SECONDE CONFÉRENCE DE L'ABBÉ NESTEROS

Des charismes divins

CHAPITRE 1

Nesteros explique que les miracles se font par trois manières différentes.

Après la synaxe du soir, nous nous assîmes tous deux sur des nattes, comme c'est la coutume aux moines, l'esprit tendu vers la conférence promise.
Et d'abord, par déférence pour le vieillard, nous gardâmes quelque temps le silence. Mais lui prit les devants, et rompit par le discours suivant notre muette et respectueuse, attente.
Le cours du précédent entretien nous avait conduits jusqu'à l'examen de ce problème : Sous quelle forme se présentent les charismes spirituels ?
La tradition des anciens nous apprend qu'elle est triple.
La première cause du don de guérison est le mérite de la sainteté : la grâce des miracles accompagne tous les élus et les justes. C'est, par exemple, un fait constant que les apôtres et une multitude de saints ont accompli des signes et des prodiges, de par le commandement que le Seigneur leur en avait fait : «Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons; gratuitement vous avez reçu, donnez gratuitement.» (Mt 10,8).
Voici la seconde : pour l'édification de l'Église, ou pour récompenser la foi, soit de ceux qui offrent leurs malades, soit des malades eux-mêmes, la vertu de guérir procède même des pécheurs et des indignes. C'est d'eux que parle le Sauveur en cet endroit de l'Évangile : «Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous point prophétisé en votre nom ? n'avons-nous pas, en votre nom, chassé les démons ? et en votre nom, n'avons-nous pas fait quantité de miracles ? Alors, je leur dirai hautement : Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité.» (Mt 7,22-23).
Au contraire, le manque de foi chez les malades ou ceux qui les présentent ne permet pas à ceux-là mêmes qui ont reçu le don de guérison, d'exercer leur pouvoir. L'évangéliste saint Lue dit sur ce sujet : «Jésus ne put faire de miracle parmi eux, à cause de leur incrédulité.» (Mc 6,5-6). Et c'est à cette occasion que le même Seigneur déclare : «Il y avait beaucoup de lépreux en Israël, aux jours du prophète Élisée; et pourtant, aucun d'eux ne fut guéri, mais le seul Syrien, Naaman.» (Lc 4,27).
La troisième sorte de guérisons est un jeu et une ruse des démons. Un homme est engagé dans des crimes manifestes, mais on admire ses miracles, et on le croit serviteur de Dieu : c'est pour les esprits malins le moyen de persuader aux autres d'imiter jusqu'à ses vices. De plus, la porte est ouverte à la critique, et la sainteté de la religion elle-même discréditée. À tout le moins peuvent-ils s'attendre que celui qui se croit ainsi le don de guérison, le coeur enflé de superbe, tombera d'une chute plus terrible.
De là leur stratagème : on les voit prononcer avec effroi le nom de personnes qu'ils savent entièrement dépourvues de sainteté et de fruits spirituels, comme si leurs mérites étaient un enfer insupportable qui les chasse du corps des possédés. Mais de ces personnes, il est dit dans le Deutéronome : «S'il s'élève du milieu de toi un prophète ou quelqu'un qui dise avoir vu, un songe, et qu'il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu'il a dit s'accomplisse, puis qu'il le dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n'écouteras point les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu'il paraisse si vous l'aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Dt 13,1-3). Il est dit de même dans l'Évangile : «Il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes, et ils feront de grands signes et de grands prodiges, jusqu'à induire dans l'erreur, s'il se pouvait, même les élus.» (Mt 24,24).

CHAPITRE 2

En quoi l'on doit admirer les saints.

Aussi ne devons-nous jamais admirer pour leurs miracles ceux qui en font une prétention; mais plutôt considérer s'ils se sont rendus parfaits par la correction de leurs vices et l'amendement de leur vie. Ceci n'est pas un bienfait qui s'obtienne par la foi d'un autre ou pour des causes qui nous seraient étrangères; mais la grâce divine le dispense à chacun à proportion de son zèle.
Telle est la science pratique, que l'Apôtre appelle d'un autre nom la charité, et que son autorité nous enseigne à préférer à toutes les langues des hommes et des anges, à la plénitude de foi capable de transporter même les montagnes, à toute science et prophétie, à l'abandon de tous nos biens, enfin au glorieux martyre lui-même. Après avoir énuméré tous les genres de charismes : «À l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse, à l'autre, une parole de science, à un autre la foi, à un autre le don de guérison, à un autre la puissance d'opérer des miracles» il va parler de l'amour. Or, remarquez dans un seul mot comme il la met au-dessus de tous les charismes : «Aussi bien, dit-il, je vais vous montrer une voie excellente entre toutes.» (1 Cor 12,8-10).
Voilà qui prouve à l'évidence que la somme de la perfection et de la béatitude ne consiste pas à opérer des merveilles, mais dans la pureté de la charité. Et non sans cause. Car les premières sont destinées à s'évanouir dans le néant, tandis que la charité demeure à jamais.
C'est pourquoi nous ne voyons pas que nos pères aient affecté ces oeuvres miraculeuses. Tout au contraire, alors même que la grâce du saint Esprit leur en avait donné le pouvoir, ils n'ont jamais consenti à l'exercer que contraints par une extrême et inévitable nécessité.

CHAPITRE 3

D'un mort ressuscité par l'abbé Macaire.

C'est ainsi, il nous en souvient, que l'abbé Macaire, le premier qui habita le désert de Scété, ressuscita un mort.
Un hérétique, sectateur du traître Eunomius, s'efforçait de ruiner la foi catholique par les artifices de la dialectique. Déjà des multitudes s'étaient laissé séduire, lorsque, à la prière de plusieurs catholiques, qu'un si grand désastre remuait profondément, le bienheureux Macaire entreprit de sauver la simplicité égyptienne d'un complet naufrage de la foi.
Il arrive. Et l'hérétique de l'attaquer à grand renfort de syllogismes. Triomphant de son ignorance, il prétendait l'entraîner dans le maquis aristotélicien. Mais le bienheureux, Macaire mit fin à tous ses discours par une brièveté tout apostolique : «Le royaume de Dieu, dit-il, ne consiste pas en paroles, mais en oeuvres de puissance.» Allons donc vers les tombeaux, et invoquons le nom du Seigneur sur le premier mort qui se trouvera. Selon qu'il est écrit, montrons notre foi par des oeuvres. Le témoignage divin déclarera où sont les marques de la vraie foi; et ce ne sera point par de vaines disputes de mots que nous rendrons la vérité manifeste, mais par la puissance des miracles et par le jugement de Celui qui ne peut se tromper.
L'hérétique entend ces paroles, et, rougissant de s'avouer vaincu en présence du peuple qui l'entoure, il feint sur l'heure de se prêter à la condition qu'on lui propose. Il sera là demain, il le promet.
Le lendemain, tous s'empressent, et affluent à l'endroit désigné, avides de contempler un tel spectacle. On l'attend. Mais lui, conscient de son infidélité, s'est enfui de peur, et, sans tarder, quitte l'Égypte elle-même.
Après l'avoir attendu jusqu'à la neuvième heure avec tout le peuple, Macaire voit que les reproches de sa conscience l'ont déterminé à éviter le rendez-vous. Il prend alors, avec soi la multitude que l'hérétique avait entraînée dans le mauvais chemin, et se dirige vers les tombeaux.
Il existe en Égypte un usage que les habitants ont adopté par suite des inondations du Nil. Durant une partie notable de l'année, le pays, recouvert sur toute son étendue par le débordement régulier des eaux, ressemble a une mer immense, et l'on ne peut plus y voyager qu'en barque. En conséquence, les morts, après avoir été embaumés des aromates les plus forts, sont déposés dans de petites cellules plus élevées que le reste du sol. Car la terre, continuellement saturée d'eau, ne permet pas qu'on lui confie les corps; si on la creuse, pour y déposer quelque cadavre, la force de l'inondation est telle, qu'elle le fait remonter à la surface.
Le bienheureux Macaire s'arrête donc près d'une tombe des plus anciennes : «Ô homme, s'écrie-t-il, si cet hérétique, ce fils de perdition fût venu ici avec moi; et qu'en sa présence, invoquant le nom du Christ, mon Dieu, je t'eusse appelé : dis-moi si tu te serais levé devant tout ce monde que son imposture a failli conduire à la ruine.» Le mort se leva, et répondit que oui. L'abbé Macaire lui demanda ce qu'il avait été durant sa vie, en quel temps il avait vécu et s'il avait alors connu le nom du Christ. Il répondit qu'il avait vécu sous les plus anciens rois, et qu'il n'avait pas même entendu prononcer le nom du Christ à cette époque. «Dors en paix, reprit l'abbé Macaire, en attendant que le Christ te ressuscite en ton rang avec tous les autres, à la fin des temps.»
Ainsi, cette vertu, cette grâce singulière serait peut-être demeurée toujours cachée, pour autant qu'il dépendait de lui, si la nécessité de toute une province en péril, et sa dévotion entière, son amour sincère pour le Seigneur ne l'eussent poussé à faire ce miracle. Car, certes, il ne le fit pas par ostentation de vaine gloire; mais la charité du Christ et l'utilité de tout le peuple le lui arracha.
Le bienheureux Élie en agit de même, comme on le voit par la lecture du livre des Rois. Il ne demanda que le feu du ciel descendît sur les victimes et le bûcher, que pour sauver la foi de tout un peuple, mise en danger par les prestiges des faux prophètes.

CHAPITRE 4

Du miracle que fit l'abbé Abraham sur le sein d'une femme.

Pourquoi rappeler encore les grandes actions de l'abbé Abraham, que la simplicité de son caractère et son innocence avaient fait surnommer le simple ?
Il était sorti de son désert, pour aller moissonner en Égypte, durant les jours de la Pentecôte. Une femme portant dans ses bras son enfant déjà tout languissant et mort à demi faute de lait, vint l'assiéger de ses prières et de ses larmes. Il finit par lui donner à boire un verre d'eau sur lequel il avait tracé le signe de la croix. Elle ne l'eut pas plus tôt bu, que son sein desséché se remplit merveilleusement, et que le lait trop abondant se mit à couler.

CHAPITRE 5

De la guérison d'un boiteux opérée par le même abbé.

Le même abbé s'en allait à certain bourg, lorsqu'il fut entouré par une troupe de gens qui s'amusaient de lui. Par dérision, ils lui montraient un homme à qui son genou tout contracté rendait depuis longues années la marche impossible, et réduit à ramper par un mal désormais invétéré. «Abbé Abraham, disaient-ils pour le tenter, montre si tu es le serviteur de Dieu, et rends à cet homme sa santé d'autrefois, afin que nous croyions que le nom du Christ que tu adores, n'est pas un nom qui soit vain.» Sur-le-champ, il invoque le nom du Christ, se penche et, prenant le pied desséché, le tire. Au contact de sa main, le genou desséché et courbé se redresse soudain; le malade recouvre l'usage de ses jambes, qu'il avait depuis longtemps oublié, et s'en va tout comblé de joie.

CHAPITRE 6

L'on ne doit pas estimer le mérite d'un homme d'après les miracles qu'il fait.

Ces grands hommes ne se prévalaient donc aucunement du pouvoir qu'ils avaient d'opérer de telles merveilles. Ils confessaient que leur propre mérite n'était pour rien, mais que la Miséricorde du Seigneur avait tout fait. Admirait-on leurs miracles, ils repoussaient la gloire humaine avec ces paroles empruntées des apôtres : «Frères, pourquoi vous étonner de cela ? Pourquoi tenir les yeux fixés sur nous, comme si c'était par notre puissance on par notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ?» (Ac 3,12).
Personne, à leur sens, ne devait être loué pour les dons et les merveilles de Dieu, mais bien plutôt pour le fruit qu'il avait fait dans les vertus. Car ceci est un effet du zèle et des bonnes oeuvres. Mais il arrive quelquefois, nous l'avons dit plus haut, que des hommes d'esprit pervers, condamnables sur le sujet de la foi, chassent les démons et opèrent les plus grands miracles au nom du Seigneur.
C'est de quoi les apôtres se plaignaient un jour : «Maître, disaient-ils, nous avons vu un homme qui chasse les démons en votre Nom, et nous l'avons empêché, parce qu'il ne va pas avec nous.» (Lc 9,49). Sur l'heure, le Christ répondit : «Ne l'empêchez pas, car celui qui n'est pas contre vous est pour vous.» (Mt 9,50). Mais, lorsque, à la fin des temps, ces gens diront : «Seigneur, Seigneur, n'avons-nous point prophétisé en votre Nom ? n'avons-nous pas en votre Nom, chassé les démons ? et en votre Nom, n'avons-nous pas fait quantité de miracles ?» (Mt 7,22) Il atteste qu'il répliquera : «Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de Moi, ouvriers d'iniquité.» (Mt 7,23).
Aussi donne-t-il l'avertissement à ceux qu'il a Lui-même gratifiés de la gloire des signes et des miracles, de ne point s'élever à ce propos : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux.» (Lc 10,20).

CHAPITRE 7

La vertu, pour ceux qui ont des charismes, ne consiste pas à opérer des merveilles, mais dans l'humilité.

Mais voici que l'auteur même de tous les signes et les miracles appelle ses disciples à recueillir sa doctrine; il va manifester avec évidence ce que ses sectateurs véritables et choisis entre tous devront apprendre particulièrement de lui : «Venez, dit-il, et apprenez de Moi,» (Mt 11,28) non pas certes à chasser les démons par la puissance du ciel, ni à guérir les lépreux, ni à rendre la lumière aux aveugles, ni à ressusciter les morts — J'opère, il est vrai, tous ces prodiges par l'entremise de quelques-uns de mes serviteurs; néanmoins, l'humaine condition ne saurait entrer en société avec Dieu pour les louanges qui Lui sont dues; le ministre et l'esclave ne peut prendre sa part où toute la gloire appartient à la seule divinité; mais, dit-il, «apprenez de Moi» ceci, «que je suis doux et humble de coeur.» (Mt 11,29). Voilà, en effet, ce qu'il est possible à tous communément d'apprendre et de pratiquer. Mais de faire des signes et des miracles, cela n'est pas toujours nécessaire, ni avantageux à tous, et n'est pas accordé non plus universellement.
C'est donc l'humilité qui est la maîtresse de toutes les vertus, le fondement inébranlable de l'édifice céleste, le don propre et magnifique du Sauveur. Celui-là pourra faire sans péril d'élèvement tous les miracles que le Christ a opérés, qui cherche à imiter le doux Seigneur, non dans la sublimité de ses prodiges, mais dans la vertu de patience et d'humilité. Pour celui qu'agite le désir impatient de commander aux esprits immondes, de rendre la santé aux malades, de montrer aux foules quelque signe merveilleux, il peut bien invoquer le Nom du Christ au milieu de toute son ostentation; mais il est étranger au Christ, parce que son âme superbe ne suit pas le Maître de l'humilité.
Sur le point de retourner à son Père, celui-ci voulut établir, pour ainsi parler, une sorte de testament. Or voici le legs qu'Il lit à ses disciples : «Je vous donne un commandement nouveau, dit-il : que vous vous aimiez les uns les autres; que, comme Je vous ai aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres.» (Jn 13,34). Et il ajoute aussitôt : «C'est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres.» (Jn 13,35). Il ne dit pas : Si vous faites des signes et des prodiges, mais : «Si vous avez de l'amour les uns pour les autres.» Et il est bien certain d'ailleurs qu'à moins d'être doux et humble, on ne conservera pas cet amour.
Aussi, nos anciens n'ont-ils jamais tenu pour des moines vertueux et exempts de vanité, ceux qui font profession devant les hommes d'être exorcistes, et s'en vont, pleins de jactance et d'ostentation, divulguer parmi des foules d'admirateurs la grâce qu'ils ont méritée ou se sont arrogée. Vains efforts ! «Celui qui s'appuie sur des mensonges, se nourrit de vent; il poursuit l'oiseau dans son vol.» (Pro 10,4). Sans aucun doute, il lui arrivera ce qui est dit dans les Proverbes : «Comme on reconnaît les vents, les nuages et la pluie, ainsi celui qui se glorifie d'un faux don.» Pro 25,14).
Si l'on vient à faire en notre présence quelqu'un de ces prodiges, ce n'est pas cette merveille qui rendra son auteur estimable à nos yeux, mais seulement la beauté de sa vie. Nous ne chercherons pas si les démons lui sont soumis, mais s'il possède la charité avec les manifestations diverses que l'Apôtre énumère.

CHAPITRE 8

Il est plus admirable d'expulser les vices de soi-même que les démons du corps d'autrui.

Aussi bien, est-ce un plus grand miracle d'extirper de sa propre chair le foyer de la luxure, que d'expulser les esprits immondes du corps d'autrui; un signe plus magnifique de contenir par la vertu de patience les mouvements sauvages de la colère, que de commander aux puissances de l'air. C'est quelque chose de plus, d'éloigner de son propre coeur les morsures dévorantes de la tristesse, que de chasser les maladies et les fièvres des autres. Enfin, c'est, à bien des titres, une plus noble vertu, un progrès plus sublime, de guérir les langueurs de son âme, que les faiblesses corporelles d'autrui. Plus l'âme est au-dessus de la chair, plus est préférable son salut; plus sa substance l'emporte par l'excellence et le prix, plus grave et funeste serait sa perte.

CHAPITRE 9

Combien une vie vertueuse l'emporte sur les oeuvres miraculeuses.

Des guérisons corporelles, il est dit aux bienheureux apôtres : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis.» (Lc 10,20). Ce n'était pas leur puissance qui opérait ces prodiges, mais la vertu du nom qu'ils invoquaient. Et voilà pourquoi le Seigneur les avertit de ne revendiquer ni béatitude ni gloire pour ce qui n'est dû qu'à la puissance et à la vertu de Dieu; mais uniquement pour la pureté intime de leur vie et de leur coeur, qui leur mérite d'avoir leurs noms inscrits dans les cieux.

CHAPITRE 10

Révélation sur l'épreuve de la chasteté parfaite.

Mais je veux prouver ce que j'avance par les témoignages des anciens et les divins oracles.
Voici ce que pensait le bienheureux Paphnuce des prodiges qui excitent l'admiration, et de la grâce de la pureté; ou plutôt ce qu'il connut par la révélation d'un ange. Je ne puis mieux le raconter qu'avec ses propres paroles et d'après ce qu'il a lui-même éprouvé.
Vivant depuis bien des années dans une très grande austérité, il se croyait entièrement délivré de la concupiscence charnelle, d'autant qu'après avoir combattu longtemps contre les démons à front découvert, il avait conscience d'avoir été supérieur à toutes leurs attaques.
Surviennent un jour quelques hommes de Dieu. Tandis qu'il leur prépare un plat de lentilles, une flamme s'échappant du four, comme il arrive, lui brûla la main.
Cet événement le jeta dans une tristesse profonde. Il se mit à songer en lui-même : «Pourquoi le feu n'est-il pas en paix avec moi, quand j'ai gagné la victoire dans les combats bien autrement terribles des démons ? Au jour redoutable du jugement, lorsque le feu inextinguible qui éprouve les mérites de chacun me pénétrera, comment ne fera-t-il pas de moi sa proie éternelle, si ce feu extérieur, temporel et sans force ne m'a pas épargné?»
Agité de ces tristes pensées, un sommeil soudain le saisit, et un ange du Seigneur lui apparaît : «Pourquoi es-tu triste, Paphnuce, de ce que ce feu terrestre ne soit pas en paix avec toi, alors que tes membres gardent un reste de concupiscence qui n'est pas encore parfaitement éteint. Tant que ses racines demeureront vivaces dans tes moelles, nul moyen que le feu matériel te soit pacifique. Tu ne cesseras d'être sensible à ses atteintes, que du jour où tu connaîtras par ce signe que tout mouvement intérieur est mort en toi : si, en présence d'une jeune fille de grande beauté, ton coeur garde inaltérable toute sa tranquillité, alors oui, le contact de cette flamme visible te sera doux et inoffensif, comme il le fut aux trois enfants dans la fournaise de Babylone.
Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l'expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n'était pas encore à la mesure d'une telle épreuve : «Il n'est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d'éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j'avais cru d'abord moins terribles que leurs cruels assauts. C'est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d'éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l'extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l'invocation du Nom divin.
Ici l'abbé Nesteros acheva son exposé de la vraie doctrine sur la manière dont se font les miracles. Tout en poursuivant son enseignement, il nous avait accompagnés jusqu'à la cellule de l'abbé Joseph, éloignée de la sienne d'environ six milles.

    

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