CINQUIÈME
CONSIDÉRATION
DU RÈGLEMENT DE SES
ACTIONS
I - Du bien qu'il y
a de vivre dans l'ordre
L'ordre et la
vertu sont deux noms qui signifient presque une même chose. L'ordre
est une conduite de vertu, et la vertu est une conduite d'ordre
.
Quelque bien que vous fassiez, si vous ne le faites pas dans
l'ordre, vous ne le faites point comme il faut. La raison veut
quelquefois qu'on quitte l'ordre qu'on s'est prescrit, mais c'est
pour suivre un ordre plus parfait qui nous est déclaré par la
nécessité, par la charité, par l'infirmité, ou par l'obéissance.
L'humeur est la conduite des bêtes ; la raison, de l'homme ; la
règle, du religieux ; l'ordre, de tous les êtres. Quel parti
prenez-vous ?
C'est l'ordre qui
fait le paradis, et le désordre qui fait l'enfer. Si vous vivez dans
l'ordre, vous serez heureux ; si vous vivez dans le désordre, vous
serez misérable. Qui peut vivre en paix, faisant la guerre à Dieu ?
et qui lui fait la guerre, sinon celui qui trouble son ordre ?
Avez-vous été en repos, tandis que vous avez été dans le désordre ?
Un soldat qui quitte son rang n'est-il pas aussitôt châtié de son
capitaine ? Tout ce qui trouble l'ordre trouble la paix, et celui
qui n'est pas bien d'accord avec Dieu ne s'accordera jamais avec
soi-même. Recherchez la cause de vos troubles.
L'ordre met chaque
chose en son lieu ; il prescrit à tous les êtres leur rang, leur
office, leur emploi et c'est ce qui les met en repos. Si vous gardez
l'ordre, il vous gardera ; si vous troublez l'ordre, il vous
troublera ; si vous détruisez l'ordre, il vous détruira.
Considérez l'univers,
et vous verrez que c'est l'ordre qui fait la beauté, la perfection,
la paix et la félicité de tous les êtres. Qu'est-ce qu'une armée
sans ordre, sinon une confusion de victimes qu'on mène à la mort ?
Qu'est-ce qu'un royaume sans ordre, sinon une forêt de brigands qui
vivent de meurtres et de larcins ? Qu'est-ce qu'une religion sans
ordre, sinon un corps sans âme, dont toutes les parties se divisent
et se détachent ? Qu'est-ce qu'un homme sans ordre, sinon un chaos
de passions qui se font une guerre mortelle, et qui mettent tout en
confusion ?
Si l'Église est une
armée, c'est l'ordre qui la range en bataille. Si l'Église est un
vaisseau, c'est l'ordre qui en est le pilote, et qui le conduit. Si
l'Église est un corps, c'est l'ordre qui le fait vivre. Si l'Église
est un état, c'est l'ordre qui le gouverne. Dites le même de la
Religion.
L'ordre, pour ainsi
parler, est le créateur du monde, il en est le conservateur, il en
est le réparateur. C'est de l'ordre que nous procédons, c'est par
l'ordre que nous subsistons, c'est dans l'ordre que nous vivons.
Tout ce que Dieu fait, il le fait dans l'ordre, et tout ce qui se
fait sans ordre n'est point de Dieu. L'ordre nous conduit à Dieu. On
ne va point à un contraire par son contraire.
Dieu est l'ordre par
essence ; jamais le désordre ne nous mènera à Dieu.
II - Réflexion
Êtes-vous dans l'ordre
? Vivez-vous d'ordre ? Vos actions sont-elles réglées ? Faites-vous
chaque chose en son temps ? N'agissez-vous point par humeur et par
caprice ? Votre volonté est-elle assez droite pour vous servir de
règle ? Vous êtes donc aussi saint que Dieu, car il n'y a que lui
qui ait pour règle sa volonté. Qu'y-a-t-il de plus déréglé que la
vôtre ? Quel mérite aurez-vous, ne faisant que ce qui vous plaît ?
Vous ne servez Dieu que par vos actions, et si vos actions ne sont
point dans l'ordre, comment voulez-vous qu'elles puissent plaire à
Dieu ?
III - Pratique
Prescrivez-vous un
ordre en la journée, que vous suivrez inviolablement, si vous n'en
êtes empêché par un ordre supérieur qui vous oblige de le quitter.
Réglez le temps de votre repos, de votre repas, de votre étude, et
de votre divertissement. On ne vit au ciel que dans l'ordre ;
commencez une vie que vous continuerez dans l'éternité. Elle en sera
plus agréable à Dieu, plus commode à votre famille si vous en avez,
et plus avantageuse à votre salut. Dieu est dans l'ordre et dans la
paix ; le démon est dans le trouble et dans le désordre. Lequel
est-ce des deux que vous voulez suivre ? À qui est-ce que vous
voulez ressembler ?
IV - Les ennemis de
l'ordre
Il y a des gens qui
aiment naturellement l'ordre ; ceux-là n'ont pas de peine à se
régler. Il y en a d'autres qui sont du naturel de ces sauvages,
qu'on ne saurait discipliner et qui ressemblent à ces bêtes
farouches qu'on ne saurait apprivoiser. Ils haïssent tout ce qui les
tient dans l'ordre, dans la discipline et dans la dépendance. Ils se
lèvent quand ils le veulent ; ils mangent quand il leur plaît ; ils
étudient quand l'envie leur en prend ; ils jouent quand l'étude leur
déplaît ; ils prient Dieu s'ils sont en bonne humeur; ils quittent
l'oraison s'ils n'y sont pas, vous les verrez un jour dévots,
modestes, composés ; un jour après, ce n'est plus cela. Ces sortes
de gens ont une grande opposition à la vertu, et s'ils ne règlent
leurs passions, il y a danger qu'ils ne meurent dans le dérèglement.
N'êtes-vous point de ces gens-là ?
Accoutumez-vous à vivre
d'ordre, et distinguez-vous des bêtes par une conduite de raison.
Êtes-vous religieux ? Gardez vos règles. Ne l'êtes-vous point ?
Faites-vous une règle que vous gardiez, comme si vous étiez en
religion. Pour arriver à la perfection, il n'y a qu'à bien faire les
actions, et pour les bien faire, il les faut faire dans l'ordre.
Toutes les dévotions irrégulières sont de grands pas hors du bon
chemin. Est-ce être chrétien que de vivre selon les sens, et de
suivre le cours de ses passions ? Et qu'est-ce que vivre sans règle,
sinon vivre par humeur et par passion ?
V - Dévots libertins
Il y a de
certains dévots forts suffisants
,
qui traitent de tyrannie les règles les plus saintes et les
conduites qu'on prescrit aux âmes qui veulent avancer à la vertu.
Ils aiment la liberté et l'indépendance, et ne peuvent s'assujettir
à aucun règlement. Ils disent que l'esprit de la grâce est un esprit
de liberté ; que toutes ces méthodes d'oraison tiennent les âmes
captives
,
et les empêchent de suivre le mouvement du Saint-Esprit ; qu'il faut
s'abandonner à la conduite de Dieu, ne s'attacher à aucune pratique,
n'observer aucune règle ; qu'en tout ce qu'on fait et en tout ce
qu'on entreprend, il faut consulter son instinct, et suivre
l'impression du Saint-Esprit ; que c'est là la conduite des enfants
de Dieu, et la véritable dévotion.
Pour moi,
j'appelle cela un franc libertinage
,
un état de tromperie et d'illusion, une conduite qui approche fort
de celle de nos hérétiques, qui haïssent la dépendance, et qui se
gouvernent par un esprit particulier, sous prétexte que l'esprit de
la grâce est un esprit de liberté. Les saints Pères de l'Église, et
les fondateurs de Religions, n'ont pas suivi ces maximes
dangereuses, et il est croyable que ceux qui les enseignent n'ont
jamais étudié ni leur doctrine ni leurs exemples
.
Défiez-vous de ces gens qui vous mènent par des voies inconnues et
irrégulières. Si vous êtes religieux, tenez pour illusion tout ce
qui vous retire de l'obéissance. Si vous ne l'êtes pas, ne vous
dispensez pas aisément de l'ordre que vous vous êtes prescrit.
VI - Leurs fausses
maximes détruites
Il est hors de doute
qu'il faut quitter son ordre pour suivre le mouvement du
Saint-Esprit ; mais d'où savez-vous que votre instinct est un
mouvement de grâce et non point de nature, de l’Esprit de Dieu et
non pas de l'esprit du démon ? Le Saint-Esprit est un esprit
d'ordre, qui inspire aux âmes la sujétion et la dépendance. Il tire
les hommes de la servitude de leurs passions, et non pas de
l'obéissance qu'ils doivent aux lois. Quand les règlements sont
libres, il veut qu'on les suive sans s'y attacher ; quand ils ne le
sont pas, il veut qu'on les garde sans s'en dispenser. L'onction de
sa grâce ne fait pas qu'on rejette le joug de la loi de Dieu, mais
elle aide à le porter.
VII - Réflexion et
résolution
Remerciez Dieu, âme
chrétienne et religieuse, de vous avoir donné un esprit d'ordre.
Voyez si vous êtes fidèle à garder vos règles. Demandez pardon à
Dieu, d'avoir été si infidèle à sa loi, et de vous être tant de fois
émancipé. Gardez-vous bien de confondre la liberté avec le
libertinage. Défiez-vous de toutes les dévotions qui vous retirent
des voies communes. Prenez avis des gens sages, et persuadez-vous
qu'il n'y a que l'obéissance qui vous puisse préserver de l'illusion
et vous faire marcher en assurance.
Heureux celui qui
s'abandonne à la conduite de Dieu, et qui ne fait rien que par ses
ordres, qui, jour et nuit, observe ses volontés, qui se tient
toujours prêt au moindre signe de marcher ou de s'arrêter, de
veiller ou de se reposer. C'est ce que fait celui qui ne vit point
par passion, et qui suit les ordres qui lui ont été donnés de Dieu.
On dira de lui ce que Moïse dit du peuple d'Israël dans le désert :
Ils campaient quand le Seigneur l'ordonnait ; ils décampaient quand
il le commandait. Ils marchaient et s'arrêtaient à son commandement
.
Peut-on dire le même de vous ?