatitude, la sainteté intérieure,
l'abnégation, l'amour de Dieu et du prochain, la pratique de l'obéissance, de
l'humilité, de la douceur et de toutes les autres vertus si souvent inculquées
dans l'Evangile, s'adressent sans doute à tous les chrétiens qui aspirent à la
perfection, mais avant tout aux Apôtres et à leurs successeurs : ce sont eux en
effet qui sont chargés d’enseigner aux simples fidèles ces grands devoirs, et
cela par l'exemple, encore plus que par la parole ; c’est ce que le Pontifical
rappelle aux diacres : « Curate ut quibus Evangelium, ore annuntiatis, vivis
operibus exponatis ». Or, de l'aveu de tous, ces enseignements forment un code
de perfection et de très haute perfection. Les prêtres sont donc obligés, par
devoir d'état, à se rapprocher de la sainteté.
381. b) C'est tout particulièrement aux Apôtres et aux prêtres que s'adressent
ces exhortations à une perfection plus grande contenue en maintes pages de
l'Evangile : « Vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde :
Vos estis sal terræ... Vos estis lux mundi » (Matth., V, 13-14). La lumière,
dont il est ici question, ce n'est pas seulement la science, c'est encore et
surtout l'exemple qui éclaire et entraîne plus que la science : « Que- votre
lumière brille devant les hommes, pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils
glorifient votre Père qui est dans les cieux : Sic luceat lux vestra coram
hominibus, ut videant opera vestra bona, et glorificent Patrem vestrum qui in
cælis est » (Matth., V, 16). C'est à eux aussi et d'une façon spéciale que
s'adressent les conseils sur la pauvreté et la continence, parce que, en vertu
de leur vocation, ils sont obligés de suivre Jésus Christ de plus près et
jusqu'au bout.
382. c) Enfin il est une série d'enseignements qui directement et explicitement
sont réservés aux apôtres et à leurs successeurs, ce sont ceux qu'il donne aux
Douze et aux Soixante-douze, en les envoyant prêcher en Judée, et ceux qu'il a
prononcés à la dernière Cène. Or ces discours contiennent un code de perfection
sacerdotale si élevée qu'il en résulte pour les prêtres un devoir absolu de
tendre sans cesse à la perfection. Ils devront en effet pratiquer le
désintéressement absolu, l'esprit de pauvreté, et la pauvreté effective se
contentant du nécessaire, le zèle, la charité, le dévouement complet, la
patience et l'humilité au milieu des persécutions qui les attendent, la force
pour confesser le Christ et prêcher l'Evangile envers et contre tous, le
détachement du monde et de la famille, le portement de croix, l'abnégation
complète (Matth., X, XI ; Luc, IX, X…).
383. A la dernière Cène (Joan., XIV, XVII), il leur donne ce commandement
nouveau qui consiste à aimer ses frères comme il les a aimés, c'est-à-dire,
jusqu'à l'immolation complète ; leur recommande une foi vive, une confiance
absolue en la prière faite en son nom ; l'amour de Dieu se manifestant par
l'accomplissement des préceptes ; la paix de l'âme pour recueillir et goûter les
enseignements du Saint-Esprit ; l'union intime et habituelle avec Jésus
lui-même, condition essentielle de sanctification et d'apostolat ; la patience
au milieu des persécutions du monde, qui les haïra comme il a haï le Maître ; la
docilité au Saint-Esprit qui viendra les consoler dans leurs tribulations ; la
fermeté dans la foi et le recours à la prière au milieu des épreuves : en un mot
les conditions essentielles de ce que nous appelons aujourd'hui la vie
intérieure ou la vie parfaite. Et il termine par cette prière sacerdotale, si
pleine de tendresse, où il demande à son Père de garder ses disciples comme il
les a lui-même gardés pendant sa vie mortelle ; de les préserver du mal, au
milieu de ce monde qu'ils doivent évangéliser, et de les sanctifier en toute
vérité. Cette prière, il la fait non seulement pour les Apôtres eux-mêmes, mais
aussi pour tous ceux qui croiront en lui, afin qu'ils soient toujours unis par
les liens de la charité fraternelle, comme sont unies les trois divines
personnes, et qu'ils soient tous unis à Dieu et tous unis au Christ « afin que
l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux, et que je sois moi aussi en eux ».
N'est-ce pas là tout un programme de perfection, tracé à l'avance par le
Souverain Prêtre, dont nous sommes les représentants sur terre ? Et n'est-il pas
consolant de voir qu'il a prié pour que nous puissions le réaliser ?
384. 2° Aussi Saint Paul s'inspire de cet enseignement de Jésus, quand il décrit
à son tour les vertus apostoliques. Après avoir remarqué que les prêtres sont
les dispensateurs des mystères de Dieu, ses ministres, les ambassadeurs du
Christ, les médiateurs entre Dieu et les hommes, il énumère, dans les Epîtres
Pastorales, les vertus dont doivent être ornés les diacres, les presbytres et
les évêques. Il ne leur suffit pas d'avoir reçu la grâce de l'ordination, ils
doivent la ressusciter, la faire revivre, de peur qu'elle ne diminue : « Admoneo
te ut resuscites gratiam quæ est in te per impositionem manuum mearum » (II
Tim., I, 6). Les diacres doivent être chastes et pudiques, sobres,
désintéressés, discrets et loyaux, sachant gouverner leur maison avec prudence
et dignité. Plus parfaits encore doivent être les presbytres et les évêques
(Tit., I, 7-9) : leur vie doit être tellement pure qu'ils soient irréprochables
; ils doivent donc combattre avec soin l'orgueil, la colère, l'intempérance, la
cupidité, et cultiver les vertus morales et théologales, l'humilité, la
sobriété, la continence, la sainteté, la bonté, l'hospitalité, la patience, la
douceur, et par dessus tout la piété, qui est utile à tout, la foi et la charité
(I Tim., VI, 11). Il faut même donner l'exemple de ces vertus, et par conséquent
les pratiquer à un degré élevé : « In omnibus teipsum præbe exemplum bonorum
operum » (Tit., II, 7). Toutes ces vertus supposent à la fois une certaine
perfection déjà acquise, et de plus un effort généreux et constant vers la
perfection.
II. L'autorité du Pontifical
385. Il serait facile de montrer
que les Pères en commentant l'Evangile et les Epîtres, ont développé et précisé
ces enseignements ; nous pourrions même ajouter qu'ils ont écrit des Lettres et
des Traités entiers sur la dignité et la sainteté du sacerdoce. Mais, pour ne
pas être trop long, nous nous bornerons à invoquer l'autorité du Pontifical qui
est comme le Code sacerdotal de la Loi Nouvelle, et contient le résumé de ce que
l'Eglise catholique demande de ses ministres. Ce simple exposé montrera quel
haut degré de perfection est requis pour les Ordinands et à plus forte raison
pour les prêtres du ministère.
386. 1° Au jeune tonsuré, l'Eglise demande le détachement universel de tout ce
qui est un obstacle à l'amour de Dieu, et l'union intime avec Notre Seigneur,
pour combattre les inclinations du vieil homme et revêtir les dispositions du
nouvel homme. Le Dominus pars, qu'il doit réciter chaque jour, lui rappelle que
Dieu, et Dieu seul est sa portion, son héritage, et que tout ce qui ne peut pas
se rapporter à Dieu doit être foulé aux pieds. L'Induat me lui montre que la vie
est un combat, une lutte contre les inclinations de la mauvaise nature, un
effort pour cultiver les vertus surnaturelles plantées dans notre âme au jour de
notre Baptême, Ainsi, dès le début, c'est l'amour de Dieu qui lui est proposé
comme but, le sacrifice comme moyen, avec l'obligation de perfectionner ces deux
dispositions pour avancer dans la cléricature.
387. 2° Avec les Ordres Mineurs, le clerc reçoit un double pouvoir, l'un sur le
corps eucharistique de Jésus, l'autre sur son corps mystique, c'est-à-dire sur
les âmes ; et on lui demande, outre le détachement, un double amour, l'amour du
Dieu des tabernacles, et l’amour des âmes, qui l'un et l'autre supposent le
sacrifice.
Ainsi, comme portier, il se détache des occupations domestiques pour devenir le
gardien attitré de la maison de Dieu et veiller à la décence du lieu saint et
des ornements sacrés. Lecteur, il se détache des études profanes pour se plonger
dans la lecture des Saints Livres et y puiser cette doctrine qui l'aidera à se
sanctifier et à sanctifier les autres. Exorciste, il se détache du péché et de
ses restes pour échapper plus sûrement à l'empire du démon ; acolythe, il se
détache des plaisirs sensuels pour pratiquer déjà cette pureté que requiert le
service des autels. En même temps son amour pour Dieu se fortifie : il aime le
Dieu du tabernacle dont il est le gardien, il aime le Verbe caché sous l'écorce
des lettres dans la Sainte Ecriture, il aime Celui qui commande aux esprits
mauvais, il aime Celui qui s'immole sur l'autel. Et cet amour s'épanouit en zèle
: il aime les âmes qu'il est heureux de porter à Dieu par la parole et
l'exemple, d'édifier par ses vertus, de purifier par ses exorcismes, de
sanctifier par la part qu'il prend au Saint Sacrifice. Ainsi il avance peu à peu
vers la perfection.
388. 3° Le sous-diacre, en se consacrant définitivement à Dieu, s'immole par
amour pour Lui, préludant ainsi, comme le fit autrefois la Sainte Vierge, au
sacrifice plus noble qu'il offrira plus tard au saint autel : præludit meliori
quam mox offeret hostiam. Il immole son corps par le vœu de continence, son âme
par l'obligation de réciter chaque jour la prière publique. La continence
suppose la mortification des sens extérieurs et intérieurs, de l'esprit et du
cœur ; la récitation de l'Office demande l'esprit de recueillement et de prière,
l'effort soutenu pour vivre uni à Dieu. L'un et l'autre devoir ne se peut
fidèlement accomplir sans un ardent amour pour Dieu, qui seul peut défendre le
cœur contre les attraits de l'amour sensible, et ouvrir son âme à la prière par
le recueillement intérieur. C'est donc encore le sacrifice et l'amour que
l'Eglise réclame du sous-diacre: sacrifice plus profond que celui qu'il avait
fait jusque là : car la pratique de là continence pendant toute la vie demande à
certains jours des efforts héroïques, et habituellement un esprit constant de
vigilance, d'humble défiance de soi-même et de mortification ; sacrifice
irrévocable, et pour que ce sacrifice soit possible et durable, il y faut mettre
beaucoup de charité : seul l'amour intense de Dieu et des âmes peut préserver de
l'amour profane, seul il peut faire goûter les charmes de la prière perpétuelle,
en orientant nos pensées et nos affections vers Celui qui seul peut les fixer.
Aussi le Pontife invoque sur lui les sept dons du Saint Esprit, pour qu'il
puisse accomplir les devoirs austères qui lui sont imposés.
389. 4° Aux diacres, qui deviennent les coopérateurs du prêtre dans l'oblation
du saint Sacrifice, le Pontifical demande une pureté plus parfaite encore. Et,
parce qu'ils ont le droit de prêcher l'Evangile, on leur demande de le prêcher
d'exemple encore plus que de bouche. Leur vie doit donc être une traduction
vivante de l'Evangile, et par là même une imitation constante des vertus de
Notre Seigneur. Aussi, en priant pour que le Saint Esprit descende sur eux, avec
tous ses dons, et surtout celui de force, le Pontife adresse à Dieu cette belle
prière : « Abundet in eis totius forma virtutis, auctoritas modesta, pudor
constans, innocentiæ puritas, et spirituatis observantia disciptinæ ». N'est-ce
pas là demander pour eux la pratique des vertus qui conduisent à la sainteté ?
Dans la prière finale, l'Evêque demande en effet qu'ils soient ornés de toutes
les vertus : « virtutibus universis... instructi ».
390. 5° Et cependant il exige plus encore du prêtre. Parce qu'il offre le saint
sacrifice de la messe, il faut qu'il soit victime en même temps que
sacrificateur ; il le sera en immolant ses passions ; il le sera en renouvelant
sans cesse en lui l'esprit de sainteté. Pour cela il méditera jour et nuit la
loi de Dieu, pour l'enseigner aux autres et la pratiquer lui-même, et donner
ainsi l'exemple de toutes les vertus chrétiennes. Et, comme il doit aussi se
dépenser pour les âmes, il pratiquera la charité fraternelle sous forme de
dévouement ; comme Saint Paul, il se dépensera complètement pour les âmes : «
omnia impendam et superimpendar ipse pro animabus vestris » (II Cor., XII, 15).
C'est du reste ce qui va ressortir des fonctions sacerdotales que nous allons
exposer.
391. Ainsi donc, à chaque nouvelle étape vers le sacerdoce, le Pontifical
demande plus de vertu, plus d'amour et de sacrifice ; et, quand il arrive au
sacerdoce, c'est la sainteté qu'il réclame, nous dit Saint Thomas, afin que le
prêtre puisse offrir dignement le saint sacrifice et sanctifier les âmes qui lui
sont confiées. L'Ordinand est libre d'avancer ou de ne pas avancer; mais, s'il
reçoit les ordres, c'est qu'il accepte évidemment les conditions si
explicitement posées par le Pontife, c'est-à-dire l'obligation de tendre à la
perfection, obligation qui, loin d'être diminuée par l'exercice du saint
ministère, ne fait que devenir plus pressante, comme nous allons le montrer.
III. La nature des fonctions
sacerdotales exige la sainteté
392. Au témoignage de l'Apôtre
Saint Paul, le prêtre est médiateur entre l'homme et Dieu, entre la terre et le
ciel : choisi parmi les hommes pour être leur représentant, il doit être agréé
de Dieu, appelé par Lui, pour avoir le droit de paraître devant Lui, de lui
offrir les hommages des hommes et en obtenir des bienfaits (Hebr., V, I, 4). Ses
fonctions peuvent se ramener à deux principales : il est le Religieux de Dieu,
chargé de le glorifier au nom du peuple chrétien tout entier ; il est un
Sauveur, un Sanctificateur d'âmes, ayant la mission de collaborer avec
Jésus-Christ à leur sanctification et à leur salut. Or, à ce double titre, il
doit être un saint, et par conséquent tendre sans cesse à la perfection, puisque
jamais il n'atteint complètement la plénitude de sainteté que réclament ses
fonctions.
1° Le prêtre, religieux de Dieu,
doit être saint
393. En vertu de sa mission, le prêtre doit glorifier Dieu au nom de toutes les
créatures et plus spécialement du peuple chrétien. Il est donc vraiment, et cela
en vertu du sacerdoce tel que Notre Seigneur l'a institué, le religieux de Dieu.
C'est surtout par le saint sacrifice de la messe et la récitation du Saint
Office qu'il s'acquitte de ce devoir ; mais toutes ses actions, même les plus
communes peuvent y contribuer, comme nous l'avons dit plus haut, si elles sont
faites pour lui plaire. Or cette mission ne peut être remplie convenablement que
par un prêtre saint, ou du moins disposé à le devenir.
394. A) Quelle sainteté est requise pour le Saint Sacrifice ? Les prêtres de
l'Ancienne Loi qui voulaient s'approcher de Dieu, devaient être saints (il
s'agit surtout de la sainteté légale) sous peine d'être châtiés (Exod., XIX,
22). Pour offrir l'encens et les pains destinés à l'autel, ils devaient être
saints (Levit., XXI, 6).
Combien plus saints, d'une sainteté intérieure, ceux qui offrent non plus des
ombres et des figures, mais le sacrifice par excellence, la victime infiniment
sainte ? Tout est saint dans ce divin sacrifice : la victime et le prêtre
principal qui n'est autre que Jésus, qui, nous dit Saint Paul, « est saint,
innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux (Hebr.,
VII, 26) ; l'Eglise, au nom de laquelle le prêtre offre la sainte messe, et que
Jésus a sanctifiée au prix de son sang : « seipsum tradidit pro ea ut illam
sanctificaret... ut sit sancta et immaculata » (Ephes., V, 25-27) ; le but, qui
est de glorifier Dieu et de produire dans les âmes des fruits de sainteté ; les
prières et cérémonies, qui rappellent le sacrifice du Calvaire et les effets de
sainteté qu'il a mérités ; la communion surtout, qui nous unit à la source de
toute sainteté. N'est-il donc pas nécessaire que le prêtre qui, comme
représentant de Jésus-Christ et de l'Eglise, offre cet auguste sacrifice, soit
lui-même revêtu de sainteté ? Comment pourrait-il représenter dignement
Jésus-Christ, au point d'être alter Christus, si sa vie était médiocre, sans
aspirations vers la perfection ? Comment serait-il le ministre de l'Eglise
immaculée, si son âme, attachée au péché véniel, n'avait cure de progrès
spirituel ? Comment glorifierait-il Dieu, si son cœur était vide d'amour et de
sacrifice ? Comment sanctifierait-il les âmes, s'il n'avait lui-même le désir
loyal de se sanctifier ?
395. Comment oserait-il monter au saint autel, et réciter les prières de la
messe, qui respirent les sentiments les plus purs de pénitence, de foi, de
religion, d'amour, d'abnégation, si son âme y était étrangère ? Comment oser
s'offrir avec la divine victime « in spiritu humilitatis, et in animo contrito
suscipiamur a te, Domine », si ces sentiments étaient en contradiction avec sa
vie ? Comment oser demander de participer à la divinité de Jésus « ejus
divinitates esse consortes », si notre vie est toute humaine ? Comment redire
cette protestation d'innocence : « Ego autem in innocentia mea ingressus sum »,
si on ne fait aucun effort pour se débarrasser de la poussière de mille péchés
véniels délibérés ? Comment oser réciter le Sanctus, où l'on proclame la
sainteté de Dieu, et consacrer en s'identifiant avec Jésus, l'auteur de toute
sainteté, si on ne s'efforce pas de se sanctifier avec lui et par lui ? Comment
réciter le Pater, sans se rappeler que nous devons être parfaits comme notre
Père céleste ? Et l'Agnus Dei sans avoir un cœur contrit et humilié ? Et les
belles prières préparatoires à la communion : « Fac me tuis semper inhærere
mandatis, et a te nunquam separari permittas », si le cœur est loin de Dieu,
loin de Jésus ! Et comment communier chaque jour au Dieu de toute sainteté, sans
avoir le désir sincère de participer à cette sainteté, de s'en rapprocher du
moins chaque jour par un effort progressif ? Ne serait-ce pas là une
contradiction flagrante, un manque de loyauté, une provocation, un abus de la
grâce, une infidélité à sa vocation ? Qu'on médite donc et qu'on s'applique à
soi-même tout le chapitre V du 4e livre de l'Imitation (De dignitate sacramenti
et statu sacerdotali).
396. B) Ce que nous avons dit de la sainte messe peut s'appliquer, en un certain
sens, à la récitation de l'Office divin. C'est au nom de l'Eglise, en union avec
Jésus, le grand Religieux de Dieu, et pour le peuple chrétien tout entier, que
sept fois le jour nous apparaissons devant Dieu, pour l'adorer et le remercier,
et pour obtenir de Lui les grâces nombreuses dont les âmes ont besoin ? Si nous
prions du bout des lèvres, et non du cœur, n'entendrons-nous pas le reproche
mérité que Dieu adresse aux juifs : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son
cœur est loin de moi (Matth., XV, 8 ; Is. XXIX, 13). Et les grâces que, de la
même façon, nous sollicitons de la miséricorde divine, seront-elles octroyées
avec abondance ?
397. De même, pour transformer nos actions ordinaires en victimes agréables à
Dieu, ne faut-il pas les accomplir avec les dispositions déjà indiquées d'amour
et de sacrifice (n° 309). De quelque côté qu'on se tourne, la même conclusion
s'impose : comme Religieux de Dieu, le prêtre doit viser à la sainteté ; elle
s'impose aussi, s'il veut sauver les âmes.
2° Le prêtre ne peut sauver les
âmes sans viser à la sainteté
398. A) Sanctifier et sauver les âmes est le devoir d'état du prêtre : quand
Jésus choisit ses apôtres, c'est pour en faire des pêcheurs d'hommes (Matth.,
IV, 19) ; c'est pour qu'ils produisent, en eux-mêmes et dans les autres, des
fruits abondants de salut (Joan., XV, 16). C'est pour cela qu'ils doivent
prêcher l'Evangile, administrer les sacrements, donner le bon exemple et prier
avec ferveur.
Or il est de foi que ce qui convertit et sanctifie les âmes, c'est la grâce de
Dieu ; nous ne sommes, nous, que des instruments dont Dieu veut bien se servir,
mais qui ne produisent de fruit que dans la mesure où ils sont unis à la cause
principale, instrumentum Deo conjunctum. Telle est la doctrine de Saint Paul : «
Moi, j'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ainsi celui qui
plante n'est rien, ni celui qui arrose ; Dieu qui fait croître, est tout (I
Cor., III, 6-7). Par ailleurs il est certain que cette grâce s'obtient surtout
de deux manières, par la prière et le mérite. Dans l'un et l'autre cas, nous
obtenons d'autant plus de grâces que nous sommes plus saints, plus fervents,
plus unis à Notre Seigneur (n° 237). Si donc notre devoir d'état est de
sanctifier les âmes, cela veut dire que nous devons d'abord nous sanctifier
nous-mêmes : « Pro eis ego sanctifico meipsum ut sint et ipsi sanctificati in
veritate » (Joan., XVII, 19).
399. B) Nous arrivons du reste à la même conclusion, en parcourant les moyens de
zèle principaux, à savoir la parole et l'action, l'exemple, la prière.
a) La parole ne produit d'effets de salut que lorsque nous parlons au nom et en
la vertu de Dieu, « tanquam Deo exhortante per nos » (II Cor., V, 20). C'est ce
que fait le prêtre fervent : avant de parler, il prie pour que la grâce vivifie
sa parole ; en parlant, il ne cherche pas à plaire, mais à instruire, à faire du
bien, à convaincre, à persuader, et, parce que son cœur est intimement uni à
celui de Jésus, il fait passer dans sa voix une émotion, une force de persuasion
qui saisit les auditeurs ; et, parce que, en s'oubliant, il attire le Saint
Esprit, les âmes sont touchées par la grâce et converties ou sanctifiées. Un
prêtre médiocre au contraire ne prie que du bout des lèvres, et, parce qu'il se
recherche lui-même, il se bat les flancs et n'est souvent qu'un airain sonore ou
une cymbale retentissante (I Cor., XIII, 1).
400. b) L'exemple ne peut être donné que par un prêtre soucieux de son progrès
spirituel. Alors il peut en toute confiance, comme S. Paul, inviter les fidèles
à l'imiter comme il s'efforce d'imiter le Christ (I Cor., IV, 16). A la vue de
sa piété, de sa bonté, de sa pauvreté, de sa mortification, les fidèles se
disent que c'est un convaincu, un Saint, le respectent et se sentent portés à
l'imiter : verba movent, exempla trahunt. Un prêtre médiocre peut être estimé
comme un brave homme ; mais on dira : il fait son métier comme nous faisons le
nôtre ; son ministère sera peu ou point fructueux.
401. c) Quant à la prière, qui est et sera toujours le moyen de zèle le plus
efficace, quelle différence entre le saint prêtre et le prêtre ordinaire ? Le
premier prie habituellement, constamment, parce que ses actions, faites pour
Dieu, sont au fond une prière ; il ne fait rien, il ne donne pas un conseil,
sans reconnaître son incapacité et prier Dieu d'y suppléer par sa grâce. Dieu la
lui accorde avec abondance « humilibus autem dat gratiam » (Jac., IV, 6), et son
ministère est fructueux. Le prêtre ordinaire prie peu, et prie mal ; par là même
son ministère est paralysé.
Ainsi donc qui veut travailler efficacement au salut des âmes doit s'efforcer de
progresser chaque jour : la sainteté est l’âme de tout apostolat.
Conclusion
402. De tous ces documents il résulte que le prêtre doit avoir acquis, avant
d'entrer dans le sacerdoce, un certain degré de sainteté, et qu'il doit, devenu
prêtre, continuer de progresser vers une perfection plus grande.
1° Pour entrer dans le sacerdoce, il faut déjà avoir acquis un certain degré de
perfection. C'est ce qui ressort de tous les textes du Pontifical que nous avons
cités. Car déjà on demande au tonsuré le détachement du monde et de soi-même
pour s'attacher à Dieu et à Jésus-Christ, et si l'Eglise prescrit des
interstices entre les différents Ordres, c'est afin que le jeune clerc ait le
temps d'acquérir successivement les différentes vertus qui correspondent à
chacun d'eux. C'est ce que dit nettement le Pontifical. Voilà pourquoi on lui
demande une vertu éprouvée. Or cette vertu éprouvée ne s'acquiert que par la
pratique assidue des devoirs d'état, des vertus que le Pontife a soin d'indiquer
à l'Ordinand dans chacune des ordinations qu'il confère. Cette vertu doit être
tellement solide qu'elle ressemble à celle des vieillards (senectus sit), qui
par de longs et pénibles efforts ont acquis la maturité et la constance propre à
leur âge.
403. Ce n'est donc pas une vertu quelconque, nous dit S. Thomas, qui est requise
pour le bon exercice des fonctions ecclésiastiques, mais c'est une vertu
excellente. Nous avons vu en effet que le Pontifical demande aux Ordinands la
pratique d'une foi robuste et agissante, d'une grande confiance en Dieu, d'un
amour de Dieu et du prochain allant jusqu'au dévouement, sans parler des vertus
morales de prudence, de justice et de religion, d'humilité, de tempérance, de
force, de constance ; et ces vertus doivent être pratiquées à un degré élevé,
puisque le Pontife invoque sur eux les dons du Saint Esprit qui, en complétant
les vertus, nous les font pratiquer en ce qu'elles ont de parfait. Il ne suffit
donc pas d'être un de ces débutants, qui sont encore exposés à retomber dans les
fautes graves ; il faut, après avoir purifié son âme des fautes et des attaches,
s'être affermi dans les vertus qui constituent la voie illuminative, et viser à
une union de plus en plus intime avec Dieu.
404. 2° Quand une fois on est devenu prêtre, ce n'est pas le moment de
s'arrêter, c'est plutôt celui d'avancer chaque jour de vertu en vertu. C'est la
remarque de l'Imitation (IV, ch. 5) : « Votre fardeau n'est pas devenu plus
léger ; vous êtes lié au contraire par des obligations plus étroites, et obligé
à plus grande sainteté. Un prêtre doit être orné de toutes les vertus, et donner
aux autres l'exemple d'une vie pure ». Outre que ne pas avancer, c'est reculer
(n° 358, 359), il y a, comme nous l'avons montré en parlant des fonctions
sacerdotales (n° 392 ss.) une telle obligation de se conformer à Jésus-Christ,
et d'édifier le prochain que, malgré tous nos efforts, nous restons toujours
au-dessous de l'idéal tracé par l'Evangile et le Pontifical. Nous devons donc
nous dire chaque jour qu'il nous reste encore beaucoup à faire pour l'atteindre.
405. D'ailleurs nous vivons au milieu du monde et de ses dangers, tandis que les
religieux sont protégés par leurs règles et tous les avantages de la vie
commune. Si donc ils sont obligés à tendre sans cesse à la perfection, ne le
sommes-nous pas autant et, plus qu'eux ? Et si nous n'avons pas, pour protéger
notre vertu, les barrières extérieures qui défendent la leur, ne devons-nous pas
y suppléer par une force intérieure plus grande, qui ne peut évidemment
s’acquérir que par des efforts sans cesse renouvelés vers une vie meilleure ? Le
monde auquel nous sommes obligés de nous mêler, tend sans cesse à rabaisser
notre idéal ; il faut donc le relever constamment par un retour fréquent à
l'esprit du sacerdoce.
Ce qui fait de ce progrès un devoir plus pressant, c'est que de notre degré de
sainteté dépend le salut et la sanctification des âmes qui nous sont confiées :
en vertu des lois ordinaires de la providence surnaturelle, un prêtre fait
d'autant plus de bien qu'il est plus saint, comme nous l'avons montré, (n° 398
ss). Serait-il donc conforme à notre mission de sanctificateurs d'âmes de nous
arrêter au milieu ou même au début de la voie parfaite, alors que tant d'âmes en
danger de se perdre nous crient de tous côtés de leur venir en aide : «
transiens... adjuva nos ? » (Act., XVI, 9). A ce cri de détresse il n'y a
évidemment qu'une réponse digne d'un prêtre, c'est celle de Notre Seigneur
lui-même : « Je me sanctifie et me sacrifie pour qu'ils soient sanctifiés en
toute vérité » (Joan., XVII, 19).
406. Nous n'examinerons pas ici la question de savoir si le prêtre, obligé à une
perfection intérieure plus grande que le simple religieux, est dans l'état de
perfection. Ceci est, à vrai dire, une question de Droit canon, et elle est
communément résolue par la négative, parce que le prêtre, même s'il est pasteur
d'âmes, n'a pas cette stabilité que requiert canoniquement l'état de perfection.
Quant au prêtre, qui est en même temps religieux, il a évidemment toutes les
obligations du sacerdoce, et de plus celles de ses vœux, et il trouve dans sa
règle des secours, plus abondants pour être un Saint. Mais il n'oubliera pas que
son sacerdoce l'oblige à une perfection plus grande que celle de l'état
religieux.
Ainsi le clergé séculier et le clergé régulier, sans jamais se jalouser,
s'estimeront et se soutiendront mutuellement, n'ayant qu'un seul et même but,
glorifier Dieu en lui gagnant le plus d'âmes possible, et profitant des vertus
et des succès qu'ils remarqueront dans leurs frères pour s'exciter à une noble
émulation (Hebr., X, 24).


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