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FLEURS DE LA PASSION PENSEES DE SAINT PAUL DE LA CROIXLA PASSION ET L’ORAISONIIJe vois que vous ne pouvez plus méditer comme auparavant, ni vous représenter les lieux ; votre esprit est en souffrance, lorsque vous cherchez à le contraindre : Deo gratias. Faites donc ainsi : Tenez-vous en présence de Dieu, avec une pure et simple attention d’amour à son immense bonté, et cela, dans un silence amoureux ; reposez ainsi votre esprit dans le sein paternel de votre Dieu, et quand le recueillement cesse, éveillez-le doucement par quelque élan d’amour. O aimable Bonté ! ô Charité infinie ! ô mon Dieu, je suis à vous ! ô Douceur suprême !... Faites ces aspirations ou d’autres, selon que Dieu vous inspirera ; mais remarquez que si, en faisant un de ces élans d’amour, votre âme se pacifie et se recueille en Dieu, il n’en faut pas faire un second, mais continuer ce silence amoureux, ce repos d’esprit en Dieu, qui comprend éminemment tous les actes raisonnés que nous pourrions faire. Quand, au contraire, vous n’éprouvez pas cette paix intérieure ou ce recueillement, et que l’âme ne peut pas non plus méditer, il faut la laisser ainsi ; vous devez cependant toujours vous tenir devant Dieu avec une attention amoureuse de la partie supérieure de l’esprit. Ainsi, quand vous serez dans ce cas, tenez-vous devant Dieu, détaché de toute consolation, comme une statue dans sa niche.
Les vrais adorateurs adorent le Père en esprit et en vérité (Joan. IV. 23.). Notez bien cela, parce que ces paroles de Jésus-Christ contiennent tout ce qu’il y a de plus parfait dans l’oraison ; sa perfection ne consiste pas dans des joies et des délectations sensibles, mais dans l’esprit et la vérité, c’est-à-dire dans une vraie, pure et très simple nudité et pauvreté d’esprit, avec détachement de toute consolation sensible, en sorte que l’esprit se repose purement et simplement dans l’Esprit infini de Dieu. Notre Seigneur ajoute : et en vérité, c’est-à-dire qu’il faut se tenir dans son néant pur et simple, sans rien dérober à Dieu. Voyez cet enfant : après avoir caressé sa mère et folâtré autour de son cou, il se repose et s’endort sur son sein, continuant à mouvoir ses petites lèvres pour sucer le lait. C’est ainsi que l’âme, après avoir épuisé les affections, doit se reposer dans le sein du Père céleste, et ne pas se réveiller de cette attention de foi et d’amour, sans la permission de Dieu.
Vous devez vous tenir tout abîmé en Dieu, laisser tomber votre pauvre esprit comme une goutte d’eau dans cet océan immense de charité, vous y reposer et recevoir les communications divines, sans perdre de vue votre néant. On apprend toutes choses dans cette divine solitude. On apprend plus de choses à cette divine école intérieure, en se taisant qu’en parlant. Sainte Marie-Madeleine tomba d’amour aux pieds de Jésus ; là, elle se taisait, elle écoutait, elle aimait, elle se liquéfiait dans l’amour. Portez partout avec vous cette oraison et ce recueillement intérieur. Sortez de vous-même et perdez-vous dans l’éternité. Je suis sur le bord de la mer ; je tiens une goutte d’eau suspendue au doigt ; je demande à cette eau : Pauvre goutte, où voudriez-vous être ? – Elle me répond : Dans la mer. – Et moi, que fais-je ? je secoue le doigt et je laisse tomber la pauvre petite goutte dans la mer. Or, je vous le demande, n’est-il pas vrai que cette goutte est dans la mer ? Certainement elle y est ; mais allez un peu la chercher, maintenant qu’elle est abîmée dans l’océan qui est son centre. Oh ! si elle avait une langue, que dirait-elle ? Tirez la conséquence, et appliquez-vous la parabole. Perdez de vue le ciel, la terre, la mer et ses rivages et toutes les choses créées, et permettez à cette âme que Dieu vous a donnée de se perdre en ce Dieu infiniment grand, infiniment bon, qui est son premier principe.
Voyez si cette grâce d’oraison que le Très-Haut vous fait, produit en vous une connaissance plus parfaite de votre affreux néant.
Ayez soin de vous tenir caché aux créatures et visible à Dieu seul, avec un vif désir de sa plus grande gloire, avec un profond mépris pour vous-même, avec la pratique de toutes les vertus, surtout de l’humilité, de la patience, de la douceur, de la tranquillité du cœur et d’une parfaite égalité d’humeur à l’égard du prochain.
L’oraison n’est jamais plus parfaite que lorsqu’elle se fait dans le fond et l’essence de l’âme ; on prie alors par l’esprit de Dieu. C’est là un langage fort sublime ; mais quand Dieu veut, il fait parler même les pierres. Laissez donc le souverain Bien se reposer dans votre esprit ; ce doit être là un repos réciproque : Dieu en vous, et vous en Dieu, ô doux, ô divin travail ! Dieu se nourrit, pour le dire ainsi à défaut d’autre terme, Dieu se nourrit de votre esprit, et votre esprit se nourrit de l’Esprit de Dieu : Jésus-Christ est ma nourriture, et je suis la sienne. Il n’y a pas d’illusion possible dans ce travail ; parce que c’est un travail de foi et d’amour.
Votre oraison doit être continuelle. Le lieu où l’on doit faire oraison, c’est l’Esprit de Dieu ; il faut psalmodier en Dieu, il faut faire toutes choses en Dieu.
Oraison, vingt-quatre heures par jour, c’est-à-dire faire toutes ses actions de cœur et l’esprit élevé en Dieu, en se tenant dans la solitude intérieure et se reposant saintement en Dieu dans la foi pure.
Quand le pauvre papillon tournera autour de la lumière divine, tout plein d’envie de s’y brûler et de s’y consumer, ne laissez pas de parler à Dieu avec beaucoup de respect, de reconnaissance et d’amour, des merveilles qu’il a opérées pour nous en s’incarnant, en souffrant et en mourant… Une ou deux paroles peuvent tenir l’âme suspendue, ravie, éprise d’amour, languissante, pâmée d’amour et de douleur.
Si vous ne pouvez donner beaucoup de temps à l’oraison, il n’importe : c’est toujours prier que de bien faire. Soyez attentif à vos devoirs et tenez-vous en même temps attentif à Dieu, en élançant souvent votre cœur dans l’océan immense du divin Amour.
Ayez soin que votre oraison devienne de plus en plus intérieure dans la foi pure ; anéantissez-vous vous-même et ne cherchez pas les consolations, mais le grand Dieu qui les donne.
Un mot suffit quelquefois pour faire oraison. « Notre Père, qui êtes aux cieux ! » Prononcez d’abord ces paroles, puis gardez le silence et laissez agir le cœur.
Si nous sommes des hommes d’oraison, Dieu se servira de nous, quoique pauvres et misérables, pour les plus beaux triomphes de sa gloire ; sans cela, nous ne ferons jamais rien de bon.
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