

Quatrième partie
La
spiritualité de don Bosco
“Les vertus qui te rendront heureux
dans le temps et dans l’éternité sont : l’humilité et la charité.”
Rempli d’amour et de compassion
pour les enfants et les jeunes pauvres et abandonnés, don Bosco se considérait
comme un simple instrument, choisi par Dieu pour réaliser une œuvre qui
dépassait les forces humaines. Don Bosco ne devait donc s’appuyer que sur Dieu
seul, et, toujours, et en toutes circonstances, s’abandonner entre les bras de
Dieu et à sa très sainte volonté. Ces quelques mots résument toute la
spiritualité de saint Jean Bosco.
Tout ce qui a été dit plus haut met
en valeur la spiritualité de don Bosco. Il nous faut maintenant exprimer ce qui
animait et dirigeait sa vie, ce qui était le cœur même de l’apôtre rempli
d’amour, d’amour pour Dieu, et l’amour de son prochain. Il nous faut dire aussi
comment il vécut l’union à Dieu dans une vie exceptionnellement active, voire
bousculée. Tout d’abord, ce qui transparaît le plus, c’est son abandon à la
volonté et aux exigences de son Seigneur.
C’est don Cafasso qui orienta don
Bosco vers les fillettes de l’internat Sainte Philomène, pour petites infirmes,
et vers l’Œuvre du Refuge, internat pour les fillettes pauvres[1].
Don Bosco ne voulait pas prendre de décision seul: en effet, au moment de la
mort de don Calosso, son premier bienfaiteur, il avait fait un rêve à travers
lequel “on lui reprochait d’avoir placé son espérance dans les hommes et non
dans la bonté du Père des cieux.”
À regret don Bosco obéit à don
Cafasso, mais telle était la volonté de Dieu, et il s’en rendit bientôt compte:
c’était l’endroit choisi par Dieu pour accueillir ses garçons et édifier la
première église du patronage Saint François de Sales, église qui sera consacrée
le 8 décembre 1844.
Deux ans plus tard Jean Bosco et
son patronage devaient quitter le Refuge. Le dernier dimanche alors qu’il était
en plein désarroi, don Bosco s’écria: “Mon Dieu, pourquoi ne me montrez-vous pas
l’endroit où vous voulez que je recueille ces enfants, oh! faites-le-moi
connaître, et dites-moi ce que je dois faire.” La prière était à peine achevée
que Mr Joseph Pinardi se présenta à lui et proposa sa propriété.
Pour accomplir sa lourde tâche, don
Bosco s’entoura rapidement de nombreux collaborateurs. Voici une phrase
remarquable qu’il écrivit le 3 septembre 1863 à la comtesse Charlotte Gabrielle
Callori. Cinq de ses jeunes prêtres venaient de tomber malade: l’un était mort,
un autre allait suivre; et les autres, s’ils guérissaient, auraient bien du mal
à se remettre. “Ne pensez pas pour autant que je sois abattu; fatigué, et rien
d’autre. Le Seigneur a donné, a changé, a repris au moment où il lui plaisait:
que soit toujours béni son saint nom! Je suis d’ailleurs consolé par l’espoir
qu’après la tempête viendra le beau temps.”
Mais l’abandon spirituel n’est ni
lâcheté, ni cessation des combats. Nous en avons la preuve dans ce que, plus
tard, don Bosco écrira à don Bonetti: “Rappelle-toi qu’en ce monde nous avons
non pas un temps de paix, mais de guerre continuelle. Nous aurons un jour la
paix si nous avons combattu sur la terre.”
Don Bosco contemple la Passion de
Jésus “qui accepte sa condamnation, se tait et souffre.” Il accepte, il souffre,
et il pardonne. “Mais, voici un excès de bonté et d’amour: cloué sur une croix,
transpercé de clous, blasphémé et insulté de mille façons par ces même ennemis,
que fait-il?... Il ne fait rien d’autre que de lever le regard vers son Père
céleste: ‘Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’... Peut-on
imaginer un amour plus grand et une plus grande miséricorde?”
Selon don Bosco, Dieu ne “sait pas
mépriser un cœur contrit et humilié; bien plutôt il trouve sa gloire à faire
miséricorde et à pardonner. Et ce qui doit le plus consoler le pécheur, c’est
qu’il n’aura pas longtemps à pleurer: à la première larme, au premier ‘je me
repens’, le Seigneur sera ému de pitié. À peine te repens-tu et demandes-tu
pardon, tout de suite il te pardonne... Jésus-Christ est venu pour sauver les
pécheurs.”
Mais attention, on ne se moque pas
de Dieu: il faut savoir se mettre en état de bénéficier de la miséricorde
divine.
Dans une conférence donnée en 1858
pour le mois de Marie, don Bosco déclara: “si tu désires que Dieu use de
miséricorde à ton égard, commence, toi, par user de miséricorde envers les
pauvres... Fais bien attention que le Seigneur te demande de donner aux pauvres
tout ton superflu.”
Et quel est ce superflu dont parle
don Bosco ?
S’adressant à des gens de la haute
société de Turin, il précise: “Sont du superflu ces acquisitions et ces
accroissements de richesses que tu fais d’année en année. Superflue est cette
recherche que tu as dans les services de table, dans les repas, les tapis, les
vêtements qui pourraient servir à qui a faim, à qui a soif, à couvrir qui est
nu. Superflu est ce luxe dans les voyages, dans les théâtres, les bals et autres
divertissements où l’on peut dire que va finir ce qui appartient aux pauvres.”
Mais alors, ceux qui n’ont rien,
qui n’ont que le juste nécessaire, et encore? Aux pauvres, don Bosco conseille:
“Les moyens de faire l’aumône ne te manquent pas. N’y a-t-il pas des malades à
visiter, à assister, à veiller? N’y a-t-il pas de jeunes abandonnés à
recueillir, instruire, accueillir en ta maison si tu le peux, ou au moins à
conduire là où ils pourront apprendre la science du salut?... Et encore, ne
peux-tu faire quelque prière, aller te confesser, communier, réciter un rosaire,
assister à une messe pour le soulagement des âmes du Purgatoire, pour la
conversion des pécheurs, ou pour que les infidèles soient éclairés et
parviennent à la foi? N’est-ce pas aussi une belle aumône que d’envoyer aux
flammes les livres pervers, diffuser les bons livres et parler en toute occasion
favorable de notre sainte religion catholique.”
La charité
Le 12 mars 1877, dans une
conférence destinée aux Coopérateurs de Nice, don Bosco insista particulièrement
sur la charité et sur la récompense que Dieu accordera à ceux qui travaillent
pour Lui, car, “vous ne donnerez pas en mon nom, à l’un des plus petits, à un
indigent, sans que vous n’obteniez la récompense.” Oui, “toute aumône faite aux
malheureux est regardée par Dieu comme faite à lui-même.”
Le Sauveur est présent dans la
personne des pauvres les plus délaissés. “Donc, ce ne sont plus les pauvres
enfants qui nous demandent la charité et l’aumône, c’est Jésus lui-même en leurs
personnes... “
L’ascèse que don Bosco recommande
peut nous sembler facile. Avons-nous vraiment essayé de la mettre en pratique?
Les renoncements imposés par la vie quotidienne ne sont-ils pas une véritable
ascèse?
Dans un premier temps, on a
l’impression que don Bosco insistait peu sur l’ascèse au sens strict. Il
insistait sur la joie, sur l’amabilité, la présence sentie de Dieu. Pourtant, la
Croix, Jean Bosco la connaissait; mais il avait compris que la meilleure ascèse,
et la plus efficace, c’était de faire la volonté de Dieu, c’est à dire
d’accepter les difficultés quand elles se présentaient, et d’accomplir
parfaitement son devoir d’état. Cela suppose de nombreux renoncements que don
Bosco a d’abord vécus avant de les proposer à ses enfants:
– le renoncement aux
commodités, pour demeurer disponible au service du prochain, et en particulier
le renoncement à “l’habitude” pour suivre les jeunes sur leurs routes toujours
nouvelles,
– le renoncement à la
préoccupation de soi, pour demeurer accueillant, attentif et aimable à quiconque
se présente;
– le renoncement à
toute gloire personnelle, pour demeurer l’humble serviteur de Dieu et de son
royaume.
Le jeune Dominique Savio[2] ,
comme tous les adolescents désirant “se faire saints”, essayait d’imiter les
grands pénitents qu’il connaissait ou dont il avait entendu parler, pour mieux
ressembler à Jésus crucifié. Mais don Bosco lui interdira toutes les pénitences
corporelles, incompatibles avec son âge. Par contre il insistera beaucoup sur
l’apostolat. Pour don Bosco, “l’apostolat est une voie de sainteté, et pour un
salésien, la principale voie de sainteté: les âmes à gagner valent le sang de
Jésus-Christ qui les a sauvées.”
Et puis, il y a aussi l’obéissance
et l’acceptation des épreuves quotidiennes qui sont les meilleures des
pénitences:
– La pénitence que le Seigneur te
demande, dit don Bosco à Dominique Savio, c’est d’obéir. Obéis, et pour toi, ça
suffira.
Et encore :
– Oui, on te permet de faire
pénitence en supportant les injures à l’occasion, en endurant patiemment le
chaud, le froid, le vent, la pluie, la fatigue et tous les embarras de santé
qu’il plaira à Dieu de t’envoyer. Ce que tu devrais souffrir par force, offre-le
à Dieu.
L’ascèse de don Bosco est celle du
zèle infatigable et de l’accueil de tous ceux qui viennent auprès de nous. À don
Rua il donne des conseils dont voici quelques-uns:
“Tâche de te faire aimer plutôt que
de te faire craindre... Nul n’est apte à commander s’il n’est capable d’obéir...
Tâche d’éviter les ordres
déplaisants; au contraire, aie le plus grand souci de favoriser les inclinations
individuelles, en confiant de préférence à chacun les charges que tu sais être
particulièrement à leur goût...
Aie en horreur, comme le poison,
les changements dans les règles. Leur observance exacte est préférable à
n’importe quelle variation. Le mieux est l’ennemi du bien.”
Souvent don Bosco a manifesté
l’estime qu’il portait à l’obéissance, pénitence préférable à beaucoup d’autres.
Ainsi il n’hésite pas à écrire en 1884, à des amies françaises: “Quant aux
pénitences corporelles, elles ne sont pas à propos pour vous. Aux personnes
âgées il suffit d’endurer les peines de la vieillesse pour l’amour de Dieu; aux
personnes maladives, il suffit d’endurer doucement, pour l’amour de Dieu leurs
incommodités, et suivre l’avis du médecin ou des parents en esprit d’obéissance;
c’est plus agréable à Dieu un manger délicat, avec l’obéissance, qu’un jeûne
contre l’obéissance.”
Dans le premier projet de ses
Constitutions, il écrivait: “Le divin Sauveur nous a assurés qu’il n’est pas
venu pour faire sa propre volonté, mais celle de son Père céleste... Que chacun
obéisse sans aucune résistance ni dans les faits, ni dans le cœur. Plus une
chose répugne à celui qui la fait, plus il accroîtra devant Dieu son mérite en
la faisant.”
Cette ascèse, pleine d’amour,
préconisée par don Bosco, imprègne toute la spiritualité salésienne que nous
découvrons dans ses lettres adressées à ses collaborateurs. On retrouve souvent,
dans cette correspondance, les points essentiels de ce qu’il voulait inculquer à
tout prix à ses fils et à ses filles:
L’affection paternelle, pas
toujours évidente, mais nécessaire pour toucher le cœur des élèves
La joie, parfois véritable ascèse
qu’il présente comme suit à don Bonetti: “Ne te fais pas de souci au sujet de ce
que tu m’écris. Le démon voit que tu veux lui échapper définitivement, c’est
pourquoi il s’efforce de te tromper. Suis mes conseils, va de l’avant en toute
tranquillité. Pour le moment fais passer ta mélancolie ... et chante avec
François d’Assise: ‘Si grand est le bien qui m’attend que toute peine m’est un
présent, toute douleur un plaisir, tout chagrin est un beau jouir, toute
angoisse réjouit mon cœur.”
Et un vrai souci des malades. Au
même Bonetti, malade, don Bosco écrit: “... Tous les jeûnes et toutes les
mortifications dans la nourriture te sont interdits... Tu peux tout compenser
par des oraisons jaculatoires, par l’offrande de tes ennuis au Seigneur et par
ton bon exemple.”
Et à don Rua: “Aie soin de ta
santé; repose-toi librement; sois attentif aux aliments qui pourraient t’être
nocifs; jusqu’à la mi-février tu es dispensé des matines; limite-toi aux petites
heures, vêpres et complies, mais réparties.”
[1] Ces
deux œuvres avaient été créées par la Marquise de Barolo.
[2] Don
Bosco estimait que “Dominique Savio était une merveille de la grâce”

|