DIXIÈME
CONSIDÉRATION
DE LA COMMUNION
I - Comme il s'y
faut préparer
Comme l'Eucharistie est
le plus grand et le plus auguste de nos sacrements, son usage est
l'action la plus importante de notre vie. Il ne faudrait qu'une
bonne communion polir faire un saint, et il ne faut presque qu'une
bonne volonté pour la rendre bonne.
Il - De la sainteté
requise pour communier
Ceux qui
demandent une sainteté parfaite pour approcher de ce Sacrement,
pensant lui faire honneur, l'avilissent et le déshonorent, parce
qu'ils le rendent inutile à ceux qui le reçoivent et à ceux qui ne
le reçoivent pas. En effet, quel bien me fera ce Sacrement, si j'ai
une sainteté consommée ? et quand le recevrai-je, s'il faut que
j'aie cette sainteté ?
Il n'y a rien de
plus injuste et de plus déraisonnable que de demander pour
préparation nécessaire à un sacrement ce qui est le fruit et la fin
de ce sacrement. Cette pureté sans tache, cette perfection sans
défaut, cette sainteté sans vice, cette grâce et cette charité
consommée, sont les effets de ce sacrement ; c'est pour les produire
dans nos coeurs par un usage plus fréquent qu'il est institué. Il
n'y a donc pas de justice
d'exiger cette sainteté comme une préparation nécessaire à le
recevoir.
C'est une présomption
horrible de se croire digne de recevoir un Dieu, quelques
préparations qu'on y apporte. Si nous mesurons notre dignité sur
l'excellence de ce Sacrement, nous ne communierons jamais. Si nous
la mesurons sur notre indigence, nous communierons tous les jours.
Jésus n'est pas dans ce sacrement pour s'y faire craindre, mais pour
s'y faire aimer. Le pain n'est pas une nourriture qu'on prenne
quelquefois l'année, mais tous les jours. Pourquoi prendre cette
forme s'il ne veut pas être mangé ? S'il voulait se faire craindre
des hommes, n'aurait-il pas pris une figure plus auguste et plus
majestueuse ? Comme nous ne saurions nous passer de ce Sacrement,
Notre-Seigneur en a rendu l'usage et l'accès facile à tout le monde.
Approchez de la lumière, et elle vous éclairera ; approchez du feu,
et il vous échauffera ; approchez de Jésus, qui est votre vie, votre
soleil, votre justice et votre sanctification, mais approchez-en
sans crainte, et il vous aimera, il vous instruira, il vous
purifiera, il vous sanctifiera.
III - La grande
crainte nuit
Une des choses qui
empêchent plus de profiter de la communion, c'est qu'on ne mange pas
ce pain céleste avec faim et avec appétit. Quel moyen d'en approcher
avec amour, ayant le coeur saisi de crainte ? Et qui peut n'en pas
avoir, croyant que c'est abuser de ce sacrement que de n'avoir pas
une pureté angélique lorsqu'on le reçoit ?
IV - L'humilité est une préparation
excellente
Préparez-vous
bien, âme chrétienne ; mais persuadez-vous que la meilleure de
toutes les préparations est la connaissance de vous-même, de votre
pauvreté, de votre indigence, avec une ferme espérance que
Notre-Seigneur par sa bonté y suppléera. Ne vous empressez pas,
comme Marthe, 'à bien traiter Notre-Seigneur ; attendez plutôt de
lui, comme la Madeleine, en paix et en silence, la nourriture de
votre âme et le changement de votre cœur.
V - S'il est bon de
se retirer de la sainte table
Ne vous retirez pas de
la sainte table par dégoût ou par scrupule. Une âme est bien malade
qui a perdu l'appétit de cette viande. Le salut dépend quelquefois
d'une communion; que savez-vous si ce n'est point de celle que vous
quittez ? Notre-Seigneur en ce divin Sacrement n'est pas seulement
la nourriture de nos âmes, il en est encore le remède. Il nous
nourrit comme aliment, il nous guérit comme médicament. Si donc vous
êtes malade, vous devez vous en approcher, et non pas vous en
retirer. Quoi ? Est-ce honorer du pain que de n'en point manger ?
Est-ce aimer un époux que de le fuir et de n'en oser approcher? Quel
honneur faites-vous à Notre-Seigneur, de croire que vous pouvez vous
passer de lui et arriver à la sainteté sans le secours de sa grâce ?
Comment résisterez-vous aux tentations, sans force ? et d'où la
tirerez-vous, si ce n'est de ce divin Sacrement ?
Demandez pardon au Fils
de Dieu du mépris que vous avez fait de lui, sous prétexte de
l'honorer. Pleurez la perte des grâces que vous avez faite, car
elles ne coulent dans nos âmes que par le canal des sacrements et
principalement de celui qui en est la source. Faites résolution
désormais de plutôt laisser mourir votre corps de faim, que de
refuser à votre âme sa nourriture, et de ne point manger du tout, le
jour que vous ne voudrez pas communier.
VI - Pour ceux qui
communient souvent
Vous communiez
souvent : mais le faites-vous dignement ? Ne vous approchez-vous
point de la sainte table en état de péché mortel ? Si vous ne le
connaissez pas, la communion l'effacera ; si vous le connaissez,
votre communion vous condamnera ; car c'est manger son jugement que
de communier indignement
;
et c'est communier indignement que de le faire, sachant qu'on n'est
point en état de grâce. Si vous aimeriez mieux mourir que de
communier en état de péché mortel, vous avez sujet de croire que
vous ne communiez pas indignement.
VII - Dispositions
nécessaires pour recevoir
les fruits du Sacrement
On peut recevoir
l'effet principal du Sacrement, qui est la grâce sanctifiante, sans
recevoir tous les autres fruits qu'il produit. Pour recevoir
l'accroissement de la grâce, il faut être exempt de péché mortel ;
pour en recevoir tous les fruits, il faut n'avoir point d'attache
volontaire au péché véniel. N'en avez-vous point, âme dévote et
religieuse ? N'est-ce point ce qui empêche l'effet de vos
communions, et ce qui vous rend si faible et si languissante ?
VIII - Réflexion sur
l'usage qu'on en fait
C'est une très bonne
chose de s'accoutumer au bien ; mais il faut bien se donner de garde
de faire le bien par coutume, c'est-à-dire sans intention, sans
réflexion et sans advertance. Vous préparez-vous comme il faut quand
vous devez communier ? N’est-ce point par respect humain et par
contrainte que vous le faites ? Mangez-vous cette manne céleste avec
appétit ; ou si c'est avec dégoût, comme ces Juifs sensuels qui
étaient dégoûtés du pain des anges, et que Dieu punit si
sévèrement ? N'avez-vous point quelque péché d'habitude dont vous ne
vouliez point vous défaire ? Seriez-vous prêt de mourir allant
communier ? Êtes-vous toujours résolu de travailler à votre
perfection, quelque dégoût que vous en sentiez ? Si cela est, vous
pouvez communier, car ce Sacrement, comme nous avons dit, ne suppose
pas une âme parfaite, mais lui donne la force pour arriver à la
perfection. O mon Dieu, dit David, ceux qui s'éloignent de vous
périront. Faites-vous régler vos communions, et si vous êtes
religieuse, ne manquez pas de suivre la communauté. Dieu veut que
vous gardiez vos règles, par conséquent que vous communiez tous les
jours prescrits par la règle. Tout ce qui vous en empêche ces
jours-là sont de pures illusions.
IX - Qui sont ceux
qui profitent de la communion ?
Dire la messe tous les
jours et n'en devenir pas meilleur, communier souvent et en devenir
plus méchant, c'est une marque qu'on ne fait point un bon usage de
ce Sacrement. Ne jugez pas que vous deveniez plus méchant pour
sentir de fortes inclinations au mal. La communion n'ôte pas toutes
les inclinations mauvaises, elle nous en laisse pour nous tenir dans
la défiance de nous-même et dans la dépendance de la grâce. Si elle
n'empêche pas le sentiment, elle empêche le consentement, comme dit
saint Bernard. Voudriez-vous commettre un péché mortel ? Comment
dites-vous que vous ne profitez point de la communion ?
Pourriez-vous sans elle vous en abstenir ?
X - Peut-on
communier
quand on croit n'en pas profiter ?
Les âmes humbles
croient empirer au lieu de s'amender, et reculer au lieu d'avancer.
Il ne faut pas juger du profit que l'on fait par le sentiment qu'on
en a. Il est bon que vous vous croyiez la plus méchante et la plus
infidèle des créatures ; et quoique vous la soyez véritablement,
cela ne vous empêchera pas de communier, pourvu que vous ayez un
véritable dessein de vous amender. Car comment le ferez-vous sans
grâce ? Et d'où la tirerez-vous que de ce Sacrement où est l'Auteur
de la grâce ? Que si vous ne voulez point travailler à votre
perfection, ni vous corriger de vos défauts, ni rompre vos attaches,
je ne suis pas d'avis que vous approchiez de la communion.
XI - Le peut-on
quand on sent des tentations
et des inclinations au mal ?
Ne confondez pas le
sentiment du mal avec le consentement au mal. Vous pouvez être
méchant, ayant de fortes inclinations au bien ; vous pouvez être
saint, ayant de puissantes inclinations au mal, pourvu que vous n'y
donniez point de consentement. Ainsi les tentations ne vous doivent
point retirer de la sainte table ; au contraire, c'est ce qui vous
oblige d'en approcher, pour y trouver de la force et du remède. Ne
vouloir point se chauffer parce qu'on a froid, ni manger parce qu'on
a faim, ni prendre de remède parce qu'on est malade sont-ce des
résolutions d'une personne sage, et qui veut vivre, ou d'une
personne désespérée, et qui veut mourir ?.
XII - Le peut-on
quand on n'a pas de
dévotion sensible ?
La dévotion sensible
n'est pas nécessaire pour bien communier, puisqu'elle ne dépend pas
toujours de notre volonté, et qu'il arrive souvent que les plus
grands saints n'en ont pas, même aux plus grandes fêtes de l'année,
comme il arriva à sainte Thérèse le jour de Pâques ; soit parce que
l'âme s'attache à ces menues douceurs, soit parce qu'elle se promet
de les avoir par ses propres forces. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas
en ces tendresses que consiste la véritable dévotion, mais dans une
prompte et constante volonté de faire ce que Dieu veut et de ne pas
faire ce qu'il défend. Faites ce que vous pouvez avec la grâce de
Dieu ; suppléez par votre humilité, comme parle saint Bernard, ce
qui manque à votre charité, et vous serez très bien préparé.
XIII - La meilleure
préparation est l'humilité et le désir
Il y a de belles
pratiques pour se préparer à la communion. La meilleure à mon avis,
après la confession, est l'humilité et le désir. L'humilité nous
fait voir notre indignité, le désir notre indigence ; la première
nous éloigne de la sainte table, la seconde nous en approche ; l'une
vous fait dire avec le centenier : Seigneur, je ne suis pas digne
;
l'autre nous fait dure avec saint Pierre, lorsque les autres
disciples se retiraient de la compagnie de leur traître: Seigneur, à
qui irions-nous? vous avez les paroles de la vie éternelle.
XIV - Motifs
d'humilité, d'amour et de désir
Pour s'humilier
devant Notre-Seigneur, il n'y a qu'à ruminer ces deux paroles : Qui
êtes-vous, mon Dieu, et qui suis-je ? Pour désirer le recevoir, il
faut considérer l'honneur et le profit qu'il nous revient de manger
à sa table ; l'amour infini que Jésus-Christ nous porte ; le désir
qu’il a de manger cette Pâque avec nous, d’entrer dans nos coeurs et
de nous communiquer sa vie ; la misère extrême où nous sommes ; la
nécessité que nous avons de sa grâce et de sa force.
Le désir est enfant de la pauvreté : une âme qui conçoit son
indigence a une passion infinie de communier pour se nourrir et pour
se fortifier.
XV - Peut-on se
croire digne de la communion ?
Ne vous persuadez
point, quelque préparation que vous puissiez apporter à la
communion, que vous soyez jamais digne de communier. Cette pensée
est présomptueuse, et vous rendrait indigne de participer à ces
divins Mystères. Mettez toute votre dignité, si vous en pouvez
avoir, en votre humilité. Protestez devant le ciel et la terre que
vous ne faites fond que sur la bonté de Dieu, que sur le désir qu'en
a Notre-Seigneur, et sur l'obéissance que vous devez à votre
confesseur.
XVI - Intentions
qu'on peut avoir en communiant.
Purifiez votre
intention. Approchez de la sainte table pour honorer Dieu, pour
obéir à ses volontés, pour accomplir ses desseins, pour vous unir à
Jésus-Christ, pour lui donner la vie dans votre cœur, pour vous
appliquer les mérites de sa Passion, pour vous enrichir de ses
grâces, pour nourrir et fortifier votre âme, pour obtenir quelque
vertu, pour détruire quelque vice, pour le soulagement de vos amis
vivants et défunts, ou pour quelque autre fin semblable.
XVII - Dévotions
empressées
Ne vous empressez
point en vos dévotions : persuadez-vous que tout consiste à
s'humilier et à demeurer en paix. Êtes-vous capable de recevoir un
Dieu ? avez-vous de quoi fournir à cette dépense ? Priez
Notre-Seigneur de se préparer lui-même son logis, et d'envoyer deux
de ses disciples pour mettre tout en ordre.
Soyez semblable à ces vierges sages qui attendaient leur époux sans
bruit et sans inquiétude.
XVIII - Pensées
propres pour exciter la dévotion
Il y a beaucoup
de moyens d'occuper son esprit et d'exciter sa dévotion avant que de
communier. Les uns le font par ces pensées : Qui suis-je, mon Dieu,
et qui êtes-vous ? Que venez-vous faire dans mon cœur ? Que
gagnerai-je à vous recevoir ? Pour quelle fin vais-je communier ?
D'autres parcourent la vie de Notre-Seigneur, et s'arrêtent au
mystère qui les touche davantage. Par exemple : Je vais, dit une
bonne âme, recevoir le Fils de Dieu qui est assis sur le trône de
son Père, qui est adoré des anges, et qui s'est revêtu de ma chair
dans les entrailles de la sainte Vierge. Je vais renouveler son
Incarnation, lui donnant une nouvelle vie en moi. O quel honneur
pour moi, quelle grâce et quelle faveur ! N'est-elle pas aussi
grande que celle qu'il a faite à la Vierge ? Hélas ! je n'ai point
la sainteté, et cependant je la devrais avoir, puisque le même Fils
de Dieu entre dans son coeur, et s'unit plus parfaitement à moi par
la communion qu'il ne s'est uni à elle par l'Incarnation, s'il est
vrai, ce qu'on enseigne ordinairement, que le Fils de Dieu pouvait
naître d'une mère criminelle.
Si cette pensée
ne vous occupe point, passez à une autre, et songez
que vous allez recevoir celui qui est né dans une étable, celui qui
a été visité des bergers, celui qui a été adoré des rois, celui qui
a été reçu entre les bras de Siméon dans le Temple, qui a été tenté
dénis le désert, qui s'est transfiguré sur le Thabor, celui qui a
fait tant de miracles, qui a éclairé tant d'aveugles, qui a guéri
tant de malades, qui a ressuscité tant de morts, qui n'est jamais
entré dans une maison sans y laisser des marques de sa bonté.
Concevez un grand désir de le recevoir, et une ferme espérance qu'il
guérira, sanctifiera, et enrichira votre âme de ses trésors.
Passez ensuite à la
Passion, et considérez que vous allez recevoir celui qui a institué
ce divin Sacrement la veille de sa mort, qui sua le sang dans le
jardin des Olives, qui le versa de toutes les veines de son corps
dans le prétoire de Pilate, qui le donna jusqu'à la dernière goutte
sur la Croix, et que c'est ce même Sang qui va échauffer votre cœur
et couler dans vos veines.
Ajoutez encore que
celui que vous allez recevoir vous aime si tendrement qu'il a bien
voulu mourir pour vous ; qu'il vous vient appliquer le fruit de sa
mort et de sa passion; c'est lui qui fut mis dans un sépulcre, et
qui va descendre dans votre coeur comme s'il descendait de la Croix
dans le tombeau ; que c'est lui qui vous a été chercher dans les
enfers et qui est ressuscité glorieux ; que vous allez recevoir ce
même corps avec ces plaies adorables qu'il fit toucher à ses
disciples ; qu'il va vous découvrir son côté et vous donner entrée
dans son coeur.
Enfin considérez que
vous allez recevoir celui qui est monté au ciel, qui doit venir
juger les vivants et les morts, et qui vous remerciera de l'avoir
logé chez vous lorsqu'il était pèlerin sur la. terre. N'y a-t-il pas
là suffisamment de quoi vous occuper, et vous donner de la dévotion
? Il y en a d'autres qui parcourent les Litanies du saint Nom de
Jésus et qui s'arrêtent au titre qui les touche le plus. Je vais
recevoir le Fils du Dieu vivant. Je vais recevoir le Roi de gloire.
Je vais recevoir le Soleil de justice, le Dieu de paix, le Père des
pauvres, etc. Et de chaque titre ils tirent des motifs d'humilité,
de charité et de confiance, comme vous verrez eu la suite de cette
considération. Vous trouverez encore dans la méditation de la
Communion, qui est dans le second tome de nos petites méditations,
tous les motifs capables de donner à une âme de l'amour et de la
tendresse pour ce divin Sacrement.
XIX - Action de
grâces
Or comme il est très
important de se bien préparer avant la communion, il est aussi
nécessaire de bien ménager le temps d'après la communion. La viande
ne profite pas si elle n'est digérée. C'est le feu de l'amour et de
la dévotion qui nous transforme en Notre-Seigneur après que nous
l'avons reçu. O Jérusalem ! Si tu savais qui est celui qui te vient
voir, et les biens que tu peux recueillir de cette visite ! Mais
parce que tu n'en as pas profité, tu seras sévèrement châtiée.
XX - Comme II faut
la faire.
Savez-vous comme il
faut vous entretenir avec Notre-Seigneur ? Quelle civilité
feriez-vous à un roi qui viendrait chez vous vous voir et manger
avec vous ? Quelles actions de grâces lui rendriez-vous ? Que de
demandes et de requêtes lui présenteriez-vous pour vous et pour vos
amis !
Si Jésus-Christ, en
entrant, vous donne des marques sensibles de sa présence, et vous
attendrit le coeur, profitez de ces précieux moments. Si vous êtes
distrait, dissipé, tiède et languissant, ne vous troublez point,
mais priez Notre-Seigneur de suppléer à votre impuissance, et de
faire en votre coeur ce qu'il a dessein d'y faire. La viande se
digère en votre estomac sans que vous y pensiez, pourvu que vous ne
troubliez point l'opération de la nature. Laissez faire la grâce ;
si vous ne l'empêchez point d'agir, par des distractions
volontaires, elle digérera, pour ainsi parler, cette viande céleste,
et vous transformera en Jésus-Christ. C'est un roi de paix, qui
demeure dans la paix. Ne troublez point son repos, et il vous
donnera sa paix.
Il est bon d'abord,
après avoir communié, de vous tenir paisible et dans un profond
silence, écoutant Notre-Seigneur parler, ou plutôt le laissant faire
ce qu'il veut dans votre coeur. Ne jugez pas de l'effet de la
communion par le sentiment que vous en avez. Les opérations de Dieu
les plus parfaites sont ordinairement les moins sensibles. Quand
l’Époux est entré, fermez la porte de votre coeur, et vous reposez
sur son sein.
L'amour est éloquent;
il ne faut point lui apprendre à discourir. Il parle beaucoup quand
il est jeune ; il se tait quand il est dans sa force et dans sa
maturité. Parlez beaucoup, âmes tendres, priez, demandez, pleurez,
soupirez, mais ne manquez pas aussi d'entendre ce que vous dira le
Seigneur.
Pour les âmes
parfaites, elles doivent s'abandonner entièrement à son amour, et
jouir doucement de la présence de leur Bien Aimé. Si elle veulent
parler, elles se contenteront de lui dire ces deux paroles :
Mon Dieu et mon tout. C'est encore trop, il faut que toute
chair se taise en la présence du Seigneur.
Ceux qui n'ont pas de
facilité à s'entretenir avec Notre-Seigneur, pourront s'aider des
même considérations que nous avons proposées avant la communion,
changeant le temps à venir au présent, disant : voilà celui qui
est né dans une étable ; arrêtez-vous là ; voilà celui qui
est mort sur une croix ; arrêtez-vous, et produisez des actes
d'amour, de reconnaissance, et ainsi du reste. Vous pouvez aussi
parcourir les litanies du saint Nom de Jésus, de la manière que nous
enseignons à la fin de cette Considération.
XXI - Il faut
s'entretenir quelque temps
avec Notre-Seigneur
Il y en a qui font leur
enfer d'être avec Dieu ; leur plus grand tourment est d'être en sa
présence ; ils s'ennuient dés lors qu'il est entré chez eux, et lui
tournent le dos pour s'entretenir avec les créatures. À la vérité,
c'est là une incivilité sans exemple. Vous ne sauriez que lui dire ?
Laissez-le parler. Vous ne pouvez aimer ? ne pouvez-vous pas vous
humilier ? Demeurez à ses pieds comme la Madeleine, et priez tous
les saints de le remercier pour vous. Récitez du moins quelques
oraisons vocales, et faites à votre hôte la meilleure chère que vous
pourrez.
Aussitôt que
Judas eut communié, Satan entra dans son corps
,
et l'obligea de se retirer ; d'autant, dit saint Cyrille
d'Alexandrie, qu'il appréhendait que le Fils de Dieu, par sa
présence, ne touchât le coeur de ce misérable, et ne lui donnât
quelque sentiment de douleur. Tandis que je suis au monde,
dit-il, je suis la lumière du monde
.
Tandis qu'il est dans une âme, n'est-il pas le soleil de cette âme ?
Il est impossible d'être modestement en sa présence sans sentir
quelque rayon de sa grâce et de son amour. Ah ! vous vous enfuyez,
Caïn ? tous les objets que vous rencontrerez vous donneront la mort.
XXII - Visite du
Saint-Sacrement
On se plaît en la
compagnie de ceux qu'on aime, Le Fils de Dieu fait ses délices
d'être avec vous ; faites-vous les vôtres d'être avec lui ? Lui
rendez-vous tous les jours quelque visite ? Il est demeuré sur la
terre pour vous conseiller dans vos doutes, pour vous consoler dans
vos peines, pour vous fortifier dans vos faiblesses, pour vous
soutenir dans vos tentations. Croyez-vous qu'il soit sur nos autels
? Pouvez-vous le croire, et l'abandonner ?
XXIII - Diverses
dévotions en visitant
le Saint-Sacrement
Il y en a qui,
dans les visites du Saint-Sacrement, le considérant chaque jour dans
un festin où il s'est trouvé sur la terre : le lundi, aux noces de
Cana, avec sa sainte Mère ; le mardi, chez Simon avec les publicains
; le mercredi, au désert avec les anges ; le jeudi, dans le cénacle
avec les apôtres, ou chez le Lazare avec Marthe et Madeleine ; le
vendredi, sur la Croix avec les voleurs, où il est abreuvé de fiel
et de vinaigre ; le samedi, dans le château d'Émmaüs avec deux de
ses disciples ; le dimanche, dans la salle après sa Résurrection, et
sur le rivage avec ses apôtres
.
D'autres le considèrent
dans le Saint-Sacrement sous divers titres. Le dimanche comme Roi ;
le lundi comme Père ; le mardi comme Ami ; le mercredi comme Médecin
; le jeudi comme Époux ; le vendredi comme Rédempteur; le samedi
comme conquérant, vainqueur des démons et glorificateur. Il faut
produire des actes de foi, d'espérance, d'amour, da confiance, de
remerciement, etc., conformément à la disposition où l'on se trouve,
et à la qualité que l'on considère. Ceux qui communient tous les
jours peuvent le considérer et le recevoir chaque jour en l'une de
ces manières. D'autres enfin se le proposent dans le cours de sa
Passion, dont ce Sacrement est la représentation. Le lundi dans le
jardin des Olives, combattant et vous incitant à combattre avec lui
; le mardi, chez Anne et Caïphe, souffrant des injures, et vous
exhortant à souffrir comma lui ; le mercredi chez Hérode, et avec
Barabbas, traité de fol et de scélérat, vous enseignant qu'il faut
être méprisé comme lui ; le jeudi, in sa flagellation, et en son
couronnement, vous disant qu'il faut être déchiré et maltraité comme
lui ; le vendredi portant sa croix, mourant sur le Calvaire, vous
priant de la porter avec lui et de mourir comme lui ; le samedi,
dans le tombeau et dans les limbes, vous exhortant à y descendre
après lui ; le dimanche, ressuscité dans la Galilée, ou dans le
ciel, vous promettant de vous faire régner avec lui.
Examinez-vous sur
toutes ces dévotions, et voyez si vous vous en acquittez comme il
faut.
L'union ne saurait être plus parfaite entre le Christ et l'âme
dans la communion qu'entre le Christ et sa bière, parce qu'il
était de toute convenance que Dieu, donnant une Mère à son Fils,
comblât cette Femme unique de tous les dons et de toutes les
grâces, nulle proximité n'étant plus intime avec Dieu, nulle
fonction plus haute, nulle mission plus sainte. Tel est
l'enseignement de la théologie, tel est le sentiment chrétien,
que la dévotion grandissante à la Mère de Dieu n'a fait que
préciser. La Maternité divine est la racine de tous les
privilèges dont Marie a été gratifiée, et dont il convenait
qu'elle fût ornée. L'hypothèse à laquelle fait ici allusion le
Père Crasset est moins un « enseignement » de la
théologie qu'une façon théorique de faire entendre comment,
abstraction faite de ses radieux compléments, la maternité
divine n'est pas, par elle-même, principe sanctificateur. La
femme qui aurait donné le jour au Christ n'aurait été en ce cas
que le canal d'une incarnation dénuée de ses meilleurs attraits.
Mais tout exigeait le contraire. À peine pourrait-on appeler
mère la femme réduite à un rôle si diminué ; et il vaut mieux
déclarer inadmissible, sinon injurieuse à Dieu, pareille
opposition entre la personne et la fonction.
La méditation apparaît ici comme la meilleure préparation
quotidienne à la communion.