Parmi les signes
mystiques et sacrés institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour
être comme les canaux fidèles de sa Grâce, il n’en est aucun que
l’on puisse comparer à l’auguste sacrement de l’Eucharistie. Mais
aussi il n’est pas de crime dont les Fidèles doivent craindre d’être
plus sévèrement punis, que de manquer de respect et de piété envers
un Sacrement qui renferme tant de sainteté, ou plutôt qui contient
l’Auteur même, et le Principe de toute sainteté. C’est ce que
l’Apôtre avait bien compris, et dont il nous a expressément avertis.
Car après avoir montré combien est énorme le crime de ceux qui « ne
discernent pas le Corps du Seigneur, » il ajoute aussitôt: « c’est
pourquoi plusieurs parmi cous sont malades et languissants, et
plusieurs sont morts ». Par conséquent, pour que les Fidèles
puissent retirer des fruits abondants de grâce, et se mettre à
l’abri de la juste colère de Dieu, en rendant à ce céleste Sacrement
les honneurs divins qu’il mérite, il sera nécessaire que les
Pasteurs développent avec le plus grand soin tout ce qui est capable
de faire ressortir davantage la majesté de l’Eucharistie.
§ I. — INSTITUTION DE L’EUCHARISTIE SES
DIFFÉRENTS NOMS
Pour cela, ils suivront
la marche de l’Apôtre Saint Paul, qui proteste n’avoir transmis aux
Corinthiens que ce qu’il avait appris du Seigneur, et ils
expliqueront en premier lieu comment ce Sacrement fut institué.
Voici ce que l’Evangéliste en rapporte ; rien de plus clair: « Le
Seigneur ayant aimé les siens, les aima jusqu’à la fin ; »
et pour leur donner un gage tout-à -fait divin et admirable de cet
amour, sachant que l’heure était venue pour Lui de passer de ce
monde à son Père, il employa, pour être toujours avec les siens,
un moyen incompréhensible et infiniment au-dessus de toutes les
choses naturelles. Après avoir célébré la Pâque en mangeant l’agneau
pascal avec ses disciples, voulant enfin mettre la vérité à la place
des figures, et la réalité à la place de l’ombre, « Il prit du
pain, puis rendant grâces à Dieu, il le bénit, le rompit, le donna à
ses disciples, et leur dit: prenez et mangez, ceci est mon Corps qui
sera livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. Ensuite Il prit
pareillement la coupe, après avoir soupé, et Il dit: ce calice est
le nouveau testament dans mon sang. toutes les fois que vous Le
boirez, faites-le en mémoire de Moi ».
Convaincus qu’ils ne
pourraient jamais avec un seul mot donner une assez haute idée de
l’excellence et de la dignité de ce Sacrement, les Auteurs sacrés
ont essayé de l’exprimer par des dénominations nombreuses. Ainsi ils
l’appellent quelquefois l’Eucharistie, mot que nous pouvons traduire
en français par Grâce excellente, ou Action de grâces: deux choses
qui lui conviennent parfaitement. C’est une grâce excellente, soit
parce qu’Il figure la Vie Eternelle, dont il a été dit: « la
grâce de Dieu est la Vie Eternelle ; » soit parce qu’il contient
Jésus-Christ qui est la grâce même, et la source de toutes les
grâces. C’est encore évidemment une action de grâces, puisque en
immolant cette victime de toute pureté, nous rendons tous les jours
à Dieu d’infinies actions de grâces pour tous les bienfaits dont Il
nous comble, et spécialement pour le don si parfait de la grâce
qu’Il nous communique par ce Sacrement. De plus, ce nom s’accorde
aussi très bien avec les circonstances qui en accompagnèrent
l’institution. Car Jésus-Christ « ayant pris du pain, le rompit
et rendit grâces ». Et David en contemplant la grandeur de ce
Mystère, s’écrie: « le Seigneur, le Dieu de bonté et de
miséricorde a perpétué la mémoire de ses merveilles ; Il a donné la
nourriture à ceux qui Le craignent. » Mais ce chant, il le fait
précéder de celui de l’action de grâces, et il dit: « la
magnificence et la gloire du Seigneur reluisent dans ses ouvrages ».
Souvent aussi, on lui
donne le nom de Sacrifice ; mais nous parlerons bientôt de ce
Mystère avec plus d’étendue.
On le nomme encore
Communion, mot évidemment emprunté à ce passage de l’Apôtre: « le
calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas la
communication du Sang de Jésus-Christ ? et le pain que nous rompons,
n’est-il pas la participation du Corps du Seigneur ? » Car, comme
l’explique Saint Jean Damascène, ce Sacrement nous unit à
Jésus-Christ, et nous fait participer à sa chair et à sa divinité ;
puis il nous rapproche, il nous unit en Lui, pour ne plus faire de
nous tous qu’un seul corps.
C’est pour cette raison
qu’on l’appelle aussi le Sacrement de la Paix et de la Charité.
Et ces mots nous font comprendre combien sont indignes du nom de
Chrétiens ceux qui entretiennent des inimitiés les uns contre les
autres, et avec quel zèle nous devons bannir loin de nous les
haines, les dissensions, et les discordes, qui sont une peste si
terrible ; d’autant, que par le Sacrifice quotidien de notre
Religion nous protestons hautement que nous voulons avant tout
conserver la Paix et la Charité.
Les Auteurs sacrés lui
donnent encore souvent le nom de Viatique, soit parce qu’il est la
nourriture spirituelle, qui nous soutient dans le pèlerinage de
cette vie ; soit parce qu’il nous prépare et nous assure le chemin
qui conduit à la gloire et à la félicité éternelle. C’est pour cela
que la coutume a toujours été observée dans l’Eglise, de ne laisser
mourir personne sans l’avoir muni de ce Sacrement.
Enfin il y a des Pères
de l’Eglise très anciens, qui, fondés sur l’autorité de l’Apôtre
ont donné quelquefois à l’Eucharistie le nom de Cène parce que
Notre-Seigneur Jésus-Christ l’institua dans le mystère, si précieux
pour nous, de la dernière Cène.
Toutefois, il ne
faudrait pas conclure de là qu’il est permis de consacrer, ou de
recevoir, la sainte eucharistie, après avoir pris quelque nourriture
ou quelque boisson. On a toujours retenu et conservé ce salutaire
usage, introduit (selon les anciens Auteurs) par les Apôtres
eux-mêmes, de ne la donner, qu’à ceux qui sont à jeun.
§ II. — L’EUCHARISTIE EST UN VRAI SACREMENT:
SA MATIÈRE.
Après ces explications
sur le sens du mot, il faudra enseigner que l’Eucharistie est un
véritable Sacrement, et l’un des sept que l’Eglise a toujours
reconnus et vénérés. D’abord dans la consécration. du calice, il est
appelé le mystère de la Foi. Ensuite, sans parler de ces témoignages
presque innombrables des Auteurs ecclésiastiques qui ont constamment
placé l’Eucharistie au rang des vrais Sacrements, on trouve une
preuve de son existence dans sa propre essence. En effet, nous y
voyons des signes extérieurs et sensibles ; la Grâce y est figurée
et produite ; enfin les Evangélistes et l’Apôtre ne laissent aucun
lieu de douter que Jésus-Christ n’en soit l’Auteur. Or, ce sont là
précisément les caractères qui conviennent exclusivement aux
Sacrements, et là où ils se rencontrent, il n’est pas besoin de
chercher d’autres preuves.
Mais il faut observer,
et avec soin, qu’il y a plusieurs choses dans ce Mystère auxquelles
les Auteurs ecclésiastiques ont donné le nom de Sacrement. Ainsi ils
ont appelé Sacrement la Consécration, la Communion, et souvent même
le Corps et le Sang de Notre-Seigneur qui sont renfermés dans
l’Eucharistie. Saint Augustin dit que ce Sacrement consiste en
deux choses, l’apparence visible des éléments, et la vérité
invisible de la chair et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
C’est dans le même sens que nos disons qu’il faut adorer ce
Sacrement, c’est-à-dire, le Corps et le Sang de Notre-Seigneur. Mais
il est évident que toutes ces choses ne s’appellent Sacrement que
d’une manière impropre. Ce nom ne convient essentiellement et
réellement qu’aux seules espèces du pain et du vin.
On voit par là combien
l’Eucharistie diffère de tous les autres Sacrements. Ceux-ci ne
subsistent que par l’emploi de la matière, c’est-à-dire, à l’instant
même où ils sont administrés. Le Baptême, par exemple, ne s’élève à
l’état de Sacrement, que dans le moment où l’on emploie l’eau pour
baptiser quelqu’un. Mais pour compléter et parfaire l’Eucharistie,
il suffit de la consécration de la matière, laquelle ne cesse point
d’être un vrai Sacrement, dans le vase même où on la tient en
réserve.
De plus dans les autres
Sacrements, la matière et les éléments employés ne se changent point
en une autre substance. L’eau du Baptême et l’huile de la
Confirmation ne perdent point leur nature primitive d’eau et
d’huile, lorsqu’on administre ces Sacrements. Mais dans
l’Eucharistie, ce qui était du pain et du vin avant la consécration,
change après la consécration et devient véritablement le Corps et le
Sang de Notre-Seigneur.
Cependant, quoiqu’il y
ait deux éléments, le pain et le vin, pour faire la matière
intégrale de l’Eucharistie, il n’y a qu’un seul Sacrement et non pas
plusieurs, selon la doctrine enseignée par l’Eglise. Autrement, on
ne pourrait plus soutenir, avec toute la tradition, avec les
Conciles de Latran, de Florence et de Trente, qu’il y a sept
Sacrements, ni plus ni moins. D’ailleurs la grâce de ce Sacrement a
pour but de faire de nous tous un seul corps mystique. Mais. pour
qu’il soit. lui-même en harmonie avec l’effet qu’il produit, il faut
qu’il soit un, non qu’il ne puisse être composé de plusieurs
parties, mais parce que tout doit n’y représenter qu’une seule
chose. La nourriture et la boisson qui sont deux choses différentes,
s’emploient pour une seule et même fin, qui est de réparer les
forces du corps. Pareillement il était de toute convenance
d’instituer de Sacrement avec deux matières différentes entre elles,
mais analogues aux substances dont nous venons de parler, pour
représenter l’Aliment spirituel qui soutient nos âmes et répare
leurs forces. Aussi le Seigneur a-t-il dit : « Ma chair est
véritablement une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. »
Les Pasteurs auront
ensuite à expliquer avec un grand soin ce que signifie ce Sacrement,
afin que les Fidèles, en voyant les saints Mystères des yeux de
leurs corps, nourrissent en même temps leur âme par la contemplation
des Vérités divines que ces Mystères rappellent.
Or l’Eucharistie
exprime principalement trois choses la première est une chose
passée ; c’est la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il nous
l’apprend Lui-même par ces paroles: faites ceci en mémoire de
moi. Puis, l’Apôtre dit positivement: toutes les fois que
vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez
la mort de Jésus-Christ, jusqu’à ce qu’Il vienne.
La seconde est une
chose présente. C’est la Grâce divine et céleste que ce Sacrement
nous communique pour nourrir et conserver nos âmes. Dans le Baptême
nous sommes engendrés à une vie nouvelle ; dans la Confirmation nous
sommes fortifiés, afin de pouvoir résister à Satan, et confesser
publiquement Jésus-Christ. Mais dans l’Eucharistie nous recevons la
nourriture qui entretient en nous la Vie spirituelle.
La troisième regarde
l’avenir, ce sont les délices et la gloire éternelle dont Dieu a
promis de nous faire jouir dans la céleste patrie.
Ces trois choses, qui
ont évidemment rapport au passé, au présent et à l’avenir, sont
néanmoins si bien signifiées par le mystère sacré de l’Eucharistie,
que le Sacrement, quoique composé d’espèces différentes, représente
chacune d’elles en particulier, comme si elles n’en faisaient qu’une
seule.
Mais avant tout, il est
nécessaire aux Pasteurs de bien connaître la matière de
l’Eucharistie, soit afin qu’ils puissent la consacrer eux-mêmes
comme l’Eglise le demande, soit afin qu’ils puissent faire
comprendre aux Fidèles ce que signifie ce Sacrement, et exciter dans
leurs cœur s le désir et l’ardeur d’en recueillir les fruits.
Ce Sacrement a deux
matières: la première dont nous allons parler, c’est le pain de pur
froment ; puis, la seconde que nous verrons plus loin. Les
Evangélistes Saint Matthieu, Saint Marc et Saint Luc nous apprennent
que Notre-Seigneur Jésus-Christ prit du pain, le bénit et le rompit
en disant : « Ceci est mon corps. » — Dans Saint Jean, le
Sauveur se donne à Lui-même le nom de pain : « Je suis,
dit-il, le Pain vivant descendu du ciel. » Mais il y a
plusieurs sortes de pain. tantôt c’est dans la matière qu’il varie ;
il peut être de froment, d’orge ou de légumes, ou d’autres fruits de
la terre. tantôt ce sont les qualités seules qui seront
différentes ; l’un renfermera du levain, tandis que l’autre n’en
contiendra point. Or, pour l’Eucharistie, les paroles de
Notre-Seigneur font voir que le pain doit être de pur froment. Dans
le langage ordinaire, ce mot employé simplement et sans
modification, signifie le pain de froment seul. Une figure de
l’Ancien testament vient encore confirmer cette Vérité. Le Seigneur
avait ordonné que les pains de proposition, qui figuraient le
sacrement de l’Eucharistie, fussent de pure fleur de froment.
Mais si le pain de
froment doit seul être regardé comme la matière de l’Eucharistie,
(conformément à la tradition apostolique et à l’enseignement formel
de l’Eglise catholique), il est facile de se convaincre que ce pain
doit être sans levain, d’après ce que fit Notre-Seigneur le jour où
Il institua ce Sacrement. C’est en effet le premier des azymes, et
chacun sait que ce jour-là il était défendu aux Juifs d’avoir du
pain levé dans leurs maisons.
Si l’on oppose à cette
doctrine l’autorité de Saint Jean l’Evangéliste, qui rapporte que
tout cela se fit avant la fête de Pâques, il est facile de détruire
cette objection. La fête des azymes commençait dès le soir de la
cinquième férie, temps où le Sauveur célébra la Pâque. Et ce que les
autres Evangélistes ont appelé le premier jour des azymes, Saint
Jean l’appela la veille de Pâques, parce qu’il crut devoir noter
surtout le jour naturel, dont la durée commence au lever du soleil.
C’est pourquoi Saint Jean Chrysostome entend par le premier des
azymes le jour où l’on devait, sur le soir, manger les azymes.
D’ailleurs la consécration du pain sans levain est en parfaite
harmonie avec la pureté et l’innocence de cœur que les Fidèles
doivent apporter à la réception de ce Sacrement. C’est ce que
l’Apôtre nous apprend par ces paroles : « Purifiez-vous du vieux
levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes un
pain azyme ; car Jésus-Christ est l’Agneau pascal immolé pour nous.
Célébrons donc notre Pâque ; non avec le vieux levain, ce levain de
malice et d’iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la
vérité. »
Cependant cette qualité
(pour le pain) d’être sans levain n’est pas tellement nécessaire,
que le Sacrement ne puisse exister, si elle venait à manquer. Le
pain azyme et le pain levé conservent également le nom, les
propriétés et toute la nature du pain véritable, toutefois il n’est
permis à personne, de changer de son autorité privée, ou pour mieux
dire d’avoir la témérité de changer la sainte coutume de son Eglise.
Et cela est d’autant moins permis aux Prêtres de l’Eglise latine,
que les Souverains Pontifes ont ordonné de ne célébrer les saints
Mystères qu’avec le pain azyme. — Mais en voilà assez sur cette
première partie de la matière eucharistique. Remarquons cependant
encore, en finissant, qu’on n’a jamais déterminé une quantité
particulière de pain pour la consécration, par la raison que l’on ne
peut déterminer davantage d’une manière précise le nombre de ceux
qui peuvent et doivent participer à ces sacrés Mystères.
Venons maintenant à
l’autre matière de l’Eucharistie. Cette seconde matière est le vin
exprimé du fruit de la vigne, mais auquel il faut mêler un peu
d’eau. L’Eglise catholique a toujours enseigné que notre Sauveur
avait employé du vin dans l’institution de ce Sacrement, puisqu’il
dit Lui-même « Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’à
cet autre jour... » Si c’est le fruit de la vigne, remarque
Saint Jean Chrysostome, c’est donc du vin et non pas de l’eau, comme
s’il eût voulu détruire longtemps d’avance l’hérésie de ceux qui
prétendaient que l’eau seule devait être employée dans le mystère de
l’Eucharistie.
Cependant l’usage a
toujours été dans l’Eglise de mêler un peu d’eau au vin. D’abord
parce que l’autorité des Conciles et le témoignage de Saint Cyprien
nous apprennent que Notre-Seigneur le fit Lui-même ; ensuite parce
que ce mélange nous rappelle le Sang et l’eau qui coulèrent du côté
de Jésus-Christ. Enfin l’eau, comme nous le voyons dans (Apocalypse,
représente le peuple. L’eau mêlée au vin, exprime très bien l’union
du peuple fidèle avec Jésus Christ son Chef. Au reste cet usage est
de tradition apostolique, et l’Eglise l’a toujours observé. Mais
quelques graves que soient les raisons de mettre de l’eau dans le
vin, et bien qu’on ne puisse la supprimer sans pécher mortellement,
si elle venait à manquer, le Sacrement n’en existerait pas moins.
Enfin ce que les Prêtres devront bien observer, c’est que si dans la
célébration des saints Mystères, il est nécessaire de mêler un peu
d’eau au vin, ce ne doit être qu’en petite quantité, puisque, au
jugement des théologiens, cette eau se change en vin. Voilà pourquoi
le Pape Honorius écrivait : « Il s’est introduit un abus très
répréhensible parmi vous, c’est de mettre beaucoup plus d’eau que de
vin, contre la coutume très raisonnable de toute t’Eglise, qui est
de mettre beaucoup plus de vin que d’eau. »
Il n’y a donc que le
pain et le vin qui soient la matière de l’Eucharistie ; et c’est à
bon droit que l’Eglise a défendu, par plusieurs décrets, d’offrir
autre chose que le pain et le vin, comme quelques-uns avaient la
témérité de, le faire.
Voyons maintenant
combien les deux symboles du pain et du vin sont propres à
représenter la nature et les effets que nous reconnaissons dans ce
Sacrement.
Et d’abord ils nous
représentent Jésus-Christ comme notre vie véritable. Lui-même n’a-t-Il
pas dit: « Ma Chair est véritablement une nourriture, et mon
Sang est vraiment un breuvage ? » Le Corps de Jésus-Christ est
donc, pour ceux qui Le reçoivent saintement et avec piété, un
Aliment qui donne la Vie éternelle, et par là même il était de toute
convenance que ce Sacrement fût constitué précisément avec les
éléments qui servent à soutenir la vie présente. Cela fait très bien
comprendre aux Fidèles que l’esprit et le cœur sont rassasiés par la
communion du Corps et du Sang du Seigneur.
Cas deux éléments
avaient encore cet avantage qu’ils pouvaient servir à convaincre les
hommes de la présence réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ
dans l’Eucharistie. tous les jours nous voyons le pain et le vin se
changer, par les seules forces de la nature, en notre chair et en
notre sang. C’est une image qui peut facilement nous amener à croire
que la substance du pain et du vin est changée, par les paroles de
la Consécration, au vrai Corps et au vrai Sang de Notre-Seigneur.
Le changement
miraculeux de ces éléments peut servir aussi à nous faire entrevoir
ce qui se passe dans l’âme. De même, en effet, que- la substance du
pain et du vin est changée réellement au Corps et au Sang de
Jésus-Christ, quoiqu’il n’y ait aucune apparence visible de ce
changement ; de même, quoique rien ne paraisse changer en nous au
dehors, cependant nous nous trouvons intérieurement renouvelés pour
la Vie spirituelle, en recevant la Vie véritable, dans le sacrement
de l’Eucharistie.
Enfin l’Eglise est un
seul corps composé de plusieurs membres, dont l’union ne pouvait
être plus parfaitement représentée que par les éléments du pain et
du vin. Le pain est fait d’une multitude de grains, et le vin de
plusieurs grappes ; ils nous rappellent donc très bien que, si
nombreux que nous soyons, le mystère divin de l’Eucharistie nous
unit par le lien le plus étroit, et fait de nous tous comme un seul
corps.
§ III. — FORME DE L’EUCHARISTIE.
Il nous reste
maintenant à parler de la forme qu’il faut employer pour la
Consécration du pain, non pas qu’il soit utile de livrer ces
Mystères, même au peuple fidèle, sans nécessité — puisqu’il n’est
pas nécessaire que ceux q i ne sont pas dans les Ordres sacrés les
connaissent -mais de peur que certains Prêtres ne l’ignorent, et ne
commettent quelque faute considérable dans la Consécration.
Les Evangélistes Saint
Matthieu, Saint Luc et l’Apôtre Saint Paul, nous apprennent que
cette forme consiste dans ces paroles : Ceci est mon Corps,
car voici ce qui est écrit: « pendant qu’ils soupaient, Jésus
prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en
disant: prenez et mangez ; ceci est mon Corps. » Cette forme,
employée par notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même pour la
consécration de son Corps, a été constamment en usage dans l’Eglise
catholique. nous passons ici sous silence les témoignages des Saints
Pères, qu’il serait beaucoup trop long de rapporter, ainsi que le
décret du Concile de Florence, que tout le monde connaît, et nous
nous bornons à rappeler encore ces mots de Notre-Seigneur: « faites
ceci en mémoire de Moi. » (Ils établissent clairement le point
que nous traitons.) Cet ordre qu’Il donna à ses Apôtres doit se
rapporter non seulement à ce qu’Il avait fait Lui-même, mais encore
à ce qu’Il avait dit, et spécialement aux paroles qui furent
prononcées, autant pour produire que pour signifier l’effet du
Sacrement.
D’ailleurs, on pourrait
encore aisément se convaincre v de cette vérité par la raison. La
forme d’un Sacrement consiste dans les paroles qui expriment l’effet
produit par ce Sacrement. Or, les paroles que nous avons citées
indiquent et signifient très bien ce qui s’opère dans l’Eucharistie,
à savoir le changement du pain au vrai Corps de Notre-Seigneur, et
par conséquent elles en sont véritablement la forme. On peut
entendre dans ce sens ce qui est dit dans l’Evangéliste: « qu’Il
bénit le pain. » C’est la même chose, ce semble, que s’Il eût
dit qu’Il bénit le pain en disant: ceci est mon Corps. Il est
vrai que l’Evangéliste, avant les paroles que nous venons de citer,
dit également: « prenez et mangez » ; mais ces deux mots ne
regardent que l’usage de la chose, et non la consécration de la
matière. Aussi, quoique le Prêtre soit obligé de les prononcer, ne
sont-elles pas nécessaires à l’existence du Sacrement, pas plus que
la conjonction car, que l’on prononce néanmoins dans la consécration
du Corps et du Sang de Jésus-Christ. Autrement s’il n’y avait
personne pour recevoir l’Eucharistie, on ne devrait, et on ne
pourrait même pas la consacrer. Et cependant, il est incontestable
que le Prêtre qui prononce les paroles du Seigneur suivant l’usage
et la coutume de l’Eglise, sur un pain propre à devenir la matière
de l’Eucharistie, consacre réellement et validement cette matière
quand même il arriverait que l’Eucharistie ne serait administrée à
personne.
Quant à la Consécration
du vin qui est la seconde matière du Sacrement, il faut pour les
mêmes raisons que nous avons apportées plus haut, que le Prêtre en
connaisse parfaitement la forme: Or, nous devons tenir pour certain
qu’elle est ainsi formulée: « Ceci est le Calice de mon Sang, de
la nouvelle et éternelle Alliance, le mystère de la Foi, qui sera
versé pour vous et pour plusieurs, pour la rémission des péchés: »
De ces paroles plusieurs sont tirées de l’Ecriture, et l’Eglise à
reçu les autres d’une tradition apostolique: On trouve dans Saint
Luc et dans l’Apôtre: Ceci est le Calice ; et dans Saint Luc
ainsi que dans Saint Matthieu: de mon sang, ou mon Sang de la
nouvelle Alliance, qui sera versé pour vous et pour plusieurs, pour
la rémission des péchés. Quant à ces autres expressions,
éternelle, et, mystère de la Foi, nous les tenons de la
tradition interprète et gardienne de la Vérité catholique.
Personne ne pourra
douter que ces paroles ne soient la forme de la Consécration du vin,
s’il se rappelle ce que nous avons dit sur la forme de la
Consécration du pain, car il est certain qu’elle consiste dans les
paroles qui expriment le changement de la substance du vin au Sang
de Notre-Seigneur. Or, celles que nous venons de rapporter indiquent
clairement ce changement ; et par conséquent il ne saurait y avoir
d’autre forme que celle-là, pour consacrer le vin. Ces paroles
expriment en outre quelques effets admirables du Sang de
Jésus-Christ répandu dans sa Passion, et qui appartiennent d’une
manière spéciale à ce Sacrement. Le premier de ces effets c’est
l’accès à l’héritage éternel, auquel nous donne droit l’Alliance
nouvelle et éternelle. Le second, c’est l’accès à la justice par
le mystère de la Foi. Car Dieu a établi Jésus-Christ pour
être la Victime de propitiation, par la Foi dans sort Sang, montrant
tout ensemble qu’Il est juste. Lui-même, et qu’Il justifie celui qui
a la Foi en Jésus-Christ. Le troisième effet est la rémission
des péchés.
Mais comme ces paroles
de la Consécration du vin sont pleines de mystères ; et qu’elles
sont parfaitement appropriées à ce qu’elles expriment, il y a lieu
de les examiner avec le plus grand soin. Quand on dit: « Ceci
est le calice de mon Sang », ces mots signifient ceci est mon
Sang qui est contenu dans ce calice. Et c’est avec beaucoup de
sagesse et de raison que l’on fait mention du calice, en consacrant
le Sang qui doit être le breuvage des Fidèles. Le Sang par lui-même
n’exprimerait pas assez nettement qu’il doit être bu, s’il ne nous
était présenté dans une coupe. Ensuite on ajoute: « de la
nouvelle Alliance », pour nous faire comprendre que le Sang de
Jésus-Christ ne nous est pas seulement donné en figure, comme dans
l’ancienne Alliance dont Saint Paul a dit: « qu’elle ne fut
point confirmée sans effusion de Sang », mais en vérité et
réellement. Ce qui ne convient qu’à l’Alliance nouvelle.
Voilà pourquoi Saint
Paul a écrit: Jésus-Christ est le Médiateur du nouveau testament,
afin que, par sa mort ; ceux qui noter appelés reçoivent l’héritage
éternel qui leur a été promis: quant au mot éternel, il se rapporte
précisément à cet héritage éternel qui nous est échu par le droit
que nous confère la mort: de Jésus-Christ notre testateur éternel.
Les mots qui suivent, à
savoir: « Le Mystère de la Foi », n’excluent pas la réalité
de la chose, ils indiquent seulement qu’il faut admettre un effet
caché et infiniment éloigné de la portée de nos yeux. Le sens qu’on
leur donne ici est tout différent de celui qu’ils ont, quand on les
applique au Baptême. Comme c’est par la Foi que nous voyons le Sang
de Jésus-Christ caché sous l’apparence du vin, c’est pour ce motif
que nous l’appelons le mystère de la Foi. Le Baptême, au contraire,
s’appelle chez nous le sacrement de la Foi, ou chez les grecs, le
mystère de la Foi, parce qu’il contient une profession entière de la
Foi chrétienne. — Ce qui fait encore que nous appelons mystère de la
Foi le Sang du Seigneur, c’est que la raison a beaucoup de
difficulté et de peine à admettre et à croire, d’après
l’enseignement de la Foi, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, véritable
Fils de Dieu, vrai Dieu Lui-même et vrai homme tout ensemble, a
souffert la mort pour nous. Or cette mort nous est représentée par
le Sacrement de son Sang. C’est pourquoi il était de toute
convenance de rappeler ici, plutôt que dans la consécration du pain,
la Passion du Sauveur par ces paroles: « Qui sera répandu pour la
rémission des péchés. » Le Sang, consacré séparément, possède
beaucoup plus de force et plus d’efficacité pour mettre sous les
yeux de tous la Passion de notre Seigneur, sa Mort et la nature de
ses souffrances. Les autres mots: « pour vous et pour plusieurs
», sont empruntés les uns à saint Matthieu, et les autres à saint
Luc . Et c’est l’Eglise qui, inspirée par l’esprit de Dieu, les a
réunis. Ils servent à exprimer les fruits et les avantages de la
Passion. Si nous en considérons en effet la vertu et l’efficacité,
nous sommes obligés d’avouer que le Sang du Seigneur a été répandu
pour le salut de tous. Mais si nous examinons les fruits que les
hommes en retirent, il est évident que plusieurs seulement, et non
pas tous, en profitent. Lorsque Jésus-Christ dit: pour vous,
Il entendait par là, à l’exception de Judas, ceux qui étaient
présents, et à qui il parlait, ou bien les élus d’entre les Juifs,
tels que ses disciples. En ajoutant: « pour plusieurs », Il
voulait désigner tous les autres élus, soit d’entre les Juifs, soit
d’entre les Gentils. Ainsi c’est avec raison qu’il n’a pas été dit:
pour tous, puisqu’il s’agissait en cet endroit du fruit de la
Passion, qui n’a procuré le salut qu’aux élus seulement. C’est dans
ce sens qu’il faut entendre ces paroles de l’Apôtre: « Jésus-Christ
n’a été immolé qu’une fois pour effacer les péchés de plusieurs » ;
et ce que dit Notre-Seigneur dans Saint Jean: « Je prie pour
eux, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que Vous m’avez
donnés, parce qu’ils sont à vous. »
Il y a encore beaucoup
d’autres Mystères renfermés dans ces paroles de la Consécration.
Mais les Pasteurs zélés, et fidèles à méditer souvent les choses
célestes, les découvriront aisément d’eux-mêmes avec l’aide de Dieu. |