

Le soir du jour où don Bosco
célébra sa première messe, maman Marguerite lui avait dit: “Mon fils, retiens
bien ceci: commencer à dire la
messe
c’est commencer à souffrir.”
Toute la vie de don Bosco fut
l’illustration de cette remarque.
– Jean fut orphelin dès
l’âge de deux ans.
– Sa petite enfance
s’écoula dans une grande gêne matérielle.
– Durant toute sa
jeunesse il ne cessa de rencontrer une multitude d’obstacles comme pour
l’empêcher de répondre à sa vraie vocation.
Enfin voilà don Bosco prêtre; les
épreuves décuplent et on le chasse de partout: la marquise de Barolo le
congédie, ses amis doutent de lui et de la solidité de son cerveau, l’autorité
le tracasse, la maladie l’éloigne de ses enfants. Et maman Marguerite meurt, et
les défiances se multiplient autour de ses œuvres, et l’argent manque toujours.
Par ailleurs, la souffrance physique fut aussi pour lui une compagne fidèle et
cruelle...
Et puis, même si des sujets d’élite
l’assistèrent sans faillir, d’autres, hélas! firent défection, tentés par le
monde ou par des promesses d’avenir brillant.
Mais ce n’est pas tout: la calomnie
s’abattit sur l’œuvre naissante de don Bosco, et l‘on tenta même de la ruiner.
En 1860 des perquisitions brutales furent opérées dans les locaux de l’Oratoire
saint François de Sales dont les cours d’humanités comptaient plus de 300
élèves. Motif: l’Oratoire était un foyer de conspirations... À neuf reprises don
Bosco dut subir la fatigue et la honte de visites domiciliaires, qui, on s’en
doute, ne donnèrent aucun résultat.
Incontestablement le succès des
œuvres et des publications de don Bosco dérangeait trop; aussi, à plusieurs
reprises fut-il affronté à des groupes de malfaiteurs qui le volèrent ou même
cherchèrent à attenter à sa vie. La protection dont il bénéficia fut souvent,
comme nous allons le voir maintenant, véritablement extraordinaire. Nous allons
rapporter ici quelques exemples, puis nous parlerons de son chien El Grigio.
De 1852 à 1856 don Bosco fut
plusieurs fois attaqué par des adeptes de la secte vaudoise qui avaient décidé
de se débarrasser de lui.
– un dimanche soir,
alors qu’il était en train de donner une leçon de catéchisme, quelqu’un tira sur
lui; la balle passa entre ses côtes et son bras et s’arrêta sur le mur d’en
face. Affolement général des jeunes auditeurs :
“Allons, dit don Bosco,
continuons notre leçon... la Sainte Vierge lui a fait manquer sa cible.
L’ennuyeux, c’est que c’est ma belle soutane, et la voilà déchirée!”
– Un autre soir on vint
le chercher pour, soi-disant, administrer un mourant. Méfiant, Don Bosco prit
avec lui quatre de ses garçons, sous prétexte de leur faire prendre l’air. Chez
le mourant, don Bosco trouva une bande de joyeux lurons qui faisaient semblant
de manger de châtaignes:
— Quelques châtaignes, monsieur
l’Abbé ?
— Non je ne mange jamais entre
les repas
— Alors un petit verre de vin ?
— N’insistez pas, je ne bois pas
plus que je ne mange.
— Voyons, pour nous faire
plaisir.
Don Bosco prit le verre, mais après
avoir porté un toast avec les autres, il reposa le verre. Il avait remarqué
qu’on avait pris pour lui, une bouteille non entamée. Don Bosco renouvela son
refus, mais les hommes révélèrent enfin leur mortel projet :
— Si vous ne le prenez pas de
bon gré, vous le prendrez de force.
D’un bond don Bosco fit entrer ses
quatre gaillards et le calme se rétablit. Il n’y avait pas de moribond à
administrer dans la maison, et notre saint remercia Dieu de l’avoir protégé.
Les attaques ne se terminaient pas
toujours aussi bien, et don Bosco fut parfois blessé. Quand il rentrait tard le
soir, don Bosco était toujours sur la défensive; cependant jamais il ne porta
plainte: il oubliait l’offense et continuait son chemin. Vraiment, les œuvres de
don Bosco gênaient trop l’enfer; mais le ciel veillait. Lorsque la situation
devenait critique, un chien, le Grigio, était là, prêt à défendre son
maître. Comment don Bosco et le Grigio firent-ils connaissance ?
C’était un soir d’automne de 1852.
L’endroit était dangereux et soudain don Bosco vit un énorme chien arriver près
de lui et cheminer à côté de lui. D’abord effrayé, don Bosco s’aperçut que la
bête était sympathique et qu’elle acceptait ses caresses. Désormais, tous les
soirs, quand il rentrait tard, don Bosco avait un compagnon. Lorsqu’ils étaient
arrivés à la porte du patronage, la bête s’en allait. Cette compagnie lui fut,
comme nous allons le voir, parfois très précieuse.
Un soir d’hiver, un individu
embusqué derrière un arbre tira deux fois sur don Bosco, mais manqua sa cible.
Alors l’homme se précipita sur le prêtre et l’aurait probablement assommé, si
une bête furieuse et hurlante ne s’était précipitée sur le dos de l’agresseur
qui s’enfuit sans demander son reste.
Une nuit, deux personnes à l’aspect
louche cheminaient devant don Bosco, à quelques pas de lui. Méfiant, don Bosco
rebroussa chemin pour rentrer en ville, mais les deux hommes se précipitèrent
sur lui, le bâillonnèrent et lui enfermèrent la tête dans un sac. Don Bosco
était à la merci des malfaiteurs quand, soudain, un aboiement furieux retentit:
c’était encore el Grigio, qui, en quelques secondes, délivra son maître.
Une autre fois, Don Bosco suivait
l‘avenue qui le conduisait à son logis. Soudain sortit d’un buisson un individu
qui se précipita sur lui avec un bâton. Plus rapide que l’éclair, don Bosco
décocha à l’homme un formidable coup de poing qui le renversa hurlant de
douleur. À ses cris, toute une bande de voyous émergea des buissons. Don bosco
était perdu: dans deux secondes il serait assommé. C’est alors que l’aboiement
de Grigio se fit entendre. Les crocs menaçants du chien ne laissant aucun doute
sur ses intentions, les voyous s’enfuirent...
Curieuse bête, si douce avec don
Bosco et toujours prête à le défendre! Un jour pourtant, el Grigio ne voulut pas
laisser sortir son maître de chez lui. La bête était déterminée, hargneuse, et
même menaçante. Maman Marguerite, d’abord étonnée, déclara à son fils:
— Si tu ne veux pas m’écouter,
écoute au moins cette bête: elle a plus de raison que toi.
Don Bosco resta à la maison. Moins
d’un quart d’heure après, un voisin vint supplier don Bosco de ne pas sortir ce
soir-là: il avait surpris une conversation indiquant que l’on préparait un
mauvais coup contre lui.
Enfin, peu à peu, les persécutions
sectaires cessèrent, s’éteignant par lassitude. El Grigio disparut aussi, et
personne ne revit plus jamais ce sympathique animal.
Don Bosco fut un travailleur
acharné, et pourtant il fut souvent éprouvé physiquement. En juillet 1856 un
coup de foudre endommagea fortement son œil droit qui fut définitivement perdu
en 1878. Et son œil gauche n’était pas bon... Puis, dès 1846 des varices
gonflèrent ses jambes et la marche lui devint très difficile et pénible. Parfois
même les varices éclataient...
Puis il y eut les migraines et les
névralgies dentaires. Il y avait aussi l’arthrite, et parfois des hémoptysies...
Ses trois dernières années furent un constant martyre: on était même obligé de
le soutenir dans tous ses déplacements.
Et pourtant... Don Bosco était
complètement épuisé lorsque l’ordre lui fut donné de Rome, en février 1884,
d’achever la construction de l’église du Sacré-Cœur, et d’en payer les travaux.
C’est alors qu’il se mit en route pour la France. (voir ci-dessous)
Deux songes étonnants avaient
averti don Bosco que ses souffrances étaient voulues par Dieu:
– En 1847[1] ,
une nuit, il aperçut la Vierge Marie qui l’invitait à marcher sur un long
berceau de roses. Les roses descendaient des pilastres, et jonchaient le sol en
répandant un parfum délicieux. Don Bosco retira ses chaussures pour ne pas
écraser les roses, mais il s’aperçut vite que ces merveilleuses fleurs cachaient
bien des épines.. Il retourna se rechausser, mais il était maintenant suivi d’un
groupe de compagnons. Le parfum était enivrant, mais les épines mettaient les
jambes en sang. Les prêtres et les jeunes clercs qui suivaient don Bosco
gémissaient; il rebroussèrent vite chemin.
Et don Bosco se mit à pleurer :
— Est-ce possible que je doive
arriver seul au but ?
C’est alors qu’un autre groupe
arriva : prêtres, jeunes clercs et laïcs. Ils lui dirent:
— Prends-nous; nous sommes
disposés à te suivre partout.
Don Bosco se mit à la tête de
ses nouveaux compagnons, et ils atteignirent la tonnelle, mais épuisés,
amaigris, ensanglantés. Alors un vent léger se leva qui cicatrisa toutes les
plaies. Une forte brise souffla ensuite, et don Bosco se trouva au milieu d’une
foule de jeunes gens que ces prêtres, ces clercs et ces laïcs guidaient et
éduquaient.
– Trente ans plus tard
en 1880, don Bosco se vit dans sa chambre, entouré du Conseil de la
congrégation salésienne. Soudain un orage épouvantable et un coup de foudre
ébranlèrent les airs:
— Oh ! Une pluie d’épines !
Un second coup de tonnerre: le
temps semblait s’éclaircir un peu, et don Bonetti de s’écrier :
— Voilà que les épines font
place à des boutons de fleurs.
Un troisième coup de tonnerre,
le ciel était devenu clair, et don Bonetti constata:
— Bon, ce sont des fleurs qui
pleuvent maintenant.
Un dernier coup de tonnerre, et
du ciel devenu clair et brillant tombèrent des roses aux parfums pénétrants:
— Ce n’est pas trop tôt, soupira
don Bosco.
Don Bosco sauvait décidément
beaucoup trop d’âmes; cela mettait l’enfer en fureur. Il n’est pas dans notre
propos de raconter tout ce que Don bosco a souffert. Il suffit de savoir que
Satan se comportait vis à vis de lui comme il l’avait fait avec le saint Curé
d’Ars.
À partir de 1862, les persécutions
devinrent vraiment infernales, infestant la plupart de ses nuits. Don Bosco
sortait épuisé de ces sabbats nocturnes. Cela dura deux ans, jusqu’en 1864.
Comment ces attaques
cessèrent-elles? Nous ne le savons pas. Un étrange dialogue avec l’un de ses
protégés nous révèle seulement qu’il réussit à terrasser l’ennemi. C’était un
soir, et, familièrement, à des intimes, don Bosco disait l’effroi que lui
causait la seule pensée de ces nuits de sabbat. L’un des jeunes gens déclara:
― Oh ! moi, je n’aurais pas peur
de lui.
― Tais-toi, coupa don Bosco
d’une voix dure qui étonna tout le monde. Tais-toi, tu ne sais pas jusqu’où peut
aller, avec la permission de Dieu, le pouvoir de Satan.
― Mais si je le sais. Tenez, si
je le voyais, je le prendrais au cou, et l’on verrait bien.
― Tu dis des sottises, mon
enfant. Rien que la peur te ferait mourir à son premier contact.
― Mais je ferais le signe de la
Croix.
― Ça l’arrêterait une minute.
― Alors comment faisiez-vous
pour le repousser ?
― Le moyen de le mettre en
fuite, je le connais bien maintenant. Depuis que je l’emploie, il me laisse
tranquille.
― Et quel est-il? L’eau bénite ?
-À certaines minutes l’eau
bénite elle-même ne suffit pas.
― Oh ! dites-le-nous, ce remède,
supplièrent en chœur les jeunes gens.
― Je le connais, je l’ai
employé, il fut efficace, oh ! Combien !...
Puis don Bosco se tut, gardant pour
lui, définitivement, ce secret... Mais le serviteur de Dieu avait terrassé
l’enfer.
[1] Don
Bosco n’avait que 32 ans.

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