Chapitre IV
Il s'attache tout particulièrement à l'évêque Malch,
pour se former à son école

8. Comme il était animé d'un goût et d'un zèle tout particulier pour le culte divin et d'un grand respect pour les sacrements; il appréhendait de régler ou d'enseigner en ces matières d'une manière qui ne fût pas en tout conforme à ce que l'Eglise universelle enseigne et pratique; c'est pourquoi il résolut d'aller trouver l'évêque Match pour s'instruire plus complètement de toutes ces choses auprès de lui. C'était un vieillard plein d'ans et de vertus, en qui la sagesse de Dieu brillait de tout son éclat. Il était Irlandais de nation, mais il avait pris l'habit et fait profession religieuse dans le monastère de Winchester, d'où il avait été tiré pour être fait évêque de Lesmor, dans la province de Munster, la plus belle de toute l'Irlande. Il reçut du ciel dans ce poste des grâces si abondantes, que non-seulement il se fit remarquer par son genre de vie et par son savoir, mais encore par le don des miracles. Je n'en rapporterai que deux ici, afin de faire voir quel maître eut Malachie dans la science des saints. Il guérit une fois, en le confirmant avec l'huile sainte, un enfant insensé, du genre de ceux qu'on appelle lunatiques. C'est un fait parfaitement certain et d'autant mieux connu, que l'évêque Match confia la garde de la porte de sa maison à cet enfant qui conserva ce poste jusqu'à sa virilité, où il parvint dans un état de santé parfait. Une autre fois, il rendit l'ouïe à un sourd, qui raconta, pour surcroît de merveille, que pendant que le Saint lui mettait les doigts dans les oreilles, il sentit comme deux petits pourceaux en sortir. Le bruit de ces miracles et d'autres semblables se répandit bien vite et rendit le nom de celui qui les avait opérés si célèbre, qu'on vit accourir à lui les Ecossais et les Irlandais, et que tout le monde l'honora comme un père. Voilà l'homme que Malachie alla trouver après avoir reçu la bénédiction de son père Imar et la permission de son évêque. A son arrivée, après un heureux voyage, il en fut accueilli avec bonté. Il demeura plusieurs années auprès dé lui, afin de puiser plus à loisir, dans le sein de ce vieillard, les leçons de la sagesse, car il est écrit: «La sagesse se trouve chez les anciens (Job., XII, 12). » De plus, je pense que la Providence qui veille à tout, a permis ce long séjour pour une autre cause encore, afin que son serviteur Malachie fût connu en cet endroit d'un plus grand nombre de personnes, et fût à même de faire du bien à plus de monde dans la suite ; car on ne pouvait le connaître sans l'aimer. Mais il arriva sur ces entrefaites un événement qui manifesta en partie, aux yeux des hommes; ce qui n'était encore connu que de Dieu.

9. Une lutte s'était engagée entre le roi de Munster, — cette province est située au sud de l'Irlande, — et son frère; celui-ci ayant eu le dessus, le roi — nommé Cormach , — fut obligé de renoncer au trône, et se réfugia auprès de l'évêque Malch, non pas dans la pensée de profiter de son influence pour recouvrer son royaume, mais dans un sentiment de piété, pour donner à la colère le temps de se calmer. Faisant de nécessité vertu, il résolut de vivre en simple particulier. Comme l'évêque se préparait à recevoir le roi avec tous les honneurs dus à son titre, celui-ci l'en dissuada, aimant mieux, lui dit-il, être traité par lui comme l'un des pauvres religieux qui vivaient sous sa conduite, renoncer au faste royal, et, content d'une vie pauvre et commune, attendre ainsi, tant qu'il plairait à Dieu, plutôt que d'essayer de remonter sur le trône par la force des armes ; car il ne voulait point, pour un honneur temporel, répandre sur la terre un sang qui crierait ensuite vengeance contre lui jusqu'au trône de Dieu. A ces mots, l'évêque tressaille d'allégresse, et plein d'admiration pour une si grande piété, il défère au vœu qui lui est exprimé. Bref, on donne au roi une mauvaise petite cabane pour demeure, Malachie pour maître, du pain, du sel et de l'eau pour nourriture. Mais pour lui, toutes les délices du monde n'étaient rien en comparaison de la présence de Malachie, des exemples et des leçons qu'il lui donnait; aussi lui disait-il souvent: « Combien vos paroles me semblent douces! elles le sont plus à mon cœur que le miel à ma bouche (Ps. CXVIII, 103). » La nuit, il arrosait son lit de ses larmes, et le jour il éteignait dans un bain d'eau glaciale les fâcheuses ardeurs de la luxure qui consumait sa chair. On aurait pu entendre alors ce roi s'écrier avec un autre roi comme lui : « Jetez un regard sur l'état d’abaissement où je suis et sur les peines que j'endure, et remettez-moi mes iniquités (Ps. XXIV, 18). » Et Dieu, au lieu de rejeter sa prière et de lui refuser ses miséricordes, l'exauça au contraire, mais d'une manière bien différente qu'il le pensait lui-même. En effet, il ne songeait qu'au salut de son âme; mais le Dieu qui venge l'innocence, voulant montrer aux hommes qu'il reste toujours quelque bien aux murs pacifiques, disposait tout pour rendre justice à celui qui souffrait injustement; ce que ce dernier était loin d'espérer. En effet, Dieu suscita un roi voisin, car il y en a plusieurs en Irlande, qui voyant comment les choses s'étaient passées, se sentit enflammé d'un grand zèle. Indigné d'un côté à la vue de la liberté dont jouissaient les usurpateurs, et de l'insolence des méchants, touché de l'autre de compassion pour l'état misérable du royaume et l'abaissement de son roi, il se présente à l'humble et pauvre cellule de ce dernier et lui conseille de rentrer dans son pays; mais il ne peut réussir à l'y décider. Cependant il le presse, il lui promet son appui et l'engage à ne point désespérer de l'issue de l'entreprise, il lui assure que Dieu ne peut manquer de l'assister, et par conséquent que la résistance de ses ennemis sera vaine. Puis il continue en lui dépeignant l'oppression dont les pauvres gémissent, et le triste état de sa patrie ravagée; mais il ne réussit pas davantage.

10. Mais enfin, sur l'ordre formel de l'évêque et d'après les conseils de Malachie, dont il dépendait tout entier, il finit par céder. Les deux rois partent ensemble; et, suivant l'assurance du second, comme tel était la volonté du ciel, les usurpateurs furent chassés sans peine : Le roi rentra dans son royaume, à la grande satisfaction de ses sujets et remonta sur le trône. Depuis lors, ce roi ne cessa d'avoir de l'affection et du respect pour Malachie, d'autant plus qu'il avait pu voir par lui-même, combien il était digne de ces sentiments d'amour et vénération; car il ne pouvait ignorer la sainteté d'un homme dont il avait eu le bonheur de connaître l'amitié dans ses infortunes. Aussi dans la prospérité ne cessa-t-il de lui témoigner de l'affection et de la déférence, de prendre volontiers conseil de lui et de ne faire presque tout ce qu'il faisait, qu'après s'en être entretenu avec lui. Mais en voilà assez sur ce point. Néanmoins, je ne puis m'empêcher de croire que ce n'est pas sans motif due le Seigneur se plut à le rendre dès lors illustre auprès des rois eux-mêmes, il voulait se faire de lui un vase d'élection qui portât son nom devant les princes et les rois.

   

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