Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Quatrième partie

La pédagogie de Saint-Jean Baptiste De La Salle

6
Les exemples à donner

Importance du bon exemple

C’est surtout dans les communautés que le bon exemple est nécessaire et efficace. En effet: tous ceux qui demeurent ensemble s’animent les uns les autres à pratiquer ce qu’il y a de plus saint et de plus parfait dans les maximes du Saint Évangile; parce que ce que l’un fait, l’autre aurait honte de ne pas le faire, et, selon un axiome des philosophes, la pratique aussi bien que l’amour du bien se communique facilement à ceux qui ont un peu de bonne volonté pour l’exécuter. (MF 180)

6-1-L'oraison

6-1-1-Importance de l'oraison qui seule révèle Dieu

Pour Jean-Baptiste De La Salle, l'oraison est un des exercices les plus importants. En effet, c'est seulement par l'oraison que l'homme peut connaître Dieu dans son intimité. C'est seulement dans l'oraison que la divine Trinité se révélera à nos cœurs. Cela, Jean-Baptiste De La Salle l'avait parfaitement compris, et il n'hésitait pas à l'exprimer dans ses Cantiques spirituels:

L’insondable Trinité est un Dieu seul en trois personnes,
Égales en autorité, également sages et bonnes;
Toutes trois n’ont qu’un seul pouvoir,
Qu’une sagesse et qu’un vouloir. (CA[1] 2, 6)

 

Auguste Trinité, adorable unité, indivisible essence,
Trois personnes n’ont qu’un pouvoir,
Qu’une sagesse et qu’un vouloir,
Qu’une même substance.

Ainsi trois ne font qu’un, c’est le Dieu trin et un,
Seul être véritable qui gouverne tout sans danger,
Faisant tout mouvoir et changer, demeure incontournable...

 

Mystère ravissant! Le Père tout-puissant
Se contemplant soi-même,
Engendre son Fils, et produit avec lui le très Saint-Esprit,
Acte d’amour suprême.

Cette spiration et génération pure et continuelle
N’eut jamais de commencement,
N’aura ni fin, ni changement,
Car elle est éternelle.

 

Ô infinie grandeur! Hauteur et profondeur de l’essence divine,
Source de bénédictions
Où toutes les perfections
Prennent leur origine. (CA 3, 18)

6-1-2-D'où la responsabilité des éducateurs

Les éducateurs sont, pour leurs élèves, comme des anges gardiens:

Les anges étant très éclairés et connaissant le bien tel qu’il est, c’est par eux que Dieu le fait  connaître... Vous devez faire la même chose à l’égard des enfants qui sont confiés à vos soins; il est de  votre devoir de monter tous les jours à Dieu par l’oraison, pour apprendre de lui tout ce que  vous devez leur enseigner, et que vous descendiez ensuite vers eux, en vous accommodant à  leur portée, pour les instruire de ce que Dieu vous aura communiqué pour eux, tant dans l’oraison que dans les livres saints remplis des vérités de la religion et des maximes du saint  Évangile.  (MR 198) 

6-1-3-L’oraison, la solitude, la retraite 

C’est dans la retraite qu’on apprend à trouver Dieu; c’est là où on goûte Dieu par la facilité qu’on y a à faire oraison... Que votre temps soit occupé à ces deux choses: demander à Dieu, avec instance, le salut de ceux qui sont sous votre conduite; chercher et leur faire prendre les moyens de le faire. (MF 189) 

Un certain nombre de lettres autographes ont été conservées. Certes ces lettres sont très personnelles. Cependant on est obligé de remarquer le souci constant de Jean-Baptiste du salut de l’âme de ses correspondants. On peut, entre autres, noter les conseils suivants:

– Portez-vous beaucoup à l’oraison et tâchez de faire toutes vos actions par esprit d’oraison. Plus vous y serez fidèle et plus Dieu vous bénira. (LA 1)

– Faites aussi en sorte que la sainte présence de Dieu vous soit fréquente, car elle est le principal fruit de l’oraison... Ce n’est pas assez d’avoir la pensée d’aller à Dieu le plus parfaitement qu’il vous sera possible; il faut le faire en effet et on ne le fait qu’autant qu’on se fait violence...(LA 10)

– C’est une pratique d’une grande utilité de s’appliquer à la présence de Dieu, soyez-y fidèle. Rien n’attirera tant les bénédictions de Dieu sur vous que la fidélité aux petites choses... L’oraison est le soutien de la piété; ainsi ayez-y beaucoup d’application. (LA 11)

Vous devez vous appliquer à l’oraison le mieux qu’il vous sera possible, car c’est l’exercice qui attire ordinairement les grâces sur les autres. (LA 12)

– La principale vertu à laquelle vous devez vous appliquer est l’obéissance. Abandonnez-vous beaucoup dans l’oraison à la conduite de Dieu et témoignez-lui souvent que vous ne voulez que l’accomplissement de sa sainte volonté. (LA 33) 

6-1-4-Mais il faut montrer que l'on prie

D'abord des conseils d'ordre général

Il ne suffit pas d’avoir du détachement pour se mettre en état de travailler utilement pour l’Église et le salut du prochain; il faut aussis s’appliquer fortement à l’oraison et à la mortification... Pensez souvent que vous devez être des hommes d’oraison, parce que vous devez prier, non seulement pour vous, mais aussi pour ceux dont vous avez la conduite, et pour les besoins de leurs âmes, et afin que votre oraison ait son effet, vous devez y joindre la mortification. (MF 187)

Vous devez faire paraître le grand amour que vous avez pour Jésus, en vous rendant assidus à converser avec lui dans l’oraison, et en vous pressant pour le recevoir le plus souvent qu’il vous sera possible dans l’Eucharistie. (MF 144)

Vous devez donc beaucoup vous appliquer à la prière pour réussir dans votre ministère, représentant sans cesse à Jésus-Christ les besoins de vos disciples, lui exposant les difficultés que vous avez trouvées dans leur conduite. Jésus-Christ... ne manquera pas de vous accorder ce que vous lui demanderez... Gardez-vous d’avoir à leur égard aucune vue humaine, ni de vous glorifier de ce que vous  faites... (MR 196)

C’est pourquoi étudiez votre catéchisme, lisez de bons livres, appliquez-vous avec ferveur à l’oraison, et, selon l’esprit de votre institut, mortifiez votre esprit et vos sens. Il faut vous instruire à fond des vérités par l’étude; car votre ignorance serait criminelle puisqu’elle causerait l’ignorance dans ceux qui vous sont confiés. L’oraison et la mortification vous sont nécessaires pour attirer les grâces de Dieu sur vous et sur ceux que vous instruisez. (MF 153)

Et des conseils plus particuliers

Ces conseils concernant l'oraison, nous les retrouvons aussi adressés personnellement par Jean-Baptiste De La Salle à ses Frères ou à ses dirigés. Voici quelques exemples:

– Faites oraison, mon très cher Frère, et demandez à Dieu que sa sainte volonté s’accomplisse en vous... Il faut aller à Dieu, mon très cher Frère, et travailler à vous sauver... (LA 45)

– Le temps de l’oraison et de la lecture ne doit jamais être occupé à autre chose. Pour l’amour de Dieu, que l’on y soit exact et que tous les exercices se fassent précisément à l’heure. (LC 77)

-Il faut non seulement vous acquitter de votre devoir dans l’école mais aussi dans vos autres exercices, (de piété) car l’école sans les exercices ne va pas bien. Quand vous aurez fait vos exercices régulièrement un peu de temps, vous n’y aurez plus de peine. Il faut un peu se faire violence pendant quelque temps pour l’amour de Dieu. (LA 49)

– La raison pour laquelle vous avez tant de sécheresses et de distractions dans l’oraison est parce que vous êtes trop extérieur et que vous parlez trop.(LA 54)

– appliquez-vous beaucoup à la lecture spirituelle, elle vous sera bien utile pour vous disposer à bien faire oraison. (LA 55)

– J’ai bien de la joie que vous soyez facilement appliqué dans l’oraison. C’est l’exercice qui attire les grâces de Dieu sur les autres. Ayez aussi une application particulière à votre lecture spirituelle qui sert beaucoup à disposer à bien faire oraison. (LC 102)

– Ne vous arrêtez pas aux pensées de l’école dans le temps de l’oraison, chaque chose en son temps. (LA 56)

– Vous vous inquiétez parce que l’oraison est trop longue: marque que vous ne l’aimez guère. Ah! mon cher Frère, elle est le soutien de l’âme; voudriez-vous la négliger? ( LI 86)

– Faites attention, lorsque vous avez quelque chose à faire, mon très cher Frère, que l’on n’est heureux en ce monde que quand on fait les choses dans la vue de Dieu, pour son amour et pour lui plaire uniquement. (LI 88)

S'adressant à des religieux et à des religieuses, Jean-Baptiste De La Salle insiste fortement:

– Les distractions que vous avez dans l’oraison viennent de votre dissipation.. (LC 69)

– Encore une fois, recourez à Dieu par l’oraison... Croyez-moi, l’oraison attire toujours quelque grâce de Dieu même sur les plus grands pécheurs. (LI 122)

– Que l’oraison soit pour vous un fréquent exercice et tâchez d’y trouver votre consolation dans les sécheresses parce que vous y trouverez Dieu plus purement. Demeurez-y  avec foi et constance dans les sécheresses et les obscurités sans aucun attrait: c’est un très bon état et très sanctifiant. L’oraison comme je vous ai dit de la faire, vous conduira en peu de temps et sans autre étude à la présence de Dieu. L’oraison est préférable à tout. Après votre office divin, elle doit être pour vous un point essentiel de règle. L’oraison de souffrance vaut mieux que tout autre... Ne vous étonnez pas de l’éloignement de Dieu et des sécheresses dans l’oraison, vous en êtes l’unique cause... L’oraison doit être votre principal appui , ainsi n’y manquez jamais à moins que vous ne soyez malade. C’est elle qui dissipera les ténèbres et l’ignorance de votre esprit. (LI 126)

D'où la nécessité du silence:

6-1-5-Le silence 

– Prenez donc garde de garder exactement le silence. Vous savez bien que le silence et le recueillement sont deux moyens pour être bien intérieur. (LC 73)

Il est temps de parler peu et faire beaucoup. Que beaucoup de silence et d’humilité et beaucoup d’oraison soient votre étude, car c’est là ce que Dieu demande de vous... Le silence est une vertu très utile et très nécessaire pour adorer Dieu, pour le servir en esprit et en vérité, pour résister aux tentations et pour se préserver des péchés. (LI 128)

– Encore une fois, plus vous entrerez dans une simple vue de foi, plus vous entrerez dans l’état de simplicité d’action et de conduite qui est celui où Dieu vous veut. (LI 132)

Même les directeurs d’école doivent être fidèles à leurs exercices:

– Il faut qu’un directeur ne bouge de ses exercices... Vos exercices et vos écoles, voilà tout votre soin.(LC 38)

Il faut parfois s'inspirer des exemples donnés par les saints. Ainsi:

– Sainte Geneviève se consacra à Dieu dès sa plus tendre jeunesse. Toute sa vie fut presque une oraison continuelle: Voilà quelle est la pratique des saints: c’est de s’éloigner de la conversation des hommes, et d’aimer celle de Dieu.

– Saint François de Sales et l’amour:

Ce furent la douceur et la tendresse pour le prochain qui firent que saint François de Sales convertit tant d’âmes à Dieu et que l’on compte jusqu’à soixante et douze mille hérétiques qu’il a retirés de l’erreur.

– Saint Ignace d’Antioche inspira cette phrase au saint Fondateur des Frères des Écoles chrétiennes:

Si vous aimez bien Jésus-Christ, vous vous appliquerez avec tout le soin possible à imprimer son saint amour dans le cœur des enfants que vous formez pour être ses disciples.

6-2-L'exemple Jésus le Bon Pasteur

Jésus se compare à un Bon pasteur qui connaît toutes ses brebis. Ceux qui sont chargés de l’éducation des autres doivent aussi connaître leurs élèves et la manière dont on doit se conduire à leur égard: car il faut plus de douceur à l’égard des uns, et plus de fermeté à l’égard des autres. Il y en a qui demandent qu’on ait beaucoup de patience, d’autres qu’on les pousse et qu’on les anime; il est nécessaire, à l’égard de quelques-uns, qu’on les reprenne et qu’on puisse les corriger de leurs défauts; il s’en trouve sur lesquels il faut continuellement veiller pour les empêcher de se perdre ou de s’égarer. Cette conduite dépend de la connaissance et du discernement des esprits.

Les brebis doivent aussi connaître leur pasteur. Pour cela deux choses sont nécessaires dans ceux qui ont la conduite des âmes:

        – Premièrement beaucoup de vertu pour servir d’exemple aux autres.

        – Deuxièmement, on doit reconnaître en eux une grande tendresse pour les âmes qui leur sont confiées... C’est ce qui porte les brebis à aimer leur pasteur et à se plaire en sa compagnie, parce qu’elles y trouve leur repos et leur soulagement. Voulez-vous que vos disciples pratiquent le bien? Faites-le vous-mêmes.

Les brebis doivent aussi entendre et comprendre la voix de leur pasteur... C’est pourquoi vous devez étudier et vous former à bien faire comprendre vos demandes et vos réponses dans le catéchisme, à les expliquer nettement, à vous servir de mots qui soient aisés à entendre. Vous devez, dans vos exhortations, leur représenter naïvement leurs défauts, leur donner des moyens de s’en corriger, leur faire connaître les vertus qui leur conviennent et leur en faire voir la facilité, leur inspirer une très grande horreur pour le péché, l’éloignement des mauvaises compagnies; en un mot, leur parler de tout ce qui peut les porter à la piété: c’est ainsi que des disciples doivent entendre la voix de leur maïtre. (MD 33)