CHAPITRE XV
Malachie songe à aller à Rome
pour demander le pallium au souverain Pontife

33. Cependant comme il ne lui semblait pas qu'il fût tout à fait en mesure de faire ce qu'il faisait, tant qu'il n'y était point autorisé par le saint Siège, il songe à se rendre à Rome, d'autant plus que jusqu'alors le siège métropolitain n’avait point encore et n'avait jamais eu l'usage du pallium, qui est le signe extérieur de la plénitude de l'autorité ecclésiastique. Il jugea donc qu'il était bien que l'Église pour laquelle il avait tant fait, obtint par son zèle et par ses démarches, ce comble d'honneur qu'elle n'avait pas encore obtenu jusqu'alors. Il y avait un autre siège métropolitain que l'archevêque Celse avait érigé et placé sous sa dépendance primatiale. Malachie désirait obtenir aussi pour ce siège, l'honneur du pallium, et la confirmation par le souverain Pontife, de la prérogative de métropole, que lui avait accordée l'archevêque Celse. Quand on connut ces projets, ce fut un mécontentement général tant parmi les religieux dont Malachie faisait sa société, que parmi les grands du pays et chez le simple peuple lui-même. Nul ne pouvait se faire à la pensée d'une absence prolongée de leur pieux père, et de la mort qui pouvait le frapper pendant le voyage.

34. Sur ces entrefaites, Malachie vint à perdre son frère, nommé Chrétien, un homme de bien, plein de grâce et de vertu. Il était aussi évêque, et s'il ne venait qu'après Malachie dans l'opinion publique, peut-être ne lui cédait-il en rien sous le rapport de la sainteté et du zèle. Cette mort inspira des craintes plus vives à tout le monde, au sujet du départ projeté de Malachie, et le fit considérer d'un oeil moins favorable encore. On disait en effet, qu'il ne fallait point consentir au départ du seul protecteur qui restât au pays, si on ne voulait plonger la contrée tout entière dans la désolation, en la privant ainsi en même temps, de ses deux plus fermes soutiens. Aussi n'y eut-il qu'une voix pour s'opposer à ce départ, et on était décidé à y mettre obstacle, même par la force, quand Malachie parla de la vengeance divine aux opposants. Toutefois ceux-ci ne voulurent céder qu'après qu'on se fut assuré de la volonté du ciel parle moyen du sort. Malachie ne voulait point consentir à cette épreuve, mais on n'en consulta pas moins le sort, qui se montra quatre fois de suite favorable au projet de notre évêque ; car dans le désir de le voir abonder dans leur sens, ils ne s'étaient pas contentés de le consulter une fois seulement. Cédant enfin, ils le laissent partir, non pas toutefois sans verser bien des larmes, et sans faire entendre bien des gémissements. Mais lui, pour ne rien laisser d'imparfait derrière lui, s'occupa des moyens de susciter un successeur au frère qu'il avait perdu; ayant donc fait venir auprès de lui trois de ses disciples, il se demandait avec inquiétude lequel des trois était le plus digne d'être appelé à ce ministère, et semblait devoir y produire plus de bien. Les ayant donc considérés attentivement l'un après l'autre, il dit à l'un des trois, qui se nommait Edan: « C'est vous qui devez accepter ce fardeau, » et comme celui-ci refusait avec larmes, Malachie reprit: « Ne craignez rien, test le Seigneur lui-même qui vous a désigné à mon choix, en me montrant en ce moment à votre doigt, l'anneau d'or qui doit cimenter votre union avec l'Église qui sera votre épouse. » Edan céda, et Malachie se mit en route après l'avoir sacré.

35. Il passa par l'Écosse et s'arrêta à York, en venant de ce pays-là, un prêtre, nommé Sycar, l'ayant aperçu, le reconnut, non pas qu'il l'eût jamais vu précédemment, mais comme il était doué du don de prophétie,il l'avait vu quelque temps auparavant dans une vision. Alors, le montrant du doigt aux assistants: Voilà, dit-il, l'évêque dont j'ai parlé quand j'ai dit un jour: Il nous viendra d'Irlande un saint pontife qui a le don de lire dans le coeur des hommes. Voilà comment il se 'fit que cette lampe ne put demeurer cachée sous le boisseau; le Saint-Esprit lui-même qui l'avait allumée, se chargea de la signaler aux hommes par la bouche de Sycar. Ce dernier lui révéla beaucoup de choses sur ses dispositions intérieures et sur celles de ses gens, et Malachie reconnut qu'il en était ou qu'il en avait été, en effet, ainsi qu'il le disait. Les compagnons de Malachie ayant questionné Sycar sur leur retour du voyage qu'ils entreprenaient Sycar leur répondit, sans hésiter, qu'il y en aurait très-peu de ceux qui accompagnaient Malachie qui reviendraient avec lui; l'événement justifia complètement cette prophétie. Il est vrai qu'en l'entendant parler ainsi, ils crurent qu'il s'agissait de mort pour eux; mais Dieu accomplit la prophétie d'une autre manière. En effet, quand Malachie revint de Rome, plusieurs de ses compagnons de route restèrent chez nous, et quelques-uns demeurèrent en d'autres endroits pour se façonner à notre genre de vie, en sorte que selon la prédiction de Sycar, il ne revint en Irlande qu'avec très peu de monde. Mais en voilà assez au sujet de Sycar.

36. Pendant qu'il était à York, un homme de condition, nommé Wallène, alors prieur des religieux réguliers de Kirkham, maintenant religieux et abbé de Mairy, monastère de notre ordre, vint le trouver et se recommanda avec dévotion et une grande humilité — à ses prières. Ayant remarqué que Malachie avait une suite nombreuse et fort peu de chevaux. —  il avait en effet cinq prêtres avec lui, sans compter un certain nombre de clercs et de serviteurs, et seulement trois chevaux pour tant de monde, — il lui offrit celui dont il se servait, en lui disant qu'il ne regrettait qu'une chose, c'est qu'il eût le trot rude et dur. Puis il ajouta: je voudrais qu'il fût meilleur pour vous l'offrir; mais tel qu'il est, faites-moi l'honneur de l'emmener avec vous. « Pour moi, répondit l'évêque, je l'accepte d'autant plus volontiers que vous semblez en faire moins de cas, attendu qu'à mes yeux ce due vous m'offrez de si bonne grâce ne saurait être de peu de valeur. » Se tournant alors vers ses gens: sellez-moi ce cheval, leur dit-il, il est bien bon pour moi et me fera un long service. A peine fut-il scellé que Malachie monta dessus, et le trouva d'abord un peu dur, comme il l'était en effet; mais bientôt, par un changement merveilleux, il devint très bon et prit un pas très doux. Mais pour que tout ce qu'avait dit le Saint s'accomplit, ce cheval lui servit pendant neuf ans entiers qu'il vécut encore, et lui rendit l'office d'un cheval excellent et de très grand prix, Mais ce qui rendit le miracle encore plus frappant, c'est que de gris que ce cheval était, il devint bientôt d'un blanc si pur, qu'on n'aurait pu en trouver de plus blanc que lui.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations