PREMIÈRE PARTIE

Méditations sur la Passion de Jésus
pendant sa vie privée

18
Pourquoi M’as-Tu abandonné ?

 

Le jour se lève sur les collines de Nazareth... C’est l’heure de la prière de l’Aurore. Jésus aime cette heure bénie entre toutes, heure  où la vie renaît sur toute la terre, où le Père semble déployer ses plus belles splendeurs pour le bonheur de ses enfants...

C’est l’heure de la prière de l’Aurore que chaque juif doit célébrer. Généralement cette prière est célébrée à la maison, en famille, mais souvent les juifs pieux vont à la synagogue pour la prier et lire un passage de l’Écriture: en ce temps-là, il n’était pas possible d’avoir chez soi les textes sacrés.

Ce matin-là, comme poussé par l’Esprit, Jésus dit à Joseph: “Père, je vais à la synagogue; en revenant je passerai chez Alphée pour lui faire part de tes remarques au sujet du bahut qu’il a commandé. Ne t’inquiète pas, je serai rapidement de retour.” Joseph sourit.

Joseph ne s’inquiète pas: il sait que Jésus sera prêt en même temps que lui pour se mettre au travail. Joseph ne s’inquiète pas quoiqu’une sourde angoisse traverse de plus en plus souvent son esprit. Joseph se sent fatigué. Il pressent son départ prochain vers le Père; il sait que sa vie d’homme va bientôt s’achever. Il sait qu’il va devoir bientôt quitter ce grand fils si bon, si parfait, qui ne lui a donné que des satisfactions.

Joseph se sent proche de la mort et devine également que la mission de Jésus commencera bientôt. Que deviendra son épouse si fidèle, si sainte? Est-ce à ce moment que se réaliseront les paroles du vieillard Siméon? Et Joseph ne peut s’empêcher, comme malgré lui, de se redire les paroles d’Isaïe, et par moments, de se faire des commentaires :

2-Il a grandi devant Yahvé comme un rejeton, comme une racine sortie d’une terre aride, sans éclat ni beauté pour attirer nos regards, et son apparence ne nous a pas séduits. 3-Il était méprisé, rejeté par les hommes, un homme de douleur marqué par la souffrance, l’un de ceux devant qui on se cache le visage; il n’était rien et nous l’avons négligé.(Is. Chap. LIII)

Oui, ce fils que le Père m’a confié, il a grandi devant Dieu et devant les hommes. Mais il est si beau, si grand, si majestueux parfois. Se peut-il qu’un jour il soit méprisé ? Se peut-il qu’un jour il perde son éclat, sa beauté ? Se peut-il qu’un jour on le méprise, qu’on le rejette ? Pourtant, chaque fois qu’à la synagogue il a pris la parole, nous l’avons tous écouté, admiré. Que de fois, même, nous nous sommes rangés à ses avis, si sages, si saints! Comment peut-il devenir un homme de douleur ? Est-ce que 4-ce seront nos péchés qui l’accableront ? Est-ce de nos plaies qu’il sera chargé ? Non! nous ne devons pas penser qu’une plaie de Dieu pourrait le frapper, l’humilier. 5-Mais pour nos fautes il sera transpercé,  à cause de nos péchés il sera écrasé. Le châtiment qui nous donnera la paix pèsera sur lui, et par ses blessures nous serons tous  guéris...(Is. Chap. LIII)

Joseph soupire: est-ce de Jésus que parle prophète? Jésus ne nous a jamais dit de qui il s’agissait. Quand nous le lui demandions, il répondait simplement: “C’est du Serviteur de Dieu dont il est question.” Qui donc est ce Serviteur souffrant? Ne sommes-nous pas tous les serviteurs de Dieu? Qui donc est ce rejeton de David, ce Serviteur qui ne se défend pas ?

Joseph se perd dans ses suppositions ? Et soudain : “L’autre jour... non, ce n’est pas possible ???!!! Ce dernier Sabbat, Jésus a déclaré devant toute l’assemblée, que le berger qui prenait soin de ses brebis, c’était l’image du Messie, du Serviteur du Très-Haut. Et que tous les hommes pécheurs et tout le peuple d’Israël, étaient comme des brebis errantes... Que le Bon Berger viendrait bientôt paître ces brebis abandonnées, confiées aujourd’hui à des mains mercenaires... Oh! Mon Dieu! s’écrie Joseph qui vient soudain de comprendre: le Bon Berger, c’est donc lui! 6-Tous comme des brebis, nous étions errants, chacun suivait son propre chemin. Mais alors, c’est à lui que Yahvé fera porter notre dette à tous ?

Tout s’éclaire dans l’esprit du juste Charpentier. C’est de Jésus dont il s’agit quand Isaïe s’écrie :

7-On le maltraitait, mais lui s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme le mouton conduit à l’abattoir, comme la brebis qui se tait devant ceux qui la tondent. Il a été détenu, puis jugé, puis éliminé. Qui a réfléchi à son sort ?

8-Car s’il était retranché de la terre des vivants et frappé, c’était pour le péché de son peuple. 9-On lui a donné une sépulture au milieu des méchants, et sa tombe est avec celle des riches, alors qu’il n’a pas commis de violence et qu’il n’y a jamais eu de mensonge en sa bouche. 10-Yahvé a voulu l’écraser par la souffrance, mais il offre sa vie en sacrifice d’expiation. (Is. Chap. LIII)

Joseph s’est assis; il a mis sa tête dans ses mains, et il pleure, pas trop fort cependant pour ne pas attirer l’attention de la douce Servante du Seigneur. Joseph pleure et ses larmes ruissellent sur son tablier de cuir. Joseph pleure... Il a compris, et il sait...

Voici Jésus qui revient. Son premier mouvement fut de surprise en ne voyant pas Joseph devant son établi, comme à l’accoutumée. Mais dans une vision fulgurante il vit et il comprit: Joseph savait...

Alors, Jésus s’approcha doucement et entoura de ses bras si doux et si tendres, ce père qui pleurait la mort atroce de son enfant. Jésus se tut pendant quelques minutes, respectant un chagrin qui n’était plus de la terre. Le père nourricier du Messie devait aussi vivre la Passion du Fils de Dieu. Le père nourricier devait aussi participer à l’œuvre de la Rédemption du monde... L’Heure de Joseph était imminente, et Jésus pouvait, aujourd’hui, prier avec Joseph les plaintes du psalmiste:

Psaume 22 (21) - psaume de David

2-Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? Que tu es loin de mon appel, loin des paroles que je te cries!

3-Dieu, je t’appelle de jour sans que tu répondes, toute la nuit, je  crie vers toi.

5-Pourtant, jadis, nos pères ont mis en toi leur espérance, ils espéraient, tu les délivrais...

7-Mais moi, je ne suis plus un homme, rien qu’un ver; on a honte de moi, le peuple me méprise.

8-Ceux qui me voient se moquent, ils ricanent, ils hochent la tête et ils disent:

9-”Il s’en est remis au Seigneur, qu’il le délivre, qu’il le sauve s’il tient à lui.”

12-Ne t’éloigne pas de moi quand l’angoisse est là; tu vois que personne ne vient à mon secours.

13-Me voici encerclé par une horde de taureaux sauvages, de bêtes de Bashan.

14-Je crois voir la gueule grande ouverte de lions prêts à me dévorer.

15-Je suis comme un vase qui perd l’eau, tous mes os se disloquent, mon cœur est une cire qui fond, il se défait dans mes entrailles.

16-J’ai la gorge sèche comme un tesson, ma langue se colle à mon palais, j’ai déjà sur les lèvres la poussière de la tombe.

17-Une meute de chiens m’entoure, une bande de malfaiteurs m’attaque; ils m’ont lié les mains et les pieds.

18-Ils ont pu compter tous mes os, car ils me regardent et m’observent.

19-Ils se partagent mes vêtements; ma tunique, ils l’ont tirée au sort.

20-Mais Toi, Seigneur, ne reste pas loin, Toi qui es ma force, hâte-Toi de me secourir.

22-Délivre-moi de la gueule du lion, sauve celui qui n’est rien des cornes du taureau.

– Tout cela est vrai, père, dit Jésus. Le psalmiste ne s’est pas trompé lorsqu’il parlait de Moi. Il faudra que toutes les écritures s’accomplissent. Joseph lève ses grands yeux interrogateurs vers Jésus qui poursuit: “Oui, père, il le faut: Je serai abandonné de tous, Je serai laissé seul, sans consolateur, conformément à ce que disent les Écritures :

2-Pourquoi n’ai-je trouvé personne lorsque je suis venu? Pourquoi n’a-t-on pas répondu quand j’ai appelé. Ma main serait-elle trop courte pour libérer? Ne suis-je pas assez fort pour sauver ?

5-Pourtant, je ne me suis pas refusé au Seigneur Yahvé, je n’ai pas reculé. 6-J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe; je n’ai pas dérobé mon visage aux insultes, aux crachats. 7-Le Seigneur Yahvé est de mon côté, et les insultes ne me touchent pas, aussi gardé-je un visage de pierre, je sais que je n’aurai pas à rougir. 8-Voici venir mon juge. Qui veut s’en prendre à moi? Allez, comparaissons ensemble, si quelqu’un veut m’accuser, qu’il approche!

Mais, Père, Tu ne verras pas cela ici-bas: le Seigneur Yahvé t’aura pris auprès de lui. Ne crains pas trop pour moi, père, car, 9-Si le Seigneur Yahvé est avec moi, qui me condamnera? Regarde-les, et voie  comme ils se défont... (Is. Chap. L)

– Ensuite, dit Jésus, le Serviteur entrera dans sa gloire,

10-il verra une descendance, ses jours seront prolongés, et le dessein de Yahvé réussira entre ses mains. 11-Après ses épreuves il sera comblé, il jouira de la pleine connaissance. Mon serviteur le juste fera une multitude de justes: il aura pris sur lui leurs péchés. 12-C’est pourquoi il aura sa part au milieu des grands, il partagera le butin avec les puissants, parce qu’il s’est dépouillé jusqu’à la mort et qu’il a été mis au rang des criminels. Car il portait sur lui le péché de la multitude et il intercédait pour les pécheurs. (Is. Chap. LIII)

Joseph est comme assommé. Il est aveuglé par les larmes et il ne peut plus retenir ses sanglots. Jésus, qui s’est assis près de lui le berce comme un petit enfant, et cherche à le consoler. Pourtant, Il continue, inexorablement:

Psaume 30 (29)

9-Vers Toi, Yahvé, j’appelle, à mon Dieu je demande pitié:

10-Que gagnes-Tu à mon sang, à ma descente en la tombe?

Psaume 31 (30)

10-Pitié pour moi, Seigneur, l’oppression est sur moi! Les pleurs me rongent les yeux, la gorge et les entrailles.

11-Car ma vie se consume en afflictions et mes années en soupirs;

ma vigueur succombe à la misère et mes os se rongent.

12-De mes adversaires je n’attends que mépris; pour mes voisins je ne suis que dégoût, un effroi pour mes amis.

13-Ceux qui me voient dans la rue s’enfuient loin de moi. Je suis sorti de leur mémoire, comme un mort, je ne suis plus qu’un objet de rebut.

14-J’entends les calomnies des gens, terreur de tous côtés! Ensemble ils complotent contre moi car ils cherchent à m’ôter la vie.

Oui père, tout ce que dit le prophète s’accomplira,

15-Mais moi je m’en remets au Seigneur et je lui dis: “Seigneur c’est Toi mon Dieu!” car souvent:

23-dans notre trouble, dans notre détresse, nous disons: “Seigneur Dieu, Tu m’as ôté de devant tes yeux...” Mais non père, le Seigneur écoute toujours notre prière quand nous crions vers lui.”

Joseph s’est apaisé. Lentement il se lève et retourne à son établi: il a beaucoup de travail à terminer aujourd’hui. Joseph pense à la dernière phrase de Jésus: “Le Seigneur écoute toujours quand nous crions vers Lui...” Jésus sourit à Joseph, mais intérieurement Il se redit les paroles qui seront celles de sa dernière agonie de Rédempteur, sur la Croix: “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

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