61. On lui demanda; un jour , où il voudrait mourir ; s'il était
libre de choisir le lieu de sa mort. — Ses religieux s'étaient adressé
à chacun la même question. — Malachie gardait le silence et
faisait attendre sa réponse. Mais cédant enfin à leurs
instances; il dit: « Si je meurs en ce pays, je voudrais que ce fût
à l'endroit même où repose l'Apôtre de notre
nation, afin de ressusciter à ses côtés; i1 voulait
parler de saint Patrie, — mais si je dois mourir en voyage; et que telle
soit la volonté de Dieu; je préfère mourir à
Clairvaux. » Comme on lui demandait ensuite quel jour il voudrait
mourir, il répondit: a Le jour même de la solennité
des Trépassés. » S'il n'émettait là qu'un
simple vœu, il fut exaucé, et si ce fat une prophétie, elle
s'accomplit à la lettre; car il mourut le jour et à l'endroit
qu'il avait dit. Mais rapportons en quelques mots comment et dans quelle
occasion il en arriva ainsi. Malachie voyait avec peine que jusqu'alors
l'Irlande eût été privée du pallium; car il
était plein de zèle pour les choses saintes et aurait voulu
que sa nation les possédât toutes sans exception. En se rappelant
donc que le pape Innocent lui avait promis de lui donner le pallium, il
ressentit une vive douleur que ce pape fût mort avant qu'il le lui
eût envoyé demander. Profitant donc de ce que la chaire de
saint Pierre était occupée par le pape Eugène, dont
on annonçait le prochain voyage en France, il crut avoir trouvé
l'occasion favorable de venir lui faire sa demande. Il pensait qu'un souverain
pontife, et particulièrement celui-là, à cause de
son ancienne profession, car c'était un enfant de Clairvaux, ne
pouvait faire aucune difficulté d'accéder à ses vœux.
Il appelle donc les évêques d'Irlande à un concile;
après avoir discutés ensemble pendant trois jours entiers
les intérêts du moment, on s'entretint le quatrième
jour du projet de demander le pallium. On tomba d'accord sur la nécessité
de faire cette demande, pourvu qu'elle fût présentée
par un autre que Malachie. Pourtant, comme le voyage était moins
long et par conséquent plus facile, personne ne combattit sort projet
et sa volonté. Aussi, après la clôture du concile,
Malachie se mit en route. Quelques-uns de ses religieux l'accompagnèrent
au rivage; il s'était opposé à ce que tous l'y suivissent.
Alors l'un d'eux, nommé Catholique, lui dit d'une voix et avec un
visage pleins de larmes : «Hélas ! vous partez et vous savez
dans quelle triste position de tous les jours vous me laissez; vous n'avez
point, pour cela, pitié de moi et vous ne me venez point en aide.
Si j'ai mérité de souffrir, quel mal ont fait mes frères
qui ne passent presque pas un jour, pas une nuit sans être obligés
de veiller sur moi et de prendre soin de moi. » Ces paroles et les
larmes dont elles étaient accompagnées, — c'étaient
les larmes et les paroles d'un fils, -émurent les entrailles paternelles
de Malachie; embrassant donc ce religieux avec des bras de père,
il lui fit le signe de la croix sur la poitrine, en lui disant : «
Soyez sûr que vous ne souffrirez aucune atteinte de votre mal que
je ne sois de retour. » Or ce religieux était épileptique
et était si souvent pris de son mal qu'il n'était pas rare
qu'il en ressentit les atteintes plusieurs fois le jour. Or, il y avait
déjà six ans qu'il était frappé de cette horrible
maladie, mais il en fut complètement guéri à ces paroles
de Malachie. Depuis ce moment il n'en flat plus atteint, et sans doute
il n'y retombera plus désormais, c'est du moins notre conviction,
puisque Malachie ne peut plus retourner dans son pays.
68. Au moment où il s'embarqua, dent de ceux qui lui étaient
le plus attachés s'approchèrent de lui et lui demandèrent
avec confiance de leur promettre quelque chose. « Qu'est-ce, »
leur dit-il? « Nous ne Vous le dirons que si vous promettez d'accéder
à nos vœux. » Il le fit « Et bien, dirent-ils, nous
vous prions de nous promettre que vous reviendrez sain et sauf en Irlande.
«Tous les autres appuyèrent leur demande. Alors lui, réfléchissant
en lui-même pendant quelques instants, commença à regretter
de s'être lié par une promesse formelle, dont il ne voyait
pas le moyen de s'acquitter: Il se trouvait pressé de deux côtés
à la fois, par son vœu secret et par sa promesse; pourtant il crut
qu'il devait prendre le parti qui semblait le plus urgent pour le présent,
s'en remettant pour le reste aux soins de la divine Providence. Ne voulant
donc point les contrister par un refus, il leur promit avec tristesse ce
qu'ils lui demandaient et s'embarqua. Mais à peine à moitié
route, un vent contraire s'éleva qui ramena le vaisseau au port.
Il débarqua et passa la nuit dans une de ses églises : puis,
le cœur plein, de joie il rendit grâce à la divine Providence
de lui avoir donné le moyen de dégager sa parole. Le lendemain
il s'embarqua de nouveau, et arriva en Ecosse, après une heureuse
traversée. Trois jours après, il se rendit à un endroit
appelé Vert-Étang, qu'il avait fait disposer pour y fonder
une abbaye. Il y laissa quelques-uns de ses enfants, nos frères,
qu'il avait amenés avec lui pour cela, en nombre suffisant pour
former un couvent de moines avec leur abbé, puis il leur fit ses
adieux et partit.
69. A son passage, le roi David vint à sa rencontre; il le reçut
chez lui avec de grands témoignages de joie et le garda plusieurs
jours. Après avoir fait bien des choses agréables à
Dieu, il se remit en route à travers l'Ecosse. En entrant en Angleterre,
il se détourna un peu de sa route pour visiter l'église de
Glasgow, où se trouvent des religieux qui mènent la vie canonique
et qui lui étaient fort attachés depuis longtemps à
cause de sa religion et de son honnêteté. Pendant qu'il était
là, on lui amena une femme atteinte d'un cancer, dont la plaie était
horrible à voir; il la guérit, car à peine eut-il
aspergé les endroits malades avec de l'eau qu'il avait bénite,
que les douleurs disparurent, et le lendemain il restait à peine
trace des ulcères de la veille. En quittant cet endroit, il se rendit
sur le bord de la mer, mais on refusa de le laisser s'embarquer. Ce fut,
je crois, à cause d'un différend qui était survenu
entre le souverain Pontife et le roi d'Angleterre, que celui-ci, craignant
je ne sais quoi de ce saint homme s'il traversait la mer, ne lui permit
point de s'embarquer. D'ailleurs il ne laissait partir aucun évêque
pour le continent. Cet empêchement, tout en contrariant les projets
de Malachie, servait pourtant ses secrets désirs. Il s'en affligeait
sans savoir qu'il contribuerait à l'accomplisse. ment de son veau
le plus cher. En effet s'il avait pu effectuer son passage sur le champ,
il aurait été obligé de se rendre immédiatement
à Clairvaux et d'en repartir aussitôt pour suivre le souverain
Pontife qui avait déjà quitté cette abbaye pour se
rendre à Rome, dont il ne devait pas être fort éloigné,
si même il n'y était déjà arrivé. Ce
retard, au contraire, fut cause que le Saint ne passa la mer que pour arriver
à Clairvaux à l'époque même où sa très-sainte
mort devait avoir lieu.
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