FLEURS DE LA PASSION

PENSEES DE SAINT PAUL DE LA CROIX

LA PASSION
ET LES EPREUVES DE L’AME.

Souvenez-vous que la vraie sainteté a pour cortège les peines et les tribulations du dedans et du dehors, les attaques des ennemis visibles et invisibles, les peines de corps et d’esprit, les désolations et les aridités prolongées ; car tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffriront persécution (II Tim. III. 12.), c’est-à-dire toutes sortes de peines de la part des démons, des hommes et de notre chair rebelle.

Soyez magnanime, et souvenez-vous que nous devons marcher sur les traces du Rédempteur. Il ne faut pas servir Dieu pour ses consolations, mais parce qu’il mérite d’être servi. La divine Majesté a coutume de priver ses serviteurs pour un temps de toute consolation, afin qu’ils apprennent à le servir par pur amour, et à devenir des serviteurs vraiment fidèles. Elle les prive des consolations spirituelles, même dans les plus grandes solennités, pour éprouver leur foi et leur fidélité. Donc sursum corda, élevons nos cœurs pour servir avec générosité notre grand Dieu et notre sauveur Jésus-Christ dans la foi et l’amour purs. Amen.

 

Mes épreuves sont grandes ! Cependant, alors même que Dieu me mettrait à mort, j’espérerais en lui (Job. XIII. 15.). Que doit faire un pauvre naufragé qui se voit au milieu des ondes furieuses et sur le point d’être englouti ?... Il ne me reste d’autre ressource que de tourner mes regards vers le Seigneur…

Je me vois menacé de nouveaux combats… Les tempêtes se succèdent, les ténèbres augmentent, les craintes ne s’évanouissent pas, les démons me harcèlent, les hommes me flagellent à coups de langue : combats au-dedans, craintes au dehors, ténèbres, froideur, tiédeur, désolation ; que faire au milieu de tant de dangers ?... Ah ! la mort est plus désirable que la vie ! Oui, si telle est la volonté de Dieu, que la porte de l’éternité bienheureuse s’ouvre pour moi !… Je ne sais quel parti prendre ; cependant, j’ai toujours foi et confiance que Dieu achèvera son œuvre d’une manière admirable…

 

Tout le monde est contre nous ; je m’en réjouis : Dieu nous sera d’autant plus favorable… Si nous sommes fidèles, Dieu ne nous fera pas défaut.

 

Un jour que le froid était très rigoureux, je voulus faire du feu ; j’allai donc au bosquet ramasser quelques branches sèches, depuis longtemps exposées à l’air ; en un moment, j’eus un grand feu ; pourquoi cela ? Parce que le bois avait été longtemps au froid, à la gelée, à la bise, au soleil, et qu’ainsi il avait perdu toute son humidité. Il en est de même de nous : si nous désirons que nos cœurs s’enflamment du divin amour, il faut que nous nous laissions purifier, avec une humble et patiente résignation, par les tentations, les peines, les persécutions, les tribulations. Oh ! alors, étant bien purifiés, le saint amour nous embrasera de ses flammes.

 

Qu’elle est heureuse l’âme qui se détache de tout plaisir, de tout sentiment, de tout jugement propre ! C’est là une leçon sublime. Dieu vous la fera comprendre, si vous mettez toute votre satisfaction dans la croix de Jésus-Christ, c’est-à-dire à mourir sur la croix du Sauveur à tout ce qui n’est pas Dieu. Pour les aversions qu’on vous témoigne, les moqueries, les dérisions, etc., il faut les recevoir avec une extrême reconnaissance envers Dieu. C’est du bois pour le bûcher où la charité doit consumer sa victime.

 

Voulez-vous un admirable remède aux troubles et aux inquiétudes de l’âme, invoquez le saint nom de Jésus, nom de salut et de grâces…Je me trouvais un jour au voisinage de la mer, occupé à une mission. Les pêcheurs de l’endroit m’engagèrent à assister à leur pêche. J’y allai, et je remarquai que la mer étant agitée, ils y jetaient de temps en temps quelques gouttes d’huile. Là où tombait cette huile, les flots se calmaient, et les pêcheurs avaient l’aisance de découvrir les poissons et de pêcher…

Quand notre esprit se trouve agité, comme la mer au milieu de la tempête, pour lui rendre la tranquillité et la paix, il faut laisser tomber sur lui de temps en temps quelques gouttes d’huile, je veux dire qu’il faut invoquer souvent le saint nom de Jésus, dont il est dit, dans le Cantique des cantiques : votre nom est comme une huile épanchée (Cant. Cant. I. 2.).

 

Votre âme a besoin d’un petit hiver. L’hiver purge l’air et la terre des mauvaises vapeurs, il purge même le corps de l’homme. S’il secoue la feuille des arbres, c’est afin qu’ils enfoncent leurs racines. Vient ensuite le printemps, et tout reverdit, tout fleurit. Chaque degré d’oraison présuppose une purgation. Soyez fidèle à tous vos exercices de piété et de vertu ; soyez toujours bien résigné et tenez-vous dans le sein de Dieu sans aucun contentement sensible ; contentez-vous de goûter sans goût, dans la partie supérieure, le plaisir de faire la volonté de Dieu. C’est ainsi qu’après l’hiver, viendra le printemps avec ses fleurs, et que vous entendrez la voix de la tourterelle dans cette contrée (Cant. II. 12.).

 

Dans toutes vos épreuves, armez-vous toujours de foi, de confiance en Dieu et d’une profonde humilité de cœur. Réitérez vos commandements au démon, lui ordonnant au nom de Jésus-Christ de s’éloigner de vous et de s’en aller au lieu que Dieu lui a destiné à cause de son orgueil ; ne craignez rien.

 

Les tentations sont d’excellents signes ; et la peine que vous en ressentez est comme un feu qui servira à vous purifier et à vous préparer de plus en plus à l’union avec Dieu.

 

Je ne connais pas de meilleure place pour s’endormir, quand on est bien rassasié de croix, que la poitrine adorable du Sauveur ; elle est la fournaise du saint amour.

 

Lorsque vous sentez la passion ou la colère se soulever, c’est alors le moment de vous taire. Jésus se taisait au milieu de ses peines. O silence sacré, que vous êtes riche de vertus ! ô saint silence, vous êtes la clef d’or qui garde le grand trésor des vertus !

 

Dieu a créé les poissons muets, parce qu’ils doivent vivre au milieu des eaux ; il nous enseigne par là que celui qui navigue parmi les tempêtes de ce monde, doit être muet, sans langue pour se plaindre ou se justifier.

 

Le bon Dieu, en permettant que vous ayez cette peine, prétend vous faire mourir mystiquement à tout ce qui n’est pas lui ; il veut que vous vous considériez comme mort ; que vous n’ayez ni langue, ni yeux, ni oreilles…

Comme on foule aux pieds les morts qui sont en terre, laissez-vous fouler aux pieds par tout le monde ; faites-vous l’opprobre et le rebut du peuple, comme si vous étiez mort et enseveli. J’apprends avec joie que votre confesseur vous traite avec rigueur ; qu’il est dur et sévère. Oh ! quel excellent ami pour vous !... C’est maintenant que Dieu va mettre la dernière main à la statue pour l’embellir et la rendre digne du ciel ; voilà pourquoi il permet que celui qui devrait vous encourager, emploie le ciseau le plus fin et le plus aigu pour achever de polir la statue. Oh ! quel noble travail ! Priez Dieu de ne pas vous priver de cet instrument, jusqu’à ce que l’œuvre qu’il veut faire en vous soit terminée… Ne vous troublez pas des inquiétudes et des craintes que vous cause votre confesseur… Écoutez-le dans un profond anéantissement de vous-même, avec simplicité et silence, humiliant votre esprit au-dessous même de l’enfer, s’il était possible, mais d’une manière tranquille, douce et paisible. Quand votre confesseur vous aura congédié, retirez-vous en paix, et aussitôt faites monter vers Dieu de tendres gémissements comme un enfant : «  O Père ! ô mon bon Père ! » Exposez-lui de la sorte la peine, l’angoisse et les inquiétudes que vous donne la parole de votre confesseur. Soudain vous éprouverez un très suave attrait qui fera voler votre esprit dans les profondeurs de cette solitude divine, où l’âme demeure toute absorbée en Dieu ; et vos angoisses, vos craintes, vos scrupules seront consumés dans le foyer infini du saint amour. Reposez-vous là ; et si l’Époux divin vous invite au sommeil, dormez en paix et ne vous éveillez pas sans sa permission.

Ce sommeil divin est un héritage que le Père céleste donne à ses enfants bien-aimés : c’est un sommeil de foi et d’amour où l’on apprend la science des saints, et pendant lequel on digère tout d’un coup les amertumes des adversités…

 

Vous vous plaignez à tort de ce que vous avez des croix, des souffrances. Croyez-m’en : vous ne savez pas ce que c’est de souffrir. Dieu vous préserve d’avoir une seule journée pareille à celles que passe une pauvre âme dont je dois taire le nom !... A mon avis, vous ne devez pas tant exalter vos petites peines, vos ténèbres, vos sécheresses. Quand on aime vraiment et sincèrement Dieu, on regarde comme peu de chose ce qu’on souffre pour le divin Amant.

 

Si vous croyez souffrir beaucoup, c’est une marque que vous aimez peu, très peu, le Seigneur.

 

La vraie marque qu’on aime, est de souffrir de grandes choses pour le Bien-Aimé, et d’estimer tout cela comme rien.

 

Je vous engage à découvrir le moins possible votre trésor. Vous entendez de quel trésor je parle, c’est de vos précieuses souffrances… La perle se forme dans la coquille ; mais la coquille qui a reçu la rosée du ciel, se ferme et s’en va au fond de la mer, et c’est là qu’elle engendre la perle précieuse. Comprenez-moi bien. La perle de la vertu véritable s’engendre au fond de la mer des souffrances et de notre néant. De là, on passe dans l’océan immense de l’amour incréé, et on nage ou plutôt on est submergé dans ses eaux.

 

Mettez en pratique ces deux mots très précieux : souffrir, se taire. Voilà une voie et une règle toute courte pour devenir en peu de temps saint et parfait.

 

Les âmes qui tendent à une union sublime avec Dieu par la contemplation passent d’ordinaire par des purgations intérieures, les unes d’une manière, les autres d’une autre. Dieu a des voies incompréhensibles ; il se sert de limes très fines qui pénètrent le cœur, et en enlèvent la rouille ; ses limes sont toutes spirituelles ; il a des épreuves qui sont plus amères pour ainsi dire que l’enfer. Ces épreuves étant pures, pénétrantes et dépouillées de toute satisfaction intérieure et extérieure, elles préparent l’âme d’une manière admirable à l’union avec Dieu ; elles la plongent plus avant dans l’expérience de son néant, d’autant plus qu’elles lui font éprouver la peine du dam. Oh ! que de choses on pourrait dire sur ce sujet !

Quand Dieu permet qu’une âme soit dans cet état de purgation, c’est une preuve qu’elle est en progrès. Il faut observer cependant si elle n’a pas une secrète estime de son état : cela serait pernicieux. Voyez si son oraison la laisse dans une profonde connaissance de son propre néant, qui lui fasse exalter la divine miséricorde.

 

Dieu permet de telles épreuves en vous, directeurs des consciences, pour vous faire acquérir la science des saints et l’art de diriger les âmes. Vous serez limé d’une autre manière ; l’amour sera votre bourreau ; laissez-le faire, il s’y connaît. Quand on est martyrisé de cette façon, on a besoin d’une grâce et d’une force tout extraordinaire ; mais Dieu la donne ; sans quoi, il serait impossible d’y tenir.

 

Cette répugnance que vous éprouvez pour le bien, est un très bon signe. Dieu éprouve ainsi votre fidélité, afin qu’à chaque moment vous acquériez de nouveaux joyaux et de nouvelles perles pour embellir votre couronne.

 

Figurez-vous un sculpteur qui envoie couper dans une forêt un tronc dont il veut faire une belle statue. Les bûcherons apportent dans son atelier un bois rude et informe ; Le sculpteur commence à le dégrossir avec la hache, puis il prend la scie, ensuite le rabot et enfin le ciseau. Et que fait le bois ? Comment se comporte-il ? Il ne résiste pas, mais il se laisse travailler jusqu’à ce qu’il devienne une belle statue.

C’est ainsi qu’en agit l’artiste suprême. Afin de dégager l’âme de ses imperfections et de la dégrossir, pour ainsi parler, il permet que les démons la tourmentent par les tentations ; ensuite il l’exerce et la polit par les sécheresses et les désolations. Si l’âme souffre ce travail avec patience et longanimité, elle se perfectionne, et devient une très belle statue, digne d’être placée dans la galerie du ciel.

   

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