8. Comme il était animé d'un goût et d'un zèle
tout particulier pour le culte divin et d'un grand respect pour les sacrements;
il appréhendait de régler ou d'enseigner en ces matières
d'une manière qui ne fût pas en tout conforme à ce
que l'Eglise universelle enseigne et pratique; c'est pourquoi il résolut
d'aller trouver l'évêque Match pour s'instruire plus complètement
de toutes ces choses auprès de lui. C'était un vieillard
plein d'ans et de vertus, en qui la sagesse de Dieu brillait de tout son
éclat. Il était Irlandais de nation, mais il avait pris l'habit
et fait profession religieuse dans le monastère de Winchester, d'où
il avait été tiré pour être fait évêque
de Lesmor, dans la province de Munster, la plus belle de toute l'Irlande.
Il reçut du ciel dans ce poste des grâces si abondantes, que
non-seulement il se fit remarquer par son genre de vie et par son savoir,
mais encore par le don des miracles. Je n'en rapporterai que deux ici,
afin de faire voir quel maître eut Malachie dans la science des saints.
Il guérit une fois, en le confirmant avec l'huile sainte, un enfant
insensé, du genre de ceux qu'on appelle lunatiques. C'est un fait
parfaitement certain et d'autant mieux connu, que l'évêque
Match confia la garde de la porte de sa maison à cet enfant qui
conserva ce poste jusqu'à sa virilité, où il parvint
dans un état de santé parfait. Une autre fois, il rendit
l'ouïe à un sourd, qui raconta, pour surcroît de merveille,
que pendant que le Saint lui mettait les doigts dans les oreilles, il sentit
comme deux petits pourceaux en sortir. Le bruit de ces miracles et d'autres
semblables se répandit bien vite et rendit le nom de celui qui les
avait opérés si célèbre, qu'on vit accourir
à lui les Ecossais et les Irlandais, et que tout le monde l'honora
comme un père. Voilà l'homme que Malachie alla trouver après
avoir reçu la bénédiction de son père Imar
et la permission de son évêque. A son arrivée, après
un heureux voyage, il en fut accueilli avec bonté. Il demeura plusieurs
années auprès dé lui, afin de puiser plus à
loisir, dans le sein de ce vieillard, les leçons de la sagesse,
car il est écrit: «La sagesse se trouve chez les anciens (Job.,
XII, 12). » De plus, je pense que la Providence qui veille à
tout, a permis ce long séjour pour une autre cause encore, afin
que son serviteur Malachie fût connu en cet endroit d'un plus grand
nombre de personnes, et fût à même de faire du bien
à plus de monde dans la suite ; car on ne pouvait le connaître
sans l'aimer. Mais il arriva sur ces entrefaites un événement
qui manifesta en partie, aux yeux des hommes; ce qui n'était encore
connu que de Dieu.
9. Une lutte s'était engagée entre le roi de Munster,
— cette province est située au sud de l'Irlande, — et son frère;
celui-ci ayant eu le dessus, le roi — nommé Cormach , — fut obligé
de renoncer au trône, et se réfugia auprès de l'évêque
Malch, non pas dans la pensée de profiter de son influence pour
recouvrer son royaume, mais dans un sentiment de piété, pour
donner à la colère le temps de se calmer. Faisant de nécessité
vertu, il résolut de vivre en simple particulier. Comme l'évêque
se préparait à recevoir le roi avec tous les honneurs dus
à son titre, celui-ci l'en dissuada, aimant mieux, lui dit-il, être
traité par lui comme l'un des pauvres religieux qui vivaient sous
sa conduite, renoncer au faste royal, et, content d'une vie pauvre et commune,
attendre ainsi, tant qu'il plairait à Dieu, plutôt que d'essayer
de remonter sur le trône par la force des armes ; car il ne voulait
point, pour un honneur temporel, répandre sur la terre un sang qui
crierait ensuite vengeance contre lui jusqu'au trône de Dieu. A ces
mots, l'évêque tressaille d'allégresse, et plein d'admiration
pour une si grande piété, il défère au vœu
qui lui est exprimé. Bref, on donne au roi une mauvaise petite cabane
pour demeure, Malachie pour maître, du pain, du sel et de l'eau pour
nourriture. Mais pour lui, toutes les délices du monde n'étaient
rien en comparaison de la présence de Malachie, des exemples et
des leçons qu'il lui donnait; aussi lui disait-il souvent: «
Combien vos paroles me semblent douces! elles le sont plus à mon
cœur que le miel à ma bouche (Ps. CXVIII, 103). » La nuit,
il arrosait son lit de ses larmes, et le jour il éteignait dans
un bain d'eau glaciale les fâcheuses ardeurs de la luxure qui consumait
sa chair. On aurait pu entendre alors ce roi s'écrier avec un autre
roi comme lui : « Jetez un regard sur l'état d’abaissement
où je suis et sur les peines que j'endure, et remettez-moi mes iniquités
(Ps. XXIV, 18). » Et Dieu, au lieu de rejeter sa prière
et de lui refuser ses miséricordes, l'exauça au contraire,
mais d'une manière bien différente qu'il le pensait lui-même.
En effet, il ne songeait qu'au salut de son âme; mais le Dieu qui
venge l'innocence, voulant montrer aux hommes qu'il reste toujours quelque
bien aux murs pacifiques, disposait tout pour rendre justice à celui
qui souffrait injustement; ce que ce dernier était loin d'espérer.
En effet, Dieu suscita un roi voisin, car il y en a plusieurs en Irlande,
qui voyant comment les choses s'étaient passées, se sentit
enflammé d'un grand zèle. Indigné d'un côté
à la vue de la liberté dont jouissaient les usurpateurs,
et de l'insolence des méchants, touché de l'autre de compassion
pour l'état misérable du royaume et l'abaissement de son
roi, il se présente à l'humble et pauvre cellule de ce dernier
et lui conseille de rentrer dans son pays; mais il ne peut réussir
à l'y décider. Cependant il le presse, il lui promet son
appui et l'engage à ne point désespérer de l'issue
de l'entreprise, il lui assure que Dieu ne peut manquer de l'assister,
et par conséquent que la résistance de ses ennemis sera vaine.
Puis il continue en lui dépeignant l'oppression dont les pauvres
gémissent, et le triste état de sa patrie ravagée;
mais il ne réussit pas davantage.
10. Mais enfin, sur l'ordre formel de l'évêque et d'après
les conseils de Malachie, dont il dépendait tout entier, il finit
par céder. Les deux rois partent ensemble; et, suivant l'assurance
du second, comme tel était la volonté du ciel, les usurpateurs
furent chassés sans peine : Le roi rentra dans son royaume, à
la grande satisfaction de ses sujets et remonta sur le trône. Depuis
lors, ce roi ne cessa d'avoir de l'affection et du respect pour Malachie,
d'autant plus qu'il avait pu voir par lui-même, combien il était
digne de ces sentiments d'amour et vénération; car il ne
pouvait ignorer la sainteté d'un homme dont il avait eu le bonheur
de connaître l'amitié dans ses infortunes. Aussi dans la prospérité
ne cessa-t-il de lui témoigner de l'affection et de la déférence,
de prendre volontiers conseil de lui et de ne faire presque tout ce qu'il
faisait, qu'après s'en être entretenu avec lui. Mais en voilà
assez sur ce point. Néanmoins, je ne puis m'empêcher de croire
que ce n'est pas sans motif due le Seigneur se plut à le rendre
dès lors illustre auprès des rois eux-mêmes, il voulait
se faire de lui un vase d'élection qui portât son nom devant
les princes et les rois.
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