

FLEURS DE LA PASSION
PENSEES DE SAINT PAUL DE LA CROIX
LA PASSION
ET LA VOIE DE LA PERFECTION
La Passion de Jésus-Christ est la
porte qui donne entrée dans les pâturages délicieux de l’âme. Le divin Sauveur a
dit : Ego sum ostium, je suis la porte (Joan. X.9.). Une âme qui entre
par cette porte, marche sûrement.
Figurez-vous que vous êtes
gravement indisposé ; moi, qui vous aime tendrement, je viens vous faire visite.
Il est sûr qu’après vous avoir exprimé mes sentiments et dit quelques paroles de
consolation, je me mettrais à vous regarder d’un œil de compassion et à
m’approprier vos souffrances par amour. Ainsi, quand nous méditons la Passion de
Jésus-Christ, en le voyant plongé dans la douleur, nous devons compatir à ses
peines, puis le contempler avec amour dans cet état, et nous approprier par
amour et par compassion les souffrances qu’il endure.
Supposez que vous soyez tombé dans
une profonde rivière et qu’une personne charitable se soit jetée à la nage pour
vous sauver : que diriez-vous d’une telle bonté ? Ce n’est pas assez. Supposez
de plus qu’à peine tiré de l’eau, vous ayez été attaqué par des assassins, et
que cette même personne, par amour pour vous, se soit mise entre deux et qu’elle
ait reçu des coups et des blessures pour vous sauver la vie. Que feriez-vous en
retour d’un si grand amour ? Il est certain que vous regarderiez ses douleurs
comme les vôtres, que vous vous empresseriez de lui témoigner votre compassion,
de guérir ses plaies, etc. Ainsi devons-nous agir à l’égard de Jésus souffrant :
il faut le contempler abîmé dans un océan de douleurs pour nous tirer de l’abîme
éternel, le considérer tout couvert de plaies et de blessures pour nous donner
la vie et le salut, puis nous approprier ses peines par amour, compatir à ses
douleurs et lui consacrer toutes nos affections.
Gardez un souvenir continuel des
souffrances de votre céleste Époux. Laissez-vous pénétrer entièrement de l’amour
avec lequel il les a endurées. La voie la plus courte est de vous perdre tout
entier dans cet abîme de souffrances. En effet, le prophète appelle la Passion
de Jésus une mer d’amour et de douleur. Ah ! c’est là un grand secret qui
n’est révélé qu’aux âmes humbles. Dans cette vaste mer, l’âme pêche les perles
des vertus, et fait siennes les souffrances du Bien-Aimé. J’ai une vive
confiance que l’Époux vous enseignera cette pêche divine : il vous l’enseignera,
si vous vous tenez dans la solitude intérieure, dégagé de toutes les images,
séparé de toute affection terrestre, détaché de tout ce qui est créé, dans la
foi pure et le saint amour.
Tenez-vous intérieurement dans le
sein de Dieu, anéanti en vous-même d’une manière passive : c’est la voie la plus
courte pour vous perdre et vous abîmer dans le Tout infini, en passant toutefois
par la porte divine, qui est Jésus-Christ crucifié, et en vous
appropriant ses souffrances. L’amour enseigne tout, car la Passion avec ses
amères douleurs est l’œuvre d’un amour infini.
Quel est le moyen de vous
identifier par l’amour avec les souffrances du bon Sauveur ? Dieu vous le fera
comprendre quand il lui plaira : c’est là un travail tout divin. L’âme
entièrement plongée dans le pur amour, sans images, dans une foi très pure et
très simple, se trouve en un moment, quand il plaît à Dieu, toute plongée dans
l’abîme des douleurs de Jésus-Christ, et les embrasse toutes d’un regard de foi
sans comprendre ; car la Passion du Sauveur est une œuvre d’amour ; et l’âme
ainsi perdue en Dieu qui est tout charité, tout amour, il se fait en elle un
mélange d’amour et de douleur ; l’esprit en demeure tout pénétré ; il est tout
plongé dans un amour douloureux et dans une douleur amoureuse. C’est là l’œuvre
de Dieu… Je m’explique en balbutiant, mais je n’ai rien dit, rien, rien, rien :
ne rien avoir, ne rien pouvoir, ne rien savoir, et Dieu fera sortir de ce néant
l’œuvre de sa plus grande gloire.
Notre doux Jésus a poussé de plus
profondes racines dans votre cœur, si bien que vous direz désormais : Souffrir
et non mourir !... Ou bien : Ou souffrir ou mourir !... Ou mieux encore : Ni
souffrir ni mourir, mais une transformation totale dans le bon plaisir de Dieu…
L’amour a une vertu unitive et fait siennes les souffrances du Bien-Aimé. Si
vous vous sentez tout pénétré au dedans et au dehors des souffrances de l’Époux
divin, réjouissez-vous ; mais je puis dire que cette joie ne se trouve que dans
la fournaise de l’amour divin, car le feu qui pénètre jusqu’à la moelle des os,
transforme l’âme aimante en celui qu’elle aime ; et comme l’amour s’y mêle d’une
façon sublime à la douleur, et la douleur à l’amour, il en résulte un mélange
amoureux et douloureux, mais si parfait qu’on ne distingue plus l’amour de la
douleur, ni la douleur de l’amour, d’autant plus que l’âme aimante jouit dans sa
douleur et trouve du bonheur dans son amour douloureux. Persistez dans la
connaissance de votre néant, et soyez fidèle à pratiquer les vertus, surtout à
imiter le doux Sauveur dans sa patience, car c’est là le point capital du pur
amour. Vous ne devez jamais négliger de vous offrir vous-même en holocauste à la
Bonté infinie de Dieu ; ce sacrifice doit se faire dans le feu de la divine
charité ; allumez-le avec un bouquet de myrrhe, je vieux dire, au moyen des
souffrances du sauveur. Tout cela veut être fait à portes closes, c’est-à-dire
dans l’éloignement de tout ce qui est sensible, dans la foi pure et simple.
Dans les sécheresses éveillez
doucement votre esprit par des actes d’amour ; puis reposez-vous en Dieu sans
aucun sentiment ni jouissance ; c’est alors que l’âme témoigne le mieux sa
fidélité. Faites-vous un bouquet des souffrances de Jésus, et tenez-le sur le
sein de votre âme, comme je vous ai dit. Vous pourrez, de temps en temps, en
faire mémoire avec amour et douleur, et dire doucement au Sauveur : O bon Jésus,
comment vois-je votre face gonflée, livide, couverte de crachats ! O mon amour,
comment se fait-il que vous soyez tout plaies ! O ma Douceur, pourquoi vois-je
vos os décharnés ? Ah ! quelles souffrances ! Ah ! quelles douleurs ! O mon doux
Amour ! pourquoi n’êtes-vous plus qu’une plaie ? Ah ! souffrances chéries ! Ah !
Plaies chéries ! je veux vous garder toujours dans mon cœur.
Portez, si vous voulez, un collier
de perles, quand vous sortez ; mais quand vous le mettez, souvenez-vous que
Jésus a eu la corde et la chaîne au cou ; portez cet ornement uniquement pour
plaire à Dieu et soyez confuse de vous-même, en disant : Jésus a été chargé de
cordes et de chaînes dans le temps de sa Passion, et moi je porte des perles.
Les jours de la Passion sont des
jours où les pierres elles-mêmes pleurent. Eh quoi ! le souverain Prêtre est
mort, et l’on ne pleurerait point ? Il faudrait avoir perdu la foi, ô mon Dieu !
Quand on pense au jour du vendredi,
il y a des choses capables de faire mourir celui qui aime véritablement.
N’est-ce pas, en effet, nommer le jour où mon Dieu incarné a souffert pour moi,
jusqu’à immoler sa sainte vie sur le gibet infâme de la croix ?
Portons toujours le deuil en
mémoire de la Passion et de la mort de Jésus-Christ. Nous ne devons jamais
oublier d’en conserver un continuel et douloureux souvenir. Que chacun de nous
s’applique à insinuer à tous ceux qu’il pourra, la pieuse méditation des
souffrances de notre très doux Jésus.
Ma très chère fille en Jésus
crucifié, je vous invite au Calvaire pour assister aux funérailles de notre
Amour-Jésus. Ah ! puissions-nous une bonne fois y rester blessés par la divine
charité, jusqu’à mourir d’amour et de douleur pour la Passion et la mort de
notre vrai Bien ! Je célèbrerai les divins mystères durant ces saints jours, et,
à chaque fois, je mettrai le cœur de cette fille que Dieu m’a donnée, dans les
Cœurs très purs et agonisants de Jésus et de Marie. Faites-le aussi pour le
pauvre père que vous a donné la divine Providence. Adieu, ma fille ; que Jésus
vous bénisse et vous embrase du saint amour.



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