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FLEURS DE LA PASSION PENSEES DE SAINT PAUL DE LA CROIXLA PASSION ET L’ORAISONIJe croirais, comme dit saint Bonaventure, manquer à mon devoir, si je passais un seul jour sans penser à la Passion de mon Sauveur.
Votre plus importante affaire est le soin de votre âme. C’est pourquoi, avant de sortir de votre chambre, faites au moins un quart d’heure d’oraison sur la vie, la Passion et la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. Oh ! quelle joie pour le ciel et quelle satisfaction pour les Anges gardiens de vous voir faire oraison ! N’omettez donc jamais ce saint exercice.
J’aime que l’objet de votre oraison soit la Passion de Jésus-Christ, et que votre cœur s’abîme en Dieu dans ces entretiens pleins d’amour ; mais comprenez-moi bien : je veux que vous laissiez votre âme en liberté, que vous la laissiez, dis-je, seconder les attraits de l’Esprit-Saint. Je vous répète donc qu’il faut faire oraison, non à notre guise, mais selon que Dieu veut. Oui, quand l’âme trouve du goût à être seule avec Dieu seul, avec une attention pure, sainte, amoureuse en Dieu, dans une foi simple et vive, se reposant dans le sein délicieux du Bien-Aimé avec un silence sacré d’amour, silence où l’âme parle à Dieu bien mieux que par des paroles ; dans ce cas-là, il faut la laisser tranquille et ne pas la troubler par d’autres exercices. Dieu alors la porte entre les bras de son amour, et la fait entrer dans son cellier pour lui donner à boire ce vin délicieux qui fait germer les vierges. Oh ! quel magnifique entretien il y a là !
Parfois, dans l’oraison, Dieu communique à l’âme, d’un seul trait, ses trésors de lumières et de grâces célestes. Figurez-vous que vous ayez entre les mains un plat d’or très pur, que vous y jetiez ou versiez la quintessence des parfums les plus rares, les plus doux, les plus exquis ; qu’ensuite vous plongiez et humectiez dans ce plat un mouchoir très fin de Hollande, pour en aspirer l’odeur : ce mouchoir vous donnera un parfum inexplicable, composé de tous les parfums : voilà ce que mon âme éprouve quand je reçois ces communications intimes et cachées.
Oh ! que je voudrais que tout le monde s’appliquât à l’oraison et à la prière !... Quel malheur qu’il y ait si peu d’âmes qui connaissent le trésor caché dans l’oraison et l’union à Dieu !... Hélas ! on entre aisément dans la voie de la perdition, quand on néglige l’oraison.
Si Dieu vous fait le don d’oraison, soyez-y fidèle ; veillez cependant à ce que vous ne vous endormiez pas dans la pratique des vertus et l’imitation de Jésus-Christ. Commencez toujours votre oraison par un des mystères de la Passion, et entretenez-vous en de pieux soliloques, sans faire d’effort pour méditer. Si Dieu vient ensuite à vous attirer au silence d’amour et de foi dans son sein divin, ne troublez pas la paix et le repos de votre âme par des réflexions explicites. Je vous recommande surtout de bien vous établir dans l’humilité et la haine de vous-même… On n’en a jamais assez.
Soyez très fidèle à correspondre aux éminents bienfaits que vous avez reçus du Seigneur ; ils sont une préparation à de plus grandes grâces et à des lumières plus hautes et sublimes, qui feront que votre âme aura plus d’amour pour Dieu, acquerra une plus solide vertu et la pratiquera d’une manière plus héroïque. En effet, quand l’âme est plus éclairée par la foi dans l’oraison, elle demeure plus intimement unie à Dieu, et par le moyen de cette union avec le Bien suprême, elle est enrichie de tous les biens, et elle fait de grandes choses avec humilité et anéantissement d’elle-même. Par là, elle se dispose à être tout absorbée en Dieu dans la contemplation, car l’Amant divin l’attire à lui et la divinise, pour ainsi dire, par le moyen de cette union. C’est pourquoi je désire que vous vous exerciez beaucoup dans la connaissance de votre néant pour abîmer ensuite ce néant dans l’immensité de Dieu qui est tout. O perte heureuse ! et que l’âme se retrouve bien en se perdant ainsi en Dieu ! Ah ! pensez combien notre Dieu, qui est le Dieu de la vérité, est ami de la vérité ! Or, celui qui connaît son néant et qui s’y tient, connaît la vérité, et, par le moyen de la contemplation qui nous fait connaître cette grande vérité que nous sommes néant et que Dieu est tout, notre âme se plonge dans l’amour infini du Bien suprême… Suivez les règles que je vous ai tracées pour vous diriger dans l’oraison, selon les lumières que Dieu m’a données. L’état d’oraison dans lequel Dieu vous a mis demande peu de paroles. L’amour parle peu ; la langue du saint amour, c’est le cœur qui brûle, s’enflamme, se consume, s’écoule tout en Dieu ; aucune pensée ne peut exprimer ses ardeurs ; elles font de l’âme aimante un sacrifice perpétuel d’amour, une victime d’holocauste, consumée et réduite en cendres dans le feu divin de la charité ; bref, un seul regard d’amour, en esprit de foi, lui révèle de grandes vérités… Tout mon esprit se perd dans cet immense océan des grandeurs infinies de Dieu. Soyons magnanimes, servons noblement le Seigneur, pratiquons de grandes vertus ; Dieu sera notre force et nous donnera la victoire. Je vous recommande de ne pas perdre de vue la vie, la Passion et la mort de Jésus-Christ, notre vie.
Remarquez que vous ne devez plus méditer maintenant comme au commencement, mais d’après les règles que je vous ai données. L’amour est une vertu unitive qui s’approprie les peines du Bien-Aimé. Méditez dans la foi pure et non plus au moyen des images ; ce n’en est plus le temps. Faites-vous un bouquet des souffrances de Jésus, et portez- le sur votre sein, ou bien tenez-vous tout en Dieu dans la foi pure, et rappelez-lui par quelques paroles d’amour ce qu’il a fait et souffert pour nous ; laissez-vous pénétrer de ces souffrances, de cet amour… Demeurez dans ce silence sacré, dans cette sainte admiration qui augmentent l’amour de Dieu…
Je ne vous dis pas de faire oraison à ma manière, mais à la manière de Dieu. Laissez votre âme dans une sainte liberté de recevoir les impressions divines, selon qu’il plaît à Dieu. Il faut faire oraison à la manière du Saint-Esprit, comme le veut cette Bonté infinie….
Si Dieu veut nous dépouiller, laissons-le faire. Ne négligeons pas l’exercice des vertus, ne négligeons pas la sainte présence de Dieu, ne négligeons pas le souvenir de la Passion de notre bon Jésus ; mais il faut la méditer à sa manière, et non à la nôtre. Il existe des règles, mais Dieu est le maître. Abandonnons-nous à lui, confions-nous en lui, dépouillons-nous de tout, et Dieu nous revêtira à sa façon.
Laissez à votre âme la liberté de prendre l’essor vers le souverain Bien selon que Dieu la conduit. Le papillon voltige autour de la flamme et finit par s’y jeter ; que votre âme tourne autour de la Lumière divine, qu’elle y entre même et s’y réduise en cendres.
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