CHAPITRES XXVIII
Malachie voulant construire un édifice religieux trouve un homme
qui s'y oppose ; mais bientôt cet homme est puni de Dieu

61. Celui à qui Malachie avait abandonné les biens qui appartenaient au monastère de Benchor, au lieu de montrer sa reconnaissance au Saint pour ce bienfait, ne cessa depuis lors de se conduire avec la plus grande hauteur envers lui et envers les siens, se déclarant en toute occasion contre lui, lui dressant même des pièges et attaquant ses actes. Mais sa conduite ne demeura point impunie. Il avait un fils unique qui marchait sur les traces de son père et qui ayant osé s'attaquer, lui aussi, à Malachie, mourut dans l'année même de sa faute. Voici comment cette mort arriva. Malachie jugea qu'il devait faire construire un oratoire en pierres à Benchor, à l'instar de ceux qu'il avait vus dans d'autres contrées. Il avait à peine commencé à en asseoir les fondements, que tous les gens du pays étaient dans l'admiration à la vue d'un édifice qui n'avait pas encore eu son pareil dans la contrée. Mais cet homme plein de présomption et d'insolence au lieu de l'admirer comme les autres, s'en irrita; il conçut le douleur et enfanta l'iniquité (Ps., VII, 15). Se mêlant aux populations voisines pour les exciter par ses murmures, il attaquait, tantôt à mots couverts et tantôt ouvertement, accusait le Saint de légèreté en protestant. contre cette nouveauté dont il exagérait la dépense. Par ces discours envenimés, il excitait et poussait bien des gens à s'opposer à cette construction. «Suivez-moi, dit-il, et ne laissons pas faire malgré nous ce qu'on ne peut faire que par nous. » Alors il vient à la tête de ceux qu'il a gagnés à ses projets, à l'endroit où l'on bâtissait et y trouvant l'homme de Dieu, il lui adresse le premier la parole, car il était l'âme du complot. u Brave bomme, lui dit-il, d'où vous est venu la pensée d'introduire ces nouveautés chez nous? Sachez que nous sommes des Scots, non point des Gaulois. Quelle est donc votre légèreté? Qu'avons-nous besoin d'un édifice aussi superflu que superbe? Où trouvez-vous d'ailleurs, pauvre comme vous l'êtes, de quoi subvenir à de pareilles dépenses? Enfin qui de nous verra jamais cet édifice achevé? Y a-t-il présomption plus grande que la vôtre, de commencer un ouvrage que vous ne sauriez, je ne dis pas achever, mais voir jamais se terminer? Quand je dis que c'est présomption à vous d'entreprendre une chose qui dépasse vos moyens, vos forces et toute mesure, c'est de folie que je devrais vous taxer. Assez donc comme cela; cessez cette entreprise, et ne donnez pas plus longtemps suite à une pareille folie; car nous ne sommes disposés, ni à souffrir ni à permettre que vous continuiez. » C'est en ces termes qu'il fit connaître au Saint quels étaient ses projets, mais il n'avait point réfléchi à la manière dont il pourrait appuyer ses paroles; en effet, à la vue de l'homme de Dieu, tous ceux qui l'avaient suivi, changèrent de sentiment et cessèrent d'être de son avis.

62. Le Saint répondit à ce discours avec une liberté entière, et, s'adressant à cet homme: « Malheureux, lui dit-il, cet édifice que tu vois commencé mais dont la vue te fait mal, s'achèvera certainement, beaucoup le verront terminé, et toi, puisque tu ne veux pas le voir, tu ne le verras point, mais tu verras ce que tu ne veux point, la mort: mets donc ordre à tes affaires, si tu ne veux pas qu'elle te surprenne dans ton péché. » Ainsi parla le Saint. Cet homme mourut en effet et l'édifice commencé s'acheva, mais il ne le vit point terminé, puisqu'il mourut dans l'année comme nous l'avons dit. Cependant le père de cet homme ayant appris la prédiction de Malachie et sachant que toute parole du Saint était suivie d'effet, s'écria: « Il a prononcé l'arrêt de mort de mon fils. » Alors à l'instigation du diable, il entra dans un telle fureur contre Malachie qu'il en vint, en présence du due et des grands d'Ulidie, à accuser de fausseté et de mensonge l'homme de Dieu, si manifestement véridique en toute circonstance, si visiblement ami passionné et disciple dévoué de la vérité. C'est peu, il ajouta l'injure à sa première faute et l'appela singe. Malachie qui savait ne point répondre à l'injure par une autre injure, se contenta de garder le silence; pas un mot ne sortit de sa bouche quand le pécheur élevait ainsi la voix contre lui. Mais le Seigneur n'oublia point cette parole qu'il avait dite: « de me réserve la vengeance, c'est moi qui l'exercerai (Rom., XII, 19). » Le même jour, cet homme étant retourné chez lui, expia la témérité de sa langue effrénée par les mains même de celui qui la lui avait si bien déchaînée: En effet, le démon lui-même se saisit de sa personne et le jeta dans le feu; les assistants s'empressèrent de l'arracher aux flammes, mais déjà son corps était à demi brûlé et sa raison perdue. Pendant le délire de sa folie, Malachie arriva ; il vit cet homme qui l'avait injurié, la bouche de travers, les lèvres écumantes, effrayer tout le monde par ses cris et par la violence de ses mouvements. Son agitation était si grande que plusieurs hommes avaient peine à le tenir. Alors le saint homme pria pour son ennemi et fut exaucé du Ciel, du moins en partie. En effet, pendant que Malachie était en prière, il rouvrit les yeux et reprit ses sens. Mais il resta toujours sous l'empire de l’esprit mauvais que Dieu lui avait envoyé pour le souffleter et lui apprendre à ne pas mal parier des saints. de crois qu'il vit encore et que maintenant encore il continue d'expier la faute énorme dont ii s'était rendu coupable envers l'homme de Dieu. On dit même qu'à certaines époques il redevient lunatique. Quant aux biens de Benchor dont nous avons parlé, comme cet homme ne pouvait plus les conserver dans l'état de faiblesse et d'incapacité où il était tombé, ils firent retour au monastère auquel ils avaient précédemment appartenu. Malachie n'y mit aucun obstacle, en vue du bien de la paix, après les nombreuses vexations qu'il avait eu à souffrir.

63. Mais revenons à l'édifice que Malachie avait entrepris de construire. Il est bien vrai que Malachie n'avait pas le premier sou, je ne dis point pour terminer, mais même pour commencer cette construction. Mais ii était plein de confiance en Dieu, et Dieu disposa. tout de telle manière que l' argent ne fit jamais défaut à son serviteur, qui n'avait placé aucune de ses espérances dans les trésors de la terre, Nul autre que lui, en effet, ne put faire qu'un trésor caché en cet endroit, ne fût retrouvé que pour l'œuvre de Malachie et précisément à l'époque où il la commençait. C'est donc dans la bourse de son Seigneur que le serviteur de Dieu trouva ce qui n'était pas dans la sienne; Il était juste d'ailleurs qu'il en fût ainsi; est-il rien de plus juste en effet, que celui qui, pour Dieu, n'avait rien en propre, se voie associé avec Dieu et fasse bourse commune avec lui? Pour un homme de foi, le monde entier est une source de richesses. Qu'est-ce en effet que le monde sinon la bourse même de Dieu; n'a-t-il pas dit: a Toute la terre est à moi avec tout ce qu'elle renferme (Ps. XLIX, 12) ? » Aussi, ne peut-on pas dire que Malachie lui restitua les trésors qu'il trouva, mais qu'il les lui consacra, car tout ce que Dieu lui avait donné fut par son ordre employé à l'œuvre même de Dieu. Il ne se laisse arrêter ni par ses propres besoins ni par ceux des siens, mais il ne songe uniquement qu'à Dieu à qui il sait d'ailleurs recourir sans hésiter, toutes les fois que le besoin s'en fait sentir à lui. On ne peut douter que c'est Dieu même qui lui révéla ce qu'il découvrit. Il s'était entretenu d'abord de ses projets de construction avec ses frères, dont plusieurs, à cause de leur dénuement n'étaient point portés à abonder dans son sens. En sortant du conseil, il était inquiet et perplexe et ne savait quel parti prendre; il eut donc recours à la prière et demanda à Dieu de lui faire connaître sa volonté. Et voilà qu'un jour en revenant de voyage, comme il approchait de l'endroit choisi pour les constructions, il aperçoit de loin un oratoire en pierre aussi grand que beau. Ayant donc considéré attentivement l'emplacement, la forme et le style de l'édifice qu'il voyait, il entreprit son œuvre avec confiance, après avoir parlé de sa vision a quelques-uns des plus anciens religieux. Il se régla si scrupuleusement pour la construction de cet édifice sur l'emplacement, le genre et la qualité de celui qu'il avait aperçu dans sa vision, que l'œuvre achevée, il se trouva d'une conformité parfaite avec lui, comme s'il lui avait été dit ainsi qu'à Moïse: Voyez et faites selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (Ex., XXV, 49). C'est donc dans une vision toute pareille qu'il vit sur le mont Saballin le monastère et l'oratoire de ce nom, avant même qu'ils fussent construits.

   

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