CHAPITRES XXX
Malachie prédit l’heure et le lieu de sa mort;
 il entreprend un second voyage à Rome pour aller demander
une seconde fois le pallium au souverain Pontife,
qui était le pape Eugène

61. On lui demanda; un jour , où il voudrait mourir ; s'il était libre de choisir le lieu de sa mort. — Ses religieux s'étaient adressé à chacun la même question. — Malachie gardait le silence et faisait attendre sa réponse. Mais cédant enfin à leurs instances; il dit: « Si je meurs en ce pays, je voudrais que ce fût à l'endroit même où repose l'Apôtre de notre nation, afin de ressusciter à ses côtés; i1 voulait parler de saint Patrie, — mais si je dois mourir en voyage; et que telle soit la volonté de Dieu; je préfère mourir à Clairvaux. » Comme on lui demandait ensuite quel jour il voudrait mourir, il répondit: a Le jour même de la solennité des Trépassés. » S'il n'émettait là qu'un simple vœu, il fut exaucé, et si ce fat une prophétie, elle s'accomplit à la lettre; car il mourut le jour et à l'endroit qu'il avait dit. Mais rapportons en quelques mots comment et dans quelle occasion il en arriva ainsi. Malachie voyait avec peine que jusqu'alors l'Irlande eût été privée du pallium; car il était plein de zèle pour les choses saintes et aurait voulu que sa nation les possédât toutes sans exception. En se rappelant donc que le pape Innocent lui avait promis de lui donner le pallium, il ressentit une vive douleur que ce pape fût mort avant qu'il le lui eût envoyé demander. Profitant donc de ce que la chaire de saint Pierre était occupée par le pape Eugène, dont on annonçait le prochain voyage en France, il crut avoir trouvé l'occasion favorable de venir lui faire sa demande. Il pensait qu'un souverain pontife, et particulièrement celui-là, à cause de son ancienne profession, car c'était un enfant de Clairvaux, ne pouvait faire aucune difficulté d'accéder à ses vœux. Il appelle donc les évêques d'Irlande à un concile; après avoir discutés ensemble pendant trois jours entiers les intérêts du moment, on s'entretint le quatrième jour du projet de demander le pallium. On tomba d'accord sur la nécessité de faire cette demande, pourvu qu'elle fût présentée par un autre que Malachie. Pourtant, comme le voyage était moins long et par conséquent plus facile, personne ne combattit sort projet et sa volonté. Aussi, après la clôture du concile, Malachie se mit en route. Quelques-uns de ses religieux l'accompagnèrent au rivage; il s'était opposé à ce que tous l'y suivissent. Alors l'un d'eux, nommé Catholique, lui dit d'une voix et avec un visage pleins de larmes : «Hélas ! vous partez et vous savez dans quelle triste position de tous les jours vous me laissez; vous n'avez point, pour cela, pitié de moi et vous ne me venez point en aide. Si j'ai mérité de souffrir, quel mal ont fait mes frères qui ne passent presque pas un jour, pas une nuit sans être obligés de veiller sur moi et de prendre soin de moi. » Ces paroles et les larmes dont elles étaient accompagnées, — c'étaient les larmes et les paroles d'un fils, -émurent les entrailles paternelles de Malachie; embrassant donc ce religieux avec des bras de père, il lui fit le signe de la croix sur la poitrine, en lui disant : « Soyez sûr que vous ne souffrirez aucune atteinte de votre mal que je ne sois de retour. » Or ce religieux était épileptique et était si souvent pris de son mal qu'il n'était pas rare qu'il en ressentit les atteintes plusieurs fois le jour. Or, il y avait déjà six ans qu'il était frappé de cette horrible maladie, mais il en fut complètement guéri à ces paroles de Malachie. Depuis ce moment il n'en flat plus atteint, et sans doute il n'y retombera plus désormais, c'est du moins notre conviction, puisque Malachie ne peut plus retourner dans son pays.

68. Au moment où il s'embarqua, dent de ceux qui lui étaient le plus attachés s'approchèrent de lui et lui demandèrent avec confiance de leur promettre quelque chose. « Qu'est-ce, » leur dit-il? « Nous ne Vous le dirons que si vous promettez d'accéder à nos vœux. » Il le fit « Et bien, dirent-ils, nous vous prions de nous promettre que vous reviendrez sain et sauf en Irlande. «Tous les autres appuyèrent leur demande. Alors lui, réfléchissant en lui-même pendant quelques instants, commença à regretter de s'être lié par une promesse formelle, dont il ne voyait pas le moyen de s'acquitter: Il se trouvait pressé de deux côtés à la fois, par son vœu secret et par sa promesse; pourtant il crut qu'il devait prendre le parti qui semblait le plus urgent pour le présent, s'en remettant pour le reste aux soins de la divine Providence. Ne voulant donc point les contrister par un refus, il leur promit avec tristesse ce qu'ils lui demandaient et s'embarqua. Mais à peine à moitié route, un vent contraire s'éleva qui ramena le vaisseau au port. Il débarqua et passa la nuit dans une de ses églises : puis, le cœur plein, de joie il rendit grâce à la divine Providence de lui avoir donné le moyen de dégager sa parole. Le lendemain il s'embarqua de nouveau, et arriva en Ecosse, après une heureuse traversée. Trois jours après, il se rendit à un endroit appelé Vert-Étang, qu'il avait fait disposer pour y fonder une abbaye. Il y laissa quelques-uns de ses enfants, nos frères, qu'il avait amenés avec lui pour cela, en nombre suffisant pour former un couvent de moines avec leur abbé, puis il leur fit ses adieux et partit.

69. A son passage, le roi David vint à sa rencontre; il le reçut chez lui avec de grands témoignages de joie et le garda plusieurs jours. Après avoir fait bien des choses agréables à Dieu, il se remit en route à travers l'Ecosse. En entrant en Angleterre, il se détourna un peu de sa route pour visiter l'église de Glasgow, où se trouvent des religieux qui mènent la vie canonique et qui lui étaient fort attachés depuis longtemps à cause de sa religion et de son honnêteté. Pendant qu'il était là, on lui amena une femme atteinte d'un cancer, dont la plaie était horrible à voir; il la guérit, car à peine eut-il aspergé les endroits malades avec de l'eau qu'il avait bénite, que les douleurs disparurent, et le lendemain il restait à peine trace des ulcères de la veille. En quittant cet endroit, il se rendit sur le bord de la mer, mais on refusa de le laisser s'embarquer. Ce fut, je crois, à cause d'un différend qui était survenu entre le souverain Pontife et le roi d'Angleterre, que celui-ci, craignant je ne sais quoi de ce saint homme s'il traversait la mer, ne lui permit point de s'embarquer. D'ailleurs il ne laissait partir aucun évêque pour le continent. Cet empêchement, tout en contrariant les projets de Malachie, servait pourtant ses secrets désirs. Il s'en affligeait sans savoir qu'il contribuerait à l'accomplisse. ment de son veau le plus cher. En effet s'il avait pu effectuer son passage sur le champ, il aurait été obligé de se rendre immédiatement à Clairvaux et d'en repartir aussitôt pour suivre le souverain Pontife qui avait déjà quitté cette abbaye pour se rendre à Rome, dont il ne devait pas être fort éloigné, si même il n'y était déjà arrivé. Ce retard, au contraire, fut cause que le Saint ne passa la mer que pour arriver à Clairvaux à l'époque même où sa très-sainte mort devait avoir lieu.

   

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