CHAPITRE XXIV
Malachie ressuscite une femme qui était morte
sans avoir reçu le sacrement de l'Extrême-onction.
53. Dans le voisinage du monastère de Benchor habitait un noble
dont la femme était malade à la mort. Prié de venir
pour lui administrer le sacrement de l'Extrême-onction avant qu'elle
mourût, Malachie se rendit auprès d'elle : en le voyant, la
malade fut transportée de joie, et se sentit ranimée par
l'espérance du salut. Mais comme le Saint se préparait à
lui donner les saintes huiles, tout le monde jugea qu'on pouvait remettre
la cérémonie au lendemain, car on était au soir. Malachie
y consentit et se retira avec ceux qui l'accompagnaient après avoir
donné sa bénédiction à la malade. Mais bientôt
après un grand cri se fait entendre, toute la maison est pleine
de gémissements et de tumulte, on annonce qu'elle vient de mourir.
Au bruit qu'il avait entendu, Malachie revient sur ses pas avec tous ses
disciples, s'approche du lit et voyant que Bette femme avait rendu le dernier
soupir, il se sentit l'Aine nacrée de chagrin et se reprochait de
ne lui avoir point administré le sacrement avant qu'elle mourût.
Levant alors les mains au ciel il s'écria: « Seigneur, j'ai
été bien imprudent, c'est moi, moi seul qui suis coupable,
c'est moi qui ai différé de l'administrer, car, pour elle,
ce n'était point son avis qu'on tardât davantage. »
Après cela il protesta devant tout le monde qu'il ne se consolerait
jamais et qu'il ne prendrait point de repos qu'il n'eût restitué
à cet âme la grâce dont il l'avait frustrée:
alors se penchant sur la défunte, il ne cessa de gémir pendant
toute la nuit et de l'arroser de ses larmes à défaut de l'huile
sainte, c'était la seule onction qu'il pouvait lui faire. Mais pendant
qu'il se livrait à sa douleur, il dit à ceux qui l'avaient
accompagné « Pour vous veillez et priez. » Ils passèrent
donc la nuit entière, lui dans les larmes, et ceux-ci dans là
récitation des Psaumes. Au matin, le Seigneur exauça son
serviteur parce que l’esprit même de Dieu qui intercède pour
les saints avec des gémissements inénarrables, intercédait
aussi pour lui. Bref, la morte ouvre les yeux, et comme une personne qui
sort d'un long sommeil, se frottant le front et les temps de ses mains,
elle s'assied sur son lit, puis reconnaissant Malachie elle le salue profondément.
La douleur fait aussitôt place à la joie, tout le monde est
saisi d'étonnement à la vue ou même seulement à
la nouvelle de cet événement. Malachie ne lui en donne pas
moins le sacrement de l'Extrême-onction, sachant bien qu'il a la
vertu de remettre les péchés et que la prière de la
foi peut sauver le malade (Jac.. V, 15). Après cela, il se retira.
La malade se rétablit et vécut encore quelque temps en bonne
santé pour que Dieu fût glorifié à son occasion;
elle fit la pénitence que Malachie lui avait imposée, puis
s'endormit dans le Seigneur, après avoir fait une bonne confession
de ses péchés, et s'envola dans le sein de Dieu.
CHAPITRE XXV
Divers autres miracles de Malachie opérés
en faveur de différentes personnes.
54. Il y eut aussi une femme qui était dominée par un
tel esprit d'emportement et de fureur que non seule-ment ses amis et ses
proches fuyaient sa société; mais que ses propres enfants
pouvaient à peine demeurer avec elle. Ce n'était chez elle
que cris, emportements et tempêtes. D'un esprit audacieux, ardent,
précipité, elle n'était pas moins redoutable à
cause de la violence de sa langue que pour celle de ses mains; enfin c'était
une femme insupportable, odieuse même à tout le monde. Ses
enfants, non moins affligés pour elle que pour eux-mêmes,
la conduisent à Malachie et lui exposent leur triste situation avec
un torrent de larmes. Le Saint, touché de compassion à la
vue du danger que courait l'âme de cette femme et de la triste position
de ses enfants, la prend à l'écart et lui demande si elle
s'est quelquefois confessée de ses péchés. Elle lui
répond qu'elle ne l'a jamais fait. faites-le, dit-il. Elle lui obéit
à l'instant, et lui, après avoir reçu sa confession,
lui impose une pénitence et prie le Seigneur tout-puissant, de lui
donner un esprit de douceur, et lui défend, au nom de Jésus-Christ,
de se mettre désormais en colère. Elle devint si douce depuis
ce moment, qu'il était évident qu'un changement si admirable,
ne pouvait être que l'œuvre de la main du Très-Haut. On dit
que cette femme est encore du monde, et qu'elle est d'une douceur et d'une
patience telles que rien de ce qui est capable d'exaspérer les autres,
comme les pertes, les avanies et les afflictions de toutes sortes, ne peuvent
même l'émouvoir. Pour moi, s'il m'est permis, comme à
l'Apôtre (Rom., XIV, 5) d'abonder dans mon propre sens, quelque sentiment
contraire qu'on puisse avoir, il me semble que ce miracle est bien plus
grand que celui de la résurrection d'une morte; attendu que, dans
le premier cas, c'est l'homme intérieur qui est rappelé à
la vie, tandis que dans le second, ce n'est que l'homme extérieur.
Mais passons à d'autres miracles.
55. Un homme dans une position honorable selon le monde et d'une conscience
timorée , selon Dieu, vint trouver Malachie et se plaignit à
lui de l'état de sécheresse où se trouvait son âme
et le supplia d'obtenir de Dieu pour lui le don des larmes. Malachie souriant
à la pensée qu'un homme du monde goûtait ainsi un don
tout spirituel, approcha sa joue de la sienne comme pour le caresser et
lui dit: « Qu'il vous soit fait selon votre demande. » A partir
de ce moment, ses yeux versèrent une telle quantité de larmes
qu'on aurait pu lui appliquer ces paroles de l'Écriture : » C'est
la fontaine d'un jardin, c'est un puits d'eaux vives (Cant., IV, 15). »
Il se trouve dans la mer d'Irlande une île dont les côtes étaient
autrefois très poissonneuses, mais les péchés de ses
habitants, à ce qu'on croit, lui firent perdre cette propriété,
en sorte que, de très peuplée qu'elle était, elle
perdit une grande partie de ses habitants et finit par voir sa population
presque réduite à rien par la privation de cet avantage.
Les habitants en étaient dans l'affliction et se lamentaient du
tort que l'éloignement du poisson leur causait, quand une femme,
connut par une révélation, que Malachie pouvait remédier
au mal par ses prières. Elle en fit part à plusieurs personnes
à qui cette pensée sourit. Dieu permit que Malachie se trouvât
dans cette île; car au milieu de ses courses, pour prêcher
l'Évangile dans tout le pays, il s'était rendu en cet endroit, afin
d'y annoncer la bonne nouvelle aux habitants du lieu. Mais ces hommes,
encore barbares, qui se mettaient bien plus en peine du poisson que du
reste, firent au Saint les plus vives instances pour qu'il daignât
jeter un regard de compassion sur la stérilité de leur île.
Malachie leur répondit d'abord qu'il n'était pas venu dans
cette pensée et que, s'il avait un désir, c'était
moins de prendre du poisson que des hommes; mais, voyant la foi de ces
gens, il se mit à genoux sur le rivage et pria le Seigneur de ne
pas leur refuser, tout indignes qu'ils en étaient, le bienfait dont
ils avaient joui autrefois et qu'ils lui redemandaient avec une foi si
vive. La prière du Juste monta vers le Ciel qui envoya dans ces
parages une abondance de poissons, peut-être même plus grande
qu'autrefois, et cette abondance dure encore à présent. Faut-il
s'étonner que la prière du juste, qui est capable de pénétrer
dans les cieux, ait pu pénétrer dans l'abîme et appeler
du fond de la mer une si grande quantité de poissons?
56. Un jour, trois évêques arrivèrent dans une ville
appelée Fachart, qui est, dit-on, le pays natal de la vierge Brigide;
Malachie vint faire le quatrième. Le prêtre qui les recevait,
lui dit : « Que ferai-je? je n'ai point de poisson. » Malachie
lui dit d'en demander aux pêcheurs de l'endroit. « Mais, reprit-il,
il y a deux ans qu'ils n'en ont vu dans la rivière; aussi les pêcheurs
ont-ils quitté ce canton pour aller se fixer ailleurs, quelques-uns
même, ont renoncé à leur état. » Malachie
lui répondit: « Faites jeter les filets au nom du Seigneur.
» On le fit et on prit douze saumons, un second coup de filet en
tira douze autres. Cette pêche inespérée et miraculeuse
fut servie aux évêques. On ne peut douter qu'elle ne soit
due aux mérites de Malachie, car, pendant deux ans encore, on continua,
même après ce miracle, à ne point trouver de poisson
en cet endroit.
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