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Les petits traités d'Élisabeth de la Trinité
Il reste à Élisabeth de
la Trinité moins de trois mois à vivre quand elle commence la
rédaction des méditations intitulées: "Le Ciel dans la foi".
D'emblée elle fait pénétrer sa sœur Guite au sein de la sainte
Trinité, en rappelant la parole de Jésus exprimant sa dernière
volonté et sa prière suprême avant de retourner à son Père.:
"Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y
soient avec moi, afin qu'ils contemplent la gloire que vous m'avez
donnée, parce que vous m'avez aimé avant la création du monde."
Car ajoute Élisabeth: "Le lieu où est caché le Fils de Dieu,
c'est le sein du Père, ou l'Essence divine, invisible à tout regard
mortel, inaccessible à toute intelligence humaine." Et de
préciser: "La Trinité, voilà notre demeure, notre « chez nous »,
la maison paternelle d'où nous ne devons jamais sortir."
"Demeurez en Moi!",
nous conseille Jésus. "Mais pour entendre cette parole toute
mystérieuse... il faut entrer toujours plus en l'être divin par le
recueillement... C'est là, tout au fond, que se fera le choc divin,
que l'abîme de notre néant, de notre misère, se trouvera en tête à
tête avec l'Abîme de la miséricorde, de l'immensité du tout de
Dieu." Une fois arrivés là, en Dieu, nous n'avons plus à sortir
de nous pour trouver le Royaume de Dieu, car Il est au-dedans de
nous. Car le Père et Jésus viendront à nous, et feront en nous leur
demeure.
Jésus disait: "Parce
que j'aime mon Père, je fais toujours ce qui Lui plaît." "Ainsi
parlait le Maître saint, écrit Élisabeth, et toute âme qui
veut vivre à son contact doit vivre aussi de cette maxime. Le bon
plaisir divin doit être sa nourriture, son pain quotidien ; elle
doit se laisser immoler par toutes les volontés du Père à l'image de
son Christ adoré." Élisabeth peut alors affirmer: "Je ne veux
plus vivre de ma propre vie, mais être transformée en Jésus-Christ
afin que ma vie soit plus divine qu'humaine, et que le Père en se
penchant sur moi puisse reconnaître l'image du Fils bien-aimé en qui
Il a mis toutes ses complaisances."
Certaines âmes se
perdent dans l'amour et naviguent "dans l'Océan de la Divinité
sans qu'aucune créature leur soit obstacle ou gêne." C'est alors
qu'Élisabeth de la Trinité écrit une de ses plus merveilleuses
pages: "Pour ces âmes, la
mort mystique dont saint Paul nous parlait hier devient si simple,
si suave ! Elles pensent beaucoup moins au travail de destruction et
de dépouillement qui leur reste à faire qu'à se plonger dans le
Foyer d'amour qui brûle en elles, et qui n'est autre que l'Esprit
Saint, ce même Amour qui dans la Trinité est le lien du Père et de
son Verbe. Elles entrent en Lui par la foi vive, et là, simples,
paisibles, elles sont emportées par Lui au-dessus des choses, des
goûts sensibles, dans la ténèbre sacrée et transformées en l'image
divine. Elles vivent, selon l'expression de saint Jean, en société
avec les Trois adorables Personnes, leur vie est commune, et c'est
là la vie contemplative; cette contemplation conduit à la
possession. Or cette possession simple est la vie éternelle goûtée
dans le lieu sans fond. C'est là qu'au-dessus de la raison nous
attend la tranquillité profonde de la divine immutabilité. "
(Le Ciel dans la foi, n° 14)
Dès lors, "L'âme en
possession de cet amour apparaît avec Jésus-Christ sur le pied
d'égalité parce que leur affection réciproque rend tout commun entre
l'un et l'autre. 'Je vous ai donné à vous le nom d'amis, parce que
je vous ai manifesté tout ce que j'ai entendu dire à mon Père.' Mais
pour arriver à cet amour l'âme doit s'être auparavant livrée tout
entière, sa volonté doit être doucement perdue en celle de Dieu,
afin que ses inclinations, ses facultés ne se meuvent plus que dans
cet amour et pour cet amour. Je fais tout avec amour, je souffre
tout avec amour... Heureuses les oreilles de l'âme assez éveillée,
assez recueillie pour entendre cette voix du Verbe de Dieu!
s'écrie Élisabeth. Mais heureux aussi celui qui, sous la lumière de
la foi peut assister à "l'arrivée" du Maître en son sanctuaire
intime.
Et qu'est donc cette
arrivée du Maître? "C'est une génération incessante, une
illustration sans défaillance. Le Christ vient avec ses trésors,
mais tel est le mystère des rapidités divines qu'Il arrive
continuellement, toujours pour la première fois comme si jamais Il
n'était venu ; car son arrivée, indépendante du temps, consiste dans
un éternel maintenant, et un éternel désir renouvelle éternellement
les joies de l'arrivée. Les délices qu'Il apporte sont infinies,
puisqu'elles sont Lui-même. La capacité de l'âme, dilatée par
l'arrivée du Maître, semble sortir d'elle-même pour passer à travers
les murs dans l'immensité de Celui qui arrive ; et il se passe un
phénomène que voici: c'est Dieu qui, au fond de nous, reçoit Dieu
venant à nous, et Dieu contemple Dieu ! Dieu en qui consiste la
béatitude."
Peut-être est-ce déjà
la vie de l'âme dans le sein de la Trinité? Mais seule les âmes
simples et pauvres peuvent comprendre cela: "L'âme simple, se
soulevant par la vertu de son regard intérieur, rentre en elle-même
et contemple dans son propre abîme le sanctuaire où elle est touchée
d'un attouchement de la Trinité sainte... La Sainte Trinité nous a
créés à son image... en ce commencement sans commencement dont parle
Bossuet après saint Jean: 'au commencement était le Verbe'; et l'on
peut ajouter: au commencement était le néant, car Dieu en son
éternelle solitude nous portait déjà dans sa pensée. Le Père se
contemple Lui-même dans l'abîme de sa fécondité, et voici que, par
l'acte même de se comprendre, Il engendre une autre personne, le
Fils, son Verbe éternel...
Le Verbe, la
Splendeur du Père, est le type éternel sur lequel sont dessinées les
créatures au jour de leur création... Cette contemplation ouvre à
l'âme des horizons inespérés; elle possède d'une certaine manière la
couronne vers laquelle elle aspire. Les richesses immenses que Dieu
a par nature, nous pouvons les avoir par la vertu de l'amour, par sa
résidence en nous, par notre résidence en Lui. C'est par la vertu
de cet amour immense que nous sommes attirés au fond du sanctuaire
intime où Dieu imprime en nous une certaine image de sa majesté."
Les autres
développements concernant la sainte Trinité sont rassemblés dans le
LIVRE 3.
Ces choses sont
difficiles: qui peut les comprendre? L'Eucharistie vient au secours
de notre pauvreté. Quand nous recevons le Christ, le feu prend au
fond de nous, "et la ressemblance de ses vertus nous vient, et Il
vit en nous, et nous vivons en Lui, et Il nous donne son âme avec la
plénitude de la grâce par laquelle l'âme persiste dans la charité et
la louange du Père ! L'amour entraîne en soi son objet ; nous
entraînons en nous Jésus, Jésus nous entraîne en Lui. Alors emportés
au-dessus de nous dans l'intérieur de l'amour, visant à Dieu, nous
allons au-devant de Lui, au-devant de son Esprit, qui est son amour,
et cet amour nous brûle, nous consume et nous attire dans l'unité où
nous attend la béatitude. Jésus-Christ regardait là quand Il disait
: 'J'ai désiré d'un grand désir de manger cette pâque avec vous'."
Avant de remettre son
âme entre les mains du Père, Jésus dit: "Tout est accompli!" Jésus
avait dit à ses apôtres que "sa nourriture, c'était de faire la
volonté de son père du ciel," ajoutant même qu'il n'était jamais
seul, car Celui qui l'avait envoyé était toujours avec lui parce
qu'il faisait toujours ce qui Lui plaisait. Ayant longuement
contemplé Jésus dans sa Passion, Élisabeth pouvait aller encore plus
loin: "dans le calme et la force, avec le divin Crucifié, nous
gravirons aussi notre calvaire, chantant au fond de nos âmes,
faisant monter vers le Père une hymne d'action de grâces, car ceux
qui marchent en cette voie douloureuse, ce sont ceux-là 'qu'Il a
connus et prédestinés pour être conformes à l'image de son divin
Fils', le Crucifié par amour !"
Arrivée à une telle
élévation de pensée, Élisabeth ne peut plus que penser à la
sainteté. Elle écrit, toujours dans "Le Ciel dans la foi":
"'Soyez saints,
parce que je suis saint'. C'est le Seigneur qui parle ainsi. Quel
que soit notre genre de vie ou l'habit qui nous couvre, chacun de
nous doit être le saint de Dieu. Le plus saint, quel est-il donc?
C'est le plus aimant, c'est celui qui regarde le plus vers Dieu et
qui satisfait le plus pleinement les besoins de son regard. Comment
satisfaire les besoins du regard de Dieu, sinon en se tenant
simplement et amoureusement tourné vers Lui afin qu'Il puisse
refléter sa propre image, comme le soleil se reflète au travers d'un
pur cristal. 'Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance': tel fut le grand vouloir du Cœur de notre Dieu."
Nous sommes tous
prédestinés à devenir des saints. Élisabeth cite saint Paul:
"Ceux que Dieu a connus en sa prescience, Il les a aussi prédestinés
pour être conformes à l'image de son divin Fils... Et ceux qu'Il a
prédestinés, Il les a appelés ; et ceux qu'Il a appelés, Il les a
justifiés ; et ceux qu'Il a justifiés, Il les a glorifiés. Après
cela que disons-nous? Si Dieu est pour nous, qui sera contre
nous?... Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ ? Tel
apparaît au regard éclairé de l'Apôtre le mystère de la
prédestination, le mystère de l'élection divine."
Oui, nos âmes
appartiennent au Seigneur, "oui, elles sont devenues siennes par
le baptême, c'est ce que saint Paul veut dire par ces paroles: 'Il
les a appelés ; oui, appelées à recevoir le sceau de la Sainte
Trinité ; en même temps que nous avons été faites selon le langage
de saint Pierre participantes de la nature divine, nous avons reçu
un commencement de son être... Puis, Il nous a justifiées par ses
sacrements, par ses attouchements directs dans le recueillement au
fond de notre âme ; justifiées aussi par la foi et selon la mesure
de notre foi dans la rédemption que Jésus-Christ nous a acquise.
Enfin, Il veut nous glorifier et pour cela, dit saint Paul, Il nous
a rendus dignes d'avoir part à l'héritage des saints dans la
lumière, mais nous serons glorifiées dans la mesure où nous aurons
été conformes à l'image de son divin Fils."
Plus loin Élisabeth
précise: "Voilà la mesure de sainteté des enfants de Dieu: être
saint comme Dieu, être saint de la sainteté de Dieu ; et cela en
vivant en contact avec Lui au fond de l'abîme sans fond, au-dedans.
L'âme semble alors avoir une certaine ressemblance avec Dieu, qui
tout en prenant ses délices en toutes choses, n'en trouve cependant
jamais autant qu'en Lui-même, parce qu'Il possède en Lui un bien
suréminent devant lequel disparaissent tous les autres. Aussi toutes
les joies qui surviennent à l'âme lui sont-elles autant
d'avertissements qui l'invitent à savourer de préférence le bien
dont elle est en possession et auquel nul autre ne peut être
comparé.
C'est dans ce petit
ciel qu'Il s'est fait au centre de notre âme que nous devons le
chercher et surtout que nous devons demeurer."
Dès lors nous ne
pouvons plus qu'adorer le Seigneur qui cherche souvent en vain de
vrais adorateurs en esprit et en vérité. "Adorons-le en esprit,
c'est-à-dire ayons le cœur et la pensée fixés en Lui, l'esprit plein
de sa connaissance par la lumière de foi. Adorons-le en vérité,
c'est-à-dire par nos œuvres, car c'est par les actes surtout que
nous sommes vraies ; c'est faire toujours ce qui plaît au Père dont
nous sommes les enfants. Enfin adorons en esprit et en vérité,
c'est-à-dire par Jésus-Christ et avec Jésus-Christ, car Lui seul est
le véritable Adorateur en esprit et en vérité."
Élisabeth écrit à
"sa Framboise chérie." Dans le silence Élisabeth s'adresse à
Dieu pour elle, sachant que Dieu comprend même nos silences. Elle
écrit: "Framboise, je ne Lui dis pas de paroles pour toi, mais Il
me comprend bien mieux, Il préfère mon silence... "
Puis Élisabeth répond
aux questions de sa "Framboise": "Traitons d'abord de l'humilité
; j'ai lu sur ce sujet dans le livre dont je t'ai parlé des pages
magnifiques. Le pieux auteur
dit que nul ne peut troubler l'humble, qu'il possède 'la paix
invincible, car il s'est précipité dans un tel abîme que nul n'ira
le chercher jusque-là'. Il dit aussi que 'l'humble trouve la plus
grande saveur de sa vie dans le sentiment de son impuissance en face
de Dieu'. Petite Framboise, l'orgueil n'est point une chose qui se
détruirait par un beau coup d'épée... mais c'est chaque jour qu'il
faut le faire mourir!"
Mourir à soi-même est
une doctrine qui peut sembler austère, mais "elle est d'une
suavité délicieuse lorsqu'on regarde le terme de cette mort, qui est
la vie de Dieu mise à la place de notre vie de péché et de misères."
D'ailleurs le Seigneur a dit que celui qui voulait venir après lui
devait prendre sa croix et se renoncer.
Mais il ne faut pas
oublier que, Dieu ayant fait l'homme à son image, il y a en l'homme
une vraie grandeur. "Il me semble, écrit Élisabeth, que
l'âme qui a conscience de sa grandeur entre en cette sainte liberté
des enfants de Dieu dont parle l'Apôtre, c'est-à-dire qu'elle
dépasse toutes choses et se dépasse elle-même. Il me semble que
l'âme la plus libre, c'est la plus oublieuse d'elle-même ; si l'on
me demandait le secret du bonheur je dirais que c'est de ne plus
tenir compte de soi, de se nier tout le temps. Voilà une bonne façon
de faire mourir l'orgueil: on le prend par la famine!... Une âme qui
vivrait dans la foi sous le regard de Dieu, qui aurait cet œil
simple dont parle le Christ en l'évangile, c'est-à-dire cette pureté
d'intention qui ne vise qu'à Dieu, cette âme-là, il me semble,
vivrait aussi dans l'humilité: elle saurait reconnaître ses dons à
son égard, car 'l'humilité c'est la vérité'... Framboise, tous les
mouvements d'orgueil que tu sens en toi ne deviennent des fautes que
lorsque la volonté s'en fait complice ! sans cela tu peux beaucoup
souffrir mais tu n'offenses pas le bon Dieu."
Quand nous sentons
notre misère, il faut demander au Seigneur "qu'Il nous délivre.
Il aime tant voir une âme reconnaître son impuissance ; alors, comme
disait une grande sainte, "l'abîme de l'immensité de Dieu se trouve
en tête à tête avec l'abîme du néant " de la créature, et Dieu
étreint ce néant.
Élisabeth développe un
peu ce thème, puis elle écrit: "Il me semble que les heureux de
ce monde sont ceux qui ont assez de mépris et d'oubli de soi pour
choisir la Croix pour leur partage ! Quand on sait mettre sa joie
dans la souffrance, quelle paix délicieuse !... 'J'accomplis en ma
chair ce qui manque à la Passion de Jésus-Christ pour son corps qui
est l'église.' Cette pensée me poursuit et je t'avoue que j'ai une
joie intime et profonde à penser que Dieu m'a choisie pour
m'associer à la Passion de son Christ, et ce chemin du Calvaire que
je gravis chaque jour me paraît plutôt la route de la béatitude !...
Ma foi me dit que c'est l'amour qui me détruit, qui me consume
lentement, et ma joie est immense et je me livre à Lui comme une
proie."
Il faut vivre dans le
surnaturel: "Il faut prendre conscience que Dieu est au plus
intime de nous et aller à tout avec Lui... Une âme surnaturelle ne
traite jamais avec les causes secondes mais avec Dieu seulement...
Ecoute saint Paul: 'Ceux que Dieu a connus en sa prescience, Il les
a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils.' (Ce
n'est pas tout, tu vas voir, ma petite, que tu es du nombre des «
connus » !) 'Et ceux qu'Il a connus, Il les a appelés': c'est le
baptême qui t'a faite enfant d'adoption, qui t'a marquée du sceau de
la Trinité Sainte !"
Il faut marcher en
Jésus-Christ: "Oui, petite enfant de mon âme et de mon cœur,
marche en Jésus-Christ: il te faut cette voie large; tu n'es pas
faite pour les sentiers étroits d'ici-bas ! Sois enracinée en Lui,
et pour cela déracinée de toi-même ou faisant tout comme:
c'est-à-dire te niant chaque fois que tu te rencontres. Sois édifiée
sur Lui, bien haut au-dessus de ce qui passe, là où tout est pur,
tout est lumineux... Sois affermie en la foi, c'est-à-dire n'agis
que sous la grande lumière de Dieu, jamais d'après les impressions,
l'imagination...
Crois à son amour,
son trop grand amour..."
Ainsi on peut vivre
dans l'action de grâces: "Et puis enfin, croîs en l'action de
grâces. C'est le dernier mot du programme, il n'en est que la
conséquence: si tu marches enracinée en Jésus-Christ, affermie en ta
foi, tu vivras dans l'action de grâces."
Élisabeth a mis
plusieurs jours pour écrire ce petit traité que l'on pourrait
appeler, "de l'amour de Dieu". Elle termine par ces mots: "Je
suis en solitude, il est 7 heures et demie du soir, la communauté
est en récréation... et moi je me crois déjà un peu au Ciel en ma
petite cellule, seule avec Lui seul, portant ma croix avec mon
Maître. Framboise, mon bonheur grandit à proportion de ma souffrance
! Si tu savais quelle saveur on trouve au fond du calice préparé par
le Père des Cieux !"
Élisabeth de la
Trinité, Louange de Gloire, pénètre au fond d'un profond abîme, pour
"apprendre à remplir l'office qui sera le sien durant l'éternité
et auquel elle doit déjà s'exercer dans le temps, qui est l'éternité
commencée, mais toujours en progrès. 'Nescivi!...' Je ne sais plus
rien, je ne veux plus rien savoir, sinon le connaître, Lui, la
communion à ses souffrances, la conformité à sa mort..." Car
ceux que Dieu a connus, Il "les a aussi prédestinés pour être
conformes à l'image de son divin Fils, le Crucifié par amour."
Élisabeth comprend que
ce n'est que lorsqu'elle sera toute identifiée avec cet Exemplaire
divin, toute passée en Lui, et Lui en elle, qu'elle remplira sa
vocation éternelle: celle pour laquelle Dieu l'a 'élue en Lui',
celle qu'elle poursuivra éternellement. Elle écrit: "plongée au
sein de ma Trinité je serai l'incessante louange de sa gloire,
Laudem gloriae ejus." Et pour remplir dignement son office de
Laudem gloriæ, elle "doit se tenir à travers tout en présence de
Dieu; plus que cela : l'Apôtre nous dit 'in charitate', c'est-à-dire
en Dieu, 'Deus Charitas est...' et c'est le contact de l'être divin
qui la rendra immaculée et sainte à ses yeux..."
Alors, dans la
simplicité, elle connaîtra le repos en Dieu: "Les glorifiés ont
ce repos de l'abîme parce qu'ils contemplent Dieu dans la simplicité
de son essence... L'âme, par la simplicité du regard avec lequel
elle fixe son divin objet, se trouve séparée de tout ce qui
l'entoure, séparée aussi et surtout d'elle-même. Alors elle
resplendit de cette science de la clarté de Dieu, dont parle
l'Apôtre, parce qu'elle permet à l'être divin de se refléter en
elle, et tous ses attributs lui sont communiqués." Tout cela,
Élisabeth le fera dans le silence, car, dit-elle, "conserver sa
force au Seigneur, c'est faire l'unité en tout son être par le
silence intérieur, c'est ramasser toutes ses puissances pour les
occuper au seul exercice de l'amour, c'est avoir cet œil simple qui
permet à la lumière de Dieu de nous irradier..." Dans le
silence, "l'œil de son âme, ouvert sous les clartés de la foi,
découvre son Dieu présent, vivant en elle ; à son tour elle demeure
si présente à Lui, dans la belle simplicité, qu'Il la garde avec un
soin jaloux... Et l'âme ainsi simplifiée, unifiée, devient le trône
de l'Immuable, puisque l'unité est le trône de la Sainte Trinité."
La clarté de Dieu
l'illumine mais attention! Le maître "veut que l'épouse soit
lumineuse de sa lumière, de sa seule lumière, ayant la clarté de
Dieu." Dès lors, l'âme sera inébranlable dans sa foi, comme si
elle avait vu l'Invisible, elle sera placée au-dessus des douceurs
et des consolations car "elle a résolu de tout dépasser pour
s'unir à Celui qu'elle aime..." et sa joie sera inébranlable."
Élisabeth relit des
passages de l'Apocalypse (7,9 et 14-17) et réfléchit au rôle d'une
âme qui veut servir Dieu en son temple: "Le temple de Dieu est
saint et vous êtes ce temple; cette âme doit être résolue de
communier effectivement à la Passion de son Maître. C'est une
rachetée qui doit racheter d'autres âmes à son tour, et pour cela
elle chantera sur sa lyre : 'Je me glorifie dans la Croix de
Jésus-Christ. Avec Jésus-Christ je suis clouée à la Croix'... La
reine."
Il convient de noter
qu'Élisabeth de la Trinité revient constamment à la Croix; "Elle
marche sur la route du Calvaire à la droite de son Roi crucifié,
anéanti, humilié, et pourtant toujours si fort, si calme, si plein
de majesté, allant à sa passion pour faire éclater la gloire de sa
grâce, selon l'expression si forte de saint Paul. L'Époux veut
associer son épouse à son œuvre de rédemption, et cette voie
douloureuse où elle marche, lui apparaît comme la route de la
Béatitude... Alors elle peut servir Dieu nuit et jour en son
temple... Elle n'a plus ni faim ni soif, car malgré son désir
consumant de la Béatitude, elle trouve son rassasiement en cette
nourriture qui fut celle de son Maître: la volonté du Père... "
Élisabeth interrompt
momentanément sa contemplation pour revenir ici-bas: "Il est des
êtres qui dès ici-bas font partie de cette génération pure comme la
lumière, ils portent déjà sur leurs fronts le nom de l'Agneau et
celui de son Père.... Ces êtres-là sont aussi les fidèles, les
vrais, et leur robe est teinte du sang de leur immolation
continuelle. c'est que ces âmes-là sont vierges, c'est-à-dire
libres, séparées, dépouillées, libres de tout sauf de leur amour,
séparées de tout et surtout d'elles-mêmes, dépouillées de toutes
choses aussi bien dans l'ordre surnaturel, que dans l'ordre
naturel." C'est la mort à soi-même, la vie cachée en Dieu avec
Jésus-Christ... L'âme qui fixe son Maître avec cet "œil simple
qui rend tout le corps lumineux est gardée du fonds d'iniquité qui
est en elle et dont se plaignait le prophète. Le Seigneur l'a fait
entrer en ce lieu spacieux qui n'est autre que Lui-même : là tout
est pur, tout est saint ! Ô bienheureuse mort en Dieu! Ô suave et
douce perte de soi en l'Être aimé, qui permet à la créature de
s'écrier : 'Je vis, non plus moi, mais c'est le Christ qui vit en
moi' ; et ce que j'ai de vie en ce corps de mort, je l'ai en la foi
du Fils de Dieu qui m'a aimé, et s'est livré pour moi."
"Mais voici la douce
merveille... L'âme qui par la profondeur de son regard intérieur
contemple à travers tout son Dieu dans la simplicité qui la sépare
de toute autre chose, cette âme est resplendissante : elle est un
jour qui transmet au jour le message de sa gloire..." Alors,
Élisabeth, comme le roi David, peut chanter: "Que rendrai-je au
Seigneur pour tous les bienfaits que j'ai reçus de Lui ? Voici : 'Je
prendrai le calice du salut.' Si je le prends, ce calice empourpré
du Sang de mon Maître et que, dans l'action de grâces, toute
joyeuse, je mêle mon sang à celui de la sainte Victime, il est en
quelque sorte infinisé et peut rendre au Père une louange superbe ;
alors ma souffrance est un message qui transmet la gloire de
l'Eternel... Là (dans l'âme qui raconte sa gloire) l'Éternel a placé
une tente pour le Soleil. Le soleil, c'est le Verbe, c'est l'Époux.
S'Il trouve mon âme vide de tout ce qui ne rentre pas en ces deux
mots: son amour, sa gloire, alors Il la choisit pour être sa chambre
nuptiale; Il s'y élance... Chacun semble être l'autre et tous deux
ne sont qu'un, pour être louange de gloire du Père !"
Élisabeth veut imiter,
dans le ciel de son âme, l'occupation des anges et des bienheureux
dans le Ciel de la gloire. Elle répond: "Être enraciné et fondé
en l'amour : telle est, me semble-t-il, la condition pour remplir
dignement son office de laudem gloriae... Tout en elle rend hommage
au Dieu trois fois saint : elle est pour ainsi dire un Sanctus
perpétuel, une louange de gloire incessante !..."
En un mot elle
adore, mot du Ciel qui signifie "l'extase de l'amour: C'est
l'amour écrasé par la beauté, la force, la grandeur immense de
l'Objet aimé, et il tombe en une sorte de défaillance dans un
silence plein, profond, ce silence dont parlait David lorsqu'il
s'écriait : 'Le silence est ta louange!...' Oui, c'est la plus belle
louange, puisque c'est celle qui se chante éternellement au sein de
la tranquille Trinité, et c'est aussi le dernier effort de l'âme qui
surabonde et ne peut plus dire..." (d'après Lacordaire)
L'âme ne peut plus
qu'adorer... Le silence est sa louange de Dieu. "On l'adorera
toujours à cause de Lui-même... L'âme sait que Celui qu'elle adore
possède en Lui tout bonheur et toute gloire... en sa présence comme
les bienheureux, elle se méprise, elle se perd de vue et trouve sa
béatitude en celle de l'Être adoré, parmi toute souffrance et
douleur. Car elle s'est quittée, elle est passée en un Autre."
Nous sommes enfants de Dieu faits à l'image de Dieu, et un jour,
"nous serons semblables à Lui parce que nous le verrons tel qu'Il
est. Et quiconque a cette espérance en Lui, se sanctifie comme
Lui-même est saint. Etre saint comme Dieu est saint, telle est,
semble-t-il, la mesure des enfants de son amour !
Le Maître n'a-t-Il
pas dit : 'Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait'?
Parlant à Abraham, Dieu disait : 'Marche en ma présence et sois
parfait.' C'est donc là le moyen pour atteindre à cette perfection
que notre Père du Ciel nous demande." Pour cela, il faut se
dépouiller du vieil homme et revêtir l'homme nouveau... prendre sa
croix, et se renoncer.
"Soyez parfaits
comme votre Père céleste est parfait. Lorsque mon Maître me fait
entendre cette parole au fond de l'âme, il me semble qu'Il me
demande de vivre comme le Père dans un éternel présent, sans avant,
sans après, mais tout entière en l'unité de mon être en ce
maintenant éternel..." Mais Dieu est "le Grand Solitaire"
et "mon Maître me demande d'imiter cette perfection, de lui
rendre hommage en étant une grande solitaire. L'être divin vit dans
une éternelle, une immense solitude; Il n'en sort jamais, tout en
s'intéressant aux besoins de ses créatures, car Il ne sort jamais de
Lui-même ; et cette solitude n'est autre que sa divinité..."
Donc, Élisabeth doit
trouver la solitude et le silence. Cela elle le vit dans son
infirmerie, mais, attention, se prévient-elle elle-même: "Si mes
désirs, mes craintes, mes joies ou mes douleurs, si tous les
mouvements provenant de ces "quatre passions"
ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas solitaire,
il y aura du bruit en moi ; il faut donc l'apaisement, le sommeil
des puissances, l'unité de l'être..."
Pour marcher dans la
perfection une âme doit se laisser faire par le Seigneur, c'est son
désir: "À celui qui garde sa parole, n'a-t-Il pas fait cette
promesse : 'Mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous
ferons en lui notre demeure?' C'est toute la Trinité qui habite dans
l'âme qui l'aime en vérité, c'est-à-dire en gardant sa parole !...
Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait... mon Maître me
demande encore de Lui rendre hommage en cela : faire toutes choses
d'après le conseil de sa volonté.
Alors, l'âme pourra
devenir sainte: "Dieu avait dit : 'Soyez saints, parce que je
suis saint', mais Il restait caché en son inaccessible lumière, et
la créature avait besoin qu'Il descendît jusqu'à elle, qu'Il vécût
de sa vie, afin qu'en mettant ses pas dans la trace des siens elle
pût ainsi remonter jusqu'à Lui, et se faire sainte de sa sainteté."
Et découvrir la science de la charité du Christ Jésus. "Et
d'abord il me dit qu'il est ma paix, que c'est par Lui que j'ai
accès près du Père, car il a plu à ce Père des lumières que toute
plénitude habitât en Lui, et de réconcilier tout en Lui-même,
pacifiant par le Sang de sa Croix ce qui est, soit sur la terre,
soit dans les cieux... Il veut être ma paix afin que rien ne puisse
me distraire ou me faire sortir de la forteresse inexpugnable du
saint recueillement. C'est là qu'Il me donnera accès auprès du Père
et me gardera immobile et paisible en sa présence, comme si déjà mon
âme était dans l'éternité. C'est par le Sang de sa Croix qu'Il
pacifiera tout en mon petit ciel, pour qu'il soit vraiment le repos
des Trois. Il me remplira de Lui, Il m'ensevelira en Lui, Il me fera
revivre avec Lui, de sa vie... Et si je tombe à tout instant, dans
la foi toute confiante je me ferai relever par Lui, et je sais qu'Il
me pardonnera, qu'Il effacera tout avec un soin jaloux, plus que
cela qu'Il me dépouillera, qu'Il me délivrera de toutes mes misères,
de tout ce qui est obstacle à l'action divine, et qu'Il entraînera
toutes mes puissance, qu'Il les fera ses captives, triomphant
d'elles en Lui-même. Alors je serai toute passée en Lui, je pourrai
dire : 'Je ne vis plus. Mon Maître vit en moi ! Et je serai sainte,
pure, irrépréhensible aux yeux du Père."
Croître en
Jésus-Christ par l'action de grâces, car: "c'est en elle que
tout doit s'achever ! 'Père, je vous rends grâce!' Voilà ce qui se
chantait en l'âme de mon Maître et Il veut en entendre l'écho en la
mienne !" Élisabeth conclut:
"Il importe donc que j'étudie ce divin
Modèle, afin de m'identifier si bien avec Lui que je puisse sans
cesse l'exprimer aux yeux du Père. Et d'abord, que dit-Il en
entrant dans le monde? 'Me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre
volonté'... 'Ma nourriture, aimait-Il dire, est de faire la volonté
de Celui qui m'a envoyé' Ce doit être aussi celle de l'épouse, en
même temps que le glaive qui l'immole... Puis, toujours par le divin
Adorant, Celui-là qui fait la grande louange de la gloire du Père,
elle offrira sans cesse une hostie de louange, c'est-à-dire le fruit
des lèvres qui rendent gloire à son nom."
(d'après saint Paul).
"Il faut que je loge
chez toi ! C'est mon Maître qui m'exprime ce désir ! Mon Maître qui
veut habiter en moi, avec le Père et son Esprit d'amour, pour que,
selon l'expression du disciple bien-aimé, j'aie société avec Eux...
Voilà comment j'entends être de la maison de Dieu : c'est en vivant
au sein de la tranquille Trinité, en mon abîme intérieur, en cette
forteresse inexpugnable du saint recueillement dont parle saint Jean
de la Croix !... Oh ! qu'elle est belle, cette créature ainsi
dépouillée, délivrée d'elle-même! Elle est en état de disposer des
ascensions en son cœur pour passer de la vallée des larmes
(c'est-à-dire de tout ce qui est moindre que Dieu) vers le lieu qui
est son but, ce lieu spacieux chanté par le psalmiste, qui est, il
me semble, l'insondable Trinité...
Elle monte, elle
s'élève au-dessus des sens, de la nature ; elle se dépasse elle-même
; elle surpasse aussi toute joie comme toute douleur et passe à
travers les nuages, pour ne se reposer que lorsqu'elle aura pénétré
en l'intérieur de Celui qu'elle aime et qui lui donnera Lui-même le
repos de l'abîme. Et tout cela sans être sortie de la sainte
forteresse ! Le Maître lui a dit : 'Hâte-toi de descendre...' C'est
encore sans sortir de là qu'elle vivra, à l'image de la Trinité
immuable, en un éternel présent, l'adorant toujours à cause
d'Elle-même et devenant par un regard toujours plus simple, plus
unitif, la splendeur de sa gloire, autrement dit l'incessante
louange de gloire de ses perfections adorables."
Élisabeth de la
Trinité, "petite louange de gloire" veut révéler l'amour dont
sa prieure est aimée par Dieu, ce qu'Il lui a fait comprendre au
cours de ses dernières oraison d'intime union avec son Seigneur.
Elle lui écrit: "Vous êtes étrangement aimée, aimée de cet amour
de préférence que le Maître ici-bas eut pour quelques-uns et qui les
emporta si loin. Il ne vous dit pas comme à Pierre : 'M'aimes-tu
plus que ceux-ci?' Mère, écoutez ce qu'Il vous dit : 'Laisse-toi
aimer plus que ceux-ci, c'est-à-dire sans craindre qu'aucun obstacle
n'y soit obstacle, car je suis libre d'épancher mon amour en qui il
me plaît ! Laisse-toi aimer plus que ceux-ci, c'est ta vocation,
c'est en y étant fidèle que tu me rendras heureux, car tu
magnifieras la puissance de mon amour. Cet amour saura refaire ce
que tu aurais défait : 'Laisse-toi aimer plus que ceux-ci.'
Élisabeth révèle ce qui
va devenir sa vocation dans le ciel: son sacerdoce sur l'âme de sa
prieure: "Mère tant aimée, si vous saviez avec quelle certitude
je comprends le plan de Dieu sur votre âme ; c'est comme dans une
immense lumière qu'il m'apparaît et je comprends aussi que là-Haut
je vais remplir à mon tour un sacerdoce sur votre âme. C'est l'Amour
qui m'associe à son œuvre en vous : oh, Mère, qu'elle est grande,
adorable de la part de Dieu ! qu'elle est simple pour vous, et c'est
justement ce qui la rend si lumineuse ! Mère, laissez-vous aimer
plus que les autres, cela explique tout et empêche l'âme de
s'étonner... Si vous le lui permettez, votre petite hostie passera
son Ciel au fond de votre âme : elle vous gardera en société avec
l'Amour, croyant à l'Amour ; ce sera le signe de son habitation en
vous. Oh, dans quelle intimité nous allons vivre!...
Je viendrai vivre en
vous, cette fois je serai votre petite Mère : je vous instruirai,
afin que ma vision vous profite, que vous y participiez et que, vous
aussi, vous viviez de la vie des bienheureux !... en partant je vous
lègue cette vocation qui fut mienne au sein de l'église militante et
que je remplirai désormais incessamment en l'église triomphante :
Louange de gloire de la Sainte Trinité. Mère, laissez-vous aimer
plus que ceux-ci; c'est comme cela que votre Maître veut que vous
soyez louange de gloire !... Il vous aime ainsi, Il vous aime plus
que ceux-ci...
Mère, la fidélité
que le Maître vous demande, c'est de vous tenir en société avec
l'Amour, c'est de vous écouler, de vous enraciner en cet Amour qui
veut marquer votre âme du sceau de sa puissance, de sa grandeur.
Vous ne serez jamais banale, si vous êtes éveillée en l'amour ! Mais
aux heures où vous ne sentirez que l'écrasement, la lassitude, vous
Lui plairez encore si vous êtes fidèle à croire qu'Il opère encore,
qu'Il vous aime quand même, et plus même : parce que son amour est
libre et que c'est ainsi qu'Il veut se magnifier en vous ; et vous
vous laisserez aimer plus que ceux-ci."
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