33. Cependant comme il ne lui semblait pas qu'il fût tout à
fait en mesure de faire ce qu'il faisait, tant qu'il n'y était point
autorisé par le saint Siège, il songe à se rendre
à Rome, d'autant plus que jusqu'alors le siège métropolitain
n’avait point encore et n'avait jamais eu l'usage du pallium, qui est le
signe extérieur de la plénitude de l'autorité ecclésiastique. Il jugea donc qu'il était bien que l'Église pour laquelle il avait
tant fait, obtint par son zèle et par ses démarches, ce comble
d'honneur qu'elle n'avait pas encore obtenu jusqu'alors. Il y avait un
autre siège métropolitain que l'archevêque Celse avait
érigé et placé sous sa dépendance primatiale.
Malachie désirait obtenir aussi pour ce siège, l'honneur
du pallium, et la confirmation par le souverain Pontife, de la prérogative
de métropole, que lui avait accordée l'archevêque Celse.
Quand on connut ces projets, ce fut un mécontentement général
tant parmi les religieux dont Malachie faisait sa société,
que parmi les grands du pays et chez le simple peuple lui-même. Nul
ne pouvait se faire à la pensée d'une absence prolongée
de leur pieux père, et de la mort qui pouvait le frapper pendant
le voyage.
34. Sur ces entrefaites, Malachie vint à perdre son frère,
nommé Chrétien, un homme de bien, plein de grâce et
de vertu. Il était aussi évêque, et s'il ne venait
qu'après Malachie dans l'opinion publique, peut-être ne lui
cédait-il en rien sous le rapport de la sainteté et du zèle.
Cette mort inspira des craintes plus vives à tout le monde, au sujet
du départ projeté de Malachie, et le fit considérer
d'un oeil moins favorable encore. On disait en effet, qu'il ne fallait
point consentir au départ du seul protecteur qui restât au
pays, si on ne voulait plonger la contrée tout entière dans
la désolation, en la privant ainsi en même temps, de ses deux
plus fermes soutiens. Aussi n'y eut-il qu'une voix pour s'opposer à
ce départ, et on était décidé à y mettre
obstacle, même par la force, quand Malachie parla de la vengeance
divine aux opposants. Toutefois ceux-ci ne voulurent céder qu'après
qu'on se fut assuré de la volonté du ciel parle moyen du
sort. Malachie ne voulait point consentir à cette épreuve,
mais on n'en consulta pas moins le sort, qui se montra quatre fois de suite
favorable au projet de notre évêque ; car dans le désir
de le voir abonder dans leur sens, ils ne s'étaient pas contentés
de le consulter une fois seulement. Cédant enfin, ils le laissent
partir, non pas toutefois sans verser bien des larmes, et sans faire entendre
bien des gémissements. Mais lui, pour ne rien laisser d'imparfait
derrière lui, s'occupa des moyens de susciter un successeur au frère
qu'il avait perdu; ayant donc fait venir auprès de lui trois de
ses disciples, il se demandait avec inquiétude lequel des trois
était le plus digne d'être appelé à ce ministère,
et semblait devoir y produire plus de bien. Les ayant donc considérés
attentivement l'un après l'autre, il dit à l'un des trois,
qui se nommait Edan: « C'est vous qui devez accepter ce fardeau,
» et comme celui-ci refusait avec larmes, Malachie reprit: «
Ne craignez rien, test le Seigneur lui-même qui vous a désigné
à mon choix, en me montrant en ce moment à votre doigt, l'anneau
d'or qui doit cimenter votre union avec l'Église qui sera votre
épouse. » Edan céda, et Malachie se mit en route après
l'avoir sacré.
35. Il passa par l'Écosse et s'arrêta à York, en
venant de ce pays-là, un prêtre, nommé Sycar, l'ayant
aperçu, le reconnut, non pas qu'il l'eût jamais vu précédemment,
mais comme il était doué du don de prophétie,il l'avait
vu quelque temps auparavant dans une vision. Alors, le montrant du doigt
aux assistants: Voilà, dit-il, l'évêque dont j'ai parlé
quand j'ai dit un jour: Il nous viendra d'Irlande un saint pontife qui
a le don de lire dans le coeur des hommes. Voilà comment il se 'fit
que cette lampe ne put demeurer cachée sous le boisseau; le Saint-Esprit
lui-même qui l'avait allumée, se chargea de la signaler aux
hommes par la bouche de Sycar. Ce dernier lui révéla beaucoup
de choses sur ses dispositions intérieures et sur celles de ses
gens, et Malachie reconnut qu'il en était ou qu'il en avait été,
en effet, ainsi qu'il le disait. Les compagnons de Malachie ayant questionné
Sycar sur leur retour du voyage qu'ils entreprenaient Sycar leur répondit,
sans hésiter, qu'il y en aurait très-peu de ceux qui accompagnaient
Malachie qui reviendraient avec lui; l'événement justifia
complètement cette prophétie. Il est vrai qu'en l'entendant
parler ainsi, ils crurent qu'il s'agissait de mort pour eux; mais Dieu
accomplit la prophétie d'une autre manière. En effet, quand
Malachie revint de Rome, plusieurs de ses compagnons de route restèrent
chez nous, et quelques-uns demeurèrent en d'autres endroits pour
se façonner à notre genre de vie, en sorte que selon la prédiction
de Sycar, il ne revint en Irlande qu'avec très peu de monde. Mais
en voilà assez au sujet de Sycar.
36. Pendant qu'il était à York, un homme de condition,
nommé Wallène, alors prieur des religieux réguliers
de Kirkham, maintenant religieux et abbé de Mairy, monastère
de notre ordre, vint le trouver et se recommanda avec dévotion et
une grande humilité — à ses prières. Ayant remarqué
que Malachie avait une suite nombreuse et fort peu de chevaux. —
il avait en effet cinq prêtres avec lui, sans compter un certain
nombre de clercs et de serviteurs, et seulement trois chevaux pour tant
de monde, — il lui offrit celui dont il se servait, en lui disant qu'il
ne regrettait qu'une chose, c'est qu'il eût le trot rude et dur.
Puis il ajouta: je voudrais qu'il fût meilleur pour vous l'offrir;
mais tel qu'il est, faites-moi l'honneur de l'emmener avec vous. «
Pour moi, répondit l'évêque, je l'accepte d'autant
plus volontiers que vous semblez en faire moins de cas, attendu qu'à
mes yeux ce due vous m'offrez de si bonne grâce ne saurait être
de peu de valeur. » Se tournant alors vers ses gens: sellez-moi ce
cheval, leur dit-il, il est bien bon pour moi et me fera un long service.
A peine fut-il scellé que Malachie monta dessus, et le trouva d'abord
un peu dur, comme il l'était en effet; mais bientôt, par un
changement merveilleux, il devint très bon et prit un pas très doux.
Mais pour que tout ce qu'avait dit le Saint s'accomplit, ce cheval lui
servit pendant neuf ans entiers qu'il vécut encore, et lui rendit
l'office d'un cheval excellent et de très grand prix, Mais ce qui
rendit le miracle encore plus frappant, c'est que de gris que ce cheval
était, il devint bientôt d'un blanc si pur, qu'on n'aurait
pu en trouver de plus blanc que lui.
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