§ I. — LA PRÉSENCE RÉELLE.
Le moment est venu de
reprendre l’explication de certains points de doctrine que, pour
aucun motif, on ne doit laisser ignorer aux Fidèles.
L’Apôtre nous enseigne
que ceux qui ne discernent point le Corps de Notre-Seigneur,
commettent un grand crime. Les Pasteurs devront donc, avant tout,
exhorter les Chrétiens à faire tous leurs efforts pour élever ici
leur esprit et leur raison au-dessus des choses sensibles. S’ils se
persuadaient que le sacrement de l’Eucharistie ne contient que ce
que les sens y aperçoivent, ils tomberaient fatalement dans cette
impiété énorme de croire qu’il ne renferme que du pain et du vin,
puisque les yeux, le toucher, l’odorat, le goût ne rapportent que
des apparences de pain et de vin. Il faut donc faire en sorte qu’ils
renoncent, autant que possible, au jugement des sens, pour s’élever
uniquement à la contemplation de la Vertu et de la Puissance infinie
de Dieu ; car la Foi catholique enseigne et croit, sans hésitation
aucune, que les paroles de la Consécration produisent spécialement
trois effets admirables.
Le premier, c'est que
le vrai corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Celui-là même qui: est
né de la Vierge Marie, qui est assis à la droite du Père, est
contenu dans l'Eucharistie.
Le second c'est que
dans le Sacrement il ne reste rien de la substance des deux
éléments, quoique cela semble tout-à-fait opposé et contraire au
rapport des sens.
Le troisième, qui se,
déduit aisément des deux autres, et qui est positivement exprimé par
les paroles de la Consécration, c'est que par une disposition
inexplicable et toute miraculeuse, les accidents qui apparaissent
aux yeux, et que les autres sens perçoivent aussi, se soutiennent
sans le secours d'aucun sujet. Ils présentent encore toutes les
apparences du pain et du vin. Mais ils ne tiennent à aucune
substance ; ils subsistent par eux-mêmes. Quant à la substance même
du pain et du vin, elle est tellement changée au Corps et au Sang de
Jésus-Christ, qu'il n'en reste absolument rien, et qu'il n'y a
réellement plus ni substance du pain, ni substance du vin.
Parlons d'abord du
premier de ces effets. Les Pasteurs s'efforceront de faire
comprendre combien sont claires et positives les paroles de Notre
Sauveur, qui établissent la présence réelle de son Corps dans
l'Eucharistie. En effet, il a dit : « Ceci est mon Corps, ceci
est mon Sang. » Or, il n'est personne de bon sens qui ne
comprenne immédiatement ce que ces paroles signifient : d'autant
plus qu'il est ici question de la nature humaine, et qu'il est hors
de doute, dans la Foi catholique, que Jésus-Christ était
véritablement homme. Aussi saint Hilaire, ce personnage si distingué
par sa sainteté et par sa science, parlant de la présence réelle de
la Chair et du Sang de Jésus-Christ, a-t-il dit nettement : « qu'il
est impossible pour nous de douter de cette vérité, puisque
Jésus-Christ a déclaré lui-même, et que la Foi nous enseigne, que sa
Chair est vraiment une nourriture. »
Les Pasteurs auront
encore à développer un autre passage dont l'explication fera
aisément conclure que l'Eucharistie contient vraiment le Corps et le
Sang de Jésus-Christ. Saint Paul, après avoir rappelé la
consécration que le Seigneur avait faite du pain et du vin, et la
distribution des saints Mystères à ses Apôtres, ajoute : « que
l'homme s'éprouve donc lui-même, et qu'après cela il mange de ce
pain et boive de ce calice : car celui qui le mange et le boit
indignement, mange et boit sa propre condamnation, ne discernant pas
le corps du Seigneur ». Si, comme le prétendent les hérétiques,
nous n'avions autre chose à vénérer dans ce Sacrement que le
souvenir et le signe de la Passion de Jésus-Christ, pourquoi
l'Apôtre se servirait-il d'expressions aussi fortes pour exhorter
les Fidèles à s'éprouver ? Ce mot terrible de condamnation, employé
par lui, montre que c'est un crime abominable de recevoir
indignement le Corps du Seigneur caché sous les espèces
eucharistiques, et de ne pas distinguer cette o Triture e toutes les
autres. Mais le même Apôtre s'exprime encore plus formellement dans
le Chapitre précédent de la même Epître, lorsqu'il dit : « Le
calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas la
communication du Sang de Jésus-Christ ? et le pain que nous rompons,
n'est-ce pas la participation du Corps du Seigneur ? »
On ne peut désigner
plus clairement la véritable substance du Corps et du Sang de
Jésus-Christ. Mais en expliquant ces passages de la sainte Ecriture,
les Pasteurs auront soin de faire remarquer aux Fidèles, qu'ils ne
renferment rien de douteux ni d'incertain, surtout parce que l'Église
de Dieu, avec son autorité infaillible, les a toujours entendus dans
le sens que nous venons d'exposer. Pour nous en convaincre nous
avons deux moyens faciles.
Le premier, c'est de
consulter les Pères qui ont fleuri à l'origine et dans tous les âges
de l'Église, et qui sont les meilleurs témoins de sa doctrine. Or,
ils ont tous enseigné, et d'un accord unanime, la vérité du dogme en
question. Mais ce serait un travail infini de citer tous les
témoignages. Il nous suffira d'en rapporter, ou d'en indiquer
quelques-uns, qui nous permettront de juger des autres. Que Saint
Ambroise produise, le premier sa profession de Foi : dans le livre
qu'il a écrit sur ceux qui sont initiés aux Mystères , il
affirme que « l'on reçoit dans l'Eucharistie le vrai Corps de
Jésus-Christ, comme Il l'avait pris lui-même très réellement dans le
sein de la bienheureuse Vierge et que c'est un article de Foi
incontestable ». – « Avant la Consécration, dit-il
ailleurs, il n'y a que du pain, mais après la Consécration, il
n'y a que la Chair de Jésus-Christ ».
Que S. Jean Chrysostome
se présente ensuite ; c'est un autre témoin non moins digne de
confiance, et d'une autorité non moins grande. II professe et
enseigne la même vérité dans une foule de passages, mais surtout
dans la 60e homélie, « de ceux qui participent
indignement aux saints Mystères » et dans les homélies 41 et 45,
sur Saint Jean. « Obéissons à Dieu, dit-il, et ne refusons
pas de Le croire, lors même qu'Il semble dire des choses contraires
à la raison et aux sens. Sa parole est infaillible, tandis que notre
jugement s'égare facilement. »
Et Saint Augustin, ce
défenseur si zélé de la Foi catholique, a toujours pensé et parlé de
même, mais spécialement dans son commentaire sur le Psaume 33 : « se
porter soi-même dans ses mains est impossible à l'homme, dit-il,
cela ne peut convenir qu'à Jésus-Christ ; car il se portait dans
ses propres mains, lorsque, donnant son Corps, il dit : ceci est mon
Corps. »
Enfin, sans parler de
Saint Justin et de Saint Irénée, Saint Cyrille, dans son 4e
livre sur Saint Jean, affirme si clairement que la véritable
Chair de Jésus-Christ est dans l'Eucharistie, que nulle
interprétation fausse et captieuse ne pourra jamais obscurcir ses
paroles.
Si les Pasteurs
désiraient connaître encore d'autres témoignages des Pères, il
serait facile de leur citer Saint Denys, Saint Hilaire, Saint
Jérôme, Saint Jean Damascène et une foule d'autres dont les
sentiments si importants sur cette matière ont été réunis en corps
d'ouvrage, par des hommes pieux et savants, et se lisent partout.
Le second moyen de
connaître la doctrine de l'Église dans les choses de la Foi, c'est
la condamnation qu'elle a faite des doctrines et des opinions
contraires. Or, il est impossible de le nier, le dogme de la
Présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie a toujours été
tellement répandu et popularisé dans toute l'Église, il a toujours
été si universellement reçu par tous les Fidèles, qu'au moment où
Bérenger, dans le onzième siècle, osa l'attaquer et prétendre qu'il
n'y avait là qu'un signe, il fut aussitôt condamné, et d'une voix
unanime, au Concile de Verceil, convoqué par le Pape Léon IX, et
lui-même y anathématisa son hérésie. Et lorsque plus tard il revint
encore à cette erreur impie, il fut de nouveau condamné par trois
autres Conciles, l'un de Tours, et les deux autres de Rome, ces deux
derniers assemblés successivement par les Papes Nicolas II et
Grégoire VIII. Toutes ces décisions furent confirmées ensuite par
Innocent III dans le Concile général de Latran. Enfin les Conciles
de Florence et de Trente sont venus tour à tour fixer ce dogme avec
une clarté et une précision invincibles.
Si les Pasteurs ont
soin de bien mettre en lumière toutes ces autorités, ils pourront,
non pas ramener les hérétiques qui, aveuglés par leurs erreurs, ne
baissent rien tant que la vérité, mais affermir les faibles, et
remplir les âmes pieuses de consolation et de joie : d'autant plus —
et cela est évident pour les Fidèles — que la foi de cette vérité
est renfermée dans les autres articles de la Doctrine chrétienne.
Quiconque en effet croit et confesse que Dieu est Tout Puissant,
croit par là-même qu'Il n'a pas manqué de pouvoir pour opérer le
chef-d’œuvre que nous admirons et que nous révérons dans
l'Eucharistie. Quiconque encore croit la sainte Église catholique,
doit nécessairement reconnaître pour vraie la doctrine que nous
venons d'expliquer.
Mais ce qui met le
comble au bonheur et à l'édification des âmes pieuses, c'est de
contempler la sublime dignité (le ce Sacrement. Par là elles
comprennent d'abord toute la perfection de la Loi évangélique,
laquelle possède en réalité ce que la Loi de Moise n'avait qu'en
figures et en images. Ce qui a fait dire admirablement à Saint
Denys que « Notre Église tient le milieu entre la Synagogue et
la Jérusalem céleste, et qu'elle participe de l'une et de l'autre ».
Les fidèles ne sauraient donc trop admirer la perfection, la gloire
et la grandeur de la sainte Église, puisqu'il n'y a, pour ainsi
dire, qu'un seul degré qui la sépare de la béatitude céleste. Nous
avons cela de commun avec les habitants des cieux, que les uns et
les autres nous possédons Jésus-Christ ; Dieu et homme, présent au
milieu de nous. Le seul degré qui nous sépare d'eux, c'est qu'ils
jouissent de la Présence de Jésus-Christ par la vision béatifique,
tandis que nous, nous adorons seulement sa Présence, Présence
invisible à nos yeux, et cachée sous le voile miraculeux des saints
Mystères, mais que cependant nous confessons avec une Foi ferme et
inébranlable.
Enfin Jésus-Christ nous
a laissé dans ce Sacrement, la preuve de l'immense amour qu'Il a
pour nous. N'était-ce pas en effet un des plus beaux traits de cet
amour, de n'avoir pas emporté loin de nous cette nature qu'Il nous
avait empruntée, mais d'avoir voulu, autant Rue cela était possible,
demeurer sans cesse avec nous, afin que sans cesse on pût dire de
Lui en toute vérité : « mes délices sont d'être avec les enfants
des hommes ? ».
§ II — JÉSUS-CHRIST EST TOUT ENTIER DANS L'EUCHARISTIE.
Ici les Pasteurs auront
à expliquer que l'Eucharistie ne contient pas seulement le Corps de
Jésus-Christ avec tout ce qui constitue un corps véritable, comme
les os et les nerfs, mais encore Jésus-Christ tout entier. Il faut
enseigner que Jésus-Christ, c'est le nom d'un Dieu et d'un homme
tout à la fois, c'est-à-dire d'une personne dans laquelle la nature
divine et la nature humaine son ; réunies ; Jésus-Christ possède les
deux substances et ce qui les caractérise, la divinité d'abord, puis
la nature humaine tout entière avec l'âme, les parties du corps et
le sang qui la composent. Nous devons donc croire que toutes ces
choses se trouvent dans l'Eucharistie. Car de même qu'au ciel
l'humanité de Jésus-Christ est unie à la divinité dans une seule
personne, (et dans une seule hypostase). de même ce serait un
crime de supposer que le Corps, présent dans l'Eucharistie, y est
séparé de la divinité.
Cependant les Pasteurs
auront soin de faire observer que toutes ces choses ne sont point
contenues de la même manière et par la même raison dans ce
Sacrement. II en est qui s'y trouvent en vertu, et par la force même
de la Consécration. Ces paroles en effet produisent ce qu'elles
signifient, et les Théologiens disent qu'une chose se trouve dans le
Sacrement, par la force du Sacrement, quand elle est exprimée par la
forme des paroles. Selon eux, s'il pouvait arriver que les choses
fussent détachées les unes des autres, il y aurait dans le Sacrement
uniquement ce que sa forme signifie ; le reste ne s'y trouverait
point. Au contraire, il est certaines choses qui sont renfermées
dans le Sacrement, par cette seule et unique raison qu'elles. sont
inséparablement liées avec celles que la forme exprime. Ainsi, comme
la forme employée pour la Consécration du pain exprime le Corps de
Notre-Seigneur, puisqu'on y dit : ceci est mon Corps, c'est
donc par la force même du Sacrement que le Corps de Jésus-Christ est
renferme dans l'Eucharistie. Mais parce que le Sang, l'âme et la
Divinité sont inséparables du Corps, toutes ces choses seront aussi
dans le Sacrement, non en vertu de la Consécration, mais par l'union
qu'elles ont avec le Corps, ou comme disent les Théologiens, par
concomitance. C'est de cette manière que manifestement
Jésus-Christ est tout entier dans l'Eucharistie. Car lorsque deux
choses sont absolument liées entre elles, il faut que l'une soit
partout où l'autre se trouve. Il suit de là que Jésus-Christ est
tellement tout entier, (si nous pouvons ainsi dire), et sous
l'espèce du pain et sous l'espèce du vin, que, comme l'espèce du
pain contient non seulement le Corps, mais le Sang, et Jésus-Christ
tout entier, de même l'espèce du gyrin renferme non seulement le
Sang, mais aussi le Corps et toute la Personne de Jésus-Christ.
Quoique les Fidèles
doivent avoir la certitude et la persuasion que les choses se
passent ainsi, cependant l'Église a été très sage de faire
séparément les deux Consécrations. D'abord cela exprime bien mieux
la Passion du Sauveur, dans laquelle le Sang fut séparé du Corps.
C'est même pour cette raison que l'on fait mention de l'effusion du
Sang, dans la Consécration. Ensuite, comme ce Sacrement était
destiné à nourrir nos âmes, il était convenable qu’il fût établi
sous la forme de nourriture et de breuvage, puisque ces deux choses
constituent évidemment l’aliment complet de nos corps.
Il ne faut pas non plus
oublier de dire que non seulement Jésus-Christ est tout entier dans
chacune des espèces du pain et du vin, mais qu’Il est aussi tout
entier dans la moindre parcelle de chaque espèce. « Chacun reçoit
Jésus-Christ, écrivait Saint Augustin., et Jésus-Christ est
tout entier dans la portion de chacun ; Il ne se divise pas entre
tous, mais il se donne tout II tous. » nous avons d’ailleurs une
preuve de cette vérité dans les Evangélistes. Il n’est pas à croire
en effet que Jésus-Christ ait consacré séparément chacun des
morceaux de pain qu’Il distribua aux Apôtres ; il paraît au
contraire qu’il consacra, en prononçant une seule fois les paroles
de la forme, tout le pain qui était nécessaire, et qu’Il le
distribua ensuite à chacun. C’est évidemment ce qui eut lieu pour le
calice, c’est-à-dire pour l’espèce du vin, puisque Jésus-Christ
lui-même dit: « prenez et partagez entre vous »
Tout ce que nous avons
dit jusqu’ici a pour but de faire enseigner par les Pasteurs que le
vrai Corps et le vrai Sang de Jésus-Christ sont contenus dans
l’Eucharistie.
§ III. — DE LA TRANSSUBSTANTIATION.
Les Pasteurs
enseigneront également — et c’était là notre second point, —
qu’après la Consécration il ne reste absolument rien de la substance
du pain et du vin dans le Sacrement. Si extraordinaire, si
prodigieux que puisse nous paraître ce miracle, cependant il est une
conséquence nécessaire de ce que nous venons de démontrer. En effet,
si après la Consécration le Corps et le Sang de Jésus-Christ sont
réellement présents sous les espèces du pain et du vin où Ils
n’étaient pas auparavant, ce ne peut être que par changement de
lieu, ou par création, ou par le changement d’une autre substance en
la sienne. Or il est impassible que le Corps de Jésus-Christ soit
présent dans l’Eucharistie, en y venant d’un autre lieu, puisque
autrement Il devrait quitter le ciel, un corps ne pouvant être mis
en mouvement sans s’éloigner du lieu d’où part le mouvement. Il est
encore bien moins croyable que le Corps de Jésus-Christ soit dans
l’Eucharistie par création, ou plutôt il n’est même pas permis de le
penser. Que reste-t-il donc, sinon que le pain soit changé en son
Corps, et par conséquent que la substance du pain soit totalement
détruite par la Consécration ? Aussi les Pères du Concile général de
Latran, et ceux du Concile de Florence ont-ils nettement enseigné
cette vérité. Et après eux, le Concile de Trente l’a définie plus
formellement encore en ces termes: « Si quelqu’un dit que dans le
très saint sacrement de l’Eucharistie, la substance du pain et du
vin demeure avec le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qu’il soit anathème ! » Il est très facile d’ailleurs d’arriver
à la même conclusion par les textes mêmes de la Sainte Ecriture. Et
d’abord Notre-Seigneur, en instituant ce Sacrement, s’exprime ainsi:
« ceci est mon Corps »: Or la propriété du mot: ceci, est
d’exprimer toute la substance de l’objet présent. Si donc la
substance du pain était demeurée, Jésus-Christ n’aurait pas pu dire
avec vérité: ceci est mon Corps. D’un autre côté, le Seigneur
dit, dans Saint Jean « le pain que Je donnerai, c’est ma Chair
pour la vie du monde » désignant ainsi sa Chair par le nom du
pain ; puis un instant après, II ajoute « Si vous ne mangez la
Chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son Sang, vous n’aurez
point la vie en vous ; » et encore « ma Chair est
véritablement une nourriture, et mon Sang est vraiment un breuvage »
Or appeler en termes si clairs et si formels sa Chair un vrai pain,
une véritable nourriture, et son Sang un vrai breuvage, n’est-ce pas
évidemment pour nous apprendre que ni la substance du pain ni celle
du vin ne demeurent dans ce Sacrement ?
Ceux qui auront
seulement parcouru les Saints Pères, reconnaîtront sans peine que
telle a toujours été leur croyance unanime. Voici ce qu’écrit Saint
Ambroise: « vous direz peut-être: ce pain est tout ordinaire.
Oui c’est du pain ordinaire avant la Consécration ; mais aussitôt
après la Consécration, ce pain devient la Chair de Jésus-Christ ».
Puis, pour rendre ses preuves plus sensibles, il apporte plusieurs
exemples et plusieurs comparaisons. Dans un autre endroit, en
expliquant ces paroles du Psalmiste: « le Seigneur a fait dans
le ciel et sur la terre tout ce qu’Il a voulu, il dit:
quoique l’on voie la figure et la forme du pain et du vin, il n’y a
cependant rien autre chose après la Consécration, que la Chair et le
Sang de Jésus-Christ ». Saint Hilaire s’est servi presque des
mêmes termes pour exprimer la même vérité, il enseigne que « le
Corps et le Sang du Seigneur sont réellement dans l’Eucharistie,
quoique, au dehors, on n’aperçoive que du pain et du vin »
Ici les Pasteurs feront
bien d’avertir les Fidèles qu’ils ne doivent pas s’étonner qu’on ait
conservé le nom de pain à l’Eucharistie, même après la Consécration.
La raison en est que l’Eucharistie garde les apparences du pain et
même la propriété naturelle du pain, qui est de nourrir et de
fortifier le corps. C’est d’ailleurs une coutume de la Sainte
Ecriture de nommer les objets d’après leurs formes extérieures.
C’est ce qu’on voit dans la Genèse, où il est dit que trois
hommes apparurent à Abraham, et cependant c’étaient trois
Anges. De même nous lisons dans les Actes que deux hommes
apparurent aux Apôtres, au moment où Notre-Seigneur Jésus-Christ
venait de monter au ciel, et ces hommes étaient des Anges.
§ IV. — COMMENT S’OPÈRE LA
tRANSSUBSTANTIATION
L’explication de ce
Mystère est extrêmement difficile. Cependant les Pasteurs tâcheront
de faire comprendre à ceux qui sont assez avancés dans la
connaissance des Vérités saintes, comment s’opère ce changement
admirable. Car pour ceux qui sont encore faibles dans la Foi, il
serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous le poids d’une
Vérité si haute. Ce changement est tel que, par la puissance de
Dieu, toute la substance du pain est convertie en la substance
entière du Corps de Jésus-Christ, et toute la substance du vin en la
substance entière de son Sang, sans aucun changement de la part de
Notre-Seigneur Lui-même. En effet, Il n’y est ni engendré, ni
changé, ni augmenté ; mais Il demeure intact dans sa substance.
C’est ce qui a fait dire à Saint Ambroise, en parlant de ce
Mystère : «vous voyez combien la parole de Jésus-Christ est
efficace. Si elle a eu assez de force pour faire exister ce qui
n’était pas, le monde, par exemple, combien ne lui en a-t-il pas
fallu pour donner un nouvel être aux choses qui existaient déjà et
pour les changer en d’autres?»
Plusieurs autres Pères
très anciens, et d’une grande autorité, ont parlé dans le même sens.
« nous le déclarons sans hésiter, dit Saint Augustin avant la
Consécration, il n’y a que le pain et le vin formés par la nature ;
mais après la Consécration, il n’y a plus que la Chair et le Sang de
Jésus-Christ, rendus présents par les paroles sacrées. » — Le Corps
de Notre-Seigneur , dit de son côté Saint Jean Damascène, « Celui-là
même qui est né d’une Vierge, est véritablement uni dans
l’Eucharistie à sa divinité ; non qu’Il descende du ciel où Il est
monté, mais parce que le pain et le vin sont transsubstantiés au
Corps et au Sang du Seigneur. »
C’est donc avec
beaucoup de raison et de justesse que l’Église catholique appelle ce
merveilleux changement transsubstantiation, comme l’enseigne
le Concile de Trente. En effet de même que la génération naturelle
peut très bien s’appeler transformation, parce qu’il s’y fait un
changement de forme ; de même le mot de transsubstantiation a été
très convenablement créé par nos Pères, pour exprimer le changement
d’une substance tout entière en une autre substance, tel que celui
qui s’opère dans l’Eucharistie.
Mais ainsi que les
Saints Pères l’ont très souvent recommandé, il faut avertir les
Fidèles de ne pas rechercher avec trop de curiosité comment un tel
changement peut se faire. Il nous est impossible de le comprendre,
et nous ne pouvons en trouver aucune image ni aucun exemple dans les
changements naturels, ni même dans la création. La Foi nous apprend
que la chose est ainsi, nous ne devons point chercher avec curiosité
pourquoi ou comment la chose est ainsi.
Il ne faudra pas moins
de prudence aux Pasteurs, lorsqu’ils expliqueront comment dans ce
Mystère le Corps de Jésus-Christ se trouve contenu tout entier dans
chacune des plus petites parcelles du pain eucharistique. Autant
qu’on le peut il faut éviter soigneusement ces sortes de
discussions ; cependant, si la Charité chrétienne en-fait un devoir,
qu’on n’oublie pas tout d’abord de prémunir et de fortifier l’esprit
des Fidèles par ces paroles de l’Evangile « Rien n’est
impossible à Dieu. » Après cela les Pasteurs pourront enseigner
que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est point dans ce Sacrement comme
dans un lieu. Les choses ne sont dans un lieu qu’autant qu’elles ont
quelque étendue. Or, quand nous disons que Jésus-Christ est dans
l’Eucharistie, nous ne faisons pas attention à l’étendue plus ou
moins grande de son Corps, mais à la substance elle-même, considérée
indépendamment de l’étendue. Car la substance du pain est changée en
la substance, et non pas en la quantité, ni en la grandeur du Corps
de Jésus-Christ. Or personne ne doute qu’une substance ne puisse
être également renfermée dans un petit espace aussi bien que dans un
grand. Ainsi la substance de l’air est aussi entière dans une petite
partie d’air que dans une grande ; la nature (ou la substance) de
l’eau n’est pas moins entière dans un petit vase que dans un grand.
Et comme le Corps de Notre-Seigneur remplace la substance du pain
dans l’Eucharistie, on est obligé de convenir qu’Il est dans le
Sacrement de la même manière que la substance du pain y était avant
la Consécration. Or la substance du pain était aussi bien et aussi
entière dans la plus petite partie que dans le tout. Cela ne se
discute même pas.
§ V. — DES ACCIDENTS DU PAIN ET DU VIN.
La troisième merveille
de ce Sacrement, la plus grande et la plus étonnante de toutes, mais
que les Pasteurs pourront aborder plus aisément, après avoir
expliqué les deux précédentes, c’est que les espèces du pain et du
vin y subsistent sans être soutenues d’aucun sujet. En effet, nous
avons démontré d’une part que le Corps et le Sang de Notre-Seigneur
sont véritablement présents dans ce Sacrement, et de manière qu’il
ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin. Mais
d’autre part il est impossible que les accidents qui demeurent,
s’attachent à son Corps et à son Sang. Par conséquent il est de
toute nécessité que, contre toutes les lois de la nature, ces
accidents subsistent en eux-mêmes, et sans être soutenus par aucune
substance. telle a toujours été la doctrine constante de l’Église
catholique, doctrine qui peut du reste se déduire des témoignages
que nous avons rapportés plus haut en faveur de la vérité qui nous
occupe, à savoir qu’après la Consécration, il ne demeure plus rien
de la substance du pain et du vin dans l’Eucharistie.
Mais rien ne convient
mieux à la piété des Fidèles que de laisser de côté ces questions
difficiles, et de se borner à vénérer, à adorer la majesté de ce
Sacrement, et ensuite à admirer la souveraine Providence de Dieu,
qui a établi ces sacrés Mystères, pour être administrés sous les
espèces du pain et du vin. toutefois, comme il répugne absolument à
la nature de manger la chair et de boire le sang de l’homme, c’est
une grande marque de Sagesse de la part de Notre-Seigneur de nous
avoir donné sa Chair et son Sang adorables sous les apparences du
pain et du vin, qui sont notre nourriture journalière, la plus
ordinaire, et en même temps la plus agréable.
Nous trouvons encore en
cela deux autres avantages ; le premier, c’est d’être à l’abri
d’accusations calomnieuses, et qu’il nous eût été difficile d’éviter
de la part des infidèles, s’ils nous avaient vus manger la Chair de
Jésus-Christ dans sa propre forme. Le second, c’est qu’en prenant le
Corps et le Sang de Notre-Seigneur, sans que nos sens puissent
saisir la réalité de leur existence, c’est un puissant moyen
d’augmenter la Foi dans nos âmes. « Car la Foi, dit Saint
Grégoire ne mérite plus, quand la raison démontre. »
Tout ce que nous avons
dit sur ces vérités si profondes ne doit être présenté aux Fidèles
qu’avec de grandes précautions, et en tenant compte du développement
de leur intelligence, aussi bien que des circonstances. |