SEPTIÈME
CONSIDÉRATION
DE L'ORAISON MENTALE
ET VOCALE
I - Il ne faut
jamais manquer à l'oraison du matin
C'est ici que vous avez
besoin des grâces de Dieu pour connaître les défauts que vous
commettez en vos prières.
L'oraison est pour
ainsi parler la mamelle de la miséricorde de Dieu. Si vous êtes son
enfant, vous la prendrez tous les matins avec autant d'avidité qu'un
enfant fait celle de sa mère.
Je parle de l'oraison
mentale. Si vos affaires vous, le permettent, vous devez deux fois
le jour offrir ce sacrifice à Dieu, le matin et le soir. Si vous ne
le pouvez pas le soir, du moins n'y manquez jamais le matin.
Comme l'oraison
est la nourriture de l'âme, le démon, qui ne peut emporter une place
de force, tâche de la prendre par famine, lui coupant les vivres, et
l'empêchant d'être secourue. Il vous suscitera des affaires
pressantes et des incommodités notables pour vous la faire quitter ;
du moins il vous persuadera de la remettre à un autre temps. Le
matin est le plus propre
;
si vous obéissez à sa suggestion, vous ne trouverez point le temps
de la faire, et vous serez privé des grâces qui vous étaient
destinées pour ce jour-là.
Êtes-vous fidèle
à rendre ce devoir à Dieu ? N'y manquez-vous jamais ? Voudriez-vous
passer une journée sans manger ? Que vous a fait votre âme pour la
traiter avec plus de dureté et de cruauté que votre corps ? Béni
soit Dieu, dit David, qui n'a point retiré de moi ni ma prière ni sa
miséricorde (Ps. 65, 20). La miséricorde et l'oraison sont deux
choses inséparables; l'une est l'arbre, l'autre le fruit ; l'une la
source, l'autre le ruisseau. Si vous quittez l'oraison, Dieu vous
retirera sa miséricorde. Quoi ? Pensez-vous vivre sans nourriture ?
Combattre sans armes ? Voler sans ailes ? Travailler sans forces ?
Hé, d'où tirerez-vous tout cela, si ce n'est de l'oraison ?
Quelle
bénédiction devez-vous attendre de Dieu le jour que vous aurez
manqué à le prier ? Il ne faut qu'une infidélité de la sorte pour
ruiner votre fortune, et pour vous empêcher d'entrer dans la salle
des noces
où l'Époux vous attendait.
II - Méthode
d'oraison
La manière de faire,
oraison doit être simple, fidèle, humble, respectueuse, sans lâcheté
et sans contention d'esprit. Cette science ne s'apprend pas tant par
l'étude que par l'expérience. Les âmes innocentes doivent aller à
Dieu d'une manière innocente, et pour ainsi parler enfantine sans
façon, sans cérémonie, et comme de petits enfants au sein de leur
nourrice. Ceux qui ont l'esprit préoccupé des fausses maximes du
monde se doivent désabuser par le discours et par le raisonnement
fondé sur les vérités de l'Évangile Mais ceux qui sont persuadés des
maximes de notre religion doivent plus donner à l'affection qu'à la
considération ; ils doivent demander, désirer, appeler, chercher, et
soupirer incessamment, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la source
d'eau vive pour se désaltérer, et que l'Esprit leur dise : C'est
assez travailler, il est temps désormais de vous reposer.
III - Préparation
Lisez le soir avant de
que vous coucher le sujet de votre oraison. Relisez-le, s'il est
nécessaire, encore le matin à votre lever. Entrez dans le sanctuaire
de la grâce avec une profonde humilité, une intention pure, un désir
ardent et sincère d'honorer Dieu et de faire sa volonté.
Occupez-vous de Dieu sans vous occuper de vous-même. Cherchez-le,
comme David, dans la simplicité de votre coeur, sans duplicité et
sans mélange de vos propres satisfactions. La paix du coeur,
l'indifférence de la volonté, la satisfaction intérieure de l'âme en
quelque état qu'elle se trouve, de consolation ou d'aridité, de
lumière ou de ténèbres, est une marque qu'on cherche purement Dieu,
et que l'oraison est excellente.
Comment
traitez-vous avec Dieu ? Avez-vous de la peine à vous entretenir
avec lui ? Ne vous laissez-vous point aller au dégoût et au chagrin,
quand vous ne trouvez point de satisfaction en l'oraison ?
N'êtes-vous point tenté de tout quitter? Que ne lisez-vous les
Méthodes d'Oraison, pour apprendre ce que vous devez faire quand
vous ne sauriez rien faire ?
Vous faites beaucoup si vous aimez beaucoup, et vous aimez beaucoup
si vous souffrez avec patience les égarements de votre esprit, la
légèreté de votre imagination, l'incommodité du corps, les
tentations du démon, le murmure des passions, le chagrin et le
dégoût de la nature.
IV - Causes des
distractions
Avez-vous des
consolations ? Ne vous y attachez point. Êtes-vous souvent distrait
? Recherchez-en la cause. N'est-ce point que vous êtes trop dissipé
pendant le jour ? N'est-ce point que vous avez le coeur attaché à
quelque chose ? N'est-ce point faute de préparation ? Ou que vous ne
donnez pas à Dieu ce qu'il vous demande ? Ou qu'il veut éprouver
votre patience et vous faire reconnaître votre infirmité ?
V - Causes des
aridités
Vous n'avez point de
consolation ? Peut-être que c'est parce que vous la désirez avec
trop de passion ; ou que vous ne vous étudiez pas à vous mortifier ;
ou que vous êtes infidèle à l'inspiration de Dieu ; ou que vous
manquez de croix ; ou que vous êtes superbe et négligent ? C'est
peut-être aussi que Dieu veut purifier votre âme, et la détacher des
sens. C'est qu'il veut réveiller votre amour, piquer votre désir,
éprouver votre fidélité. C'est qu'il vous veut faire mériter quelque
grâce signalée qu'il a dessein de vous faire. C'est enfin peut-être
qu'il vous veut faire passer de la méditation à l'affection, et de
l'affection à l'union.
Quoi qu'il en soit,
persuadez-vous que la sécheresse est aussi nécessaire à la terre que
la pluie, la nuit que le jour, l’hiver que l'été ; que les
consolations ne seront pures que dans le ciel ; que vous ne
mériteriez rien si vous en aviez toujours ; qu’une oraison de
patience vaut incomparablement mieux qu'une oraison de délices ; et
que, pourvu que vous soyez fidèle en cet état, et que vous ne
quittiez point l'oraison, Dieu vous visitera lorsque vous y penserez
le moins, et vous mènera par ce désert affreux à la terre promise,
où vous mangerez le miel et le lait en abondance.
Lisez notre petite
Méthode d'oraison si vous l'avez, et la cinquante-quatrième des
nouvelles méditations, qui est de cette matière.
VI - Des prières
vocales
Il y a deux sortes de
prières vocales : les unes sont de précepte, comme le bréviaire aux
prêtres, aux bénéficiaires, aux religieux ; les autres sont libres
et de dévotion. Les prières d'obligation sont préférables à celles
qui ne sont que de dévotion. Elles doivent être récitées en leur
temps avec attention et dévotion. Les autres se peuvent dire ou ne
pas dire, en un temps ou en . un autre ; mais supposé qu'on les
dise, ce doit être avec la dévotion requise.
VII - Illusion de
quelques contemplatifs
Il y a des gens qui
méprisent les prières vocales, et qui ne font état que de la
mentale. Ils se plaignent que la vocale les distrait. Ils disent que
Dieu étant un pur esprit, il ne lui faut parler que d'esprit, et
qu'il n'est pas besoin de lui découvrir nos pensées, puisqu'il voit
jusqu'au fond de nos coeurs. Ce discours et ce sentiment est assez
ordinaire à ceux qui ont trouvé Dieu dans le fond de leur âme, et
qui commencent à goûter les douceurs de l'union. La chaleur de ce
vin céleste, leur montant à la tête, leur fait faire de faux pas,
s'ils ne s'appuient sur ceux qui ont de la science et de
l'expérience.
Il est vrai que
l'oraison mentale est préférable à la vocale, que c'en est l'âme et
l'esprit, et qu'une prière sans attention n'est pas une véritable
oraison. Cependant il se faut bien donner de garde de mépriser la
vocale ; car outre qu'elle est souvent d'obligation, elle est sainte
et approuvée de l’Église. Le Fils de Dieu nous en a donné l'exemple,
et nous en a prescrit la forme. Quoi ? N'y a-t-il que les imparfaits
qui doivent réciter l'oraison dominicale ? Ne faut-il pas honorer
Dieu de l'esprit et du corps, de la langue et du cœur ? Où va cette
belle spiritualité, sinon à abolir entièrement l'usage de la prière,
soit mentale soit vocale ; car Dieu voit ce qui est dans ton esprit,
il n'est donc point nécessaire que je lui parle, ni du corps ni de
l'esprit. Gardez-vous de ces dévotions qui, sous prétexte de
perfection, jettent les âmes dans l'impiété et dans l'illusion.
VIII - Dévots
superstitieux
Il y en a
d'autres qui vont dans une autre extrémité. Ils ne croiraient pas
avoir prié Dieu s'ils ne faisaient de longs discours, et s'ils ne
récitaient tous les jours un grand nombre de prières. Ils en ont un
certain rôle qu'il faut nécessairement par courir, et s'ils y
manquaient une fois, ils croiraient que Dieu serait en colère contre
eux, et qu'il leur arriverait quelque malheur ce jour-là.
Défaites-vous de ces dévotions inquiètes et superstitieuses.
Faites-vous régler vos oraisons par votre directeur. Généralement
parlant, il vaut mieux prier du coeur que de la langue, et dire
l'oraison dominicale avec attention que de marmotter une infinité de
prières avec précipitation.
IX - Diverses
prières vocales
Entre les prières
vocales, faites état de celle que Notre-Seigneur a composée et qu'il
nous a enseignée : soit pour le respect que vous devez à son auteur
; soit pour les choses qu'elle contient ; soit pour la vertu qu'elle
a d'impétrer toutes les nécessités. Après celle-là, n'estimez rien
tant que les psaumes de David, et la salutation angélique ;
généralement parlant, vous aimerez et réciterez avec dévotion celles
qui sont en usage dans l'Église ; mais n'entreprenez pas de les lire
toutes.
Si vous me croyez, vous
ne passerez point de jour sans dire votre chapelet, qui est composé
de l'oraison dominicale et de la salutation angélique. Prenez
quelque autre temps pour réciter les litanies du Nom de jésus et
celles de la Vierge. Si vous n'êtes point obligé de dire votre
bréviaire, vous pourrez dire encore le petit Office de Notre-Dame,
pourvu que vous en ayez la commodité. Examinez-vous sur cet article.
Voyez avec quel respect et dévotion vous faites vos oraisons vocales
; si vous n'en dites trop ou trop peu, et quel remède il y faut
apporter.
X - Pratiques de
dévotion pour prier avec attention
Quelque prière que vous
récitiez, d'obligation ou de dévotion, vous ne les devez jamais
commencer que vous ne vous soyez recueilli et mis en la présence de
Dieu. Considérez-vous comme l'organe du Saint-Esprit qui prie par
votre bouche ; comme c'est le vent qui fait jouer et chanter les
tuyaux d'un orgue lorsqu'ils sont tous où ils doivent être.
Donnez-lui la disposition entière de votre coeur. Arrêtez-vous de
temps en temps principalement entre chaque psaume, et rappelez votre
esprit s'il est égaré. Goûtez et savourez le sens des paroles que
vous prononcez ; il n'y en a point qui n'ait un goût divin et une
saveur céleste.
Quelques-uns récitent
leur Office dans toutes les stations des souffrances du Fils de
Dieu. Matines et Laudes dans le Cénacle et dans le Jardin des
Olives. Prime, chez Anne et Caïphe. Tierce, dans le palais d'Hérode.
Sexte, dans le prétoire de Pilate. None, sur le Calvaire. vêpres et
Complies, auprès du Sépulcre. Il y en a d'autres qui suivent
l'attrait de la grâce et la disposition où ils se trouvent. Tout
cela est bon quand on le tait sans trouble et sans scrupule. Quelle
est votre méthode ?
XI - Prières avant
et après le repas
Ne soyez pas de ces
gens qui ne sauraient prier s'ils ne sont en humeur de le faire, et
qui veulent que Dieu s'accommode à leur caprice. Réglez le temps et
la quantité de vos prières ; ou plutôt, s'il est possible, priez en
tout temps, puisque vous avez besoin de Dieu en tout temps, et que
vous recevez de lui des bienfaits en tout temps. N'y manquez pas
surtout avant et après le repas. La bénédiction des viandes a des
effets merveilleux pour les rendre utiles au corps, et pour en
dissiper les maléfices. vous savez ce qui arriva à saint Benoît,
lorsqu'on lui présenta du poison, et à cette femme qui fut possédée
du démon pour avoir mangé d'une laitue sans avoir fait la
bénédiction. L'un et l'autre est rapporté par saint Grégoire le
Grand. Ceux qui ne remercient pas Dieu de ses bienfaits ne méritent
jamais d'en recevoir.
XII - Oraisons
jaculatoires
Il faudrait
soupirer autant de fois qu'on respire, et ne pas être un moment sans
s'entretenir avec Dieu. Si cela ne se peut pas, accoutumez-vous à
vous recueillir de temps en temps ; le plus souvent est le meilleur.
Prenez pour signal le son d'une horloge. Rendez-vous l'usage des
oraisons jaculatoires facile et fréquent. il ne faut que savoir
aimer pour savoir prier et soupirer.
Ces élancements du cœur procèdent du Saint-Esprit. C'est une langue
d'amour qui est bien connue de ce Dieu d'amour On pense à ce qu'on
aime ; dites assurément que vous n'aimez point Dieu si vous pensez
peu ou point du tout à lui.