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La grande Révélation de la Sainte Trinité
Mère Germaine raconte
encore, dans ses Souvenirs, ce qui se passa le jour de
l'Ascension 1906: "... Jusque-là, la chère enfant avait souhaité
que nos entrevues n'eussent pas de retard ; mais alors elle me dit :
— Désormais, ne vous
préoccupez plus de contenter mes désirs ; quand vous ne pourrez
venir, vous penserez que je suis avec mes Hôtes divins ; je ne dois
et ne peux plus rien vouloir, sinon vivre en leur intimité. Je sens
si bien qu'ils sont là, disait-elle joignant les mains sur son cœur.
Dans la suite, si je
lui recommandais quelque particulière intention :
— Je vais en parler
à mon Conseil tout-puissant, répondait-elle ; c'est ainsi que,
depuis l'Ascension, elle nommait les Trois divines Personnes.
Cette manifestation
intime de la Sainte Trinité couronne sa vie toute de recueillement
sous la grâce du mystère qu'elle adorait sans cesse en elle-même,
dans ce centre où saint Jean de la Croix nous le montre caché, mais
divinement opérant. Elle apparaît comme une suprême dédicace de ce
petit Tabernacle, dont la translation dans le Temple éternel n'était
plus éloignée. Aussi la fête du 31 août 1906, fut-elle avant tout
une fête d'action de grâce.
Car dit encore Élisabeth, dans son traité
Le Ciel dans la foi: "Le lieu où est caché le Fils de
Dieu, c'est le sein du Père, ou l'Essence divine, invisible à tout
regard mortel, inaccessible à toute intelligence humaine."
Et d'ajouter: "La Trinité, voilà notre
demeure, notre « chez nous », la maison paternelle d'où nous ne
devons jamais sortir."
Jésus disait: "Parce que j'aime mon Père,
je fais toujours ce qui Lui plaît." "Ainsi parlait le Maître
saint, écrit Élisabeth, et toute âme qui veut vivre à son
contact doit vivre aussi de cette maxime. Le bon plaisir divin doit
être sa nourriture, son pain quotidien ; elle doit se laisser
immoler par toutes les volontés du Père à l'image de son Christ
adoré." Élisabeth peut alors affirmer: "Je ne veux plus vivre
de ma propre vie, mais être transformée en Jésus-Christ afin que ma
vie soit plus divine qu'humaine, et que le Père en se penchant sur
moi puisse reconnaître l'image du Fils bien-aimé en qui Il a mis
toutes ses complaisances."
Certaines âmes se perdent dans l'amour
et naviguent "dans l'Océan de la Divinité sans qu'aucune créature
leur soit obstacle ou gêne." C'est alors qu'Élisabeth de la
Trinité écrit une de ses plus merveilleuses pages:
"Pour ces âmes, la mort mystique dont
saint Paul nous parlait hier devient si simple, si suave ! Elles
pensent beaucoup moins au travail de destruction et de dépouillement
qui leur reste à faire qu'à se plonger dans le Foyer d'amour qui
brûle en elles, et qui n'est autre que l'Esprit Saint, ce même Amour
qui dans la Trinité est le lien du Père et de son Verbe. Elles
entrent en Lui par la foi vive, et là, simples, paisible, elles sont
emportées par Lui au-dessus des choses, des goûts sensibles, dans la
ténèbre sacrée et transformées en l'image divine. Elles vivent,
selon l'expression de saint Jean, en société avec les Trois
adorables Personnes, leur vie est commune, et c'est là la vie
contemplative; cette contemplation conduit à la possession. Or cette
possession simple est la vie éternelle goûtée dans le lieu sans
fond. C'est là qu'au-dessus de la raison nous attend la tranquillité
profonde de la divine immutabilité. "
(Le Ciel dans la foi, n° 14)
Dès lors, "L'âme en possession de cet
amour apparaît avec Jésus-Christ sur le pied d'égalité parce que
leur affection réciproque rend tout commun entre l'un et l'autre.
'Je vous ai donné à vous le nom d'amis, parce que je vous ai
manifesté tout ce que j'ai entendu dire à mon Père.' Mais pour
arriver à cet amour l'âme doit s'être auparavant livrée tout
entière, sa volonté doit être doucement perdue en celle de Dieu,
afin que ses inclinations, ses facultés ne se meuvent plus que dans
cet amour et pour cet amour. Je fais tout avec amour, je souffre
tout avec amour... Heureuses les oreilles de l'âme assez éveillée,
assez recueillie pour entendre cette voix du Verbe de Dieu!
s'écrie Élisabeth. Mais heureux aussi celui qui, sous la lumière de
la foi peut assister à "l'arrivée" du Maître en son sanctuaire
intime.
Et qu'est donc cette arrivée du Maître?
"C'est une génération incessante, une illustration sans
défaillance. Le Christ vient avec ses trésors, mais tel est le
mystère des rapidités divines qu'Il arrive continuellement, toujours
pour la première fois comme si jamais Il n'était venu ; car son
arrivée, indépendante du temps, consiste dans un éternel maintenant,
et un éternel désir renouvelle éternellement les joies de l'arrivée.
Les délices qu'Il apporte sont infinies, puisqu'elles sont Lui-même.
La capacité de l'âme, dilatée par l'arrivée du Maître, semble sortir
d'elle-même pour passer à travers les murs dans l'immensité de Celui
qui arrive ; et il se passe un phénomène que voici: c'est Dieu qui,
au fond de nous, reçoit Dieu venant à nous, et Dieu contemple Dieu !
Dieu en qui consiste la béatitude."
Peut-être est-ce déjà la vie de l'âme
dans le sein de la Trinité? Mais seule les âmes simples et pauvres
peuvent comprendre cela:
"L'âme simple, se soulevant par la vertu de son regard intérieur,
rentre en elle-même et contemple dans son propre abîme le sanctuaire
où elle est touchée d'un attouchement de la Trinité sainte... La
Sainte Trinité nous a créés à son image... en ce commencement sans
commencement dont parle Bossuet après saint Jean: 'au commencement
était le Verbe'; et l'on peut ajouter: au commencement était le
néant, car Dieu en son éternelle solitude nous portait déjà dans sa
pensée. Le Père se contemple Lui-même dans l'abîme de sa fécondité,
et voici que, par l'acte même de se comprendre, Il engendre une
autre personne, le Fils, son Verbe éternel... Le Verbe, la Splendeur
du Père, est le type éternel sur lequel sont dessinées les créatures
au jour de leur création... Cette contemplation ouvre à l'âme des
horizons inespérés; elle possède d'une certaine manière la couronne
vers laquelle elle aspire. Les richesses immenses que Dieu a par
nature, nous pouvons les avoir par la vertu de l'amour, par sa
résidence en nous, par notre résidence en Lui. C'est par la vertu
de cet amour immense que nous sommes attirés au fond du sanctuaire
intime où Dieu imprime en nous une certaine image de sa majesté."
En résumé
Le 25 novembre 1984, lors de la
béatification d'Élisabeth de la Trinité, le pape Jean–Paul II
déclara, entre autres: "Élisabeth de la Trinité fait une
expérience profonde de la présence de Dieu, qu'elle mûrit de manière
impressionnante en quelques années de vie au Carmel. Accomplie,
appréciée de ses amis, délicate dans l'affection des siens, voici
qu'elle s'épanouit dans le silence de la contemplation, rayonne du
bonheur d'un total oubli de soi; sans réserve, elle accueille le don
de Dieu, la grâce du baptême et de la réconciliation; elle reçoit
admirablement la présence eucharistique du Christ. À un degré
exceptionnel, elle prend conscience de la communion offerte à toute
créature par le Seigneur... Elle se sait habitée au plus intime
d'elle-même par la présence du Père, du Fils et de l'Esprit en qui
elle reconnaît la réalité de l'amour infiniment vivant. Élisabeth a
connu elle aussi la souffrance physique et morale. Unie au Christ
crucifié, elle s'est totalement offerte, achevant dans sa chair la
Passion du Seigneur (cf. Col 1, 24), toujours assurée d'être
aimée et de pouvoir aimer. Elle fait dans la paix le don de sa vie
blessée. Et cette contemplative, loin de s'isoler, a su communiquer
à ses sœurs et à ses proches la richesse de son expérience mystique.
Son message se répand aujourd'hui avec une force prophétique...
et elle continue aujourd'hui de rayonner ce qui fut son bonheur
d'être aimée de Dieu et d'être habitée par les personnes divines
qu'elle aimait appeler familièrement 'mes Trois'. Témoin admirable
de la grâce du baptême épanouie dans un être qui l'accueille sans
réserve, elle nous aide à trouver à notre tour les voies de la
prière et du don de nous-mêmes." |