CHAPITRE XXVI
Malachie soutient la vérité de la présence
réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.
57. Il y eut un clerc de Lesmor, d'une vie assez édifiante, à
ce qu'on assure, mais d'une. foi beaucoup moins bonne. Plein de confiance
dans son mince savoir, il se permit de dire que, dans l'Eucharistie, il
ne se trouvait que le sacrement, non la chose sacramentelle: c'est-à-dire,
une simple bénédiction, non point la vérité
du corps de Jésus-Christ. Malachie l'entreprit plusieurs fois secrètement
sur ce point mais sans succès (a); il le cita donc enfin à
comparaître devant lui en ayant soin toutefois de ne pas admettre
de laïcs à l'entretien, afin de le guérir de son erreur
si faire se pouvait, non de le couvrir de confusion. Il lui fut donc permis
d'exposer sa pensée en présence de clercs seulement. Après
qu'il se fut évertué à établir et à
défendre son erreur, avec toutes les ressources de son esprit qui
n'en manquait pas, Malachie lui répondit et le réfuta victorieusement
de l'avis de tous les assistants ; il quitta l'assemblée couvert
de confusion, mais non point converti, en disant qu'il ne cédait
qu'à l'autorité de son évêque, non point à
la force de la raison. Puis, s'adressant à Malachie lui-même,
il lui dit: «Vous m'avez confondu sans cause car vous avez certainement
parlé contre la vérité et même contre votre
propre conscience. » Le Saint, affligé de voir un cœur si
endurci, mais plus affligé encore du coup porté à
la foi et craignant les suites qui pouvaient en résulter, assemble
l'Église entière, reprend publiquement ce clerc et le presse
de se convertir. Les autres évêques et le reste du clergé
lui donnaient le même conseil; comme il refusait de se rendre à
leurs instances, il fut déclaré hérétique et
anathématisé. Au lieu de se réveiller à ce
coup, il s'écrie: « Vous sacrifiez tout à un homme
plutôt qu'à la vérité; mais moi je me donnerai
bien de garde de sacrifier la vérité à personne. »
Transporté d'une sainte colère, Malachie répond à
ces mots : « Le Seigneur saura bien te contraindre à confesser
la vérité a L'autre ayant répondu : « Ainsi
soit-il : » l'assemblée fut levée. Mais brûlé
comme par un fer chaud, il songe à fuir, car il ne peut supporter
plus longtemps de vivre ainsi frappé d'infamie et déshonoré.
Après avoir réuni tout ce qui lui appartenait, il se préparait
à sortir, quand, atteint d'une infirmité soudaine, il s'arrête
tout à coup et, privé de forces, il tombe à terre
à l'endroit même, accablé de fatigues et respirant
à peine. Un fou, conduit par le hasard, venant à passer par
là, l'aperçoit et lui demande ce qu'il fait là. Il
lui répond qu'il est atteint d'un mal très grave, qui ne
lui permet ni d'avancer ni de recaler. Et le fou de lui répondre
alors . « Quand on en est là ce n'est pas d'un mal quelconque
c'est de la mort même qu'on est frappé. » Or il ne parlait
pas ainsi de lui-même, mais Dieu voulait punir ce clerc par la vois
d'un insensé de n'avoir point voulu acquiescer à l'avis des
sages; il ajouta ensuite: «Retournez chez vous je vous aiderai à
le faire; » en effet il rentre en ville appuyé sur le bras
de ce fou, mais en même temps il rentre en lui-même et se jette
dans les bras de la miséricorde de Dieu. En même temps il
fait appeler l'évêque, reconnaît la vérité
et abjure son erreur. Il se confesse et reçoit l'absolution de sa
faute, il demande ensuite le saint viatique et il se trouve réconcilié
avec l'Église. Voilà comment presque au même moment sa perfide
erreur fut reniée par sa propre bouche et effacée par sa
mort, et comment aussi au grand étonnement de tout le monde, s'accomplit
sans retard la parole de Malachie et celle de l'Écriture qui a dit : «
L'affliction vous donnera de l'intelligence. »
CHAPITRE XXVII
Malachie rétablit la paix et l'union entre des
populations qui étaient divisées.
58. Une grande mésintelligence s'était élevée
entre les habitants de certaines contrées; Malachie fut appelé
pour rétablir la paix entre eux, mais, comme il était occupé
ailleurs il chargea un autre évêque de cette entreprise. Celui-ci
s'en excusa en disant que c'était à Malachie, non pas à
lui qu'on s'était adressé, qu'il ne serait certainement pas
même écouté, et qu'il était inutile par conséquent
qu'il se mêlât de cette affaire. Malachie lui dit: «Allez
toujours et le Seigneur sera avec vous. » Il obéit en disant:
« si on ne m'écoute point, j'en appellerai à votre
Paternité. » Malachie sourit un peu et dit . « Eh bien
soit. » Alors l'évêque qu'il avait envoyé rassemble
le peuple et lui parle de paix; on l'écoute et la réconciliation
a lieu; on se donne parole de part et d'autre, la paix est conclue, l'évêque
lève l'assemblée. Mais l'un des deux partis voyant que l'autre
sans défiance depuis que la paix était faite n'était
plus sur ses gardes se mit à conspirer contre lui en disant «qu'avons-nous
voulu faire? La victoire est à nous, la victoire est dans nos mains.»
Il fond aussitôt sur le parti contraire. L'évêque, informé
de ce qui se passait accourt en toute hâte, va trouver le chef des
agresseurs et lui reproche l'injustice et la mauvaise foi de ses partisans,
mais il voit ses paroles méprisées. Alors il invoque le nom
de Malachie, mais sans plus de succès, car ce chef, se moquant de
lui, lui répond: «Croyez-vous que pour vous être agréables,
nous allons laisser échapper ceux qui nous ont fait du mal, quand
Dieu même les fait tomber entre nos mains ? » L'évêque,
se rappelant l'entretien qu'il avait eu avec Malachie, retourne à
son monastère les larmes aux yeux et le chagrin dans l'âme
et s'écrie: « Où êtes-vous, ô homme de
Dieu, où êtes-vous? Les choses ne se sont-elles point passées
comme je vous l'avais prédit, ô mon père ? Hélas,
malheureux homme que je suis, j'étais allé pour le bien et
il en est résulté un mal et je suis cause que les uns perdent
la vie du corps et les autres celle de l'âme ? » Il disait
encore beaucoup d'autres choses semblables au milieu de son chagrin et
de ses larmes, en s'adressant à Malachie, comme s'il eût été
présent, et en faisant appel à lui contre ces malfaiteurs,
Cependant les impies avec lesquels la paix avait été conclue
ne cessaient point de poursuivre leurs adversaires afin de les anéantir,
mais un esprit de mensonge inspira à quelques hommes la pensée
de les tromper; ils vinrent les trouver, pendant qu'ils étaient
en marche, et leur dirent que leurs ennemis avaient fait irruption dans
leur propre pays, qu'ils mettaient tout à feu et à sang,
pillaient leurs biens, s'emparaient de leurs femmes et de leurs enfants
et les traînaient à leur suite. A ces mots, ils font volte
face et reviennent en hâte sur leurs pas; les derniers suivent les
premiers sans savoir ni où ils allaient ni ce qui était arrivé;
car ils n'avaient pas tous entendu ce qui s'était dit; mais lorsque
en arrivant, ils ne trouvèrent rien de ce qu'on leur avait annoncé,
ils furent saisis de confusion et se trouvèrent pris dans les filets
de leur propre malice. Ils reconnurent alors qu'ils avaient été
victimes d'un esprit de mensonge, parce qu'ils avaient trompé eux-mêmes
un envoyé de Malachie et méprisé son nom. Quant à
l'évêque en apprenant que ces traîtres avaient été
déçus dans leurs coupables espérances, il revint plein
de joie vers Malachie à qui il rendit un compte exact de tout ce
qui s'était passé.
59. Malachie informé que la paix avait été rompue
de la sorte, choisit une occasion favorable pour la rétablir de
nouveau par lui-même entre ces différentes populations et
la leur fit sceller par des promesses et des serments réciproques.
Alors ceux qui avaient eu à souffrir de la première violation
de la paix, pleins de ressentiment de ce qui leur était arrivé,
ne tinrent compte ni des conventions faites, ni de la recommandation de
Malachie, et complotèrent de rendre la pareille à leurs ennemis.
S'étant donc réunis, ils marchaient tous ensemble comme un
seul homme pour tomber à l'improviste sur leurs adversaires et leur
faire éprouver le même sort qu'ils avaient eux-mêmes
essuyé. Après avoir traversé sans obstacle un grand
fleuve qui les séparait des ennemis, ils se virent arrêtés
par un tout petit ruisseau qu'ils rencontrèrent un peu plus loin.
Ce petit ruisseau leur parut en effet un grand fleuve qui s'opposait partout
à leur passage. Étonnés de le trouver si large et si profond,
quand ils l'avaient vu jusqu'alors si petit, ils se disent les uns aux
autres : « D'où vient qu'il est débordé? Le
temps est beau, il ne pleut point, personne ne se rappelle qu'il ait plu
dernièrement. D'ailleurs aucun de nous n'a vu ce ruisseau gonflé
à ce point, même après les plus grandes pluies, ni
déborder de la, sorte et couvrir ainsi les terres cultivées
et les prairies même dans les plus mauvais temps. Il y a là
le doigt de Dieu qui a voulu nous couper le chemin à cause de Malachie,
son saint serviteur, dont nous avons violé le pacte et transgressé
les ordres. » Voilà comment ceux-ci s'en retournèrent
aussi chez eux, couverts de honte et de confusion et sans avoir pu rien
faire. Le fruit de ce miracle se répandit dans toute la contrée,
et on bénissait Dieu qui sait ainsi surprendre les sages mêmes
de ce monde dans leurs propres ruses, briser la puissance des méchants
et manifester avec gloire celle de son Christ.
60. Il y avait un grand de la contrée qui s'était brouillé
avec le roi; ce fut Malachie qui les réconcilia ensemble; car ce
grand ne voulait point s'en rapporter au roi pour la paix qu'il voulait
faire avec lui, si elle ne se concluait sous les auspices de Malachie ou
de tout autre personnage pour qui il eût une égale vénération.
Il n'avait pas tort, comme l'événement ne tarda point à
le montrer. En effet, le roi, toujours animé des mêmes sentiments
de haine qu'il avait eus contre ce seigneur, tomba sur lui à l'improviste;
car, dans sa sécurité, celui-ci ne se tenait point sur ses
gardes, et il le jeta dans les fers. Ses gens vinrent le réclamer
à celui qui avait été le médiateur de la paix,
ils ne s'attendaient plus à rien moins qu'à se voir mettre
à mort. Malachie ne, , savait quel parti prendre; d'ailleurs il
ne pouvait faire autre chose que de recourir à son moyen ordinaire;
il rassemble tous ses amis et tous ses disciples qui étaient en
grand nombre, et va droit trouver
le roi et le prier de relâcher son prisonnier; mais il essuie un
refus. Alors Malachie s'écrie : « Vous avez mal agi contre
le Seigneur, contre moi et même contre vous en violant votre parole;
si vous n'en tenez pas compte, il n'en est pas de même de moi; cet
homme s'est fié à moi, et s'il meurt, c'est moi qui vous
l'aurai livré; je répondrai de son sang. Qui donc a pu vous
inspirer la pensée de faire de moi un traître et de vous un
parjure? Sachez donc que ni moi ni ceux-ci ne goûterons de nourriture
que ce seigneur n'ait recouvré la liberté. » Après
avoir ainsi parlé, il se rend à l'église et invoque le Tout-Puissant, et tous ceux qui l'avaient suivi font de même,
lui demandant avec des gémissements et des larmes qu'il veuille
bien délivrer l'innocent des mains d'un injuste prévaricateur.
Ils passèrent tous ensemble le jour et la nuit suivante dans le
jeûne et la prière. On rapporta au roi ce qui se passait,
mais il ne s'en montra que plus endurci quand il aurait dû se laisser
toucher; il s'enfuit, cet homme vraiment charnel, craignant que s'il restait
trop près de Malachie, il ne pût échapper à
la vertu de sa prière, comme si elle ne pouvait se faire sentir
dans le secret et ne fût pas possible d'atteindre au loin. O malheureux
prince, tu veux poser des limites au pouvoir de la prière des saints!
Mais la prière n'est pas comme la flèche qu'on lance, pour
lui échapper comme on échappe au trait que l'on a décoché.
Où iras-tu te cacher de l'Esprit de Dieu qui la porte, et en quel
endroit pourras-tu fuir pour échapper à ses regards? Si tu
fuis, elle te poursuit; si tu te caches, elle te trouve; tu vas devenir
aveugle, tu seras privé de la vue du jour, afin que ta voies et
comprennes mieux qu'il est dur de regimber contre l'aiguillon (Act., IX,
5). Eh bien, reconnais maintenant par ta propre expérience combien
sont perçantes les flèches que le Tout-Puissant a décochées
contre toi; si elles se sont émoussées sur ton cœur de pierre,
elles ont pu du moins pénétrer bien avant dans tes yeux.
Plût au Ciel que par ces ténèbres de l'âme, elles
eussent pu pénétrer jusqu'à ton cœur, et que l'affliction
eût aveuglé ton intelligence. Il fallait voir ce nouveau Saul,
conduit aussi par la main et amené vers son Ananie; ce loup dévorant
conduit aux pieds d'une brebis pour lui rendre sa proie. Il la lui rendit
et recouvra la vue, car Malachie était une si douce brebis qu'il
eut pitié même de ce loup. A ce sujet, le lecteur remarquera
au milieu de quels gens se trouvait Malachie, quels princes l'entouraient,
au sein de quelles populations il vivait. N'était-il pas à
la lettre le frère des dragons et le compagnon des autruches (Job.,
XXX, 23) 7 Aussi le Seigneur lui donna-t-il le pouvoir de marcher sur les
serpents et sur les scorpions, de lier les rois mêmes en leur enchaînant
les pieds, et les princes de la terre, en leur mettant des fers aux mains.
Mais écoutez la suite.
(a) On voit quelque chose de semblable dans la vie de saint Bernard, livre
VIII, ch. 6.
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