Gertrude d’Helfta
(1256-1302)

Troisième partie

5-Le Cœur de Jésus

5-1-Deux révélations du Cœur de Jésus

5-1-1-La lampe

En la nuit de la fête des onze mille vierges, comme cette parole: “Voici l'Époux qui vient”, se répétait souvent dans l'office, celle-ci en fut tout enflammée et dit au Seigneur:

Ô Seigneur tout désirable, j'ai entendu plusieurs fois ces paroles: “Voici l'Époux qui vient”. Dites-moi donc comment vous viendrez et ce que vous nous apporterez. 

Le Seigneur répondit:

— J'opérerai avec toi et en toi.

— Mais où est ta lampe Seigneur? dit-elle,

— Voici mon Cœur qui vous tiendra lieu de lampe. Je la remplirai de l'huile de mon divin Cœur, répondit le Seigneur.

— Et quelle sera, reprit-elle, la mèche de cette lampe? 

— La mèche sera l'intention fervente qui brûlera doucement et dirigera vers moi toutes tes œuvres. (Livre 4 Ch. 54)

5-1-2-L’encensoir d’argent

On lisait, dans le récit de la Passion, que Joseph enleva le corps de Jésus. Gertrude dit alors au Seigneur:

— Votre très saint corps, ô Seigneur, a été donné à ce bienheureux Joseph; et à moi, bien que j'en sois très indigne, qu'en sera-t-il donné?

Aussitôt le Seigneur lui présenta son très doux Cœur sous la forme d'un encensoir d'argent, duquel montaient vers Dieu le Père autant de nuages d'encens parfumé, qu'il y a de peuples rachetés par la mort du Seigneur. (Livre 4 Ch. 26)

5-2-Le Cœur de Jésus et les œuvres humaines

5-2-1-Les grâces accordées par le Cœur de Jésus

Pendant le répons “Benedic”, le Seigneur l'introduisit dans un lieu d'une splendeur incomparable: c'était le Cœur même de Jésus-Christ disposé en forme de maison où elle devait célébrer la fête de la Dédicace. Lorsqu'elle y fut entrée, elle se sentit défaillir sous les délices qui lui étaient prodiguées, et elle dit:

— Mon Seigneur, si vous n'aviez introduit mon âme que dans un lieu foulé par vos pieds sacrés, cela m'eût été déjà bien doux; mais que pourrai-je vous rendre pour la faveur étonnante que vous m'accordez en ce moment? 

Le Seigneur répondit:

— Puisque tu cherches souvent à m'offrir la plus noble partie de ton être, c'est-à-dire ton cœur, je trouve juste que tu prennes tes délices dans le mien, car je suis pour toi le Dieu qui se fait tout en toutes choses: force, vie, science, nourriture, vêtement, et tout ce qu'une âme aimante peut désirer.  Elle dit alors:

— Ô mon Dieu, si jamais mon cœur a consenti totalement aux désirs du vôtre, c'était encore par un effet de votre grâce.

— Il m'est naturel, dit le Seigneur, de poursuivre de mes récompenses l'âme que j'ai prévenue des bénédictions de ma douceur, et si elle se livre à moi pour l'accomplissement du bon plaisir de mon divin Cœur, à mon tour je me conforme aux désirs du sien. (Livre 4 Ch. 58)

5-2-2-Le Cœur de Jésus valorise les œuvres de l’homme

Gertrude se plaignait d’être encore alitée, lorsque Jésus lui dit:

— De même qu'une personne épuisée de fatigue aspire l'air fréquemment, ainsi chacun des membres du Seigneur aspire sans cesse toutes les bonnes œuvres qui s'accomplissent dans l'Église, les purifie, les ennoblit et les offre à l'adorable Trinité en louange éternelle. Mais les œuvres que l'homme accomplit avec l'intention de procurer la gloire de Dieu sont aspirées par le Cœur sacré lui-même, d'une manière ineffable et merveilleuse, et y sont recouvertes de noblesse et de perfection. Sans doute les bonnes œuvres attirées par les très saints membres du Seigneur servent à procurer le salut de l'âme d'une façon admirable et qui surpasse toute intelligence humaine; mais ces œuvres que le Cœur sacré veut bien absorber en lui et rendre parfaites par cette union divine, sont plus nobles et par conséquent plus salutaires. L'homme ou l'animal vivant ne l'emportent-ils pas en valeur sur un être privé de vie?

5-3-Voir Dieu

Comme on chantait le Répons: “Royaume du monde”, à ces paroles: “que j'ai vu, que j'ai aimé”, elle se souvint d'une personne qui était souvent tourmentée du désir de voir Dieu, et elle dit au Seigneur:

— Quand donc, ô Dieu de bonté, daignerez-vous consoler cette âme afin qu'elle puisse chanter avec joie ce répons?

Le Seigneur répondit:

— Me voir, m'aimer et croire en moi est un si grand bien, que nul ne peut le désirer sans profit. Aussi parce qu'une âme qui le désire ne peut l'obtenir pleinement ici-bas à cause de la faible condition de sa nature, mon Humanité vient, au nom de l'âme humaine, qui est sa sœur, trouver ma Divinité et recevoir ce bonheur sur lequel elle a comme un droit héréditaire, afin qu'au jour où la créature sera affranchie de la chair elle puisse le recevoir elle-même et en jouir éternellement.

Une autre nuit, comme on chantait ce même répons: “Royaume du monde”, à ces paroles: “pour l'amour de mon Seigneur”, elle sentit et expérimenta que le Cœur divin était si doucement et si profondément ému par la dévotion de celles qui chantaient, que Jésus-Christ, Fils de Dieu, notre chair et notre frère, s'écria:

— Oui, je reconnais que je dois les récompenser, parce qu'elles me servent fidèlement dans la mesure de leurs forces. (Livre 4 Ch. 54)

Toutefois l'éclat et la grandeur de la bonté par laquelle je les avais enrichis, sans mérite de leur part, apparaîtra toujours en eux, (ceux qui prient) pour ma louange et ma gloire. 

Elle dit:

— Seigneur, ceux à qui vous n'avez rien révélé sur ce sujet ou sur d'autres peuvent-ils se conduire avec sagesse?

Le Seigneur répondit:

— Ils sont tenus à pratiquer ce qu'ils comprennent, ne fût-ce qu'en imitant les autres, car je leur donne toujours assez de lumière pour se conduire. Celui qui reçoit une plus grande science est plus obligé à la reconnaissance et à la bonne vie. Mais si par lâcheté et sciemment on néglige de faire fructifier par une dévote gratitude et par un saint zèle les grâces communes à tous ou les dons particuliers, on s'expose à encourir la damnation éternelle. (Livre 4 Ch. 54)

6-Le Saint-Esprit

6-1-Une prière de Gertrude

Pendant une préparation à la fête de la Pentecôte, Gertrude demanda quelques vertus:

La fête solennelle de la Pentecôte étant proche, elle eut l'idée, le dimanche précédent, avant de communier, de prier le Seigneur afin d'être convenablement préparée à la réception du Saint-Esprit, par les vertus de pureté de cœur, d'humilité, de paix et de concorde. En demandant la pureté, elle connut que son cœur était devenu blanc comme la neige. Quand elle demanda la vertu d'humilité, elle vit le Seigneur creuser dans son âme une sorte de cavité destinée à recevoir ses dons. Enfin, lorsqu'elle pria pour obtenir la paix, le Seigneur parut entourer son cœur d'un cercle d'or afin de le défendre contre toute attaque des ennemis.

Elle lui dit alors:

— Hélas ! mon Seigneur, j'ai peur de renverser bientôt ce rempart de paix, parce que je ne puis me retenir lorsque je vois qu'on vous offense, et je m'y oppose avec force.

Le Seigneur répondit:

— Cette commotion ne renverse pas le rempart qui te protège, mais elle le garnit plutôt de meurtrières par lesquelles l'inextinguible ardeur du Saint-Esprit s'ouvre passage pour souffler sur ton âme ses brises rafraîchissantes.

Tandis qu'elle demandait la concorde de la charité, le Seigneur la fortifia, en recouvrant son âme d'une sorte de voile, destiné à conserver en elle les dons du Saint-Esprit. Elle craignit ensuite de perdre bientôt cet abri, en s'élevant avec fierté contre les oppositions soulevées par quelques personnes contre la Religion.

Le Seigneur répondit:

— On ne perd pas la concorde en s'opposant à l'injustice. Bien plus, je me pose moi-même sur les fissures de ce cœur que le zèle fait éclater, et ainsi j'affermis et je conserve en lui l'habitation et les opérations de mon divin Esprit. Elle comprit ainsi que tous ceux qui demanderaient au Seigneur de les préparer à la venue du Saint-Esprit par les vertus dont nous avons parlé, et s'efforceraient de les pratiquer, obtiendraient les mêmes grâces. (Livre 4 Ch. 37)

6-2-Les dons du Saint-Esprit

6-2-1-La préparation de Gertrude

Plus tard, en la vigile sainte, comme elle demandait avec ferveur, pendant l'office, d'être préparée à l'avènement du Saint-Esprit, elle entendit le Seigneur lui dire avec une tendresse infinie:

— Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit survenant en vous. Ces paroles lui firent éprouver une grande douceur et elle se prit à considérer humblement sa profonde misère. Elle vit alors que ce sentiment de son indignité creusait en elle comme une sorte d'abîme, qui devenait toujours plus profond à mesure qu'elle s'estimait plus vile. Et du très doux Cœur du Fils de Dieu s'écoulait une source très pure, semblable à un rayon de miel, qui se répandait goutte à goutte en cet abîme de son cœur, pour le remplir jusqu'au bord. Elle comprit que cette source figurait la douceur de l'Esprit-Saint qui, par le Cœur du Fils de Dieu, se répand dans l'âme des élus. Alors le Seigneur, de sa main divine, bénit ce cœur ainsi rempli, comme on bénit les fonts baptismaux, afin que l'âme puisse s'y plonger souvent et sortir chaque fois de ce bain salutaire plus pure et plus agréable à ses yeux. (Livre 4 Ch. 38)

6-2-2-Les sept dons du Saint-Esprit

Comme elle s'efforçait d'obtenir du Seigneur par des prières spéciales les sept dons de l'Esprit-Saint, demandant tout d'abord celui de crainte qui éloigne du mal, le Seigneur parut planter dans son âme un arbre de forme gracieuse, dont les rameaux étendus semblaient recouvrir toute la demeure de son cœur. Cet arbre portait des épines recourbées d'où sortaient de belles fleurs qui s'élevaient vers le ciel. Il figurait la sainte crainte du Seigneur, laquelle transperce l'âme comme avec des aiguillons pour l'éloigner du mal. Les fleurs symbolisaient la bonne volonté qui fait désirer à l'homme d'être armé contre tout péché par la crainte de Dieu. C'est donc par la recherche du bien et la fuite du mal que l'arbre de la crainte de Dieu produit ses fruits.

De même, lorsqu'elle demanda au Seigneur les autres dons, chacun lui apparut comme un bel arbre couvert de fleurs et produisant les fruits qui lui sont propres.

            — Les arbres de la science et de la piété semblaient distiller une très douce rosée, car ceux qui pratiquent les vertus de science et de piété sont comme baignés dans une rosée céleste qui les fait germer et fleurir.

            — Aux arbres de conseil et de force étaient suspendues de petites cordes d'or, pour montrer que l'âme est attirée vers le désir des choses spirituelles par le conseil et la force du Saint-Esprit.

            — Enfin, des arbres de la sagesse et de l'intelligence jaillissaient de petits ruisseaux de nectar pour indiquer que l'âme est arrosée et toute pénétrée de la saveur divine, par l'esprit de sagesse et d'intelligence. (Livre 4 Ch. 38)

Dès lors, l’apte est apte à toujours accorder sa propre volonté à  la sainte volonté de Dieu

7-La dévotion  envers la sainte Vierge

7-1-Jésus, Fils premier-né de Marie

Dans une prière on dit: “primogenitus Mariæ Filius[1]. Gertrude trouvait que le Seigneur serait appelé plus exactement unigenitus, fils unique, que primogenitus, premier-né, puisque la Vierge immaculée n'eut pas d'autre enfant que ce Fils unique qu'elle mérita de concevoir par l'œuvre du Saint-Esprit. La bienheureuse Vierge lui dit:

— Mon très doux Jésus n'est pas unigenitus, fils unique, mais bien primogenitus, parce que je l'ai conçu d'abord dans mon sein; mais après lui, ou plutôt par lui, je vous ai tous conçus en vous adoptant dans les entrailles de mon amour maternel, afin que vous fussiez ses frères en même temps que mes enfants. (Livre 4 Ch. 3)

7-2-Marie protège et défend tous les hommes

Un jour de la fête de la Purification de Marie, pendant un office où Gertrude ne pouvait se rendre, elle vit Jésus placer sa Mère à ses côtés, sur le trône de sa gloire, et lui donner une puissance illimitée pour commander à son gré. Aussitôt la Vierge Marie ordonna aux Puissances célestes d'entourer promptement le monastère et de le défendre contre les mille embûches de l'antique ennemi. Les anges obéirent sur l'heure à la Reine des cieux. Alors Gertrude dit à la Bienheureuse Vierge:

— Ô Mère de miséricorde, est-ce que cette grâce puissante protège aussi celles qui ne se trouvent pas au chœur en ce moment?

La douce Mère répondit:

— Cette protection ne s'étend pas seulement à la communauté réunie au chœur, mais bien à tous ceux qui se trouvent représentés par elle, et désirent avec ardeur la conservation et l'augmentation de l'observance religieuse en ce lieu et partout.

Le Seigneur ajouta qu’il fallait que les âmes s’humilient et se fassent petites à leurs yeux et qu’elles s’élèvent vers lui avec une ferme confiance en sa bonté infinie. (Livre 4 Ch. 9)

Marie est notre avocate

Chaque fois qu'on invoque la Vierge Mère en la nommant avocate, sa tendresse maternelle est si fortement émue qu'elle ne peut rien refuser... Le Seigneur daigna ensuite enseigner à celle-ci [2]  qu'elle devait au moins chaque jour implorer sa bienheureuse Mère par cette parole: “Ô vous notre avocate, tournez vers nous vos yeux miséricordieux”. Elle  s'assurerait ainsi un puissant secours pour l'heure de sa mort. (Livre 4 Ch. 51)

7-3-Les vertus de Marie

Pendant une messe Gertrude vit la glorieuse Mère du Seigneur ornée de l'éclat de toutes les vertus...

La bienheureuse Vierge lui mit sur la poitrine un joyau splendide orné de sept pointes portant chacune une pierre précieuse. Ces pierres désignaient les principales vertus par lesquelles la bienheureuse Vierge avait plu au Seigneur:

            — son attrayante pureté,

            — son humilité féconde,

            — son ardent désir,

            — sa science lumineuse,

            — son amour inextinguible,

            — la jouissance suréminente qu'elle trouvait en Dieu,

            — et sa paisible tranquillité.  (Livre 4 Ch. 12)

7-4-La joie de Marie

Pendant qu'on portait en procession l'image de la bienheureuse Vierge Marie, Gertrude voulait multiplier ses hommages et ses prières afin de les offrir à la Vierge Mère.

Instruite soudain par l'onction du Saint-Esprit, elle sut ce qu'elle devait offrir à la Vierge sans tache: le très noble et très doux Cœur de Jésus-Christ pour suppléer à toutes ses négligences. La bienheureuse Vierge l'accepta avec grande joie et reconnaissance car ce Cœur très noble qui contient en lui seul tous les biens, lui offrait l'ensemble de tout ce que la dévotion et la prière des fidèles pourront jamais faire pour honorer sa divine Maternité. (Livre 4 Ch. 2)

7-5-L’amour de Jésus pour Marie

Un jour, Gertrude vit la Vierge Mère apparaître dans la gloire des cieux; elle siégeait avec honneur auprès de son Fils qui attacha sur sa Mère un regard souriant, plein d'une si tendre affection, que cette Vierge bénie tressaillit jusqu'au fond de son être. (Livre 4 Ch. 3)

7-5-1-L’amour de Jésus pour Marie

Ensuite le Fils de Dieu, se tournant vers la Vierge sa Mère en l'honneur de laquelle on chantait une antienne, lui dit:

— Approchez aussi, ma très douce Mère, et recevez de moi un tendre baiser. 

Lorsque le Seigneur Jésus eut donné ce baiser avec une grande tendresse à sa bienheureuse Mère, chacun de ses membres parut aussitôt orné des fleurs mêmes dont le Seigneur avait daigné se montrer paré en vertu des prières qui lui avaient été offertes. Le Fils de Dieu procura cet honneur à sa Mère, parce que c'était d'elle qu'il avait pris cette nature humaine, dont les membres très saints paraissaient ornés des fleurs de nos dévotions et de nos pauvres prières.

Gertrude comprit que toutes les fois que l'on nommait en cette fête la personne du Fils, Dieu le Père comblait ce Fils bien-aimé de ses incomparables et infinies tendresses; elles glorifiaient merveilleusement l'humanité de Jésus-Christ, et les élus recevaient par cette glorification une connaissance nouvelle de l'incompréhensible Trinité. (Livre 4 Ch. 40)

7-5-2-Marie et l’Eucharistie

Pendant la Messe, comme à la séquence: “Salut admirable”, on chantait ces paroles: “Ora Virgo nos” l'illustre Vierge se tourna vers son Fils; les mains jointes, le regard plein de tendresse, elle parut le supplier pour ceux qui l'invoquaient. Le Seigneur daigna les bénir du signe salutaire de la croix pour les préparer à recevoir et à conserver dignement le sacrement vivifiant de son Corps et de son Sang. (Livre 4 Ch. 51)

7-6-Puissance des Ave Maria

Pendant le chant des Matines, Gertrude vit un jour trois ruisseaux impétueux jaillir comme de leur source du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et couler dans le cœur de la Vierge Mère pour remonter avec la même rapidité à leur source divine. Cette influence de la sainte Trinité donnait à la bienheureuse Vierge de devenir toute-puissante et toute remplie de sagesse et de bonté, après le Père, après le Fils et le Saint-Esprit. Gertrude apprit encore qu'à chaque Ave Maria récité dévotement par les fidèles, ces trois ruisseaux venaient cerner de toutes parts la bienheureuse Vierge, traverser son cœur très saint et remonter vers leur source première en produisant d'admirables effets. Car ce flux et ce reflux se transforment en sources de joie, de délices et de bonheur sans fin qui jaillissent sur les anges et les saints, tandis que les fidèles, en répétant cette salutation, sentent se renouveler en eux tout le bien qui leur est venu par le mystère de l'Incarnation. (Livre 4 Ch. 12)

7-7-Messages à l’occasion des fêtes

7-7-1-En la fête de la Nativité de Marie

En la Nativité de la bienheureuse Vierge, comme  celle-ci récitait autant d'Ave Maria que cette brillante Étoile de la mer avait mis de jours à croître dans le sein de sa mère, et qu'elle les lui offrait avec dévotion, elle lui demanda quelles faveurs obtiendraient de sa bonté ceux qui réciteraient autant de fois la Salutation angélique, dans le même sentiment d'amour.

La très douce Vierge répondit:

— Elles mériteront de partager avec moi dans les cieux, par une allégresse spéciale, toutes les joies que j'ai reçues et que je reçois encore sans cesse pour les vertus dont la bienheureuse et glorieuse Trinité se plut à embellir chaque jour mon âme.

Celle-ci dit alors à la Mère du Seigneur:

— Hélas! tendre Mère, il est triste que mon indignité ne mérite pas de psalmodier avec ces bienheureux chœurs! 

La douce Vierge répondit:

-Ta bonne volonté supplée à toute chose, et la bonne intention avec laquelle tu as assisté à Vêpres pour m'honorer, en te servant, selon ta coutume, du mélodieux instrument du très doux Cœur de mon Fils, surpasse de beaucoup tout hommage extérieur. Pour te le prouver, je veux présenter de ma main à la Trinité toujours adorable, comme une offrande très précieuse, ce rameau que ta bonne volonté a garni des fleurs les plus belles et des fruits les plus doux. (Livre 4 Ch. 51)

7-7-2-Lors de la Nativité de Jésus: la Sainte Trinité

Pendant l’office de la fête de la Nativité de Jésus, Gertrude élevait ses désirs vers Dieu pour que tous ses exercices spirituels soient une louange à l'adorable Trinité. Le Seigneur lui dit:

— De même que le son de ces cloches annonce la fête de ma naissance, ainsi je t'accorde que toutes tes œuvres en cette solennité... résonne à la louange de la sainte Trinité...

Et comme on allumait les sept cierges, le Seigneur orna son âme des sept dons du Saint-Esprit, dans la même mesure dont le Seigneur Jésus en fut lui-même orné. (Livre 4 Ch. 2)

7-7-3-En la fête de l’Assomption

La fête de la très douce Assomption de la Vierge sans tache approchait, et Gertrude, retenue de nouveau sur sa couche, ne pouvait, malgré son désir, réciter autant d'Ave Maria que la bienheureuse Vierge avait passé d'années sur la terre. Elle s'efforça néanmoins d'atteindre ce nombre en partageant en trois parties la Salutation angélique: Ave Maria - Gratia plena - Dominus tecum. (Livre 4 Ch. 48)

Ensuite, comme elle assistait avec une dévotion particulière à l'heure de None, où, d'après nos statuts, commence la fête de l'Assomption, elle connut par une lumière divine qu'à la veille de sa glorieuse Assomption, la bienheureuse Vierge, vers l'heure de None, fut tellement absorbée en Dieu que, dépouillée de tout ce qui était de l'homme mortel, elle préludait à la vie céleste, en ne vivant plus que par l'action de l'Esprit de Dieu. Elle demeura ainsi jusqu'à la troisième heure de la nuit où elle s'élança au-devant du Seigneur, toute parée de la perfection des vertus et sans le moindre regret de conscience. C'est ainsi qu'elle s'envola dans les bras du Seigneur et, devenue un même esprit avec lui, entra dans les puissances de la béatitude même de la Divinité.

Pendant le cantique: “Écoute-moi, fruit divin”, la bienheureuse Vierge Marie parut entrer dans le ciel en tressaillant d'allégresse, et le mouvement qui se produisit à la vue d'un triomphe si nouveau ne pourra jamais être exprimé par la langue humaine. La Vierge semblait entrer dans une prairie magnifique émaillée de mille fleurs diverses; aussi quand on chanta ce verset: “Vous êtes recouverte de grâce”, toutes les fleurs voulurent-elles célébrer l'arrivée d'une si grande Reine: de chacun de leurs pétales jaillit une douce clarté accompagnée de parfums embaumés et de résonances si suaves, que les harmonies de la terre semblaient s'être réunies dans ce concert. La bienheureuse Vierge tressaillait en son incomparable béatitude, louait Dieu et psalmodiait: “Je me livrerai à la joie dans le Seigneur”, Dieu le Père, rendu favorable par les perfections de cette Vierge si belle, bénit l'Église militante, et lui dit dans l'abondance de sa douceur: “on ne t’appellera plus la délaissée”. (Livre 4 Ch. 49)

Trois ans plus tard, Gertrude se trouvait de nouveau arrêtée par la maladie. En la vigile de l'Assomption de la glorieuse Vierge Marie, elle voulut dès le matin satisfaire sa dévotion et vit en esprit la Vierge bienheureuse comme dans un délicieux jardin planté de fleurs diverses et tout embaumé de suaves parfums.

Dans la joie très tranquille d'une céleste contemplation, la Vierge entrait en agonie: à la douce sérénité de son visage, aux charmes de son attitude, on reconnaissait vraiment celle qui est pleine de grâces. Dans ce jardin on voyait de belles roses sans épines, des lis éclatants de blancheur, des violettes parfumées et d'autres fleurs de toute espèce, mais sans un brin d'herbe.

Chose étonnante: ces fleurs avaient d'autant plus d'éclat, de parfum et de vigueur, qu'elles étaient plus loin de la bienheureuse Vierge. Cette noble Reine aspirait avec une céleste avidité toute la vertu de ces fleurs, pour en exhaler ensuite le parfum dans le divin Cœur que son très aimant Fils semblait ouvrir devant elle.

Cette vision procurait à celle-ci [3] de grandes délices; mais elle désira en connaître toute la signification. Le Seigneur lui apprit alors que:

            — le jardin figurait le corps de la Vierge sans tache, et les fleurs, toutes les vertus dont elle avait été ornée.

            — Les roses, les plus éloignées, mais aussi les plus belles, cultivées avec plus de respect par les esprits bienheureux, représentaient ses œuvres de charité envers Dieu et envers le prochain: plus on cherche à les pratiquer, plus on apporte à Dieu de fruits précieux.

            — Les lis, dont le parfum est si doux et la blancheur si éclatante, figuraient sa vie très sainte que les fidèles s'efforcent d'imiter

            — Enfin cette émanation que la bienheureuse Vierge semblait tirer du cœur de saint Jean, représentait la gloire attribuée à ce saint apôtre, pour tout le bien que la sainte Vierge avait eu le loisir d'accomplir plus librement sur la terre, parce qu'il pourvoyait à ses besoins.

Et comme celle-ci demandait quel profit saint Jean avait retiré de sa sollicitude pour la Vierge Mère, le Seigneur répondit:

— Mon Cœur s'est doucement rapproché de lui par autant de degrés d'amour, que sa sollicitude l'a porté à seconder de vertus en ma sainte Mère.

Gertrude vit enfin que la personne de la bienheureuse Vierge, placée dans ce jardin, représentait son âme si précieuse. Cette âme, rassasiée de délices par les fruits de ses propres vertus, recueillait ces fruits en elle-même par le courant merveilleux de son souffle qui avait pour ainsi dire parcouru le jardin de son corps, et les reportait tous en Dieu par la ferveur de sa reconnaissance.

C'est ainsi que durant tout le jour, la bienheureuse Vierge parut se reposer dans cette grande joie, jusqu'à l'heure des Matines où celle-ci [4], ravie de nouveau en esprit, contempla la Mère bénie par-dessus toute créature, goûtant un tranquille repos sur le sein de son Fils bien-aimé. Celui-ci prenait une joie ineffable à renfermer dans le cœur de sa Mère tous les fruits des vertus qu'elle avait, par reconnaissance, déposés en lui; en passant par le Cœur divin, ces fruits avaient acquis une valeur infinie, et semblables aux roses ou aux lis des vallées, ils entouraient leur Reine d'une beauté et d'une fraîcheur incomparables.  (Livre 4 Ch. 49)

8-La volonté

8-1-La volonté de Dieu

Une promesse du Seigneur en faveur de ceux qui font la volonté du Seigneur: Dieu ne veut que le bien des hommes.

Jésus dit:

— Comme j'ai juré à mon serviteur Noé de ne plus amener les eaux du déluge sur la terre pour la détruire, de même je te jure par ma Divinité, que pas un de ceux qui auront écouté tes paroles avec humilité et les auront pratiquées ne pourra jamais errer; mais s'avançant dans une voie droite et sûre, il arrivera jusqu'à moi qui suis la voie, la vérité et la vie. Je confirme ce serment par le sceau de ma très sainte Humanité (que je ne possédais pas en ce temps-là parce que je ne m'étais pas encore fait homme).  

Gertrude s’informe:

— Pourquoi avez-vous ajouté le serment à votre promesse de ne plus engloutir le monde dans les eaux du déluge?

Le Seigneur répondit:

— J'ai voulu donner aux hommes un exemple très utile qui leur apprît à profiter du temps de la paix pour régler sagement leur conduite et s'engager en quelque sorte au bien. C'est ainsi qu'au jour de l'adversité ils seront obligés, ne fût-ce que par question d'honneur, à maintenir leur volonté dans la voie droite.  (Livre 4 Ch. 14)

8-2-Bonne volonté des hommes

Très souvent le problème de la bonne volonté, réponse à la volonté de Dieu, est abordé dans Le Héraut de l’Amour divin. Ce thème est présent dans de nombreux dialogues entre Jésus et Gertrude. Nous n’indiquerons ici que quelques piste de réflexions:

Pendant la messe, Gertrude dit au Seigneur:

— Enseignez-moi, ô très doux Ami des âmes, par quelles vertus je pourrai vous plaire davantage, puisque je ne puis les pratiquer toutes chaque jour.

Le Seigneur répondit:

— ... parce que l'Esprit-Saint est la Bonne Volonté, applique-toi par-dessus tout à posséder cette bonne volonté, alors tu pourras avoir la beauté et la perfection de chaque vertu, car la bonne volonté est plus fructueuse que tout. Celui qui a la bonne volonté de me louer, de m'aimer par-dessus toute créature, de me rendre grâces, de compatir à mes douleurs, de pratiquer les vertus de la manière la plus parfaite s'il le pouvait, celui-là sera infailliblement récompensé par ma divine libéralité, et même avec plus de largesse qu'aucun homme ne l'aurait été en accomplissant réellement une bonne œuvre. (Livre 4 Ch. 17)

8-2-1-La volonté propre

Une parole fit comprendre à Gertrude que si une âme désire offrir au Seigneur l'hospitalité, elle doit lui remettre la clef de sa volonté propre, s'abandonner à son bon plaisir et croire fermement que la divine bonté opérera son salut par tous les moyens possibles; alors le Seigneur entre et accomplit dans ce cœur et dans cette âme sa volonté pleine d'amour. Guidée ensuite par l'inspiration divine, elle récita comme de la part de tous ses membres, trois cent soixante-cinq fois cette parole de l'Évangile:

— Que votre volonté se fasse et non la mienne, très aimable Jésus.

Et elle comprit que cette prière était agréable au Seigneur. (Livre 4 Ch. 23)

8-2-2-Offrande de sa volonté propre

Encore alitée, Gertrude s’inquiétait:

— Hélas! mon Seigneur, indigne que je suis, je n'ai rien préparé qui puisse convenir à votre majesté; mais je vous offre tout ce que je suis, vous priant et vous conjurant de vouloir bien préparer vous-même en moi ce qui peut agréer davantage à votre divine bonté. Le Seigneur répondit: 

— Si tu m'accordes cette liberté, donne-moi la clef qui me permette de prendre et de te remettre ensuite tout ce qui conviendra à mon bien-être et à ma réfection.

— Seigneur, dit-elle, quelle est cette clef ?

— C'est ta volonté propre, dit le Seigneur. (Livre 4 Ch. 23)

Une autre fois, elle lui dit:

— Ô mon Bien-Aimé, pour répondre à l'amour que vous nous avez témoigné en supportant cette Passion à laquelle vous avez été si injustement condamné, je vous offre mon cœur et je désire, depuis cette heure jusqu'à celle de ma mort, supporter l'amertume et la douleur de votre très-doux Cœur et de votre corps immaculé; et si, par suite de la fragilité humaine, ma mémoire perd un instant le souvenir de vos douleurs, accordez-moi de ressentir au cœur une souffrance sensible qui réponde dignement à l'amertume de votre Passion.

8-2-3-La bonne volonté

Le Seigneur répondit:

— Ta bonne volonté et ta fidélité viennent de me satisfaire; mais, pour que je puisse trouver pleinement mes délices dans ton cœur, donne-moi la liberté d'opérer et de garder en lui tout ce que je veux, sans déterminer si j'y verserai la douceur ou l'amertume.  (Livre 4 Ch. 26)

9-Les grandes vertus

9-1-La charité

Le Seigneur dit à Gertrude:

Voici deux points que je viens présenter à ta méditation; en t'y exerçant, tu seras excitée à chercher des choses plus grandes encore. Considère que rien n'est plus utile à l'homme que de se fatiguer par des travaux qui puissent procurer à ma Divinité les délices du repos, et ensuite, d'aller jusqu'au prochain par les œuvres de charité. (Livre 4 Ch. 23)

9-1-1-La charité active

Dans plusieurs visions, Gertrude se vit distribuant des pains à tous les membres de l’Église. Le Seigneur, en acceptant les pains, rendait grâces à Dieu le Père; celle-ci reçut l'explication de cet acte: si quelqu'un accomplit pour la gloire de Dieu une bonne œuvre, si peu importante qu'elle soit, s'il récite un Pater, un Ave ou un seul psaume pour lui-même ou pour le salut de l'Église, le Fils de Dieu accepte cette offrande comme un fruit de sa très parfaite Humanité, rend grâces à Dieu le Père, bénit le fruit, le multiplie et le distribue à toute l'Église pour avancer le salut éternel des hommes. (Livre 4 Ch. 21)

9-1-2-Comment vivre la charité pendant le carême?

Le jour suivant, comme on lisait dans l'Évangile: Venez, les bénis de mon Père, car j'ai eu faim, etc... Gertrude dit au Seigneur:

— Ô mon Seigneur, il ne nous est pas possible, à nous qui vivons sous une Règle et ne possédons rien en propre, de donner effectivement à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif ou d'exercer quelque œuvre de miséricorde; veuillez donc m'enseigner comment nous pourrons obtenir aussi cette très douce bénédiction promise dans l'Évangile à ceux qui pratiquent ces œuvres?

Le Seigneur répondit:

— Comme je suis en vérité le salut et la vie des âmes, j'ai toujours faim et soif de leur faire du bien; aussi celui qui s'appliquera chaque jour à lire quelques paroles édifiantes de la sainte Écriture apaisera-t-il ma faim par cette suave réfection. Que s'il ajoute à cette lecture le désir d'obtenir la grâce de la dévotion et de la componction, il calmera ma soif.

Celui qui au moins une heure par jour s'efforcera de penser à moi avec toute l'attention de son âme, celui-là m'offrira une agréable hospitalité. Je serai convenablement vêtu par l'âme qui s'exercera sans cesse dans les vertus, j'estimerai aussi que celui-là m'aura visité dans mon infirmité qui aura repoussé avec force la tentation. Enfin je recevrai les prières qui me seront offertes pour les pécheurs et les âmes du Purgatoire comme si, retenu moi-même dans une sombre prison, je me trouvais soulagé et consolé par une charitable visite. Et, ajouta le Seigneur, celui qui, pour mon amour, aura pratiqué chaque jour ces œuvres de miséricorde, surtout pendant le temps du Carême, sera récompensé par ma royale libéralité et par ma fidèle amitié. Mon incompréhensible puissance, mon insondable sagesse et mon infinie bonté sauront lui donner une abondante récompense.  (Livre 4 Ch. 18)

9-1-3-La grandeur de la charité

Comme elle prenait ensuite son repos sur sa couche, le Seigneur lui dit avec une douce bonté:

— Celui qui s'est fatigué en pratiquant les œuvres de charité repose à bon droit sur la paisible couche de l'amour. 

Après avoir dit ces mots, il la combla de ses divins embrassements et l'appuya sur sa poitrine, comme sur le doux lit nuptial de la charité. Elle vit alors s'épanouir comme sortant des profondeurs intimes du Cœur divin, l'arbre de la charité: il était d'une forme magnifique, orné de branches et de fruits, couvert de feuilles brillantes comme les étoiles. Cet arbre, déployant et étendant ses rameaux, enveloppa bientôt la couche où reposait cette âme et la réconforta par le parfum de ses fleurs et la saveur de ses fruits délicieux. De la racine du même arbre s'échappait une source très pure, dont les eaux jaillissaient à une grande hauteur pour retomber ensuite vers cette même source et procurer à l'âme le plus doux rafraîchissement. Or, elle vit que cette source représentait la douceur de la Divinité suprême, dont toute la plénitude habite corporellement dans la sainte Humanité de Jésus-Christ, et dont l'incompréhensible suavité charme tous les élus.

Alors, Gertrude s’en alla trouver une malade et l'assista au delà de ses forces. Puis elle offrit cet acte de charité au Seigneur pour le glorifier et réparer les péchés qui se commettent dans le monde entier à l'encontre de ses divines volontés. Alors il lui sembla qu'avec un lien d'or, symbole de la charité, elle enserrait une multitude immense d'hommes et de femmes et les amenait au Seigneur. Le Seigneur bon et miséricordieux montrait une joie ineffable en acceptant cette offrande: il ressemblait à un roi qui verrait tous ses ennemis, amenés devant lui comme captifs par un de ses favoris, et leur accorderait la paix après avoir reçu la promesse d'un fidèle service. (Livre 4 Ch. 35)

9-2-L’humilité

9-2-1-La prédestination

Parlant de certaines âmes particulièrement saintes et humbles, dans une vision colorée, le Seigneur expliqua à Gertrude:

— Que l'on place pour elles des sièges auprès de moi, et toutes les créatures sauront que ses âmes occupent les premières places, non par hasard, mais de par ma volonté. Car de toute éternité il a été prévu qu'elles recevraient aujourd'hui. en vertu de leur humilité et par ton intervention, les dons les plus précieux. (Livre 4 Ch. 6)

Pendant qu'au milieu de ces délices son intelligence parcourait les espaces, cette divine maison du Trésor lui parut bâtie autour d'elle avec des pierres carrées de diverses couleurs. Ces pierres précieuses étaient jointes entre elles par des liens d'or au lieu de ciment et un regard plus attentif lui fit découvrir des feux merveilleux qui se jouaient en chacune: elle comprit alors que la grâce spéciale départie à chaque élu devait procurer à tous les bienheureux des joies pleines de charmes. La disposition des pierres précieuses dans le Cœur divin figurait la prédestination de tous les élus, et la nécessité où ils sont de se soutenir les uns les autres, comme les pierres d'un mur se portent mutuellement. Elle comprit en outre que l'or qui joignait ces pierres figurait la charité avec laquelle les fidèles doivent se soutenir les uns les autres, uniquement en vue de Dieu. (Livre 4 Ch. 58)

9-2-2-Un enseignement sur l’humilité

Un Vendredi-Saint, sainte Gertrude s’écria:

— Je n'ai rien qui soit digne de vous; mais si j'avais tout ce que vous possédez, je sens que, je voudrais y renoncer entièrement et vous le donner avec assez de libéralité pour que vous puissiez à votre tour en faire don à qui il vous plairait.

Le Seigneur répondit avec bonté:

— S'il est bien vrai que tu m'aimes assez pour agir de la sorte, tu dois être assurée que moi j'agirai ainsi à ton égard, mais dans la proportion où mon amour l'emporte sur le tien. 

Elle ajouta:

— Et quel mérite vous apporterai-je, lorsque vous daignerez venir à moi avec tant de générosité?

Le Seigneur répondit:

— Je te demande une seule chose: viens à moi toute vide et disposée à recevoir; car tout le bien qui pourra me plaire en toi, aura été un don de ma bonté infinie. 

Elle comprit que ce vide est l'humilité par laquelle l'homme reconnaît n'avoir rien de lui-même et ne rien pouvoir sans un don gratuit de Dieu; car tout ce qu'il peut faire, il doit le compter pour rien. (Livre 4 Ch. 26)

En la fête de la Dédicace de l'Église, comme on récitait à Matines ces paroles: “la reine de Saba vint trouver le roi Salomon“, etc... puis: “avec les perles des vertus”, celle-ci fut touchée de componction et dit au Seigneur:

— Hélas! ô Dieu très bon, comment pourrai-je aller jusqu'à vous, moi qui suis si petite et qui ne vois en mon âme aucune vertu?

Le Seigneur répondit:

— N'es-tu pas souvent blessée par les langues médisantes?

— Hélas! Seigneur, dit-elle, je sais que mes fautes ont été souvent pour le prochain un sujet de scandale!

— Eh bien! dit le Seigneur, orne-toi des paroles de tes détracteurs comme d'autant de vertus; tu viendras alors vers moi, et ma compatissante tendresse te recevra avec bonté. Plus on blâmera sans raison ta conduite, plus mon Cœur te donnera de témoignages d'amour, car tu seras semblable à moi qui ai toujours été poursuivi par des détracteurs. (Livre 4 Ch. 58)

9-3-La confiance

À Matines, comme elle portait son attention sur Dieu et sur elle-même, pendant le répons: “J'ai vu la cité”, le Seigneur lui rappela une parole qu'elle répétait souvent pour animer le prochain à la confiance en Dieu, et il lui dit:

— Pour que tu saches avec plus de certitude combien j'aime la confiance, je veux te montrer la bonté avec laquelle je reçois l'âme qui, après avoir failli, revient à moi, regrette sa faute et se propose, avec le secours de ma grâce, d'éviter le péché. 

En disant ces paroles, le Fils du Roi suprême, revêtu des insignes de sa souveraineté, s'avança devant le trône de Dieu le Père et chanta d'une voix douce et sonore ce répons: “J’ai vu Jérusalem, la cité sainte”. À ces paroles, elle comprit l'ineffable consolation que ressent le Cœur du Seigneur lorsqu'une âme se propose d'éviter les fautes et les imperfections, parce qu'elle se souvient des bienfaits dont Dieu l'a entourée, et parce qu'elle confesse s'être éloignée de lui par manque de vigilance sur ses affections, ou sur ses paroles, ou sur l'emploi de son temps. Chaque fois que l'âme éprouve ces regrets, le Fils de Dieu, avec un nouveau transport de bonheur et de joie, chante à Dieu le Père les paroles de ce répons ou d'autres analogues. (Livre 4 Ch. 58)

9-4-Le courage

9-4-1-Le respect humain

Un dimanche des rameaux, Jésus dit à Gertrude:

— Donne-moi enfin une foule qui m'accompagne et qui m'assiste, en confessant que tu ne m'as jamais servi avec la fidélité requise lorsqu'il fallait défendre la vérité et la justice. Aie le désir de travailler à ces deux grandes causes autant qu'il me plaira par tes paroles, tes actes, et demande-moi d'avoir à toute heure cette bonne volonté afin de procurer ma gloire.  (Livre 4 Ch. 23)

10-Saint Jean et Gertrude d’Helfta

10-1-Préparation de Gertrude à la venue de saint Jean: les demeures de la Maison du Père

Sainte Gertrude, élevée ensuite à une connaissance d'un ordre plus élevé, comprit qu’il y avait beaucoup de demeures en la maison du Père. (Jean 14, 2) Il existe plus spécialement trois demeures dans lesquelles ceux qui gardent l'intégrité de la pureté virginale jouissent de la béatitude:   

          — La première demeure est pour ceux qui, comme il a été dit des apôtres, fuient ce qui est suspect et accueillent raisonnablement ce qui ne l'est pas. Si quelque tentation vient assaillir leur âme, ils en triomphent par une lutte généreuse; s'ils succombent par suite de la faiblesse humaine, leur faute est aussitôt effacée par la pénitence.

          — La seconde demeure est pour ceux qui, en toute occasion suspecte ou non, fuient absolument ce qui pourrait leur être un sujet de tentation. Ils châtient leur chair et la réduisent en servitude au point qu'elle pourrait à peine regimber contre l'esprit. Dans cette seconde demeure semblent être saint Jean-Baptiste et quelques autres saints personnages: d'une part, la bonté de Dieu les a sanctifiés gratuitement, et, d'autre part, ils ont coopéré activement à la grâce en fuyant le mal et en pratiquant le bien.

          — La troisième demeure est pour ceux qui, prévenus de la douceur des bénédictions divines, semblent avoir l'horreur naturelle du mal. Cependant, lorsque les circonstances les mettent en rapport soit avec les bons, soit avec les méchants, ils gardent avec fermeté la même répugnance pour le mal et le même attachement pour le bien, et travaillent à conserver sans tache leur âme et celle des autres. Ces hommes connaissent toutefois la faiblesse de la nature, mais ils en retirent un profit, lorsque dans l'exercice des devoirs de la charité, ils sentent qu'ils doivent se défier de leur propre cœur. Ils trouvent là une occasion de s'humilier et s'excitent à veiller davantage sur eux-mêmes... Parmi ceux-ci, saint Jean l'Évangéliste a le premier rang. Et j'écrirai sur lui mon nom: je manifesterai que je l'ai marqué de la douceur de ma divine familiarité.  (Livre 4 Ch. 4)

10-2-Pourquoi les venues de saint Jean l’Évangéliste

10-2-1-Présentation de saint Jean

Un jour, au temps de l'Avent, tandis qu'elle priait l'apôtre et évangéliste saint Jean, celui-ci lui apparut portant des vêtements jaunes tout parsemés d'aigles d'or... Un liséré rouge débordait un peu autour des aigles d'or. Cette couleur signifiait que saint Jean, pour s'élever dans la contemplation, prenait toujours son point de départ dans le souvenir de la Passion du Seigneur dont il avait été témoin oculaire et qu'il avait ressentie jusqu'au fond du cœur par une compassion très intime.

Celle-ci [5] dit alors au Seigneur:

— Pourquoi, ô Seigneur, me présentez-vous votre disciple bien-aimé, à moi qui suis si indigne? 

Le Seigneur répondit:

— Afin d'établir entre vous une amitié spéciale; puisque tu n'as point d'apôtre pour protecteur, je te donne celui-ci qui te sera un très fidèle patron auprès de moi dans les cieux. 

10-2-2-Repos sur le Cœur de Jésus

Pendant l’Office des matines, Jean lui apparut et dit:

— Je ressemble à mon Seigneur, j'aime ceux qui m'aiment.

Gertrude lui dit:

— Et quelle grâce pourrai-je obtenir en votre très douce fête, moi pauvre petite?

Jean répondit:

— Viens avec moi, tu es l'élue de mon Dieu, reposons ensemble sur le sein du Seigneur, dans lequel sont cachés les trésors de toute béatitude.

10-2-3-Pourquoi Jean n’a-t-il pas parlé du Cœur de Jésus dans son Évangile?

Comme elle éprouvait une ineffable jouissance en écoutant battre le cœur sacré du Sauveur, elle dit au bienheureux Jean:

— Ô bien-aimé de Dieu, j'éprouve maintenant de si grandes délices en écoutant les battements de ce très doux cœur: n'en avez-vous pas ressenti de semblables lorsque vous reposiez à la Cène sur la poitrine du Sauveur?

Il répondit:

— En vérité, je les ai senties, profondément ressenties, et leur suavité a pénétré en moi comme l'hydromel parfumé imprègne de sa douceur une bouchée de pain frais; de plus, mon âme en est devenue aussi ardente que pourrait l'être un vase placé au-dessus d'un feu violent. 

Elle reprit:

— Pourquoi donc avez-vous gardé sur ce sujet un silence aussi absolu, et n'en avez-vous rien écrit pour le profit de nos âmes? 

Il répondit:

— Ma mission était de manifester à l'Église nouvelle, par une seule parole, le Verbe incréé de Dieu le Père; et cette unique parole peut servir jusqu'à la fin du monde pour satisfaire l'intelligence de la race humaine tout entière, bien que personne ne parvienne jamais à la comprendre pleinement. La douce éloquence des battements du Cœur Sacré est réservée pour les derniers temps, afin que le monde vieilli et engourdi se réchauffe dans l'amour de son Dieu.

10-2-4-Jean dans le sein de Dieu

Tandis qu'elle admirait la beauté de saint Jean, qui lui apparaissait, reposant sur la poitrine du Seigneur, le saint apôtre lui dit:

— Jusqu'à ce jour je me suis montré à toi en cette forme que j'avais sur la terre, lorsque je reposai sur le sein du Sauveur, mon ami et mon unique bien-aimé. Si tu le désires, j'obtiendrai que tu me voies tel que je suis à présent où je goûte dans les cieux les délices de la Divinité.

Celle-ci désira jouir de cette faveur. Aussitôt elle vit l'océan sans limite de la Divinité renfermé dans le sein de Jésus, et dans cet océan le bienheureux Jean, sous la forme d'une abeille, nageait comme un petit poisson, avec une liberté et des délices ineffables. Elle comprit aussi qu'il se tenait habituellement au lieu où le courant de la Divinité se porte avec plus d'efficacité vers les hommes. L'apôtre bien-aimé, tout rempli et enivré de ces torrents de délices, semblait projeter de son cœur une sorte de canal, duquel coulait abondamment sur toute la surface du monde les gouttes de la suavité divine: c'étaient les enseignements de sa doctrine salutaire et particulièrement de l'Évangile: In principio erat Verbum. (Livre 4 Ch. 4)

10-3-L’enseignement de saint  Jean sur la chasteté

10-3-1-Comment saint Jean a-t-il gardé la chasteté?

Une autre fois encore, en la même fête, Gertrue trouvait de grandes délices à entendre si souvent célébrer par des paroles plus douces que le nectar l'intégrité de la virginité chez saint Jean. Elle se tourna enfin vers cet insigne ami de Dieu et le supplia de nous obtenir par ses prières de garder fidèlement dans la chasteté... Elle reçut de saint Jean cette réponse:

— Celui qui voudra partager avec moi le prix de la victoire dans la béatitude éternelle doit fournir pendant sa vie une carrière semblable... Au cours de mon existence, je me suis fréquemment souvenu de la tendre familiarité avec laquelle mon très aimable Maître et Seigneur Jésus a jeté sur moi son regard...

Ensuite dans mes paroles et mes actions, j'ai toujours veillé avec le plus grand soin à ne pas porter la moindre atteinte, ni en moi ni dans les autres, à cette vertu qui plaît tant à mon Maître... Je me conduisais avec tant de circonspection que, sans refuser de subvenir aux nécessités corporelles ou spirituelles d'une femme, cependant jamais je n'omis de m'entourer de précautions. J'avais coutume, chaque fois qu'une occasion se présentait de rendre quelque service, d'invoquer la divine Bonté; et le Seigneur ne permit jamais que mon affection blessât la pureté de personne. Pour récompenser cette chasteté, mon bien-aimé Maître a voulu que cette vertu fût louée en moi plus qu'en tout autre saint, et il m'a donné dans le ciel une place d'une dignité spéciale... Chaque fois que dans l'église on fait mémoire de ma chasteté, le Seigneur qui m'aime me salue par un geste plein d'amour et de tendresse, et remplit mon cœur d'une joie ineffable. (Livre 4 Ch. 4)

10-3-2-Les deux Jean

À ceci se rattache une autre vision qu'elle eut plus tard: elle se demandait pourquoi on exaltait à ce point la virginité de saint Jean, puisqu'on dit que le Seigneur l'appela à lui au moment de ses noces, tandis que saint Jean-Baptiste, qui n'avait connu aucun des désirs terrestres, était cependant moins loué pour cette vertu. Le Seigneur, qui scrute les pensées et distribue les dons, lui montra ces deux saints dans la vision suivante: saint Jean-Baptiste semblait assis sur un trône très élevé, placé au-dessus d'une mer déserte, tandis que l'Évangéliste se trouvait debout au milieu d'une fournaise si ardente que les flammes l'entouraient de toutes parts. Gertrude regardait et admirait ce spectacle, lorsque le Seigneur daigna lui en donner l'explication:

— Que trouves-tu de plus admirable, ou que Jean l'évangéliste ne s'embrase pas, ou que JeanBaptiste ne soit pas submergé?

Elle comprit alors que la récompense est très différente, selon que la vertu a été fortement combattue ou tranquillement conservée dans la paix. (Livre 4 Ch. 4)

10-3-3-La Vierge Marie et Jean l’Évangéliste

Pendant un office des Matines, comme on chantait: “Mulier ecce fllius tuus: femme, voilà ton fils”, Gertrude vit sortir du Cœur de Dieu une splendeur merveilleuse qui se dirigea sur le bienheureux Jean, attirant aussi vers lui les regards et la respectueuse admiration de tous les saints. La bienheureuse Vierge, qui s'entendait nommer la Mère de ce disciple bien-aimé, lui en témoigna avec joie toute sa tendresse; et le disciple, à son tour, la salua avec des marques d'un amour tout particulier. (Livre 4 Ch. 4)

10-4-À l’occasion d’une fête de Saint Jean

En la fête de saint Jean devant la Porte latine (6 mai), le bienheureux Jean lui apparut, et la consola avec une grande tendresse en disant: 

— Que l'affaiblissement des forces de ton corps ne t'afflige pas, ô épouse choisie de mon Seigneur, car tout ce que l'on souffre en ce monde est peu de chose et passe rapidement quand on le compare à ces délices éternelles dont nous jouissons dans le ciel, nous qui sommes déjà béatifiés...   

Il ajouta: 

— Souviens-toi que moi, le disciple que Jésus aimait vraiment, j'avais beaucoup plus que toi perdu mes forces corporelles et la vigueur de mes sens, à la fin de ma vie terrestre; cependant, quand les fidèles pensent à moi, ils me voient plein de grâce et de jeunesse, et presque tous ressentent pour moi une dévotion spéciale. De même, après ta mort, ta mémoire refleurira dans le cœur de plusieurs, et elle attirera vers Dieu un grand nombre d'âmes qui prendront en lui leurs délices.[6] 

Comme on chantait:  “Il entendit autour du trône...”, elle dit à saint Jean: -Oh ! quelles joies vous avez goûtées lorsque Dieu vous a élevé à de telles hauteurs! 

Il répondit:

— Tu dis vrai. Mais sache que je goûte encore plus de bonheur à te voir méditer ces paroles, et rendre grâces à mon bien-aimé Seigneur pour la grande condescendance qu'il a eue envers moi. 

Or, il était assis familièrement auprès d'elle, ressentant ce qu'elle ressentait, jusqu'à ce qu'on en vint au chant de ce verset: “Iste custos Virginis: ce gardien de la Vierge”. Alors il parut élevé, jusqu'au glorieux trône de Dieu, revêtu d'un admirable éclat, et il reçut les hommages d'affection de tous les habitants des cieux. Il goûta ensuite des délices inexprimables à ces douces paroles qui suivaient: “Coeli cui palatium: le palais du ciel s'ouvre devant lui....” (Livre 4 Ch. 34)

10-5-La mort de Saint Jean

Personne ne sait rien de la mort de Saint Jean. On sait seulement d’une manière sûre, qu’il vécut très vieux. Dans une vision étonnante, Gertrude crut voir Jean, le disciple que Jésus aimait comme s’il vivait encore sur la terre. Et elle vit Jésus lui apparaître; et elle comprit que le  Seigneur lui renouvelait les douces et familières tendresses dont l'apôtre avait fait l'expérience durant sa vie.

Le bienheureux Jean fut alors comme changé en un autre homme et parut goûter déjà les délices du festin éternel, principalement par trois faveurs pour lesquelles il rendit grâces à Dieu à l'heure de sa mort. Il exprima la première par ces paroles:

— J'ai vu votre face, et il m'a semblé que je sortais du sépulcre.

De la seconde il dit:

— Vos parfums, ô Seigneur Jésus, ont excité en moi le désir des biens éternels.

Enfin de la troisième:

— Votre voix pleine d'une douceur était comparable au miel.

La douce présence du Seigneur lui avait conféré pour ainsi dire la joie de l'immortalité; par la vertu de l'appel divin, il avait reçu l'espérance des plus douces consolations; enfin la tendresse des paroles divines lui avait fait ressentir la joie des délices suprêmes.

Jean se leva à l'appel du Seigneur et se mit à marcher comme s'il voulait suivre son Maître au Ciel. Elle comprit que le bienheureux Jean avait une confiance assurée dans la bonté du Seigneur, et croyait que ce divin Maître l'enlèverait de ce monde sans lui faire ressentir les douleurs de la mort: ce fut parce que l'amour lui inspira cette audace qu'il mérita d'en voir la réalisation. Gertrude alors s'étonna de voir écrit que Jean s'en alla en l'autre monde sans passer par la mort, pour la raison qu'au pied de la croix il avait souffert dans son âme la Passion de son Maître, et aussi parce qu'il avait gardé intacte sa virginité.

Comment Gertrude pouvait-elle comprendre que cette faveur avait récompensé la confiance de Jean?

Le Seigneur lui dit:

— J'ai récompensé par une gloire spéciale l'intégrité virginale de Jean et sa compassion à mes douleurs et à ma mort. Mais il m'a plu de reconnaître dans la vie présente cette confiance assurée qui l'engageait à croire que ma bonté infinie ne pouvait rien lui refuser. Aussi l'ai-je retiré triomphalement de son corps sans qu'il ressentît les douleurs de la mort, et j'ai glorifié d'une manière spéciale ce corps virginal en lui donnant l'incorruptibilité et une sorte de glorification.  (Livre 4 Ch. 4)

11-De quelques grands saints

Sainte Gertrude eut, en esprit, plusieurs visions de grands saints venus pour l’enseigner. Nous en mentionnons quelques-uns.

11-1-Enseignement reçu lors de la fête des saints apôtres Pierre et Paul.

En la fête solennelle des Princes des Apôtres Pierre et Paul, celle-ci demanda au Seigneur quelles brebis elle pourrait paître afin de lui prouver par des œuvres la grandeur de son amour. Le Seigneur répondit:

— Fais paître pour moi cinq agneaux choisis et tendrement aimés, c'est-à-dire: nourris ton cœur par des méditations divines, ta bouche par des paroles salutaires, tes yeux par de saintes lectures, tes oreilles par d'utiles avis, tes mains par des travaux continuels. Chaque fois en effet que tu t'appliqueras à l'un de ces exercices, j'y trouverai la plus grande démonstration de ton amour.

L’esprit de Gertrude s’éclaira:

          — Dans les méditations divines elle comprit qu'il fallait inclure tous les projets conçus pour la gloire de Dieu, le profit personnel ou le salut du prochain.

          — Les entretiens salutaires et les saintes lectures contenaient tout ce qu'il est bon de regarder, comme l'image du crucifix, les souffrances des malades, les exemples des justes.

          — Pour ce qui concerne les avis utiles, elle vit que les oreilles sont pour ainsi dire nourries selon le bon plaisir de Dieu, lorsqu'on reçoit avec patience les réprimandes.

          — Quant au travail incessant des mains, comme elle pensait qu'on ne peut le pratiquer simultanément avec la lecture, il lui fut donné de comprendre que le Seigneur accepte comme un travail le désir ou l'intention de lire, de même qu'il compte l'acte de tenir le livre en mains ou autres actes semblables. (Livre 4 Ch. 44)

11-2-Vision et enseignements de saint Benoît

En la fête de saint Benoît, elle vit en esprit ce glorieux Père dans une attitude pleine de majesté, debout en présence de la resplendissante et toujours tranquille Trinité... A chaque articulation de ses membres, on voyait germer et s'épanouir d'une façon merveilleuse de très belles roses, Les roses épanouies sur ses membres désignaient les divers exercices par lesquels il avait dompté sa chair pour la soumettre à l'esprit, et tous les actes de vertu de sa très sainte vie. Elles figuraient encore les œuvres de ses disciples qui, stimulés par son exemple et sa doctrine,

L’assistance aux mourants

À une question de Gertrude, saint Benoît répondit:

— Quiconque me rappellera cette dignité par laquelle le Seigneur a voulu m'honorer et me béatifier en me donnant une mort si glorieuse, je l'assisterai fidèlement à l'heure du trépas et je m'opposerai à toutes les attaques que l'ennemi dirigera contre lui. Protégé par ma présence, il sera en sécurité malgré les pièges du tentateur, et s'élancera heureux vers les joies éternelles. (Livre 4 Ch. 11)

11-3-Instructions reçues pendant les fêtes de quelques saints et saintes

11-3-1-Paroles de sainte Marguerite

Dieu manifeste son amour par les souffrances qu’Il envoie

Alors la bienheureuse Marguerite se tourna vers celle-ci et lui dit:

— Réjouis-toi et sois dans l'allégresse, ô toi que le Seigneur a élue, parce que, en vérité, après avoir souffert pendant un peu de temps, en ce monde, diverses maladies et adversités, tu te réjouiras éternellement dans la gloire du ciel. Pour chaque instant de souffrance corporelle, ton Époux et ami de ton âme te rendra mille et mille années de consolations célestes. Les souffrances que tu éprouves en ton cœur ou que tu rencontres dans tes travaux, c'est lui qui te les envoie par une disposition toute spéciale de son amour; par ce moyen, il te sanctifie d'une façon admirable d'heure en heure, de jour en jour, et te prépare à la béatitude éternelle. Songe qu'à l'heure de ma mort, c'est-à-dire au jour où je reçus cette gloire dans laquelle je tressaille maintenant, je n'étais pas vénérée par tout l'univers comme je le suis; j'étais au contraire méprisée et regardée à peu près comme une misérable.

Crois donc fermement qu'au terme heureux de ta vie, tu jouiras dans une gloire sans fin des doux embrassements de l'Époux immortel, au sein de ces célestes délices que l’œil n'a pas vues, que l'oreille n'a pas entendues, que le cœur de l'homme n'a pas conçues et que Dieu prépare à ceux qui l'aiment. (Livre 4 Ch. 45)

11-3-2-En la fête de sainte Marie-Madeleine

La bonne volonté

Gertrude dit encore:

— Ô Seigneur, il est rapporté que Marie a acheté ce parfum; comment pourrai-je vous rendre un hommage si agréable que je semble aussi l'avoir payé d'un grand prix?

Le Seigneur répondit:

Celui qui m'offre sa bonne volonté en toute occasion où il s'efforce d'agir pour mon amour, et s'expose même à de durs labeurs afin de procurer ma gloire, achète vraiment ce parfum précieux et agréable. II l'achète pourvu que, préférant mon honneur à son propre avantage, il s'expose volontiers à mille désagréments, lors même que. par suite de certains obstacles, il ne peut réaliser son dessein. »  (Livre 4 Ch. 46)

11-3-3-À propos de  saint Augustin

Le Seigneur dit ensuite à celle-ci:

— Vois comment mon bien-aimé brille par sa pureté plus éclatante que la neige, par sa douce humilité et par son ardente charité! 

Elle répondit avec étonnement:

— Ô Seigneur, comment pouvez-vous affirmer que ce saint brille d'une pureté éclatante comme la neige? Il est digne de vénération à cause de sa sainte vie, cependant il est resté longtemps dans l'hérésie et il a dû contracter ainsi des souillures. 

Le Seigneur répondit:

— Si j'ai permis qu'il demeurât si longtemps dans l'erreur, c'était pour faire éclater en lui les voies de ma Providence qui m'a fait attendre sa conversion avec tant de patience et de miséricorde. J'ai voulu aussi manifester ma bonté infinie qui a daigné l'appeler et ma tendresse toute gratuite dont il a si fortement ressenti les effets. (Livre 4 Ch. 50)

11-3-4-Une vision de saint Bernard

La veille de la fête de saint Bernard...  le très dévot abbé lui apparut dans une gloire ineffable, et paré d'une beauté toute céleste, et on ne pouvait le contempler sans voir en même temps la triple couleur de ses vêtements. Ces trois brillantes couleurs se jouant dans l'âme d'un si illustre Père offraient à tous les saints un spectacle plein de charmes. Sa poitrine, son cou et ses mains paraissaient aussi chargés de lames d'or incrustées de pierres roses qui jetaient un très vif éclat.

Ces lames d'or signifiaient l'éloquence de sa doctrine qui, méditée d'abord dans un cœur rempli d'amour, montait jusqu'à ses lèvres servies par une voix consacrée, doctrine transcrite aussi par ses mains bénies pour le salut de tous ceux qui veulent avancer leur salut.

Les pierreries figuraient surtout les paroles d'amour : elles semblaient lancer des rayons lumineux jusqu'au centre le plus profond du cœur sacré et procurer à la Divinité des délices spéciales. En même temps le Seigneur attira dans son cœur la perfection et la dévotion que les élus du ciel et de la terre avaient tirées des paroles et des écrits de ce Père, et les renvoya dans le cœur de Bernard avec les rayons que les pierreries, dont il a été parlé, avaient dirigés vers son cœur divin.

Alors s'échappèrent du cœur de ce saint, comme d'un luth merveilleux, des sons d'une douce harmonie qui chantaient ses vertus et principalement son amour et son innocence. (Livre 4 Ch. 49)

11-3-5-Un jour de fête de tous les saints-La Sainte trinité

Au jour de la fête de tous les saints, elle vit en esprit des mystères ineffables touchant la gloire de l'adorable Trinité, et comment cette bienheureuse et glorieuse Trinité, renfermée en elle-même sans commencement ni fin, surabonde de joie et de béatitude, et procure à tous les saints l'allégresse et la gloire éternelle. Il lui fut toutefois impossible de traduire ce qu'elle avait vu avec tant de lucidité dans le miroir de la clarté divine; elle révéla seulement ce qui va suivre, et dut s'exprimer par une sorte de parabole: 

Le Seigneur des vertus, le Roi de gloire lui apparut, semblable à un très puissant père de famille qui a préparé un festin pour les grands et les princes de sa cour, et veut y inviter aussi ses amis et ses voisins. En effet, à cause de l'honneur et de la dévotion avec lesquels l'Église fête en ce jour tous les saints, celui qui est la source de la vie, le principe de l'éternelle lumière, l'auteur de toute bonté et qui rassasie les anges, semblait introduire les membres de l'Église militante parmi les chœurs des saints triomphants dans les cieux, donnant à chacun la place due à son mérite. Par exemple:

— ceux qui font un usage légitime de l'état du mariage en pratiquant les bonnes œuvres dans la crainte de Dieu, étaient joints aux saints patriarches,

— ceux qui ont mérité de connaître les secrets des mystères de Dieu étaient unis aux saints prophètes,

— ceux qui se livrent à la prédication et à l'enseignement des saintes doctrines se trouvaient mêlés aux bienheureux apôtres; et ainsi des autres.

Elle vit aussi, placés dans le chœur des martyrs, les religieux qui servent Dieu sous l'obéissance à une Règle; et comme les martyrs ont une beauté spéciale et goûtent plus de délices dans celui de leurs membres qui a souffert pour le Seigneur, de même les religieux sont, dans le ciel, à côté des martyrs et partagent leurs récompenses à cause des mortifications qu'ils imposent à leurs sens. En effet, la main du persécuteur ne verse pas leur sang; mais en brisant leur volonté propre, ils font eux-mêmes quelque chose de plus grand, car par les privations continues, ils offrent chaque jour à Dieu un sacrifice d'agréable odeur. (Livre 4 Ch. 55)


[1] Ces mots,  “primogenitus Maniæ Filius : Fils premier né de Marie”, font partie des refrains qu'on avait coutume, à l’époque de Gertrude, d'intercaler dans les chants liturgiques.
[2] Gertrude.
[3] Gertrude d’Helfta.
[4] Gertrude.
[5] Cette expression: “celle-ci”, couramment employée par l’auteur du Livre 4, désigne toujours sainte Gertrude.
[6] La mémoire de la bienheureuse Gertrude après avoir été presque perdue pendant deux cents ans a refleuri dans toute l’Église d'une manière admirable pour le bien d'un grand nombre, selon la prophétie de saint Jean. (Note de l'édition latine.) Il en est de même pour son œuvre “Le Héraut de l’amour divin”.

    

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