NEUVIÈME
CONSIDÉRATION
DE LA CONFESSION ET
DE LA DIRECTION
Comme la vie du
corps se conserve par la nourriture et se répare par les remèdes,
aussi la vie de l'âme dépend de la confession et de la communion ;
la confession la guérit, et la communion la nourrit.
L'un et l'autre est un sacrement, qu'il faut recevoir avec les
préparations requises.
I - De l'examen
La confession
suppose l'examen de conscience comme une disposition nécessaire à ce
sacrement. Il contient cinq parties : I° l'action de grâces, 2°
l'invocation du Saint-Esprit pour connaître ses péchés, 3° la revue
de toutes ses actions, pensées et paroles, 4° la douleur d'avoir
péché, 5° le bon propos de s'amender. Voyez auquel de ces cinq
points vous vous arrêtez davantage.
II - Il le faut
faire tous les jours
Il est important de
faire tous les jours cet examen; car il maintient l'âme dans
l'humilité et dans la connaissance de soi-même; il attire de
nouvelles grâces du ciel par la reconnaissance de celles qu'on a
reçues; il dispose à la confession, et fait qu'on n'y omet point de
péché considérable; il empêche aussi le vice de prendre racine dans
l'âtre; il rend l'usage de la contrition facile par les actes
fréquents qu'on en produit; il met ordre à l'avenir, il prévoit les
dangers, il marque les occasions. En un mot, il rend l'homme plus
sage, plus vigilant, plus pur, plus humble, et le met à tous moments
en état de mourir. Êtes-vous en cette disposition ? Manquez-vous à
votre examen ? Quelle en est la cause ?
L'homme sage prévoit le
mal et le détourne autant qu'il peut. Vous serez jugé après votre
mort ; prévenez ce jugement en vous jugeant vous-même. Si vous vous
excusez, Dieu vous accusera; si vous vous pardonnez, Dieu vous
condamnera. Au contraire il vous défendra si vous vous accusez; il
vous pardonnera si vous vous condamnez.
Il y en a qui se
plaignent qu'ils ne se souviennent point le soir de ce qu'ils ont
fait la journée ; et comment se souviendront-ils de ce qu'ils auront
fait pendant un mois ou un an ? Cela montre qu'il est moralement
impossible de se bien confesser si on ne le fait souvent.
L'action de grâces est
une des plus importantes parties de l'examen. Considérez les biens
que Dieu vous a faits ce jour-là, et vous concevrez sans peine la
douleur du mal que vous aurez fait. Il est bon de rappeler en sa
mémoire les péchés qu'on a commis ; mais il ne faut pas les
rechercher avec trouble et inquiétude. Si vous avez commis quelque
faute notable, elle se présentera aussitôt à votre esprit.
Arrêtez-vous à celle-là, concevez-en de l'horreur, cherchez-en les
remèdes, faites une ferme résolution de vous en corriger le jour
suivant, et vous aurez fait un bon examen.
Il est surtout
important d'entretenir un vice à combattre et une vertu à acquérir.
Ce doit être le sujet principal de votre examen. Il y en a qui ne
font rien parce qu'ils veulent trop faire ; ils déclarent la guerre
à tous les vices, et n'en détruisent pas un. C'est un artifice de
leur ennemi qui les joue et leur donne le change. Nos forces sont
bornées et limitées ; nous ne pouvons pas tout faire à la fois ;
elles sont faibles quand elles sont divisées ; il les faut réunir
pour surmonter son ennemi. Il est bon d'en entreprendre un, et de ne
point mettre bas les armes qu'on ne l'ait entièrement défait. Quelle
est la matière de votre examen ? à quel vice faites-vous la guerre ?
Combien y a-t-il que vous le combattez ? Quel avantage en avez-vous
remporté ?
III - De la
confession
Le sacrement de
pénitence est la seconde planche que Dieu nous ait laissée après le
naufrage. Autant de fois que nous nous confessons, nous honorons la
sagesse de Dieu par l'aveu que nous faisons de nos ignorances ; sa
puissance par l'exposition de nos faiblesses ; sa sainteté par la
déclaration de nos crimes. Nous faisons amende honorable à sa
grandeur et à sa majesté que nous avons offensée. Nous doI1nons
satisfaction à sa justice. Nous humilions notre orgueil, nous
détournons les châtiments que nous avons mérités, nous lui
sacrifions notre honneur, qui est la chose du monde que nous aimons
le plus ; nous purifions notre âme ; nous guérissons nos plaies ;
nous acquérons un droit particulier aux grâces de Dieu ; nous
déracinons nos vices; nous assurons notre salut; nous procurons la
paix et le repos à notre conscience.
IV - Défaut de ceux
qui veulent ne rien omettre
Il y en a qui font
consister l'excellence de leur confession à se souvenir de tous
leurs péchés, à tout dire et à ne rien oublier. S'il leur en échappe
un seul, ils se troublent et croient n'avoir rien fait qui vaille.
C'est ce qui leur donne horreur de la confession, croyant qu'ils
n'en font jamais une qui soit entière. Ce scrupule est dangereux,
puisqu'il tend à éloigner l'âme des sacrements et lui donne aversion
de son remède.
N'êtes-vous point de
ces gens-là ? Pourquoi vous tourmentez-vous d'une chose qui n'est
point en votre pouvoir ? N'est-ce pas à Dieu de vous donner
connaissance de vos péchés ? S'il ne veut pas que vous les
déclariez, pourquoi le voulez-vous faire ? S'il le voulait, il vous
en ferait souvenir ; puisque vous ne vous en souvenez pas, c'est
qu'il ne le veut pas. Il ne vous oblige pas à dire ce que vous ne
savez point, mais ce que vous savez. Après que vous l'avez dit, et
que vous avez pris le temps qui vous est prescrit par votre
confesseur à vous examiner, vous devez être en repos, et s'ils
retournent en votre esprit, ils ne rentrent pas pour cela dans votre
cœur, d'où ils ont été chassés par l'absolution du prêtre.
V - Défaut de ceux
qui veulent sentir la contrition
Il n'est point
aussi
nécessaire qu'une contrition soit sensible pour être véritable. Il
faut avoir une grande douleur de ses péchés ; mais il ne faut pas
juger de sa grandeur
par le sentiment qu'on en a. Il y en a qui ont des larmes à
commandement, et qui ne sont pas pour cela plus touchés de douleur
que ceux qui n'en ont point. Nous le voyons dans Pharaon, dans
Judas, et dans Antiochus.
Celui-là montre qu'il est véritablement pénitent qui déteste son
péché et ne le veut plus commettre. Si vous ne vous sentez point de
douleur, priez Dieu de vous en donner. Si vous n'en avez point,
suppléez à la douleur sensible par votre humilité. Prosternez-vous
de corps et d'esprit devant Dieu. Reconnaissez vos infidélités et
vos ingratitudes. Demandez-en le pardon, et sans tant de discussion,
de recherche et d'examen, allez vous confesser de bonne foi. Dieu
qui voit votre coeur sait bien que vous ne voulez pas le tromper, ni
faire un sacrilège, et que puisque vous vous confessez n'y étant
point obligé, vous montrez bien que le péché vous déplaît et que
vous voulez vous amender.
VI - La rechute
n'est pas toujours une marque
que la pénitence a été nulle
À la vérité, il y a
bien sujet de douter si un pénitent a de la douleur, qui retombe si
souvent dans le même péché incontinent après s'en être confessé. La
haine étant la plus forte et la plus constante des passions, celui
qui se réconcilie promptement avec son péché donne sujet de croire
qu'il ne l'a jamais haï. Je sais que la rechute n'est pas une marque
certaine que la pénitence a été défectueuse. Les sacrements ne nous
rendent pas impeccables, bien qu'ils diminuent les péchés. La vérité
d'un acte précédent n'est pas détruite par la vérité d'un acte
suivant ; ainsi je puis retomber malade, quoique j'aie recouvré
véritablement la santé.
VII - Quelles
rechutes sont à craindre
Tout cela est
véritable. Mais quand les rechutes sont grandes
et fréquentes, quand on n'en est ni plus vigilant, ni plus fidèle,
il y a lieu de craindre que la douleur n'ait pas été véritable.
Avez-vous dessein en
vous confessant de tromper Dieu ? Non, dites-vous. Agissez-vous de
bonne foi ? Oui. Demeurez donc en paix, et ne vous troublez point.
VIII - Il faut
écouter les instructions du prêtre
avec attention
Ne vous imaginez
pas être bien confessé pour avoir dit tous vos péchés, si vous ne
les avez détestés. Il y en a qui emploient tout leur temps à
chercher de quoi dire, et ne songent presque point à détester ce
qu'ils ont fait ni à prévoir ce qu'ils doivent faire. La crainte
qu'ils ont à oublier quelque péché est si grande qu'ils ne
s'occupent que de cela pendant que le prêtre leur parle et leur
donne l'absolution.
C'est dont ils devraient faire un grand scrupule, car les
instructions du prêtre dans le sacrement sont en quelque façon des
paroles sacramentelles qui portent grâce avec elles et qui ont une
vertu particulière de rendre la santé aux malades. Il n'est pas
nécessaire que vous disiez les péchés dont vous ne vous souvenez
pas; mais il est souvent nécessaire que vous entendiez la correction
qu'on vous fait et les avis qu'on vous donne.
IX - Sentiments de
piété lorsqu'on reçoit l'absolution
Savez-vous ce qui se
passe lorsque le prêtre vous donne l'absolution ? Le ciel s'ouvre ;
le Saint-Esprit descend ; les démons sont chassés de votre âme ; le
Fils de Dieu l’a lavé de son Sang ; vous êtes revêtu de la robe
nuptiale, et mis en état d'assister aux noces et d'approcher de la
sainte table ; vous sortez des enfers ; vous ressuscitez comme le
Lazare ; vous êtes délié de vos péchés et de la peine que vous aviez
encourue ; vous rentrez dans la communion de l'Église; vous êtes
rétabli dans la qualité d'enfant de Dieu ; vous recouvrez le droit à
l'héritage du paradis que vous aviez perdu ; vous recevez les grâces
infuses, les dons du Saint-Esprit, et une infinité d'autres trésors.
Et pendant que cela se passe, vous êtes distrait volontairement à
songer à vos péchés ? Vous vous occupez de choses vaines et
inutiles, contre la défense que vous en a faite votre confesseur?
Quel aveuglement et quelle tentation !
Défiez-vous de cette
ruse du démon. Après un examen raisonnable, humiliez-vous devant
Dieu. Confondez-vous à la vue de vos infidélités. Concevez-en de la
douleur en votre âme sans vous mettre en peine de la sentir, Formez
une ferme résolution de vous amender. Allez vous confesser. Déclarez
vos péchés nettement et modestement. Quand vous avez dit ce que vous
savez, ne songez plus à rien, mais écoutez ce que le prêtre ou
plutôt ce que le Fils de Dieu vous dit par la bouche du prêtre. Et
quand il vous donne l'absolution, persuadez-vous être sur le
Calvaire, et que le Sang du Fils de Dieu coule à gros torrents sur
votre âme pour la purifier. Demeurez en silence et dans un profond
respect, et vous retirez sans dire mot, à mains que vous ne vous
souveniez d'un péché considérable, que vous n'auriez pas dit, car
alors il le faudrait déclarer. Mais, comme j'ai dit, donnez-vous de
garde de l'aller chercher, ne vous occupant que de ce soin et de
cette pensée, pendant que le prêtre vous parle et vous absout.
X - Il ne faut pas
éviter la confusion
Puisque la confession
est principalement instituée pour humilier le pécheur, plus vous
aurez de confusion, plus vous donnerez de satisfaction à la justice
divine. C'est la meilleure de toutes les pénitences que vous
puissiez faire. Gardez-vous donc de pallier vos péchés, de les
dissimuler, de les excuser ; niais déclarez-en toujours la malice,
et buvez avec plaisir la confusion que vous cause cette déclaration.
XI - S'il la faut
chercher
Il y en a qui
estiment qu'il est bon d'obliger de temps en temps les âmes les plus
saintes à faire une déclaration nouvelle des impuretés de leur vie
passée, pour en avoir de la confusion. Pour moi, j'avoue que je ne
suis pas de ce sentiment, et que je le trouve très dangereux.
Qu'est-il besoin d'aller remuer ce bourbier ? N'est-ce pas assez
qu'une âme s'humilie devant Dieu, sans salir son imagination ? Qui
peut dire que cela ne réveillera point la tentation ?
Y a-t-il lieu, y a-t-il temps, y a-t-il sainteté, quelle qu'elle
soit, qui puisse être en assurance, et insulter à la faiblesse du
démon ? Les pensées déshonnêtes sont toujours des ennemis à
craindre, beaucoup plus les discours. Ces remèdes sont de la nature
des poisons, qui tuent les malades s'ils ne sont bien préparés. Il
se peut faire que quelques hommes en fassent bon usage ; je ne les
conseillerais jamais aux femmes, principalement quand les
confesseurs les y veulent obliger, à moins que leur sainteté ne fût
connue et ne pût être soupçonnée de quelque curiosité. Mais combien
en trouvera-t-on de la sorte ?
XII - S'il faut se
confesser souvent
Ceux qui sont
scrupuleux, font bien de se confesser rarement, je veux dire une
fois la semaine. Ceux qui ne le sont pas ne sauraient mieux faire
que de se confesser souvent. À force de se laver les mains on les
tient nettes. Qu'il est difficile de se confesser rarement et de
faire une bonne confession ! Comment vous souviendrez-vous de tous
vos péchés? Comment les pourrez-vous détester ? Peut-on haïr en un
moment ce qu'on a longtemps aimé ? Peut-on aimer en un moment ce
qu'on a longtemps haï ? On juge qu'un malade veut guérir quand il
prend les remèdes propres à son mal. Jugerai-je que vous voulez vous
amender, fuyant la Confession, qui est le plus puissant moyen pour
vous tirer du vice ?
XIII - De la satisfaction
Faites la pénitence que
le prêtre vous impose, et ne la regardez pas comme une peine, mais
comme une grâce très grande que Dieu vous fait, changeant les peines
éternelles de l'enfer aux peines temporelles de cette vie ; de
grandes et longues douleurs en une courte et légère satisfaction.
Il est vrai qu'une
partie de la pénitence est de s'amender de son péché ; mais cela
n'empêche pas qu'on ne doive le haïr et punir. Les péchés d'habitude
ne se déracinent qu'avec peine ; à moins de vous imposer de bonnes
pénitences autant de fois que vous les commettrez, vous ne vous en
déferez jamais.
La pénitence doit
dédommager la justice de Dieu, elle fait même sa fonction sur la
terre. Si vous voulez que Dieu vous pardonne, ne vous pardonnez
rien. Si vous voulez qu'il vous épargne, ne vous épargnez point. Si
vous vous faites grâce, il vous fera justice. Si vous vous faites
justice, il vous fera grâce.
XIV - Nécessité d'un
Directeur
Avez-vous un
directeur ? Pourquoi n'en aurez-vous point ? Savez-vous le chemin du
ciel ? Y a-t-il homme sur la terre qui soit suffisant à lui-même ?
Dieu nous gouverne-t-il par des révélations particulières ?
Êtes-vous plus éclairé que saint Paul, que le Fils de Dieu envoie à
Ananias pour être instruit ?
que les plus grands saints, qui se sont laissé conduire ? La brebis
est un animal docile et qui demande un pasteur.
Vous n'êtes point brebis si vous n'avez point de conduite. Il ne
faut que se connaître pour se défier de soi-même. V a-t-il sur la
terre créature plus malade que vous ? Si vous ne le croyez pas, vous
êtes morte. Hé ! d'où vient donc que vous ne voulez point de médecin
? N'est-ce point tenter Dieu que de s'en vouloir passer ? Qui vous
assurera que vous êtes dans la bonne voie, sinon ceux à qui
Notre-Seigneur a donné le gouvernement des âmes, et auxquels il a
dit : Celui qui vous écoute m'écoute, et celui qui vous méprise me
méprise.
Vous êtes, dites-vous,
une personne habile et spirituelle : vous devez donc avoir plus
d'humilité et plus de défiance de vous-même que les autres ; vous
devez avoir plus de dépendance de Dieu et plus de soumission à sa
conduite ; et puisqu'il ne conduit les hommes que par les hommes,
vous ne devez pas croire que votre conduite soit de Dieu si vous
n'avez personne pour vous instruire. Il faut pour traiter et pour
gouverner les âmes avoir une science céleste, des grâces
extraordinaires, surtout la discrétion des esprits, sans laquelle on
ne croire que votre conduite soit de Dieu, c'est-à-dire que votre
façon de vous conduire soit de Dieu si vous n’avez personne pour
vous instruire. Il faut pour traiter et pour gouverner les âmes
avoir une science céleste, des grâces extraordinaires, surtout la
discrétion des esprits, sans laquelle on ne peut discerner les
mouvements de la grâce et de la nature, de Dieu et du démon. Or, ces
grâces étant gratuites, elles nous sont données pour les autres et
non pas pour nous-mêmes. Celui qui est fort éclairé pour la conduite
du prochain est souvent très aveugle pour la sienne propre, d'autant
que Dieu ne fait couler ses grâces que par le canal de l'obéissance
et par la direction d'une autorité légitime.
C'est pourquoi saint
Bernard a très bien dit de celui qui s'établit le maître de soi-même
qu'il se rend disciple d'un fou, et qu'il n'a pas besoin de démon
pour le tenter, parce qu'il est à soi-même le plus méchant et le
plus dangereux de tous les démons. Cassien ajoute que, comme il est
impossible qu'une âme soit trompée qui s'abandonne aveuglément à la
conduite de ses supérieurs, il ne se peut faire aussi qu'elle ne
tombe dans l'illusion si elle s'appuie sur son propre jugement. Il
faut donc avoir un directeur auquel on découvre sa conscience et
dont on prenne avis.
XV - Du choix d'un
directeur
Il y a de certaines
dévotes qui font les précieuses, et qui ne sauraient trouver de
directeur qui soit à leur goût. Il leur en faut changer tous les
mois ; et pour autoriser leur légèreté, elles produisent l'exemple
de sainte Thérèse, dont la conduite était inconnue à la plupart de
ses, confesseurs ; et le sentiment de saint François de Sales, qui
ordonne d'en choisir un entre dix mille.
J'avoue que les saintes
Thérèse, je veux dire celles qui sont dans ses voies, ont besoin de
directeurs savants et expérimentés. Mais êtes-vous une sainte
Thérèse ? Obéissez-vous comme elle à tous vos confesseurs ?
Faites-vous ce qu'ils vous ordonnent, jusqu'à quitter
Notre-Seigneur, qui lui apparaissait visiblement, quand l'obéissance
le lui ordonnait ? Si vous êtes humble, docile et obéissante comme
elle, le Fils de Dieu ne manquera pas de vous donner des gens plus
capables et plus éclairés que vos confesseurs, quand il en sera
temps. Cependant il vous instruira par lui-même, sans toutefois vous
soustraire de l'obéissance que vous leur devez. Les personnes qui
sont si délicates en matière de directeurs, si difficiles à
contenter, auraient besoin d'en avoir un qui leur enseignât les
éléments de la vie spirituelle, et qui les fît marcher par les voies
de l'humilité et de la mortification.
N'êtes-vous point de
ces gens-là ? Ne faites-vous point la sainte Thérèse ? N'êtes-vous
point trop difficile au choix de vos directeurs ? N'épluchez-vous
point trop leurs actions ? C'est prudence de choisir le meilleur et
ne pas se fier à tout le monde ; mais quand vous en aurez choisi un,
il faut s'y fier entièrement, à moins que sa conduite et ses moeurs
ne vous donnent sujet raisonnable de craindre qu'il ne vous égare ;
car alors vous pourrez consulter quelque personne qui vous déclare
ce que vous devez faire, et si vous vous y devez arrêter. C'est le
sentiment de tous les sages, qu'il faut se défier d'un confesseur ou
d'un directeur qui veut rendre les personnes esclaves de sa
conduite, qui leur ôte la liberté d'aller à d'autres, et qui les
oblige à lui faire voeu d'obéissance. Tout cela m'est fort suspect,
et me fait craindre que cette conduite ne soit plus humaine que
divine.
XVI - S'il est bon
d'en changer
La légèreté est un
grand vice et ordinaire aux femmes, qui sont timides et qui
craignent d'être trompées ; mais il ne faut pas se jeter aussi dans
une autre extrémité. Il y en a qui se font un point d'honneur de ne
changer jamais, quoiqu'elles reconnaissent beaucoup d'ignorance et
fort peu de piété dans celui qui les gouverne. Elles ne le veulent
point quitter, soit parce qu'elles ne veulent pas se manifester à
d'autres, soit parce qu'elles appréhendent de passer pour légères et
inconstantes.
Je conseillerais à ces
gens-là de ne changer jamais ni de serviteurs ni de servantes, ni de
maison, ni de médecin, si ignorant qu'il puisse être. Hélas ! tout
nous est cher, hormis notre âme. Si le corps est malade, on cherche
le plus habile de tous les médecins, et on ne craint point en cela
le respect humain, au contraire on en fait gloire ; et quand l'âme
est malade, tout médecin est bon ; dût-elle périr éternellement,
elle n'en aura point d'autre ; est-ce là s'aimer ? Mais est-ce là
être raisonnable ?
Apprenez que les hommes
ne sont pas tous également éclairés, et que Dieu ne communique pas
ses dons indifféremment à tout le monde. Il en est de l'édifice
spirituel comme du matériel. Il y en a qui savent bien creuser les
fondements d'une maison, et qui n'en sauraient élever les murailles
; d'autres savent bien élever les murailles, mais n'en sauraient
faire le toit.
XVII - De la
défiance
Il faut se
gouverner en tout avec prudence ; mais il faut se donner de garde de
deux vices en matière de direction : l'un est la défiance, l'autre
l'attachement du coeur. Si vous cachez vos desseins, dit le
Saint-Esprit, vous ne serez point dirigé, et si vous êtes sans
directeur, vous serez bientôt égaré ; vous n'aurez ni conseil dans
vos doutes, ni secours dans vos combats, ni consolation dans vos
peines.
XVIII - De
l'attachement du cœur
Il est aussi très
dangereux de séparer Dieu de son directeur, car il arrivé ensuite,
ou qu'on le méprise, ou qu'on s'y attache d'une façon déréglée. Si
vous ne regardez que Dieu en la personne qui vous dirige, vous lui
parlerez avec respect, vous l'écouterez avec humilité, vous lui
obéirez avec soumission, vous lui ouvrirez votre coeur avec
confiance. Que si Dieu vous l'ôte, vous n'en serez point troublé ni
inquiété, d'autant que ce n'est point sur la créature que vous devez
vous appuyer, mais sur Dieu, lequel vous ôtant un homme vous en
donnera un autre ; et quand vous ferez de votre côté ce que vous
savez, il ne manquera pas de vous enseigner ce que vous ne savez
pas.
Que si vous traitez
trop familièrement avec votre directeur, si vous sentez un désir
empressé de le voir et de lui parler ; si vous souffrez avec
impatience de son éloignement ; si vous disputez ; si vous murmurez
; si vous vous plaignez de ce qu'il ne vous considère pas tant que
les autres, et qu'il ne vous donne pas assez de temps pour lui
parler ; il est évident que vous le considérez plutôt comme un homme
que comme la personne de Jésus-Christ. Ensuite vous devez
appréhender la malédiction fulminée contre ceux qui s'appuient sur
la créature, et qui mettent toute leur confiance dans un bras de
chair.
Examinez si vous
n'êtes point de ces gens-là. Changez de directeur s'il ne vous est
pas propre.
S'il est sage, savant et vertueux, ne le changez pas, mais
changez-vous vous-même, et corrigez le dérèglement de votre passion.
Le Pharaon ne cesse de molester le peuple de Dieu, et n'autorise
son départ que forcé par les châtiments d'en haut (Ex., 7 ;13).
Judas désespéré jette dans le Temple les trente deniers de sa
trahison ; mais il ne pleure pas sa faute ; il n'en demande pas
par (Mt. 26 ;5).