4. Il y avait à Armagh, où Malachie fut élevé,
un saint homme, qui menait une vie très-austère et mortifiait
cruellement sa chair, dans une petite cellule située près
de l'église; il y demeurait enfermé ne vaquant jour et nuit
qu'au jeûne et à la prière. Malachie alla trouver cet
homme, qui s'était condamné à passer ainsi sa vie
dans une sorte de sépulcre, pour être par lui, instruit, dans
la vie spirituelle. Or, admirez ici son humilité: après avoir
eu, dès ses plus tendres années, Dieu même pour maître
dans l'art des saints, comme on n'en saurait douter, il se met sous la
conduite d'un homme, lui déjà si doux et si humble de cœur,
comme nous l'apprendrait sa démarche, si nous l'avions ignoré.
Que ceux qui veulent enseigner aux autres ce qu'ils n'ont point appris,
s'entourer de disciples quand eux-mêmes n'ont jamais eu de maîtres
et conduire des aveugles comme eux, lisent cette histoire; ils verront
Malachie dont Dieu même avait été le maître,
rechercher néanmoins avec autant de soin que de prudence, un homme
qui le conduise. Quelle preuve plus concluante pouvait-il donner et recevoir
en même temps de ses progrès dans la vertu, je vous le demande
? Mais si l'exemple de Malachie ne leur suffit point, qu'ils jettent les
yeux sur Paul lui-même. Ne le vit-on point, en effet, soumettre à
des hommes l'Evangile qu'il avait reçu de Jésus-Christ même,
non point d'un simple mortel, et cela de peur de courir ou d'avoir couru
en vain? Comment me croirai-je en sûreté là où
il n'a pas cru l'être lui-même? Que celui qui s'y trouverait,
prenne garde que sa sécurité ne soit que de la témérité.
Mais tout cela est d'un autre temps.
5. La démarche de Malachie eut un grand retentissement dans la
ville et causa, par sa nouveauté, un étonnement général.
Tout le monde fut surpris, et on admira d'autant plus ce genre de vertu,
qu'il était moins commun dans cette nation barbare. On put voir
alors se manifester au grand jour les dispositions intimes de chacun; beaucoup
de gens, en effet, ne considérant cette démarche que d'un
œil tout humain, déploraient et gémissaient de voir un jeune
homme aimé de tout le monde et d'une santé délicate,
s'adonner à un genre de vie si pénible; plusieurs le soupçonnant
de légèreté de caractère à cause de
sa jeunesse, pensaient qu'il ne persévérerait point et craignaient
l'issue finale de sa démarche. Il y en eut quelques-uns qui l'accusèrent
de témérité et conçurent contre lui une sorte
d'indignation et de colère, en le voyant embrasser inconsidérément
un genre de vie si fort au-dessus de son âge. Mais en réalité,
il ne fit rien sans conseil; car il avait celui du Prophète, qui
lui disait : « C'est un bien pour l'homme de porter le joug dès
son enfance (Jr. III, 27), » et encore : « Il s'assoira
dans la solitude et gardera le silence parce qu'il s'est élevé
au dessus de lui-même (Ibid., XXVIII). » Il vint donc s'asseoir
tout jeune encore aux pieds d'Invar, — c'est ainsi que se nommait ce saint
personnage, — pour apprendre l'obéissance et pour montrer qu'il
l'avait apprise. Il était assis, c'est-à-dire il menait une
vie toute de paix, de mansuétude et d'humilité; mais assis
en silence, parce qu'il avait appris du Prophète que le silence
est le culte de la justice (Is., XXXII, 17) : il s'assit pour persévérer
et son silence indiquait son respect, mais ce silence parlait haut, comme
celui de David, aux oreilles de Dieu et lui faisait dire: « Si je
suis petit et méprisé, du moins je n'ai point oublié
la justice de vos commandements (Ps., CXVIII, 141). » Enfin, il
était assis dans la solitude, parce qu'il n'avait ni compagnon ni
modèle. En effet, qui est-ce qui, avant Malachie, avait pensé
à embrasser un genre de vie aussi austère que celui d'Invar?
On se contentait de l'admirer. personne ne croyait qu'on pût le suivre.
Malachie seul montra qu'on le pouvait en s'asseyant et en gardant le silence.
Aussi ne tarda-t-il point à se voir suivi de nombreux imitateurs,
que son exemple avait touchés, et voilà comment celui qui
avait commencé par être seul là où il s'était
assis, et l'unique fils d'Imar son père, se trouva bientôt
à la tête de beaucoup d'autres semblables à lui, et
cessa d'être le fils unique de son père pour devenir le premier
né de ses nombreux enfants; mais de même qu'il avait précédé
les autres dans cette voie ainsi les précédait-il encore
dans la manière dont il la parcourait; et, de l'aveu de tous, celui
qui leur avait donné l'exemple, l'emportait de beaucoup aussi sur
eux par sa vertu. Aussi fut-il jugé digne par son maître et
par son évêque d'être promu au diaconat, qu'ils le contraignirent
de recevoir.
|