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Un portrait de Benoîte Rencurel

7-1-Le portrait moral de Benoîte Rencurel

C’est Jean Peytieu qui donne les grandes lignes du portrait moral de Benoîte Rencurel.

Cela faisait plus de sept ans que “la Mère de Dieu favorisait la bergère de ses douces visites et que le peuple avait commencé à connaître cette fille et d’avoir quelque déférence pour elle... Elle a continué dans sa pauvreté, et ne s’est pas enrichie; elle a continué dans sa simplicité, et n’a jamais parue ni double ni dissimulée? Ce qui me surprend davantage, ajoute Jean Peytieu, c’est qu’elle se soit maintenue dans cette candeur et bonté de vie, sans conseil et sans direction... Serait-il possible qu’un avancement si visible dans la perfection, qu’une vertu si continue, sans maître, soit l’œuvre du démon ?”

En réalité, c’est la Vierge qui a éduqué Benoîte. Peytieu dit : “La Vierge lui sert de maîtresse qui l’enseigne, de directrice qui la conduit, et de mère qui la corrige...” Peytieu continue : “Il faut que je dise que Benoîte a beaucoup de charité comme on le connaît par sa dévotion et par la distribution qu’elle fait des aumônes qu’elle reçoit; et de ce qui serait nécessaire à sa subsistance.”

Par ailleurs, Benoîte est humble, chaste, et si simple...  C’est que Benoîte a acquis, suivant les conseils de la Vierge Marie, l’usage fréquent des sacrements et un besoin intense de prière et de mortification, car, hélas! sa mission lui a comme fait faire l’expérience des péchés du monde. Sa simplicité et son humilité incitent les pécheurs à répondre aux reproches de leur conscience. Pourtant Benoîte sera attaquée et calomniée, et Peytieu s‘insurge : “Pourquoi faut-il que la bonté de Dieu et la Miséricorde de la Sainte Mère soient l’occasion de tant de malice. Oui, les apparitions ne doivent être acceptées qu’avec beaucoup de circonspection, car l’Ennemi est malin; mais ici, quel avantage en a-t-il retiré ? Une belle église bâtie, où se célèbrent quantité de messes, et où se font des confessions générales et particulières si nombreuses et accompagnées de tant de repentir... N’est-ce pas parce que le Laus est comme une épine à son pied ?”

La vertu de pauvreté, chez Benoîte était remarquable, et jamais elle ne profita des aumônes données au Laus au bénéfice de sa famille. La maman de Benoîte menait, à saint-Étienne d’Avançon une vie proche de la misère, et manquait, souvent, même de pain. Jamais Benoîte n’accorda le moindre avantage à ses sœurs qui travaillaient souvent au Laus. Cela ne l’empêchait de faire manger sa mère et ses sœurs chez elle et de les assister en secret, mais jamais au détriment du sanctuaire. Par contre, son honnêteté était parfaite, comme le prouve le petit fait suivant : les deux directeurs du Laus pensaient faire un achat avantageux: l’achat d’une grange, mais cela aurait fait grand tort aux vendeurs: l’achat ne se fit pas.

7-2-Une sage conseillère

Les manifestations peu ordinaires qui ont eu lieu au Laus révèlent la pédagogie de la Vierge Marie, tant à l’égard de Benoîte que des pèlerins. Les parfums, les guérisons, les grâces exceptionnelles de conversion furent des repères pour les pécheurs de bonne volonté. Nous savons aussi que Benoîte reçut de nombreux avis de la part de la Vierge Marie. Ces avis concernaient, soit Benoîte directement, soit les prêtres et les pèlerins du Laus

        7-2-1-Avis concernant Benoîte

Benoîte doit se préparer à de grandes souffrances[1] et compter beaucoup sur la Providence, car elle sera encouragée par de nombreuses grâces de lumière. Elle doit éclairer les pèlerins sur la gravité des péchés de haine, d’orgueil, de l’avarice, de la luxure. Elle doit insister sur l’importance des sacrements. Pour obtenir des grâces de conversion, Benoîte n’hésite pas à s’imposer des jeûnes et des punitions si elle le juge nécessaire. La Vierge Marie lui donne des conseils de plus en plus énergiques : Benoîte doit être toujours patiente, ne jamais se troubler ni s’inquiéter, faire sa tâche de bon cœur, et être toujours gaie.

Marie lui dit clairement que les malheurs de la France, à cette époque (guerre entre la France et les alliés de la Ligue d’Augsbourg, de 1688 à 1697) sont dus au manque de prière: “Il y aura beaucoup de sang répandu parce qu’on ne fait pas de prières publiques. Priez pour la paix entre princes chrétiens...”

Il convient de noter que c’est dans sa prière incessante que Benoîte puisait sa sérénité et sa capacité exceptionnelle de discernement. Mais comment Benoîte connaissait-elle l’état de la conscience des gens qu’elle devait reprendre et conduire à la confession ? Laissons Benoîte nous répondre elle-même : “Quand je vois quelqu’un, je connais d’emblée tout ce qu’il est et ce qu’il a dans sa conscience, comme quand on voit dans une glace ce qui est au-devant, tout à la fois; ce qui me permet de donner les avis nécessaires au salut de ceux que je juge capables d’en profiter.”

        7-2-2-Avis concernant le clergé

Marie semble insister sur la tenue des prêtres et leurs fréquentations. Elle les met en garde également contre les opinions des jansénistes. La Vierge insistera pour que le clergé éduque les enfants et qu’il veille au respect envers le Saint-Sacrement. Marie donne plusieurs avertissements à Jean Peytieu et à Barthélémy Hermitte : “Ils doivent refuser l’absolution aux pécheurs d’habitude ; ils doivent les interroger de leur état, de leur emploi, sur leur condition.” Marie donne également des avis pour le salut des pénitents.

        7-2-3-Avis concernant les pèlerins

Marie avait dit à Benoîte : “J’ai destiné ce lieu pour la conversion des pécheurs...” La grâce mariale spécifique au Laus doit conduire les pèlerins à la confession et à l’Eucharistie. Les messages invitent les pèlerins à la patience, à la prudence, et à une grande estime envers l’Eucharistie.

Par ailleurs, les pèlerins doivent savoir que les signes sensibles du Laus: les parfums, les guérisons, l’expérience et la disponibilité de Benoîte, son charisme de lire dans les âmes et le climat de prière, ne sont pas une fin, une recherche de l’extraordinaire, mais un simple chemin pour revenir vers Dieu et vers son Fils, Jésus-Christ. Il convient, en effet, de noter que l’éducation mariale est christocentrique. Marie conduit toujours Benoîte à son Fils. Il faut aussi insister sur les avis de Marie demandant que Benoîte, puis les fidèles, en état de grâce, communient souvent.

7-3-La vie pénitente de Benoîte

Benoîte jeûnait souvent. Dès l’âge de douze ans elle se privait de pain, une semaine sur deux, pour nourrir les enfants de sa patronne. Plus tard, elle prit l’habitude de jeûner le mercredi, le vendredi et le samedi, “ne prenant que du pain et de l’eau, et parfois un peu de soupe. Pour obtenir des conversions difficiles, il lui arrivait de faire durer ce jeûne toute la semaine. Dès l’âge de 22 ans, elle commença à s’nfliger régulièrement la discipline: jusqu’à quinze à vingt  coups, trois fois par semaine. Quand elle allait à la Croix d’Avançon, c’est pieds nus, même en hiver. De 1669 à 1684, période de ses crucifixions mystiques, elle se revêt d’un cilice, puis, vers 1690, elle s’entoure le buste de chaînes de fer qui provoquent des plaies purulentes.

Depuis 1664 Benoîte pouvait lire dans les âmes, et cela lui était une immense souffrance spirituelle, car elle voyait les douleurs de Jésus qui souffrait pour expier toutes nos fautes. Une autre grande épreuve pour Benoîte, c’était de devoir avertir les pécheurs, et surtout les prêtres. Elle éprouvait alors un grand besoin du Sacrement de pénitence et de l’Eucharistie.

Ces mortifications corporelles peuvent nous paraître excessives, mais ce sont celles qui étaient pratiquées couramment à cette époque.  Par ailleurs, Benoîte, émue par les visions de Jésus en Croix, désirait expier les péchés qui lui étaient révélés.

Plus tard, découvrant les faiblesses humaines, elle multiplia les prières, les veilles, les pénitences corporelles de toutes sortes. Puis, sous la conduite de Marie, probablement vers 1684, elle comprit mieux que les meilleures pénitences sont la patience et la mortification de la volonté. Quand elle eut atteint ses soixante ans, elle se décida à modérer ses pénitences et à dormir davantage, car ses forces l’abandonnaient.

7-4-La lutte contre les démons

        7-4-1-Les combats de Benoîte contre les démons

Comme tous les saints, Benoîte eut à mener de rudes combats contre les démons. Elle eut même, parfois, des démêlés avec eux du genre de ceux que subira plus tard le saint Curé d’Ars. Les démons ne se manifestent pas toujours ouvertement. On sait que des influences jansénistes se manifestaient à Embrun.  Aussi, pendant une longue absence de Mgr de Genlis, les directeurs du Laus furent-ils humiliés et ridiculisés à cause de la confiance qu’ils avaient en Benoîte ; Ces persécutions souterraines préparaient les persécutions ouvertes qui se manifesteront pendant 20 ans, à partir de 1692.

        7-4-2-Les enlèvements nocturnes et les tortures diaboliques

Pierre Gaillard a rapporté que parfois les démons emportaient Benoîte dans des coins escarpés de la montagne, et qu’ils la laissaient là, dans la nuit et le froid, même l’hiver. Les démons n’emmenaient Benoîte que la nuit. “Elle se sent prise par les jambes et jetée sur des épaules comme un sac de blé... et emmenée si vite qu’elle a grand mal à la tête et aux yeux...” Ses yeux sont rouges le lendemain. “Elle se sent pincée à travers ses vêtements... et se retrouve au retour en jupe et pieds nus.”

Parfois Benoîte sent la pluie. Elle est toujours emmenée sur les mêmes sites escarpés; elle est insultée, et on lui reproche les aides qu’elle a accordées aux pécheur venus la trouver dans  la journée. Le transport se termine le plus souvent par une impression de chute dans le vide dont elle ressort pleine de contusions. Elle est laissée seule dans le noir, mais un ange vient l’aider à retrouver son chemin.

Jean Peytieu a noté que durant le Carême 1687 (?) le démon aurait porté Benoîte “six ou sept fois, à la rigueur du froid, dans des rochers inaccessibles, d’où elle ne pouvait descendre sans le secours du ciel.” Et François Aubin précise que “chaque fois que le démon a emporté Benoîte, elle était malade tantôt quatre, tantôt deux, tantôt huit jours où elle souffrait grandement”.

Benoîte subit aussi des sévices effrayants, “annoncés” parfois la veille, “se sentant toute glacée.” L’épreuve, qui se passe généralement la nuit, est accompagnée d’une puanteur insupportable. Les démons se présentent sous des formes hideuses, et les insultes qu’ils émettent sont particulièrement abjectes. Benoîte se sent battue, traînée à terre, et même étouffée. Dans son désespoir elle appelle Jésus, Marie et Joseph.  Ces épreuves nuisent à la santé physique de Benoîte, mais l’incitent à prier toujours plus pour les pécheurs. Son union aux souffrances de Jésus en devient également plus profonde.

Il convient de noter que ces épreuves diaboliques se sont surtout déroulées pendant les trois années qui ont suivi la mort de Jean Peytieu, donc après la période des crucifixions mystiques.

Vers 1694 “une fois, les démons portent Benoîte dans les enfers où elle vit une infinité de personnes de sa connaissance... Elle y resta un bon moment, puis vinrent deux anges qui la tirèrent de là et l’emportèrent chez elle, ce qui la consola grandement. Ils lui dirent que Dieu avait permis cela afin qu’elle eût compassion des pécheurs...”

7-5-Les joies de Benoîte

La vie de Benoîte Rencurel ne fut pas qu’une suite de douloureuses épreuves. La Vierge Marie lui réservait aussi des joies ineffables. Ainsi, le jour de l’Assomption de Marie, en 1698, Marie vint trouver Benoîte qui récitait ses litanies, celles que la Vierge lui avait apprises quand elle n’était encore qu’une adolescente. Pierre Gaillard raconte: “... Marie lui dit:

― Ma fille, suivez-moi, et vous réjouissez: je vais vous faire voir des choses que vous n’avez jamais vues.

Aussitôt deux anges prennent Benoîte de chaque côté et la portent après la Sainte Vierge. Quand elle fut élevée en l’air, elle entendit quantité d’anges qui chantaient les Mystères de la Passion de Jésus.... Les odeurs suaves et embaumantes de la Sainte Vierge et des anges l’enveloppaient...“ Marie et Benoîte arrivèrent devant la porte du Paradis. Benoîte suivit Marie, “sans savoir ni où elle était, ni où elle allait, ni ce qu’elle faisait, éblouie de tant d’éclat, de splendeur et de gloire, qu’elle voyait de part et d’autre, de quelque côté qu’elle se tourne.”

Les bienheureux chantaient des cantiques à la louange de Dieu. “Elle vit M. Peytieu, M. Hermitte et sa mère qui la saluent souriant vers elle. Elle vit beaucoup de personnes connues: parents, amis et autres...

Au milieu du Paradis elle vit un bel arbre, fort, épais et étendu... Benoîte dit à la Mère de Dieu :

― Voilà un bel arbre.

― C’est l’Arbre de Vie, lui répondit la bonne Mère.

N’ayant vu que quelques prêtres dans le Paradis, parmi cette foule innombrable, elle dit :

― Je n’y vois guère de prêtres !

La bonne Mère lui dit qu’elle ne les lui a pas voulu montrer, parce qu’elle en aurait trop de déplaisir.”

Le jour approchait. Benoîte fut reconduite jusqu’au pied de la descente du Laus, du côté de Gap. “La Mère de Dieu lui dit de s’en aller et de n’avoir point de peur. Il n’était pas tout à fait jour, mais elle y voyait comme en plein midi, à cause de la clarté de la Vierge.”

Pendant quinze jours, Benoîte fut comblée de contentement : ”Son âme et toutes ses puissances étaient tellement remplies de joye, qu’elle ne savait bonnement ce qu’elle faisait, ni exprimer ce qu’elle avait vu.” (P. Gaillard)

Benoîte Rencurel, solide paysanne, était particulièrement lucide sur les péchés des hommes. Humble fille, pauvre et fruste, sans éducation ni instruction, elle fut tout au long de sa vie formée par la Vierge Marie. Elle bénéficia, pendant cinquante quatre ans, de très nombreuses visions. Son équilibre, tant psychique que spirituel n’a jamais été mis en doute. Benoîte est tout simplement une parmi les nombreux mystiques que Dieu a suscités au cours des siècles, pour nous enseigner et nous montrer la réalité de Dieu et de son Amour, ainsi que sa Miséricorde qui appelle cependant, et obligatoirement, notre collaboration.


[1] En janvier 1688 Marie avertit Benoîte des très grandes épreuves qui l’attendent. Elle devra “se remettre totalement au bon plaisir de Dieu, de tout prendre en patience, de ne s’inquiéter de rien.”

    

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