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FLEURS DE LA PASSION PENSEES DE SAINT PAUL DE LA CROIXLA PASSION ET L’HUMILITÉ.Quand Dieu vous accorde ses faveurs, gardez votre secret pour vous, selon l’avis du prophète : Secretum meum mihi, [Mon secret est à moi] (Is. XXIV. [16]), et saisissez toutes les occasions de vous humilier.
Ayons soin de nous tenir sur notre terrain et en deçà de nos limites, qui sont le néant et le péché. Dieu en sera plus porté à nous attirer sur le sien, et il nous absorbera dans l’immensité de son Être infini.
Dieu ne révèle ses sublimes secrets qu’à ceux qui sont humbles de cœur. Tenez-vous donc toujours dans l’anéantissement et le mépris universel de vous-même ; que votre plus grand désir soit d’être regardé comme un objet digne de mépris. Ainsi pénétré de votre néant et dépouillé de tout, jetez-vous en toute confiance dans l’abîme de tout bien, et laissez à la bonté infinie de Dieu le soin d’agir divinement dans votre âme, c’est-à-dire de la transpercer des rayons de sa lumière, de la transformer dans son amour, de la faire vivre de son esprit, de la faire vivre d’une vie d’amour, d’une vie divine, d’une vie sainte. Laissez le pauvre papillon voltiger autour de la lumière divine, par ses affections, ses sentiments d’humilité et surtout de foi et d’amour, puis s’élancer dans cette lumière divine qui est Dieu lui-même ; qu’il y soit plus que mort. De la sorte, il vivra, non plus de sa vie, mais dans la vie et de la vie du Bien suprême. Ce sont là des effets sublimes que la divine Majesté opère dans les âmes qui s’anéantissent et se font petites, qui rendent à Dieu toute la gloire de ses dons et les renvoient devant son trône par une humble et amoureuse offrande, comme un encens d’agréable odeur. Lisez avec attention tous ces sentiments, mais lisez-les avec un cœur humble, simple et ouvert, à l’exemple de la mère perle ou coquille qui, après avoir reçu la rosée du ciel, ferme ses écailles, et s’enfonce dans la mer et engendre la perle précieuse.
Humiliez-vous, résignez-vous, et abandonnez-vous à Dieu avec une grande confiance, en vous tenant toujours dans votre néant.
Faites les parts justes : gardez ce qui est à vous, c’est-à-dire un néant affreux, capable d’enfanter tous les maux possibles, et laissez à Dieu ce qui est à lui, c’est-à-dire tout le bien.
Il faut craindre cette terrible bête, l’amour-propre ; c’est un serpent à sept têtes qui s’insinue partout. Il n’y a rien qui m’épouvante plus et qui me mette plus en garde contre mon cœur ; je crains qu’il ne s’embourbe. Ah ! quand est-ce que nous imiterons parfaitement le divin Rédempteur qui s’est anéanti lui-même ? Quand serons-nous assez humbles pour nous faire une gloire d’être l’opprobre des hommes et l’abjection du peuple (Ps. XXI. 7.) ?... Quand serons-nous si simples et si petits que nous regarderons comme une bonne fortune de devenir les derniers de tous et d’être rejetés dans le néant ? Quand notre plus grande peine sera-t-elle d’être estimés et honorés ? Ah ! quand ? Ayez la charité de prier Dieu pour moi, afin qu’il m’en fasse la grâce.
Quand on s’abaisse jusqu’au fond de l’enfer, sous les pieds des démons, Dieu élève jusqu’au Paradis. De même que le démon voulut s’élever au plus haut du ciel, et que par son orgueil il fut précipité au plus profond de l’abîme ; de même l’âme qui s’humilie jusqu’à cet abîme fait trembler Satan, le confond ; et Dieu l’exalte jusqu’au Paradis.
Soyez bien attentif sur vous-même, tenez-vous dans votre néant d’une manière passive ; sachez qu’un petit grain d’orgueil suffit pour jeter à terre une grande montagne de sainteté. Soyez donc humble, et entrez bien dans la connaissance de vous-même.
L’humilité et le mépris de soi font éviter les illusions.
Quand on voit que l’oraison produit des effets et des désirs conformes à l’état et à la vocation, il n’y a point d’illusion à craindre, pourvu qu’il en résulte une plus parfaite connaissance de son néant, de son indigence, de son impuissance, de son ignorance. Oh ! plus on creuse, plus on trouve l’effroyable Néant qu’on fait ensuite disparaître dans le Tout infini ! un N et un T, ces deux lettres contiennent une perfection sublime.
La grâce du Saint-Esprit soit toujours avec vous. Amen. 1° Je me réjouis des souffrances intérieures et extérieures que vous avez à supporter ; je me réjouis de ce que vous les aimez. Vous commencez à être un disciple de Jésus-Christ. Il est vrai que ce sont là de légères souffrances ; aussi devez-vous vous humilier beaucoup, en pensant qu’elles ne sont rien en comparaison de celles des serviteurs de Dieu, et beaucoup moindres encore si vous le pesez sur la balance de la croix du Sauveur. Tenez-vous donc bien anéanti. 2° L’oraison qui humilie l’âme, l’enflamme d’amour, l’excite à la vertu et à la patience, n’est pas sujette à l’illusion. 3° Fuir comme la peste les satisfactions qui enflent, qui donnent de la vanité et qui nous inspirent de l’estime de nous-mêmes ; elles viennent du démon. Remerciez donc le Seigneur qui vous fait la grâce de les chasser et de les reconnaître. Le bon moyen pour se garantir de ces illusions, c’est l’humilité de cœur, l’anéantissement et le mépris de soi, le recours au Sacré-Cœur de Jésus, qui est une forteresse inexpugnable où nous devons nous réfugier et chercher du secours, etc. 4° Ces lumières qui éclairent votre intelligence et enflamment votre volonté d’après ce que vous me dites, doivent vous être suspectes si elles vous causent de l’enflure. Il faut donc éloigner les imaginations en question, et vous mettre en présence de Dieu, avec une foi vive et une attention amoureuse, tâchant de concevoir une très haute idée de la Majesté divine et de vous anéantir de votre mieux devant elle. Si le démon fait du tapage, continuez de vous tenir anéanti, en pensant à vos péchés et à vos misères ; ne vous permettez pas d’aller plus loin, mais fixez-vous dans la connaissance de vous-même ; vous déjouerez ainsi les ruses du démon. Il faut être fidèle à cet avis. Saint François Borgia, avant de s’élever à ses hautes contemplations, employait deux heures à méditer sur son néant et ses misères, etc. Les consolations véritables et les lumières divines sont toujours accompagnées d’une profonde humilité, d’une telle connaissance de soi-même et de Dieu, qu’on s’abaisserait sous les pieds de tous. Elles donnent aussi, mais non pas toujours, une intelligence céleste, avec la paix, l’amour, la joie, la pratique de la vertu, l’amour de la grâce…
Tenons-nous dans notre néant et ne nous élevons pas, à moins que Dieu lui-même ne nous élève. Oh ! quand Dieu veut élever une âme, quelle douce violence ! je dis douce, mais si forte que l’âme n’y peut résister. Ainsi restons d’abord en la présence de Dieu dans la foi pure, et fixons-nous dans la connaissance et la méditation de notre néant, de nos péchés, de nos misères ; ensuite laissons à l’âme la liberté de suivre les attraits amoureux de l’Esprit-Saint. J’ajoute que, bien qu’il vous semble vous réjouir dans les peines et les mépris, il ne faut pas faire cas de cette disposition, parce que le démon pourrait s’en mêler pour donner de la vanité. Mieux vaut ne pas estimer son jugement et ses impressions, mais craindre et se défier, sans avoir d’autre vue que de faire la volonté de Dieu. Le monde est tout rempli de pièges ; il n’y a que les humbles qui puissent y échapper. Ne vous fiez pas à vous-même, bien que votre oraison vous semble produire de bons effets. Ne soyez point juge dans votre propre cause, mais défiez-vous de vous-même et adorez le Père des lumières en esprit et en vérité. Il est écrit : Heureux l’homme qui vit dans une défiance continuelle ! Bien faire, et savoir qu’on ne fait rien de bien, c’est la marque d’une grande humilité ; c’est un des premiers degrés de l’humilité. Celui-là est vraiment humble de cœur qui se connaît lui-même à fond et qui connaît Dieu. Que le Seigneur fasse cette grâce à tous les hommes. Amen.
Celui-là sera le plus grand, qui sera le plus petit. Celui qui s’anéantira le plus profondément, sera le plus élevé, le plus favorisé, il aura plus facilement l’entrée dans ce cellier au vin, cette salle royale, d’où l’on passe au sanctuaire secret dans lequel l’âme traite seule à seul avec le divin Époux…
Si quelque poussière d’imperfection s’attache à votre cœur, ne vous troublez pas, mais consumez-la aussitôt dans le feu de l’amour de Dieu ; en vous humiliant et en vous repentant doucement, mais avec un repentir humble, fort et de tout cœur, et continuez à demeurer en paix…
De l’humilité de cœur dérivent la sérénité de l’esprit, la douceur de la conduite, la paix intérieure et tous les biens. Figurez-vous un grand Seigneur qui, se trouvant à table avec ses amis, entend frapper à coups redoublés à sa porte. Il envoie un domestique pour voir qui frappe, et apprenant que c’est un pauvre, il se fâche de son impertinence et le fait congédier sans aumône. Peu après, survient un autre pauvre qui frappe, mais d’une manière humble et modeste. Le maître dit alors à ses serviteurs : Qu’on donne la charité à ce pauvre qui la demande si humblement. Vient un troisième, qui frappe si doucement qu’on l’entend à peine. Le maître lui fait donner une bonne somme d’argent. Enfin, vient un pauvre lépreux qui n’a pas la hardiesse de frapper et qui se jette à terre près de la porte, en attendant que le maître l’aperçoive. Celui-ci sort pour sa promenade, il voit et examine le pauvre lépreux : « Que faites-vous ici, lui dit-il, pourquoi ne demandez-vous pas la charité ? » — « Eh ! seigneur, lui répond le lépreux, vous êtes un seigneur si grand et si bon, et moi je suis un pauvre déguenillé, chargé de lèpre ; je n’ose même pas ouvrir la bouche. » — A ces mots, le gentilhomme fait venir son majordome et lui dit : « Je vous charge de faire soigner et vêtir ce pauvre et qu’on lui assigne une bonne rente pour le reste de ses jours. » C’est ainsi que le Seigneur agit envers nous. Plus nous nous humilions en sa divine présence, plus il nous enrichit de ses grâces. C’est ce qu’il faut faire, spécialement lorsque nous nous trouvons arides, désolés, délaissés, dans l’oraison. Alors, il convient beaucoup de s’humilier devant Dieu, de reconnaître nos démérites et de réclamer humblement le secours de sa grâce, tout en souffrant avec une humble résignation ce qu’il lui plaît de nous envoyer de fâcheux.
Voici le moyen le plus simple pour être favorisé sans cesse de dons nouveaux et de grâces précieuses et pour aimer de plus en plus le souverain Bien : il consiste à regarder d’un œil de foi l’abîme de notre néant, et dans l’effroi que cette vue nous inspire, à fuir dans l’intérieur du désert, dans l’abîme de la divinité, en laissant disparaître notre néant et en recevant d’une manière passive les inspirations divines. Abandonnez-vous à Dieu totalement ; laissez la divine Majesté opérer son œuvre dans le plus intime de votre âme ; là se fait une génération divine. A cette école de la divine Sagesse, celui-là est le plus savant, qui se fait le plus ignorant. Là, on entend sans entendre, pour ainsi dire, car je ne puis m’expliquer… O sainte ignorance, qui fait évanouir toute la sagesse et la grandeur du siècle, et nous fait apprendre à l’école de l’Esprit-Saint la science et la sagesse des saints !
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