
Dom
Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948

CHAPITRE III
CONFIANCE EN LA PROVIDENCE
“ La volonté de l'homme est étonnamment soupçonneuse, en
sorte qu'elle se fie à elle seule pour l'ordinaire, et qu'elle craint toujours
pour elle-même du vouloir et de la puissance d autrui. Ce qu'on a de précieux,
fortune, honneur, réputation, sauté, vie même, on ne le remettrait pas entre les
mains d'un autre, à moins d'avoir une grande confiance en lui. Pour l'exercice
de la charité (et du saint abandon), il faut donc une pleine confiance en Dieu ”
. Dès lors on ne saurait trouver le parfait abandon, d'une manière habituelle en
dehors de la voie unitive; car c'est là seulement que la confiance en Dieu
arrive à sa plénitude.
La sagesse de l'homme est courte en ses vues; sa volonté est
faible, changeante et sujette à mille défaillances; et, par suite, au lieu
d'avoir confiance en nos lumières, et de nous défier de tous, même de Dieu, nous
devrions le supplier, l'importuner, pour que sa volonté se fasse et non pas la
nôtre. Car “ sa volonté est bonne, bonne en elle-même, bienfaisante pour nous,
bonne comme le bon Dieu, et je dirai, forcément bienfaisante ”.
Quel est Celui qui veille sur nous avec amour, et qui dispose
de nous par sa Providence? C'est le bon Dieu. Il est tellement bon, qu'il est la
bonté par essence, et la Charité même, et, dans ce sens, “ personne n'est bon
que Dieu seul ”. Il a paru des Saints qui ont merveilleusement participé à cette
bonté divine. Et cependant les meilleurs parmi les hommes n'ont eu qu'un
ruisseau, une rivière, ou tout au plus un fleuve de bonté, tandis que Dieu est
l'Océan de la bonté, une bonté inépuisable et sans limites. Après qu'il aura
versé sur nous des bienfaits presque innombrables, qu'on ne le croie ni fatigué
de se répandre, ni appauvri par ses dons : il lui reste encore infiniment de
bonté à dépenser. A vrai dire, plus il donne, plus il s'enrichit; car il y gagne
d'être mieux connu, aimé et servi, du moins par les nobles cœurs. Il est bon
pour tous : “ Il fait luire son soleil sur les bons et les méchants, il fait
tomber la pluie sur les justes et les pécheurs.” . Il ne se lasse pas d'être bon
: à la multitude de nos fautes il oppose “ la multitude de ses p1iséricordes ” ,
pour nous conquérir à force de bonté. Il faut bien qu'il punisse, car il est
infiniment juste comme il est infiniment bon; mais, “alors même qu'il se fâche,
il n'oublie pas la miséricorde ” .
Ce Dieu si bon, c'est “ notre Père qui est aux Cieux ” .
Comme il affectionne ce titre de Dieu bon et nous rappelle à satiété ses
miséricordes, de même il aime à se proclamer notre Père. Parce qu'il est si
grand et si saint, et nous si petits et si pécheurs, nous aurions eu peur de
lui; pour gagner notre confiance et notre affection, il ne cesse de nous
répéter, dans nos Saints Livres, qu'il est notre Père et le père des
miséricordes . “ C'est de lui que toute paternité dérive au Ciel et sur la terre
” , et personne n'est père comme notre Père des Cieux. Il est père par le
dévouement, mère par la tendresse. Ici-bas, rien n’est comparable au cœur d'une
mère pour l'oubli de soi, l'affection profonde, la miséricorde inlassable; rien
n'inspire autant la confiance et l'abandon. Et cependant Dieu surpasse
infiniment pour nous la meilleure des mères. “ Une femme peut-elle oublier son
enfant, n'avoir pas compassion du fruit de ses entrailles ? Et quand même elle
l'oublierait, moi je ne vous oublierai pas ” . “ Celui qui a aimé le monde au
point de lui donner son Fils unique ” , que pourrait-il nous refuser ? Il sait
bien mieux que nous de quoi nous avons besoin pour le corps et pour l'âme : il
veut être prié, mais il nous reprochera seulement de ne pas demander assez , et
il ne donnera pas une pierre à son enfant qui lui demande du pain . Et s'il faut
qu'il sévisse pour nous empêcher de courir à notre perte, c'est son cœur qui
arme son bras : il mesure les coups, et dès qu'il le jugera bon, il essuiera nos
larmes et versera le baume sur la blessure. Croyons à l'amour de Dieu pour nous,
et ne doutons jamais du cœur de notre Père.
C'est notre Rédempteur qui veille sur nous. Il est plus qu'un frère, plus qu'un
incomparable ami, c'est le médecin de nos âmes, notre Sauveur par état. Il est
venu “ sauver le monde de leurs péchés ” , guérir les maladies spirituelles,
nous apporter “ la vie et une vie plus abondante ” , “ allumer sur la terre le
feu du ciel ” . Nous sauver, voilà son rôle, sa mission, sa raison d'être;
réussir dans cette mission, voilà sa gloire et son bonheur. Pourrait-il se
désintéresser de nous ? Sa vie de travaux et d'humiliations, son corps sillonné
de blessures, son âme abreuvée de douleur, le Calvaire et l'autel; tout nous
montre qu'il a fait pour nous des folies d'amour. “ Il nous a achetés à si haut
prix ” ! Comment ne lui serions-nous pas chers ? En qui aurions-nous confiance,
si ce n'est en ce doux Sauveur sans lequel nous étions perdus ? N'est-il pas,
d'ailleurs, l'époux de nos âmes ? Dévoué, tendre et miséricordieux à l'égard de
chacune, il chérit d'une prédilection marquée celles qui ont tout quitté pour
ne s'attacher qu'à lui seul; il fait ses délices de les garder près de son
tabernacle, et de vivre avec elles dans la plus douce intimité.
“ Vous êtes dans l'affliction, dit le P. de la Colombière : songez que Celui
qui en est l'auteur est Celui même qui a voulu passer toute sa vie dans les
douleurs, pour vous en épargner d'éternelles; Celui dont l'Ange est toujours à
vos côtés, veillant par son ordre sur toutes vos voies; Celui qui sur nos autels
prie sans cesse, et se sacrifie mille fois le jour en votre faveur; Celui qui
vient à vous avec tant de bonté dans le sacrement de l'Eucharistie; Celui qui
n'a pas de plus grand plaisir que de s'unir à vous, que de converser avec vous.
Mais, il me frappe cruellement, il appesantit sa main sur moi. - Que
craignez-vous d'une main qui a été percée, qui s'est laissé attacher à la croix
pour vous ? - Il me fait marcher par un chemin épineux. S’il n'y en a pas
d'autre pour aller au Ciel, aimez-vous mieux périr pour toujours que de souffrir
pour un temps ? N'est-ce pas cette même voie qu'il a tenue avant vous et pour
l'amour de vous ? y trouvez-vous une épine qu'il n'ait rougie de son sang ? Il
me présente un calice plein d'amertume.
Oui, mais songez que c'est votre Rédempteur qui vous le présente. Vous aimant
autant qu'il le fait, pourrait-il se résoudre à vous traiter avec rigueur, s'il
n'y avait ou une utilité extraordinaire ou une pressante nécessité ” ?
Bon et saint comme il est, il n'agit sur nous que pour les fins les plus nobles
et les plus bienfaisantes. “ Son but est et sera immuablement un ” : la gloire
de Dieu. “ Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même ”, nous dit l'Écriture
(Prov., XVI, 4). Et ne nous en plaignons pas, puisque cette gloire n'est autre
chose que la joie de nous donner l'éternelle joie, le bonheur de nous assurer
l'éternel bonheur... L'univers ayant pour fin la glorification de Dieu par la
béatification de la créature raisonnable, il s'ensuit qu'au second plan la fin
de toutes choses, au moins sur la terre, est l'Église catholique, puisqu'elle
est la Mère du Salut. Toutes les choses terrestres, toutes, jusqu'aux
persécutions, sont faites ou permises par Dieu pour le plus grand bien de
l'Église... Et, dans l'Église même, tout est ordonné en vue du bien des élus,
puisque la gloire de Dieu ici-bas se confond avec le salut éternel de l'homme.
D'où il faut conclure qu'au troisième plan, l'invariable terme des évolutions et
révolutions d'ici-bas n'est autre que l'arrivée des élus à leur éternelle
destinée; de telle sorte que nous verrons peut-être dans le ciel des pays
entiers remués pour le salut, d'une portion d'élite... N'est-ce pas une chose
adorable que de voir Dieu gouverner le monde, dans l'unique but de faire des
heureux et de se réjouir en eux ” ?
La volonté de Dieu, c'est donc la sanctification des âmes .
Il n'y a pas une seconde où, sur un point quelconque de l'univers, on puisse le
surprendre s'occupant à autre chose. Voilà le pourquoi de tous ces événements,
grands et petits, qui agitent en sens divers les nations, les familles, les
existences privées. Voilà pourquoi Dieu me veut malade aujourd'hui, contredit,
humilié, oublié, pourquoi il me ménage cette rencontre heureuse, il m'amène
cette difficulté. il me fait heurter contre cette pierre et me livre à cette
tentation. C'est son amour, son désir de mon plus grand bien, qui règle toutes
ses démarches. Avec quelle confiance et quelle docilité ne devrions--nous pas
nous laisser faire et correspondre, si nous comprenions mieux ses voies
miséricordieuses ? D'autant plus qu'il met sans cesse au service de sa bonté
paternelle une infinie puissance, une sagesse ! impeccable. II sait, en effet,
la fin particulière de chaque âme, le degré de gloire qu’il lui destine au ciel,
la mesure de sainteté qu'il lui a préparée. Pour parvenir au terme et devenir
parfaite, il sait quels chemins elle doit suivre, quelles épreuves traverser,
quelles humiliations subir. Cette myriade d'événements dont sera formée la trame
de notre existence, sa Providence en tient le fil, elle mène tout vers la fin
voulue. Du côté de Dieu qui en dispose, rien qui n'y soit lumière, sagesse,
grâce, amour et salut. Or, infiniment puissant comme il est, tout ce qu'il
veut, il le peut. Il est le Maître, il a en son pouvoir la vie et la mort, il
conduit aux portes du tombeau et il en ramène . Il y a chez nous des ombres et
des clartés, des temps de paix et des temps d'affliction; il y a des biens et
des maux; tout vient de lui, il n'y a absolument rien où sa volonté ne demeure
souveraine maîtresse . Il fait tout selon son libre conseil , et, dès lors
qu'il a décrété de sauver Israël, il n'y a personne qui puisse résister à sa
volonté , personne qui puisse lui faire changer ses desseins ; contre le
Seigneur, il n'y a ni sagesse, ni prudence, ni profondeur de conseils .
Il est vrai qu'il dispose des êtres raisonnables en respectant leur libre
arbitre. Ils peuvent donc opposer leurs volontés à la sienne, et paraître la
tenir en échec. Mais, en réalité, la résistance des uns, l'obéissance des
autres, lui sont connues de toute éternité, il en a tenu compte en établissant
ses plans ; il trouve, dans les ressources infinies de sa toute- puissante
sagesse, la plus grande facilité pour changer les obstacles en moyens, pour
faire servir à notre bien les machinations que l'enfer et les hommes ourdissent
afin de nous perdre. “ Ce que j'ai résolu, dit le Seigneur dans Isaïe, demeurera
stable, et ma volonté s'accomplira en toutes choses ” . Vous aurez beau faire,
il faut que la volonté de Dieu s'exécute : il vous laisse agir selon votre
libre arbitre, sauf à rendre à chacun selon ses œuvres; mais tous les moyens que
vous emploierez pour éluder ses desseins, il saura les faire servir à
l'accomplissement de ces mêmes desseins . “ Dès lors, que pouvons--nous craindre
? Que ne devons-nous pas espérer, étant enfants d'un Père si riche en bonté pour
nous aimer et vouloir sauver, si savant pour préparer les moyens convenables à
cela, et si sage pour les appliquer, si bon pour vouloir, si clairvoyant pour
ordonner, si prudent pour exécuter ”.



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