SIXIÈME
CONSIDÉRATION
DES PREMIÈRES
ACTIONS DE LA JOURNÉE
I - Tous les
commencements sont d'importance
Les commencements
en toutes choses sont de très grande conséquence. Les prémices de
nos pensées, de nos affections, et de nos travaux sont des tributs
qui sont dus à Dieu
.
C'est du commencement de la journée qu'en dépend ordinairement toute
la suite ; c'est pourquoi le démon fait tous ses efforts pour
corrompre l'arbre en sa racine, et pour dérober à Dieu le premier
hommage qui lui est dû. Ainsi vous devez à votre réveil donner votre
première pensée, votre première parole, votre première action à
Dieu. Le faites-vous ?
II - Du lever
Il n'est pas
temps de délibérer s'il faut se lever ou non quand on est au lit et
qu'on a encore envie de dormir, Si vous écoutez la nature, il est
infaillible qu'elle gagnera sa cause. fille vous représentera qu'il
fait froid et que vous êtes incommodé ; que vous avez mal passé la
nuit; qu'infailliblement vous tomberez malade ; du moins, que vous
ne ferez que dormir pendant l'oraison ; que la grâce fait mieux son
opération lorsque le corps est content et qu'il n'a rien à lui
reprocher ; que le repos est nécessaire pour travailler, et qu'il
vaut mieux en prendre un peu trop que trop peu, N'est-ce pas là
comme elle vous endort ? N'est-ce pas ce qui vous empêche de vous
vaincre ?
Arrêtez dès le
soir l'heure de votre lever, et quand elle sera venue, faites-vous
une loi inviolable et une nécessité indispensable
de la garder, à moins que vous ne soyez extraordinairement
incommodé. Commencez votre journée par une mortification. Remportez
une glorieuse victoire sur le démon et sur le plus puissant de tous
les ennemis, qui est le sommeil. Persuadez-vous que c'est là le
sacrifice du matin ordonné par la Loi
,
et qui est infiniment agréable à Dieu ; que si vous ne sacrifiez pas
cette action à Dieu, il faut la sacrifier au démon
;
que cette fidélité vous attirera de grandes grâces du ciel, et
détournera beaucoup de malheurs où vous tomberiez ce jour-là.
N'appelez point la
grâce au secours de la nature corrompue, et ne faites point servir
l'esprit au corps. Si vous êtes assoupi en votre oraison, elle n'en
sera pas moins agréable à Dieu, pourvu que vous résistiez
courageusement au sommeil. Croyez-moi, vous n'y perdrez rien ; vous
avez affaire à un maître qui saura bien récompenser vos services,
et qui ne manquera point de vous faire goûter en un autre temps les
doux fruits de votre patience.
Levez-vous gaiement,
quand il est temps de vous lever. Si le corps vous dit qu'il n'a
point dormi la nuit, répondez-lui qu'il dormira mieux la suivante ;
qu'il sera guéri de tous ses maux aussitôt qu'il sera levé ; que
Dieu est un habile médecin, et qu'il saura bien suppléer au défaut
du sommeil. Sans confiance en Dieu, il n'est pas possible de
s'élever au-dessus des sens, et sans mortification, de vivre
d'esprit. Faites-en une bonne provision, et commencez dès le matin.
III - Du trop grand
soin de la santé
Il y a des âmes
qui ont tant de tendresse pour leur coqs que la moindre incommodité
les abat, et leur fait abandonner leurs exercices de piété.
Elles s'occupent
incessamment de leur mal ; elles en parlent à tout le monde, elles y
emploient tous les remèdes imaginables, elles consultent tous les
médecins. Vous diriez que leur vie est une des colonnes de la
nature, et que tout le monde doit finir avec elle. Mais ce qui est
le plus déplorable, c'est qu'elles cherchent des remèdes sur la
terre, et n'en vont point chercher au ciel ; elles consultent
Hippocrate et Gallien, comme les dieux de la santé, et ne consultent
jamais Jésus-Christ, qui est l'unique auteur et le conservateur de
notre vie. Elles le comptent pour rien ; elles ne font point d'état
de ses ordonnances, et défèrent plus aux maximes trompeuses et
incertaines de la médecine qu'à toutes les vérités de l'Évangile.
IV - Deux sortes de
maladies
Jamais ces âmes lâches
ne feront de progrès en la vertu ; elles demeureront toujours
attachées à leur corps et ensevelies dans leur sépulcre. Qu'elles
apprennent en passant, puisque nous sommes tombés sur cette matière,
que le trop grand soin de la santé est la plus grande et la plus
artificieuse tentation du démon ; qu'il y a des maladies qui sont
naturelles, d'autres qui ne le sont pas ; que les premières se
peuvent guérir par les remèdes de la médecine, pourvu qu'ils aient
la bénédiction de Dieu et qu'on n'y mette point de confiance; que
les autres ne se guérissent que par l'oraison et par la confiance en
Dieu.
Qui ne croirait, voyant
une femme courbée depuis dix-huit ans, que son infirmité procédait
d'une contraction des nerfs, de quelque défaillance de nature, ou de
quelque vice secret du corps ? Cependant, ce n'était rien de tout
cela; c'était, dit Notre-Seigneur, Satan qui la tenait liée depuis
dix-huit ans, et il n'y avait point de remède sur la terre qui pût
la guérir. Il faut dire le même d'une grande partie de nos
maladies : nous croyons que la cause en est naturelle, et souvent
elle ne l'est pas ; c'est le démon qui lie nos forces, c'est Dieu
qui nous attache à cette croix, et qui veut que nous l'honorions par
un sacrifice continuel de patience. Il veut du moins que nous ayons
recours à lui, que nous vivions dans une continuelle dépendance, et
que nous lui abandonnions le soin de notre corps aussi bien que de
notre âme. Nous avons beau faire et beau nous tourmenter, les
remèdes augmenteront notre mal au lieu de le diminuer.
V - Il faut avoir
recours à Dieu dans les maladies
Suivez le conseil du
Sage qui vous exhorte en vos infirmités d'avoir recours à Dieu et
non pas aux hommes, avec assurance qu'il vous guérira si la santé
vous est utile. L'oraison, dit-il, et la parole de Dieu ont plus de
vertu pour chasser la maladie que le sené et la rhubarbe des
médecins.
VI - Si c'est tenter
Dieu que de se passer de remèdes
Mettez-vous donc dans
l'ordre, et ne vous dispensez point aisément de la discipline
religieuse pour quelque infirmité que vous ressentiez. Ce n'est
point tenter Dieu que de se passer de remède quand le mal n'est
point considérable ; mais c'est l'offenser que d'y mettre toute sa
confiance. N'est-ce point pour cela que Asa, ce bon roi, mourut ?
S'il se fût adressé à Dieu, il eût recouvré la santé ! Asa, dit
l’Écriture sainte, mourut d'une violente douleur de pieds, et il
n'eut point recours au Seigneur dans son infirmité ; mais il mit sa
confiance en l'art des médecins.
VII - Quand il en
faut user
Je ne blâme pas
un soin modéré de la santé, ni qu'on appelle les médecins, quand la
maladie est considérable ; mais à moins que vous ne soyez obligé de
garder le lit, je vous conseillerais de vous en passer. Marchez tant
que vous pourrez, si vous tombez on vous relèvera. Dieu veut être le
médecin de votre coqs aussi bien que de votre âme. Combien de saints
sentaient leur mal empirer, prenant des remèdes, et diminuer, n'en
prenant point. O que heureux est l'homme qui fait de son corps une
victime continuelle, et qui peut dire avec saint Paul : Je meurs
tous les jours !
VIII - Qu'il faut
être fidèle à se lever à temps
Sauvez-vous donc,
âme religieuse, des mains des apothicaires et des médecins;
jetez-vous entre les bras de Dieu, qui connaît et qui peut guérir
votre mal. N'écoutez point votre corps quand il vous demande grâce
et permission de dormir ; levez-vous brusquement, et moquez-vous de
ses plaintes. Si vous condescendez une fois à son inclination, il en
fera coutume, et l'exigera comme un devoir. C'est le Saint-Esprit
qui vous l'ordonne : Ne disputez point, dit-il ; ne différez point à
vous lever quand l'heure en est venue (Eccl. 32 ; 15). Le
faites-vous ? Ne manquez-vous point à ce sacrifice du matin ? Si
l'infirmité ne vous en doit pas dispenser, combien moins la
sensualité, et l'envie de dormir ?
Tout le succès de
la méditation
dépend de cette première action. Hélas, quelle oraison peut faire
celui qui a perdu les grâces ?
IX - Des premières pensées, paroles et
actions
Quelle est votre
première pensée à votre réveil ? Quelle est votre première parole ?
Quelle est votre première action ? La première pensée doit s'élever
à Dieu, la première parole doit être de Dieu, la première action
doit être pour Dieu, et comme la semence de toutes les autres.
Habillez-vous le plus promptement que vous pourrez. Faites, si vous
voulez, quelque prière en vous habillant. Souvenez-vous de garder la
modestie en tout temps, niais principalement à votre lever. L'ange
de Dieu, qui est présent, vous punira si vous paraissez devant lui
dans un état indécent. Si vous donnez aux jeunes enfants qui vous
servent occasion de chute et de péché, on vous mettra une meule de
moulin au cou, et on vous jettera dans la mer.
Si vous ne faites point
de prière, ayez quelque bonne pensée en vous habillant ; la
meilleure est de vous entretenir du sujet de votre méditation, et de
concevoir un grand désir de la faire. Est-ce là votre pratique ? Ne
donnez-vous point à votre réveil liberté à votre esprit de se
dissiper en des pensées vaines, ou de courir ii) comme un chien de
chasse après son gibier ? Quelle merveille après cela si vous avez
tant de peine à le ramener pendant l'oraison, et à le tenir
recueilli en la présence de Dieu ?
X - Prière du matin
Dès lors que vous serez
décemment couvert, rendez à Dieu les respects et les hommages qui
lui sont dus. Adorez-le comme l'auteur et le conservateur de votre
être. Remerciez-le des grâces qu'il vous a faites. Offrez-lui les
actions de la journée. Demandez-lui la bénédiction. Armez-vous de
force et de résolution pour combattre votre grand ennemi, qui est le
péché auquel vous êtes le plus sujet ; prévoyez-en les occasions.
Recommandez-vous à vos anges et à vos saints protecteurs. Puis
faites quelque prière vocale. La fin dépend du commencement. Vous
finirez bien la journée si vous la commencez bien. Voyez à quoi vous
manquez, et y mettez ordre.